Rémunération par l’administration après service fait face à la crise sanitaire covid-19
Posté le 8 avril 2020 dans Droit de la Propriété intellectuelle, Droit du travail.
L’administration a adopté la règle comptable dite de la rémunération après service fait. Concrètement, la rémunération de l’agent n’intervient pas en début de mois ou avant son intervention mais en fin de mois ou après son intervention. Le Conseil constitutionnel a précisé que la règle du service fait n’était pas une sanction disciplinaire mais une simple mesure comptable ayant vocation à s’appliquer à tous les fonctionnaires et intervenants dès lors qu’ils n’ont pas accompli, soit la totalité de leurs heures de service, soit la totalité des obligations inhérentes à leurs fonctions (Cons. const., 20 juill. 1977, déc. n° 77-83 DC).
La règle s’applique même lorsque le contrat est illicite. Concrètement, même lorsque le contrat est annulé par le juge administratif, la rémunération est due dès lors que la prestation a été effectuée (CAA Paris, 5 déc. 2006, n° 04PA02604, B. : JurisData n° 2006-332458).
Concrètement, l’agent est rémunéré après que son travail est effectué et ce même si le contrat était illicite.
Lorsque la tâche n’a pas été accomplie plusieurs situations peuvent se rencontrer :
- La tâche n’a pas été accomplie par la faute de l’administration :
Ex. : un enseignant titulaire en zone de remplacement qui se présente dans son établissement scolaire mais qui ne se voit confier aucune activité pédagogique ne peut faire l’objet d’une retenue sur son traitement pour absence de service fait parce que par la suite il est resté à son domicile. En effet, il revenait au chef d’établissement d’exiger explicitement la présence de l’enseignant au sein de l’établissement (CE, 5 févr. 2014, Jablonka). Il en irait de même d’un intervenant (par exemple un poète) qui ne pourrait effectuer la formation pour laquelle il a été embauché à cause du coronavirus.
Concrètement, si l’agent a effectué ce qui lui a été demandé mais que l’inaccomplissement de sa tâche est le résultat d’une décision administrative – ou d’une absence de décision administrative – la rémunération est due à l’agent.
- La tâche n’a pas été accomplie par la faute de l’agent :
Dans l’hypothèse où l’agent n’effectue pas sa tâche le principe de la rémunération après service fait s’applique dans toute sa rigueur. L’agent ne sera donc pas rémunéré.
- La tâche n’a pas été accomplie à cause de circonstances exceptionnelles :
Il convient de distinguer entre les hypothèses de force majeure et les hypothèses où la suspension du service public présente un caractère d’intérêt général.
La force majeure : elle est constituée des critères d’irrésistibilité et d’imprévisibilité.
L’irrésistibilité est constituée par tout événement qui ne peut être empêché (covid-19, ouragan etc…).
L’imprévisibilité marque la période pendant laquelle il n’était pas possible de prévoir un événement. Dans le cas de la covid-19, la question va être posée aux juges de déterminer la date à partir de laquelle il était devenu prévisible que la France allait être lourdement touchée. Les juges vont-ils retenir la date de confinement de WUHAN ? De la LOMBARDIE ? ou la date à laquelle le gouvernement a prononcé le confinement ? Il semble plutôt prudent de retenir qu’à partir de début février 2020 la situation était telle en Europe que la France allait forcément être touchée.
Concrètement, les contrats conclus à partir de début février 2020 ne peuvent être résiliés sur le fondement de la force majeure. Pour les contrats conclus avant début février février 2020 la force majeure peut s’appliquer. Cela signifie que l’agent n’est plus tenu d’exécuter le contrat et que l’administration n’est pas tenue de rémunérer l’agent.
Néanmoins, le droit français est particulièrement flou sur ce point. En effet, la jurisprudence avait pu retenir que le seul critère d’irrésistibilité permettait de constituer la force majeure. La réforme du 10 octobre 2016 a modifié l’approche traditionnelle pour retenir uniquement les deux critères sus-énoncés, laissant penser que la réunion des critères d’irrésistibilité et d’imprévisibilité est nécessaire à la constitution de force majeure. Cependant, si en toute rigueur la solution antérieure devrait être écartée, il est fort probable que la Cour de cassation considérera – pour des raisons qu’il serait inutilement long de développer ici – que la jurisprudence antérieure a toujours vocation à s’appliquer et, par conséquent, que le critère d’irrésistibilité pourrait à lui seul permettre de constituer la force majeure.
La suspension du service public présentant un caractère d’intérêt général : il s’agit de l’hypothèse notamment où les agents ont conclu le contrat avec l’administration avant le 1er février 2020. L’administration peut toujours considérer que la prestation ne peut s’effectuer et que cette suspension présente un caractère d’intérêt général. Ce régime peut a priori s’appliquer pendant la période de confinement – voire après le déconfinement – pour les interventions devant des publics scolaires. Dans ce cas, l’administration reste tenue de rémunérer l’intervenant – au titre du manque à gagner – bien qu’il n’effectue pas son intervention.
Le droit français n’a pas de réponse claire et précise à offrir à ce stade. Il conviendra de suivre dans le détail l’évolution de la jurisprudence.
En pratique, les intervenants ont tout intérêt à négocier un report de leur intervention au lieu d’attendre une clarification par la jurisprudence. Si des questions continuent de se poser, le recours à un avocat sur une situation concrète permettra de trouver des solutions sur mesure pour les auteurs.