Une fois l’ancre constituée, l’internaute aura besoin de la liberté d’établir un lien pour mener depuis son site vers une page cible. Le lien permettra à l’internaute de prendre connaissance d’une œuvre, ce qui pose la question de l’application des droits de reproduction et de représentation du droit d’auteur lors de l’établissement du lien (I). Les droits américain et européen convergent globalement lorsque les droits patrimoniaux sont appliqués aux liens. Néanmoins, la divergence en matière d’établissement de liens face aux droits moraux et aux droits sui generis (II) a pour conséquence d’offrir des accès différents à la culture et aux informations.

I) Les droits de reproduction et de représentation lors de l’établissement du lien

Les liens permettent une division de la création entre les auteurs de l’œuvre et les internautes. Lorsque l’internaute voyage sur le réseau après avoir cliqué sur le lien il ne violera pas de droit d’auteur ou de copyright sur le chemin emprunté étant donné qu’il est établi de façon algorithmique sans qu’un auteur ne fasse preuve d’originalité. Si cette phase est sécurisée pour les créateurs de liens, il n’en va pas de même de l’arrivée sur la page liée.

En effet, après que l’internaute a effectué le voyage jusqu’à la page liée, le droit de reproduction pourra encore être sollicité. Il en ira ainsi notamment lorsque le lien aura pour effet d’intégrer le contenu lié sur la page contenant l’ancre qui pourrait apparaître comme une œuvre dérivée. La convention de Berne sur le droit d’auteur ne propose pas de définition conceptuelle de l’œuvre dérivée. L’article 2.3 propose simplement une liste non-exhaustive d’œuvres composites incluant « les traductions, adaptations, arrangements de musique et autres transformations d’une œuvre littéraire ou artistique » qui jouissent de la même protection que les œuvres originales sans préjudice des droits de l’œuvre originale. La liste laisse une large marge d’interprétation aux États en s’abstenant de définir des critères et en ne proposant que des exemples. Le texte de la convention écarte a priori la possibilité de création d’œuvres composites par un lien. La section 101 du Copyright Act définit la « derivative work » comme celle basée sur une ou plusieurs œuvres préexistantes et propose une liste non exhaustive de derivatives works plus prolixe que le Code de la propriété intellectuelle français. La section 101 propose une summa divisio différente de l’approche française. La jurisprudence américaine a eu l’occasion de s’interroger sur la possibilité pour un lien hypertexte de créer une derivative work. Dans un premier temps, l’arrêt américain Futuredontics v. Applied Anagramics, qui concernait des liens cadres vers des images protégées, a retenu que le demandeur n’apportait pas la preuve que l’hyperlien avait pour conséquence la création d’une derivative work. Puis, dans l’arrêt Perfect 10 v. Google, qui concernait également des liens cadres, la jurisprudence n’a pas tranché la question de la création d’une derivative work par un lien mais a apporté un début de réponse. L’arrêt a rejeté le incorporation test, qui proposait de retenir la qualification de display – c’est-à-dire de représentation – au sens de la section 106 du Copyright Act dès lors que l’œuvre apparaît visuellement comme incluse dans une page, au profit du server test, qui retient une approche technique et se focalise sur l’origine de la mise en ligne des œuvres. Le choix de l’incorporation test et de son approche visuelle aurait ainsi permis de retenir que lorsque l’œuvre apparaît sur le site source dans un cadre original, le lien peut constituer une derivative work. Certains auteurs ont donc retenu que le rejet du server test a pour conséquence de faire obstacle à la création d’œuvres dérivées par le lien car l’œuvre sera toujours mise en ligne par le site cible et ne sera pas reproduite par le site source, condition pourtant indispensable à la qualification de derivative work. Dès lors, un lien même cadre vers une œuvre ne permettra pas la constitution d’une derivative work. Un lien ne permet pas la création d’une œuvre composite car il n’adapte pas dans la mesure où il ne permet pas le passage d’une œuvre littéraire à un autre type d’œuvre. En effet, il ne change pas la nature de l’œuvre et ne donne pas de nouvelle qualité ni une forme différente à l’œuvre liée. La jurisprudence française n’a en revanche pas eu l’occasion de se prononcer sur la question de la création d’une œuvre composite par un hyperlien. Néanmoins, nous estimons que les juges ne retiendront pas la création d’une œuvre composite à cause de l’absence de reproduction de l’œuvre liée. La jurisprudence française suivra donc le même chemin que les juges américains en considérant que le mécanisme technique utilisé ne permet pas de reproduire l’œuvre première. Cette solution est en outre dictée par le principe d’absence d’autorisation préalable à la création du lien qui serait remis en cause si un hyperlien créait une œuvre composite. En effet, l’auteur de l’œuvre composite doit demander l’autorisation à l’auteur de l’œuvre première avant son exploitation. Partant, si le fournisseur de lien créait une œuvre composite, il serait tenu de demander l’autorisation à l’auteur de l’œuvre première avant toute exploitation et par conséquent avant même la création du lien. Le rejet de l’application de la notion d’œuvre composite aux liens permet ainsi d’assurer la liberté de lier. La solution nous paraît relever du bon sens et permet d’établir un équilibre entre le droit d’auteur et l’accès à l’internet. Elle agit également comme un révélateur du droit d’auteur et du copyright. Ces deux droits ne protègent pas l’auteur intellectuel d’une œuvre. Ce n’est donc pas l’auteur d’une œuvre qui est protégé – ce qui aurait eu pour conséquence de protéger toute lecture d’une œuvre – mais l’individu à l’origine d’une création de forme pour autrui. La solution est conforme à la ratio legis des premières lois anglaise, américaine et française sur le droit d’auteur qui visaient à inciter à la création d’œuvres.

