LE DROIT D’AUTEUR APPLIQUÉ AUX JEUX-VIDÉOS
Posté le 14 octobre 2021 dans Droit de la Propriété intellectuelle, Droit des nouvelles technologies / Internet.
Le jeu vidéo est une œuvre multimédia dans la mesure où elle entremêle image, sons et vidéos. Elle n’est donc pas uniquement un logiciel – ce qui aurait eu des incidences sur sa protection notamment en matière de droits moraux. Elle constitue également une base de données. Le cumul de régimes implique une diversité de protection.
- La protection par le droit d’auteur général
Le droit d’auteur vient protéger les créations originales. Dans le cadre de la création d’un jeu vidéo, différents éléments peuvent être originaux et par conséquent protégés par le droit d’auteur et notamment :
- le nom et le logo du jeu vidéo (qui peuvent également être protégés en tant que marque, ce qui impliquerait dans ce cas un cumul de protections),
- le scénario (au même titre que le scénario d’un film),
- les personnages et les décors (autant dans leurs descriptions écrites que leur représentations graphiques),
- la musique.
La pluralité des œuvres d’un jeu vidéo implique une pluralité de régimes juridiques applicables. En effet, une œuvre audiovisuelle ne peut être qualifiée d’œuvre collective. Il en résulte qu’il sera nécessaire d’obtenir une cession ou une licence de droit d’auteur pour les œuvres audiovisuelles (c’est-à-dire des séquences cinématographiques du jeu vidéo ainsi que les séquences animées d’images). En revanche, pour les autres œuvres, il sera possible de retenir qu’il s’agit d’œuvres collectives dès lors qu’elles sont commandées par une personne physique ou morale (exemple : Ubisoft) et quels sont créés par plusieurs personnes. Dans ce dernier cas, la titularité des droits née sur la tête de la personne à l’origine de la commande, ce qui lui évite d’obtenir une cession de droits d’auteur (cela n’empêchera pas l’employeur d’attribuer une rémunération spécifique pour ses salariés ayant contribué à la création de l’œuvre).
Enfin, pour les œuvres qui n’auraient pas été créées en interne par le producteur, il sera nécessaire d’obtenir une cession ou une licence de droit d’auteur (exemple : une bande-son qui aurait été créée par un tiers devra faire l’objet d’un contrat de cession ou de licence pour être reproduite dans le jeu vidéo).
- La protection par le droit d’auteur spécial des logiciels
Le jeu vidéo fonctionne grâce à un logiciel. Cela avait amené la doctrine à appliquer la théorie de l’accessoire, ce qui impliquait que l’intégralité des composantes du jeu vidéo devait se voir appliquer le régime juridique du principal à savoir du logiciel. Cette solution a été rapidement écartée. On applique désormais un cumul de protection pour les jeux vidéo, ce qui nécessite en pratique la rédaction d’une succession de contrats de cessions de droit et de licences.
Le logiciel est protégé par le droit d’auteur s’il résulte d’un effort personnalisé portant la marque de l’apport intellectuel de son auteur. En conséquence, un logiciel qui ne résulterait pas de choix libre et créatif ne serait pas protégé par le droit d’auteur.
Le régime applicable au logiciel est cependant largement dérogatoire au droit commun du droit d’auteur. À ce titre, les droits d’auteur sont automatiquement dévolus à l’employeur des salariés ayant contribué à la création du logiciel du jeu vidéo. Ce régime ne s’applique pas aux stagiaires, prestataires externes et dirigeants non-salariés qui jouissent d’un droit d’auteur sur le logiciel qu’ils créent.
Enfin, les créateurs de logiciels ne bénéficient pas de la règle générale du droit d’auteur qui intéresse les auteurs au succès de leur création par le recours à une rémunération proportionnelle. Les créateurs de logiciels peuvent ainsi être rémunérés au forfait.
- La protection par les régimes applicables aux bases de données
Le jeu vidéo peut être protégé en tant que base de données de 2 façons différentes:
- s’il s’agit d’une architecture originale elle sera protégée par le droit commun du droit d’auteur (toute reproduction ou représentation sera interdite en dehors des exceptions du Code de la propriété intellectuelle comme la copie privée),
- si la base de données résulte d’un investissement humain, matériel ou financier substantiel (la notion de « substantiel » n’est pas définie par le Code de la propriété intellectuelle afin de permettre au texte de s’adapter au plus grand nombre de situations nouvelles), elle bénéficiera de la protection sui generis des producteurs de bases de données (cela donne le droit aux producteurs de la base de données de s’opposer à toute extraction substantielle du contenu de la base – en conséquence, même si le producteur de la base de données n’est pas titulaire des droits d’auteur sur le contenu de la base de données, il pourra s’opposer à toute extraction substantielle des éléments qu’elle contient que l’extraction soit effectuée en une seule fois ou en plusieurs fois).
Conseils pratiques : Il est conseillé au producteur du jeu vidéo de procéder à un enregistrement du jeu. Cet enregistrement n’est pas une condition de la protection, mais eu égard aux enjeux économiques, il permettra d’apporter la preuve de la création de l’œuvre en cas de contrefaçon. Le dépôt peut être effectué à l’agence pour la protection des programmes (APP). Eu égard à la complexité du régime juridique applicable aux jeux vidéo, il est conseillé de se prémunir en contractualisant les rapports entre les intervenants et de faire auditer l’œuvre par un avocat. Il apparaît nécessaire de placer des mesures techniques efficaces qui permettront aux producteurs de la base de données de neutraliser l’effet de certaines exceptions comme la copie privée. |
8 réponses à “LE DROIT D’AUTEUR APPLIQUÉ AUX JEUX-VIDÉOS”
Bonjour.
