Contrairement au mythe de l’auteur et de l’inventeur jusqu’au XVIIIè siècle qui était imaginé comme créant seul dans le cadre d’un éclair de génie, la création intellectuelle (qu’elle soit artistique ou technique) est de plus en plus le résultat d’un travail de groupe et notamment de commandes auprès de salariés. Contrairement à ce que beaucoup pensent, les salariés ont très souvent des droits sur leurs créations, surtout en matière de droits d’auteur (I) mais également en matière de brevet (II).

  1. Droits d’auteur

Conformément aux dispositions de l’article L111-1 du Code de la propriété intellectuelle, l’auteur d’une œuvre est titulaire des droits sur l’œuvre. Le texte n’opère aucune distinction entre les auteurs créant indépendamment et les auteurs salariés. Le salarié devra en tout état de cause apporter la preuve que sa création est originale, c’est-à-dire qu’elle porte l’empreinte de la personnalité de son auteur.

Or, il existe un principe d’interprétation simple des contrats retenant que là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer. Il en résulte que par principe, le salarié qui créé une œuvre dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail est titulaire des droits d’auteur sur sa création.

Cette situation surprend de nombreux employeurs et même salariés, et ce d’autant plus que la solution n’est pas universellement partagée. En effet, en droit américain, le « work made for hire » confère à l’employeur les droits d’auteur sur une œuvre créée par son salarié dès lors que l’œuvre est créée dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail ou lorsque l’œuvre est créée suite à un accord écrit entre le créateur et le commanditaire et si l’œuvre contribue à une œuvre collective, une œuvre audiovisuelle, une traduction, une œuvre additionnelle, une compilation, un texte d’instructions, un test ou pour un atlas. Dans ces deux situations, le titulaire des droits n’est pas le créateur de l’œuvre mais l’employeur ou le commanditaire.

Il existe néanmoins des situations dans lesquelles le salarié qui créé dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail ne sera pas titulaire des droits d’auteur sur l’œuvre.

Il en va ainsi notamment lorsque l’œuvre créée est qualifiée d’œuvre collective. Il en va ainsi lorsque plusieurs personnes contribuent à la création d’une œuvre sur la demande d’une personne morale ou physique (il peut ainsi s’agir de l’employeur) et que les apports de chaque personne ne peuvent être distinguées. Dans ce cas, les droits naissent sur la tête de la personne à l’origine de la demande (il s’agit généralement de l’employeur). Il s’agit là d’un modèle assez classique dans de nombreux secteurs notamment celui de la mode.

Une autre exception a été introduite en matière de logiciel (article L. 611-7 du Code de la propriété intellectuelle). L’exception inclut le logiciel (c’est-à-dire l’ensemble des programmes, procédés et règles) et ses matériaux préparatoires. En effet, les développeurs de logiciels ne sont pas titulaires des droits d’auteur sur leur(s) création(s) dès lors que le logiciel est développé dans le cadre de l’exécution du contrat de travail. L’employeur est le titulaire des droits patrimoniaux (c’est-à-dire économiques) de l’œuvre (on parle ainsi de dévolution des droits du salarié à l’employeur). Le Code de la propriété intellectuelle ne prévoit aucune contrepartie financière pour le salarié. L’employeur reste titulaire des droits même après la rupture du contrat de travail. Le salarié conserve néanmoins ses droits moraux, qui se trouvent néanmoins limités car le droit de retrait ou de repentir est inopposable par le salarié, et le salarié ne peut s’opposer à la modification du logiciel que s’il en résulte une atteinte préjudiciable à son honneur ou à sa réputation. Le salarié conserve son droit de paternité et le droit de divulgation (qui est en pratique difficile à opposer, dès lors qu’il pourrait entraîner l’application de sanctions par l’employeur  pour violation de l’obligation de loyauté).

En outre, les journalistes, l’article L. 132-36 du Code de la propriété intellectuelle prévoit, pour les journalistes intervenant à titre permanent ou occasionnel, sauf stipulation contraire, la cession à titre exclusif à l’employeur des droits d’exploitation des œuvres du journaliste réalisées dans le cadre du titre. Pour les journalistes, la cession s’effectue par l’effet du contrat de travail.

Les fonctionnaires voient leurs droits cédés à la personne publique si l’œuvre est créée dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions ou d’après les instructions reçues si la création est strictement nécessaire à l’accomplissement d’une mission de service public. L’agent peut publier son œuvre sous réserve de demander d’abord à son autorité hiérarchique si elle entend se prévaloir de son droit de publication préférentiel. Les droits moraux de l’agent sont réduits dès lors qu’il ne peut s’opposer à la modification de l’œuvre que lorsque la modification porte atteinte à son honneur ou à sa réputation.