Néanmoins, même si le lien ne crée pas d’œuvre composite en montrant le contenu lié, il peut présenter l’œuvre de façon à la reproduire par l’intégration du contenu sur le site ancre. Certains auteurs français ont fait remarquer que dans certains cas le lien a pour effet de proposer une présentation similaire à une reproduction alors qu’aux Etats-Unis cette position sera rejetée conformément au server test. Deux conceptions de la reproduction s’opposent. La française, intellectualisée, est favorable aux auteurs alors que la seconde, technique, est favorable au développement de l’internet. La jurisprudence française a adopté la distinction proposée par une partie de la doctrine qui proposait de distinguer entre les sites d’impulsion – ayant pour effet de propulser le visiteur vers le site ciblé en quittant le site d’origine – et les liens d’extraction insérant dans le site d’origine des éléments extraits du site ciblé sans nécessairement faire état de façon apparente de leur provenance. Ainsi, le Tribunal de Grande Instance de Paris a retenu, dans un jugement du 25 juin 2009 (TGI Paris, 3e ch., 4e section 25 juin 2009, Legalis), que le lien cadre reproduisait le contenu lié. Les juges n’ont pas sanctionné l’établissement du lien en soi mais la présentation de l’œuvre liée qui laissait penser qu’il s’agissait d’une partie du site source. La Cour de cassation française est allée dans le sens des juges du fond en retenant dans deux arrêts (Cass. 1re civ., 12 juill. 2012, n° 11-13.666, Google c. Bac Films, « Les dissimulateurs ») que, dans certains cas, un lien peut reproduire le contenu lié. En l’espèce, la société Google avait instauré une fonction considérée comme étant « active » et permettant l’accaparement du contenu stocké sur des sites tiers. Il faut donc comprendre que le lien est à l’origine d’une contrefaçon par reproduction lorsque, par sa fonction active, il permet à son créateur de s’accaparer le contenu du site d’un tiers sur son propre site à l’intention de ses propres clients. Les liens effectueront une reproduction dès lors qu’ils proposent une fonction active permettant l’accaparement du site lié en droit français. Les juges français ont ainsi fait preuve d’adaptabilité en retenant que la reproduction ne pouvait plus être considérée comme purement matérielle sur un support numérique, conformément à une jurisprudence désormais établie, mais qu’elle était constituée dès lors qu’intellectuellement le résultat est similaire à une copie matérielle. Ce forçage de la définition de l’article L. 122-1 du Code de la propriété intellectuelle est permis grâce à l’expression « par tous procédés » qui ouvre la voie à de nouvelles techniques.

