Intelligence artificielle

L’intelligence artificielle est le siège de tous les fantasmes et de tous les cauchemars.

En tout état de cause, il reste particulièrement difficile de définir l’intelligence humaine (et il est courant d’évoquer l’existence de plusieurs types d’intelligences humaines). Tout au plus, l’intelligence artificielle est une capacité de calculs reposant sur un traitement de données important et facilité, notamment par les capacités de stockage externalisées et un accès à des stocks de données massives (big data). Nous restons donc loin d’une intelligence artificielle qui ressemblerait à une intelligence humaine.

Les raisonnements seront différents en matière de droits d’auteurs et en matière de propriété industrielle.

Afin de conférer des droits d’auteurs à une intelligence artificielle, il serait nécessaire de lui conférer une personnalité juridique. Si certains ont pu le suggérer (A. Bensoussan, « Droit des robots », Larcier, 2015, p.41 et s.), cette approche a été qualifiée de monstruosité juridique (G. Loiseau, « La personnalité juridique des robots : une monstruosité juridique », JCP G2018, 597). En tout état de cause, les autorités en charge de la régulation de l’intelligence artificielle ont rejeté l’octroi d’une personnalité juridique aux robots.

Une personnalité juridique conféré à l’IA n’aurait pas de sens dès lors que les IA actuelles restent faibles, cela déboucherait sur la création d’une chimère juridique étant à la fois sujet et objet de droit, et cela conduirait à déresponsabiliser les vecteurs de la chaine en responsabilisant l’IA. Le droit est pensé pour s’appliquer à des sujets êtres humains

Une intelligence artificielle est composée notamment d’un algorithme qui permet d’apprendre au réseau de neurones de l’IA. L’algorithme intégré à un programme n’est pas par nature protégé par le droit d’auteur. Les idées qui sous-tendent sa création ne peuvent accéder à la protection par le droit d’auteur.

Cependant, l’expression codé du programme peut-être protégé par le droit d’auteur. Néanmoins, l’ingénierie inverse permet d’étudier le code d’une intelligence artificielle (certains parlent de « droit de regard »), de sorte qu’il est possible d’étudier, d’observer et de tester un programme afin de reproduire sa fonctionnalité dans un second programme (CJUE, 2 mai 2012, Aff. C-406/10).

Les bases de données peuvent être protégées d’une part par le droit d’auteur (si la base de données est originale) ainsi que par le droit sui generis des bases de données. Une base de données sera protégée par le droit d’auteur si « le choix ou la disposition des données qu’elle contient constitue une expression originale de la liberté créatrice de son auteur » (CJUE, 1er mars 2012, aff. C-604/10). La base de données sera protégée par le droit sui generis si elle est le résultat d’un investissement substantiel, sachant que le titulaire du droit est le producteur de la base de données. Le corpus d’entrainement de l’IA pourrait être protégé par le droit d’auteur si l’humain a l’origine de sa construction y a exprimé sa personnalité. Néanmoins, le demandeur conserve la charge de la preuve de sa création originale et la démonstration risque d’être compliquée. A l’inverse, une collecte automatique et systémique des données fera obstacle à la qualification d’œuvre originale et donc à l’application du droit d’auteur. Le corpus d’entrainement nécessite des données quantitativement et qualitativement importantes. Il sera nécessaire pour le demandeur d’apporter la preuve que les investissements substantiels n’ont pas porté sur la création de données (qui n’est pas l’objectif de la protection sui generis des bases de données) mais bien de la base de données (c’est-à-dire du corpus d’entrainement) de l’IA. Si la réglementation sui generis des bases de données a vocation à s’appliquer, elle permettra au propriétaire d’interdire « toute extraction, par transfert permanent ou temporaire de la totalité ou d’une partie qualitativement ou quantitativement substantielle du contenu d’une base de données sur un autre support, par tout moyen et sous toute forme que ce soit ».

L’IA bénéficie d’une exception de fouille de données, elle-même divisée entre d’une part une exception à des fins de recherches scientifiques et d’autre part, pour tous les usages notamment de l’intelligence artificielle y compris commerciaux. La seconde exception n’était pas forcément pertinente dès lors que pour l’intelligence artificielle, on peut légitimement s’interroger sur l’existence d’une reproduction d’une œuvre dès lors que l’IA ne copie que des répartitions statistiques de couleurs, des graphismes d’une image, un contenu harmonique ou rythmique, une séquence sonore et non pas les œuvres originaires en tant que telles.