En tout état de cause, si le salarié n’est placé dans aucune des situations dans lesquelles les droits peuvent naitre sur la tête de l’employeur, il est toujours possible de prévoir dans le contrat de travail une cession de droits d’auteur au fur et à mesure qu’il devra respecter l’intégralité des mentions obligatoires prévues par le Code de la propriété intellectuelle (il sera notamment nécessaire que les œuvres soient déterminables). Le contrat devra respecter le formalisme obligatoire tel que fixé à l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle. A défaut de respect des mentions obligatoires, la cession sera nulle et l’employeur engagera sa responsabilité pour contrefaçon. L’excuse de la bonne foi ne sera pas retenue par les Tribunaux. Il est notamment important de préciser de façon détaillée les droits cédés. A titre d’exemple, a engagé sa responsabilité pour contrefaçon l’employeur qui n’avait pas précisé, dans le contrat de cession, que le logo créé par le salarié serait utilisé pour la marque de l’entreprise. Tout ce qui n’a pas été précisé dans le contrat reste entre les mains du salarié.

Même en cas de cession de droit d’auteur ou du bénéfice d’une exception, l’auteur salarié continue à bénéficier de ses droits moraux. Les droits moraux se décomposent en droit de divulgation, droit de paternité, droit à l’intégrité et droit au retrait. Ces droits sont inaliénables et imprescriptibles. L’employeur est par conséquent tenu de les respecter.

À défaut, de conclusion de contrat de cession ou de bénéficier d’une exception, le préjudice subi très souvent estimé à la hauteur du prix de la licence qui aurait dû être versé à l’auteur. Les salariés recourent de plus en plus à la saisine des Tribunaux judiciaires afin de faire valoir leurs droits d’auteur. Cela présente plusieurs intérêts stratégiques notamment celui d’alourdir les prétentions du salarié et éventuellement chercher à obtenir une solution amiable au litige mais également de plaider un contentieux devant des juridictions spécialisées dont les décisions sont souvent plus prévisibles que les conseils de prud’hommes en première instance.

Le régime des salariés est également applicable aux stagiaires et alternants.

2. Droit des salariés sur les brevets développés

Contrairement aux créations protégées par le droit d’auteur, les inventions des salariés reviennent à l’employeur. Il en va de même pour les fonctionnaires.

En revanche, les stagiaires restent inventeurs et peuvent donc déposer les brevets résultant de leurs travaux pendant leurs stages. La conclusion d’une convention peut utilement protéger le maître de stage.

La question s’est posée de savoir si la règle était applicable aux brevets français ou aux inventions créées dans le cadre d’un contrat de travail soumis au droit français. Dès lors que le régime d’attribution des inventions résulte du contrat de travail, c’est la loi du contrat de travail qui s’applique. Concrètement, cela signifie qu’un salarié exécutant un contrat de droit français mais à l’étranger (par exemple dans le cadre d’une mission) sera soumis aux règles de dévolution françaises même si son invention a été créée en Chine ou aux Etats-Unis.

Le régime de l’invention salariée implique que l’inventeur ait créé dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail. Le Code de la propriété intellectuelle distingue entre les inventions dans le cadre de la mission et les inventions hors mission et les inventions non-attribuables.

Une invention est dite de mission lorsqu’elle est faite par le salarié dans le cadre de l’exécution de son contrat de travail comportant une mission inventive correspondant à ses fonctions effectives, soit d’études et de recherches qui lui sont explicitement confiées. L’élément déterminant réside dans la prescription hiérarchique de l’employeur. Ce schéma entraîne l’affectation à l’employeur de l’invention. L’employeur devra néanmoins verser une rémunération supplémentaire conformément à la convention collective, à l’accord d’entreprise applicable ou au contrat de travail.

Les inventions dites hors missions attribuables recoupent des inventions créées sous l’influence du contrat de travail ou non. Lorsqu’une invention est faite par un salarié soit dans le cours de l’exécution de ses fonctions, soit dans le domaine des activités de l’entreprise, soit par la connaissance ou l’utilisation des techniques ou de moyens spécifiques à l’entreprise, ou de données procurées par elle, l’employeur dispose de la faculté de s’attribuer le droit sur l’invention. L’employeur devra s’acquitter du paiement d’un juste prix.

Enfin, les inventions hors missions non-attribuables intègrent les inventions ne relevant pas des deux catégories susmentionnées. Le salarié est l’inventeur du brevet.

Pour toute question concernant les droits des salariés et des employeurs face à une création de l’esprit, le cabinet reste à votre disposition.

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Liens utiles :

L’INPI au sujet des inventeurs salariés : L’inventeur est un salarié | INPI.fr

Article du site dédié aux élus du comité social et économique : Clause propriété intellectuel et invention | Guide (2024) (cse-guide.fr)