L’adaptation audiovisuelle
Posté le 4 octobre 2024 dans Droit de la Propriété intellectuelle.
L’année 2024 est notamment marquée par l’adaptation au cinéma du roman « Le Comte de Monte Cristo » avec Pierre Niney. Si le film ne sera malheureusement pas présenté aux oscars, il constitue un parfait exemple d’adaptation d’une œuvre – en l’occurrence littéraire- en œuvre cinématographique. Si dans le cadre de cette adaptation, les réalisateurs Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte n’ont pas eu besoin de négocier les droits d’auteur étant donné qu’ils sont limités à la durée de vie de l’auteur et 70 ans après son décès (excluant ainsi les ayants droit de DUMAS de tout bénéfice économique du film) il en ira différemment dans le cadre du projet de réadaptation de « L’écume des jours ». Le réalisateur aura évidemment besoin d’obtenir une cession de droits d’auteur relative à l’adaptation de l’œuvre littéraire.
Il sera tout d’abord nécessaire de veiller à ce que l’auteur ou ses ayants droit n’aient pas cédé les droits à leur maison d’édition. En effet, si le code de la propriété intellectuelle interdit de céder dans le contrat d’édition les droits audiovisuels (sous peine de nullité du contrat de cession), il est relativement courant notamment pour les plus grandes maisons d’édition, de signer concomitamment au contrat d’édition un contrat portant sur l’adaptation de l’œuvre littéraire en œuvre audiovisuel.
Si aucun contrat n’a été conclu en amont, il est de bon usage de proposer un contrat en deux parties, à savoir :
- Un contrat de commande (ou contrat d’option) ;
- Un contrat de cession de droits d’auteur.
Quel est l’intérêt de recourir à ces deux contrats ? Le code de la propriété intellectuelle français prévoit, sous peine de nullité, la nullité d’une cession de droits d’auteur sur une œuvre future. Or, lorsque l’auteur d’une œuvre littéraire est approchée, l’œuvre audiovisuelle n’est pas encore créée, de sorte qu’il s’agit d’une œuvre future. Le contrat prévoit généralement le paiement d’un avaloir (c’est-à-dire d’une avance sur les droits d’auteur, qui sera déduite des droits d’auteur qui seront perçus après la sortie de l’œuvre audiovisuelle), une date butoir pour finaliser l’œuvre et éventuellement un cadre et des moyens pour réaliser l’adaptation cinématographique.
Il n’est pas rare que l’auteur de l’œuvre littéraire soit accompagnée dans le processus d’adaptation de l’œuvre audiovisuelle. Le code de la propriété intellectuelle prévoit qu’est présumé co auteur de l’œuvre audiovisuelle l’auteur de l’adaptation. Cela signifie que le réalisateur de l’œuvre audiovisuelle devra s’assurer de l’obtention des droits d’une part littéraires, mais également d’adaptation de l’écrivain s’il a participé et en tout état de cause, de la personne à l’origine de l’adaptation de l’œuvre.
Le contrat d’option assure une exclusivité sur l’acquisition qui est généralement limitée à 12 mois. Depuis 2005 a été créé un registre des options, tenu par le centre national du cinéma et de l’image animée (CNC) afin d’assurer la publicité des projets d’adaptation cinématographiques ou audiovisuelles pendant la période intermédiaire qui précède la cession effective.
Il est conseillé en seconde partie du contrat de commande, d’insérer le contrat de cession afin de ne pas introduire de situation de potentiels blocages. Par ce mécanisme, les parties n’auront qu’à lever l’option mais ce seront déjà mises d’accord sur les modalités de la cession.