Outre la protection de l’IA en tant qu’objet, il convient de s’interroger sur la protection des réalisations de l’IA, telle que « The Next Rembrandt » ou encore « Daddy’s Car ». Le Parlement Européen a suggéré de recourir au droit d’auteur pour les créations de l’IA (rapport du Parlement Européen contenant des recommandations à la commission concernant des règles de droit civil sur la robotique, 27 janvier 2017). En tout état de cause, la conscience de la création ne constitue pas un critère de protection de l’œuvre (à titre d’exemple, il est impossible de contrôler la conscience de la création d’une œuvre anonyme ou pseudonyme, mes ces œuvres sont bien protégées par le droit d’auteur).

En outre, la Cour de cassation retient qu’une personne morale ne peut avoir la qualité d’auteur (cass. 1re civ, 15 janvier 2015, n°13-23566), ce qui implique que seule une personne physique peut obtenir la qualité d’auteur. Aux États-Unis, seule une personne humaine peut enregistrer une œuvre au Copyright Office. C’est dans la même logique que la Cour suprême australienne a refusé la protection à une base de données générée automatiquement par une intelligence artificielle (Australia Supreme Court, Telstra corporation limited v form directories comapgny).

Le Copyright Office américain a également rejeté la protection d’une œuvre d’art généré à l’aide d’une intelligence artificielle dans l’affaire Théâtre Opera spatial le 5 septembre 2023.

Il en résulte que seules les personnes physiques peuvent avoir la qualité d’auteur. La France retient ainsi une conception subjective de l’originalité définie comme l’empreinte de la personnalité de son auteur, faisant ainsi obstacle à la reconnaissance d’un droit d’auteur pour une œuvre créée par une intelligence artificielle. Cette approche a néanmoins pu être nuancée ces dernières années notamment avec l’émergence des logiciels pour lesquels le critère de protection est limité à la marque de l’apport intellectuel. Cette ouverture a une conception plus objective en droit français semble néanmoins contrée par la politique récente de la Cour de justice de l’Union Européenne qui tend vers une conception subjective en exigeant des choix libres et créatifs reflétant la personnalité de l’auteur.

Il existe un risque que des personnes se présentent comme autrices d’une œuvre créée par une intelligence artificielle et demandent le respect du droit d’auteur sur ces œuvres. En effet, une œuvre diffusée sur le nom d’une personne est présumée avoir été créée par ses soins, sans que le processus créatif ne doive être révélé. Il existera donc une véritable difficulté probatoire dont certaines personnes pourraient profiter pour tirer les fruits d’œuvres créées par intelligence artificielle.

Certains auteurs proposaient de recourir à la théorie du mécanisme de l’accession par production qui implique que tout propriétaire d’une chose mobilière ou immobilière devient propriétaire des fruits qu’elle produit. Concrètement, cela permettrait aux propriétaires d’une intelligence artificielle de devenir propriétaires des œuvres qu’elle créé.

Le droit anglais propose une solution originale en reconnaissant que l’auteur est celui qui a pris les dispositions nécessaires pour la création de l’œuvre. Cette construction prend des libertés avec les principes connus en matière de droits d’auteur en ce qu’elle investie la qualité d’auteur à une personne se contentant simplement de commander une création, ce qui est loin de l’idée d’originalité ou de choix créatif.

En matière de brevet, le Code de la propriété intellectuelle retient qu’est brevetable une solution technique à un problème technique, présentant un caractère nouveau, c’est-à-dire qu’il n’est pas compris dans l’état de la technique, qui fait preuve de l’activité inventive compris en fonction de l’état de la technique le plus proche, en fonction du problème technique objectif à résoudre et en contrôlant si l’invention était évidente pour l’homme du métier. L’objectivité des conditions d’éligibilité au brevet permet a priori d’accueillir les produits dès l’intelligence artificielle.

En ce qui concerne la titularité, il pourrait être envisagé qu’il ne peut y avoir de brevet sans inventeur. Néanmoins, le droit des brevets s’attache plus au déposant qu’à l’inventeur. On peut ainsi considérer que le brevet revient à celui qui a la légitime maitrise intellectuelle de l’invention et qui en fait la demande à un office de dépôt de brevet.

Le droit des brevets ne s’intéressant pas véritablement à la démarche créative ou inventive, il importe peu que l’invention soit le résultat des qualités inventives du déposant ou de l’utilisation d’un algorithme intelligent.

En outre, l’article L 613-2 du Code de la propriété intellectuelle prévoit que « si l’objet du brevet porte sur un procédé, la protection conférée par le brevet s’étend au produit obtenu directement par ce procédé ». En conséquence, le titulaire d’une IA générative brevetée se voit conféré des droits sur les produits obtenus (c’est-à-dire sur les créations).

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