Tim Berners-Lee, l’inventeur de l’hyperlien et du Web, avait imaginé un Internet sur lequel il serait possible de lier sans autorisation préalable des auteurs des pages cibles.

La jurisprudence française a dans un premier temps laissé penser qu’elle allait se référer aux principes des Pères Fondateurs de l’Internet et recourir à la Netiquette. En effet, le Tribunal de commerce de Paris a retenu dans un jugement en date du 26 décembre 2000 que « le bon usage des possibilités offertes par le réseau Internet commanderait, pour le moins, de prévenir le propriétaire du site cible » lorsqu’un hyperlien le pointe. Le jugement introduit donc l’idée d’autorisation préalable et d’application des règles de la Nétiquette (qui suggèrent de solliciter l’autorisation préalablement à la création du lien). La nécessité de solliciter l’autorisation de l’auteur de l’œuvre liée avant de créer le lien aurait pour conséquence d’introduire une capacité de censure en faveur des auteurs critiqués.

La Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique a établi à l’article 1er le principe de la liberté de communication par voie électronique. La loi a donc ouvert la porte à l’affirmation de la liberté de lier. La jurisprudence a explicitement retenu cette solution dans un jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre le 25 mars 2010 en affirmant que « l’existence d’un lien, à titre informatif, [n’est pas] soumis à une autorisation préalable » lorsque le lien n’implique pas le droit d’auteur. La liberté de créer des liens à visée informative se trouve par conséquent constitutionnellement protégée par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789.

La Cour de Justice de l’Union Européenne a dégagé un autre fondement afin de justifier l’absence d’autorisation préalable à la création d’un lien dans l’arrêt Svensson. Le raisonnement se divise en deux temps :

  1. Dans le premier, les juges reconnaissent que les liens communiquent les œuvres aux internautes,
  2. Dans le second, les juges retiennent qu’il n’y a pas de communication au public dans la mesure où l’œuvre n’est pas communiquée à un public nouveau. Le public est entendu de façon large car il inclut le public potentiel et non pas seulement effectif. Le public est constitué d’une pluralité de personnes, par opposition aux cercles des intimes ou le cercle de famille, et distinct de la notion de clientèle. L’exigence de public nouveau ne s’effacera que lorsque le medium utilisé diffère ou lorsqu’un public qui n’était pas visé par l’ayant droit a accès à une œuvre protégée.

En conséquence, étant donné qu’il n’y a pas de communication à un public, le droit d’auteur ne s’applique pas et le principe de l’autorisation préalable se trouve écarté. Le recours au critère de public nouveau étonne néanmoins dans la mesure où il avait été écarté par la Conférence de rédaction de la convention de Berne relative au droit d’auteur. Le critère ainsi retenu par les juges européens place donc l’Union Européenne dans une situation de violation de ses obligations internationales (et notamment de l’accord ADPIC qui renvoie à la convention de Berne).

Le résultat de la solution de l’arrêt Svensson correspond non seulement à la jurisprudence en formation au sein des États membres de l’Union Européenne, mais également à la pratique des acteurs de l’Internet. En effet, le Groupement des Éditeurs de Services en Ligne notamment a conclu une charte d’édition électronique autorisant l’établissement de lien sans autorisation préalable opposable uniquement aux signataires.

Un lien vers un contenu licite ne présentera par conséquent aucune difficulté. En revanche, la question s’est posée de savoir quel était le régime juridique applicable à un lien pointant vers un contenu illicite et notamment une contrefaçon. A ce titre, la directive dite e-commerce (transposée en droit français par la LCEN) introduit un régime de responsabilité spéciale des hébergeurs fondé sur la connaissance effective ainsi que sur la connaissance apportée par une notification.

  1. La connaissance effective

Le Conseil Constitutionnel a précisé dans sa décision n 2004-496 le critère de la connaissance. Le Conseil a ajouté au critère de la connaissance effective – qui s’avère a priori subjective – une dimension objective en retenant que l’élément litigieux doit être manifestement illicite. Le Conseil n’a cependant pas précisé les contours de la notion de connaissance subjective.

En tout état de cause, la jurisprudence française n’a jamais reconnu une connaissance subjective du responsable d’un hébergeur. A titre d’exemple, des contenus niant l’existence du génocide arménien – qui sont a priori faciles à identifier – n’ont pas amené les juges à retenir que l’hébergeur avait une connaissance effective de la présence d’éléments illicites sur le serveur. Le second critère relatif à la connaissance objective permet de renforcer la sécurité des créateurs automatiques de liens étant donné qu’il se cumule avec celui de la responsabilité subjective.

2. L’absence d’obligation de surveillance

L’Internet libre – c’est-à-dire sans surveillance – constitue un excellent moyen pour les utilisateurs d’échanger des idées sans encourir le risque d’être surveillés. Cela permet d’éviter l’autocensure des internautes. En effet, l’existence d’un système de surveillance généralisée a pour conséquence d’amener les internautes ayant des idées qu’ils considèrent comme étant minoritaires à s’autocensurer. L’absence de connaissance de la présence de contenu illicite est d’autant plus importante que le législateur a rejeté toute obligation de surveillance des fournisseurs d’accès à internet

L’Union Européenne a en effet clairement rejeté le principe de surveillance de l’Internet par les créateurs automatiques de liens à l’article 15.1 de la directive e-commerce. La CJUE (CJUE, C-70/10, 24 novembre 2011, Scarlet Extended SA c. Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs SCRL (SABAM), 50) a cependant retenu que le principe de l’absence d’obligation de surveillance est fondé sur la liberté d’information.

Ainsi, l’obligation de surveillance ne respecterait pas « l’exigence que soit assuré un juste équilibre entre, d’une part, la protection du droit de propriété intellectuelle, dont jouissent les titulaires de droits d’auteur, et, d’autre part, celle de la liberté d’entreprise dont bénéficient les opérateurs tels que les prestataires de services d’hébergement » (CJUE, Sabam c. Netlog).