L’auteur de l’œuvre initiale conserve ses droits moraux. Pour rappel, les droits moraux sont constitués par les droits de divulgation, de paternité, d’intégrité de l’œuvre et de retrait. Le droit de divulgation n’a plus véritablement de sens à ce stade. Quant au droit de paternité, il implique le droit que son nom soit indiqué à proximité de l’œuvre, ou son pseudonyme ou pour l’auteur de maintenir son anonymat. Il est fondamental, dans le contrat de cession, d’indiquer les modalités sur lesquelles le nom de l’auteur sera indiqué ou de clairement rappeler le recours à l’anonymat.
Le droit à l’intégrité implique l’obligation pour les tiers de respecter l’approche philosophique de l’œuvre. Ce droit se trouve de facto circonscrit en matière d’adaptation étant donné que l’auteur de l’œuvre initiale pourra invoquer le droit à l’intégrité que si les changements apportés par les créateurs du film dénaturent l’œuvre première, sachant que la jurisprudence accorde désormais une grande importance au principe de liberté d’expression et à la liberté d’expression.
Ainsi, dans l’affaire dite « Les Misérables », la jurisprudence a retenu que le droit moral devait s’incliner face à la liberté de création, sous réserve du respect par la seconde œuvre de l’œuvre originale.
Le cœur de la négociation des droits repose évidemment sur la rémunération. Pour déterminer les droits des auteurs, nous nous basons sur les Recettes Nettes Part Producteur (RNPP). Grâce à trois accords interprofessionnels signés le 6 juillet 2017, dont un spécifiquement sur la transparence et la rémunération dans les relations entre auteurs et producteurs d’œuvres audiovisuelles, une définition commune des RNPP-A a été mise en place. Cela vise à harmoniser les pratiques dans les contrats du secteur. Selon l’article 3-B), les RNPP-A représentent la base minimale pour toute rémunération proportionnelle due à l’auteur, en précisant comment les calculer. Elles sont particulièrement importantes pour la rémunération légale dans les modes d’exploitation gérés individuellement, car il est souvent difficile de déterminer un prix public hors taxes. C’est ce qui explique les différences avec les pratiques des contrats d’édition.
Le contrat de cession devra respecter le formalisme fixé par le Code de la propriété intellectuelle. Il est essentiel de préciser plusieurs éléments : la durée, le territoire, le caractère exclusif ou non des droits, ainsi que les modes d’exploitation. La jurisprudence est très stricte à ce sujet, et toute cession qui ne respecte pas ces conditions peut être considérée comme nulle. Concernant la durée, les pratiques courantes dans l’édition suggèrent que la cession devrait couvrir toute la durée de protection du droit d’auteur, c’est-à-dire la vie de l’auteur plus soixante-dix ans après son décès. Cela signifie que les auteurs peuvent tout à fait négocier cette durée avec l’éditeur, et une éventuelle prolongation demandée par l’éditeur pourrait donner lieu à une renégociation de la rémunération en faveur de l’auteur. De plus, si les droits d’adaptation audiovisuelle sont rétrocedés à l’auteur, celui-ci a alors la liberté de négocier directement avec des producteurs intéressés. Cette flexibilité est d’autant plus justifiée que l’article L. 131-3 du Code de la propriété intellectuelle stipule que l’éditeur doit s’engager à exploiter le droit cédé conformément aux usages professionnels. Si l’éditeur ne recherche pas activement cette exploitation, l’auteur pourrait récupérer ses droits. En ce qui concerne le territoire, limiter géographiquement la cession à un éditeur peut s’avérer compliqué, surtout dans le contexte de l’audiovisuel, où les financements et les diffusions sont souvent internationaux. Enfin, il est important de rester vigilant sur les modes d’exploitation. Limiter la cession uniquement à l’adaptation audiovisuelle pourrait priver l’auteur de nombreux autres débouchés. Les exploitations connexes (comme des ouvrages, des jeux de société, des jeux vidéo, des spin-offs, ou des produits dérivés) devraient être exclues, sauf si un accord financier distinct est mis en place. Par exemple, une adaptation en bande dessinée d’un film, lui-même inspiré d’une bande dessinée, pourrait être envisagée.
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