Je n’arrive pas à extraire de cet article, ce que je souhaite savoir, pour réaliser un documentaire.
J’utilise des scènes personnalisés fabriqués par l’éditeur UNITY.
J’utilise des extraits de films réalisés à partir de jeux vidéos.
est ce que j’ai le droit.
Merci beaucoup.
Merci pour votre commentaire.
Il est impossible de vous répondre sans voir concrètement les éléments.
En tout état de cause, si vous utilisez des éléments originaux, ils sont protégés par le droit d’auteur et vous avez par conséquent besoin d’une autorisation pour les utiliser.
Nous restons à votre disposition pour en parler.
Bien à vous,
Bonjour,
Ma question est la suivante: Peut-on licitement revendre d’occasion un jeu-vidéo en propriété littéraire et artistique ?
Vous remerciant d’avance,
Bien respectueusement
Jules B
Merci pour votre question.
Il faut distinguer entre les jeux sur support physique et ceux dématérialisés (ce qui est le cas de beaucoup de jeux récents).
Dans le premier cas, la revente ne pose pas de difficulté.
Dans le second cas (les jeux dématérialisés), les juges français et européen interdisent la revente.
En effet, la Cour de justice de l’Union Européenne a retenu dans l’affaire dite Tom Kabinet (C-263/18, 19 décembre 2019) que l’épuisement des droits d’auteur n’est pas applicable aux œuvres dématérialisées (en l’occurrence des e-books) car leur distribution relève non pas de la distribution au public mais de la communication au public.
Un doute a pu émerger suite à l’arrêt UsedSoft (C-128/11, 3 juillet 2012) qui a retenu que les droits sur un logiciel s’épuisent. Cependant, cet arrêt se fondait sur les dispositions de la directive spéciale relative aux logiciels, et non pas sur les dispositions de la directive relative au droit d’auteur.
Or, le jeu vidéo est une œuvre complexe qui ne se limite pas au logiciel (voir article 220 terdecies du Code général des impôts). Il inclut notamment le graphisme, la musique, le scénario etc… Les dispositions de la directive relative au droit d’auteur ont donc vocation à s’appliquer, et par conséquent le raisonnement de l’affaire Tom Kabinet doit être privilégié.
C’est en ce sens qu’a statué la Cour d’appel de Paris dans un arrêt en date du 21 octobre 2022 ainsi que la Cour de cassation dans son arrêt du 23 octobre 2024 (n°23-13738).
Concrètement :
– Vous pouvez revendre un jeu sur support matériel,
– Vous ne pouvez pas revendre un jeu immatériel.
Le cabinet reste à votre disposition pour toute question que vous auriez.
Bonjour, étudiant en art, je réalise un court film en utilisant à la fois le scénario et le décor de GTA-4. J’utilise une voix off par dessus et je filme ma déambulation dans le jeu.
Ce court métrage sera diffusé dans un musée mais je n’obtiendrai aucune rémunération ni aucune vente sur cette création.
Je compte créditer le jeu et les créateurs.
Suis je dans la légalité ?
Merci d’avance
Bonjour,
merci pour votre question.
Le jeu GTA est protégé par le droit d’auteur (pour les images, les scenarii, la musique etc…).
Afin de reproduire et représenter le jeu il vous faut :
– soit une autorisation écrite de la maison d’édition,
– soit bénéficier d’une exception (mais je ne vois pas quelle exception pourrait s’appliquer à votre cas, même si vous ne percevez pas de rémunération).
Concrètement, la maison d’édition peut s’opposer à votre utilisation du jeu étant donné qu’elle sera présentée à un public.
Bonjour,
Mon entreprise crée un jeux vidéo qui sera prochainement mis en commercialisation, la bande de son du jeu a été créée par un ami à partir de logiciel et matériel acquis par mon entreprise. Je souhaiterai donc savoir qui est propriétaire de cette bande son. J’ai dans l’idée de signer un contrat de partenariat avec l’ami en question pour officialiser son apport dans le jeu que dois je y mettre dans l’attente de votre retour, cordialement.
Cher Monsieur,
Je reviens vers vous concernant votre commentaire sur notre article « le droit d’auteur appliqué aux jeux-vidéos », dans lequel vous nous précisiez que votre entreprise a créé un jeu vidéo qui sera commercialisé prochainement et dont la bande sonore a été créée par un ami à partir de matériel et logiciel appartenant à votre entreprise.
Vous souhaitiez donc savoir à qui appartiennent les droits sur cette bande sonore.
Le jeu vidéo est une œuvre protégée dans son ensemble.
La bande sonore du jeu vidéo, si elle s’avère originale, est protégée par le droit d’auteur. Si votre ami, qui a créé la bande sonore, n’a régularisé aucune cession de droit d’auteur, les droits relatifs à la bande sonore lui appartiennent (même s’il a créé la bande sonore grâce à votre matériel).
Vous pouvez tout à fait établir un accord écrit avec votre ami, pour céder ou délimiter les droits et utilisations de cette musique. Cet accord doit contenir les mentions obligatoires du Code de la propriété intellectuelle et du Code civil (territoire, durée, droits cédés, contexte, prix).
Votre ami a créé la bande sonore grâce au matériel mis à sa disposition. Il serait pertinent de contrôler s’il a utilisé des enregistrements présents sur le logiciel, et si vous avez effectivement une licence pour les utiliser.
Bien à vous,