La jurisprudence américaine a adopté la solution inverse dans l’arrêt Flava Works v. Marques Rondale Gunter en retenant que le défendeur se contente de fournir une liste de noms et d’adresses de vidéos qui se trouvent sur le site de l’hébergeur et s’abstient d’encourager ou d’assister les internautes à visionner les vidéos. Les juges ont ainsi effectué une transposition de la logique du server test de l’arrêt Perfect 10 applicable au droit de distribution. La jurisprudence américaine s’est donc contentée d’une lecture littérale des dispositions du Copyright Act et a rejeté une interprétation originaliste qu’a fait sienne le juge français. Il n’y a pourtant pas lieu de se contenter d’une analyse de la technique lors de l’application du droit d’auteur sans considération des effets de présentation qu’elle pourrait avoir. À défaut, les ingénieurs auront tôt fait d’inventer des moyens techniques de contourner les définitions américaine et française du droit de reproduction, tout en proposant à l’utilisateur une visualisation d’une œuvre dans les mêmes conditions que si elle avait été copiée.

Outre la violation du droit de reproduction, le lien pourra violer le droit de représentation de l’auteur. Les droits européen et américain ont établi le principe de la liberté de lier qui limite le droit de représentation. Les créateurs de liens n’ont ainsi pas besoin de solliciter d’autorisation préalable lorsqu’ils créent un lien vers un contenu conformément à ce que souhaitait l’inventeur des hyperliens Tim Berners-Lee. Les deux droits fondent leurs raisonnements sur la protection conférée à la liberté d’expression qui souffrirait d’une trop grande limitation si les liens devaient obtenir une autorisation préalable avant leur établissement.

Si l’autorisation de créer des liens n’a in fine pas posé de difficulté particulière, il en est allé autrement lorsque le lien mène vers une contrefaçon. La Cour de Justice de l’Union Européenne a commencé à aborder la question avec l’arrêt Svensson. Le raisonnement se divise en deux temps. Dans le premier, les juges reconnaissent que les liens communiquent les œuvres aux internautes en se fondant sur les arrêts Football Association Premier League – retenant que l’acte de communication doit être entendu de façon large afin de garantir un niveau élevé de protection des titulaires de droit d’auteur – et SGAE – qui avait retenu, en se fondant sur les articles 3 paragraphe 1 de la directive 2001/29 ainsi que sur l’article 8 du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, qu’il suffit que « l’œuvre soit mise à disposition du public de sorte que les personnes qui composent celui-ci puissent y avoir accès » pour qu’il y ait communication au public. Dans un second temps, les juges européens ont retenu qu’il n’y a pas communication au public dans la mesure où l’œuvre n’est pas communiquée à un public nouveau. Le public est entendu, dans les deux systèmes juridiques, de façon large car il inclut le public potentiel et non pas seulement effectif. Le public est constitué d’une pluralité de personnes, par opposition au cercle des intimes ou le cercle de famille, et distinct de la notion de clientèle. Une critique majeure qui peut être faite à l’arrêt Svensson réside dans la définition du public nouveau. Il ne correspond pas à la définition donnée par la jurisprudence en droit international privé qui distingue entre les différents publics selon la théorie de la focalisation en analysant des critères tels que la langue, l’extension du nom de domaine ou encore le public visé. Enfin, le critère du public nouveau implique un épuisement du droit d’auteur – alors que cette théorie était initialement réservée aux supports matériels – dès lors qu’une œuvre est téléchargée sur l’internet que l’arrêt GS Media a nuancé en limitant ce principe aux reproductions licites. Les auteurs n’auront donc comme choix, s’ils veulent maintenir le contrôle sur leurs œuvres, que de placer des mesures techniques efficaces. Il leur est dès lors nécessaire de procéder à une formalité pour protéger leurs droits en violation des dispositions de l’article 5.2 de la convention de Berne. La CJUE a ainsi introduit une logique d’opt out que le droit européen avait toujours rejeté. Cela risque de déboucher sur un internet en grande partie fermée étant donné que les auteurs chercheront à obtenir une rémunération pour l’établissement de liens. Le rôle du créateur du lien doit être incontournable pour que sa responsabilité puisse être engagée. C’est ainsi le rôle de facilitateur de l’accès à la contrefaçon qui se voit sanctionné.

La solution était mal fondée juridiquement – et même contra legem en ce qu’elle reflète une approche techniciste excluant l’impératif du respect des engagements internationaux de l’Union Européenne – parce que la CJUE a effectué un test de proportionnalité entre libertés fondamentales sans l’assumer. Les juges européens ont donc souligné dans l’arrêt GS Média la nécessité d’établir un équilibre entre « l’intérêt des titulaires des droits d’auteur » et la « protection des intérêts et des droits fondamentaux des utilisateurs d’objets protégés, en particulier de leur liberté d’expression et d’information ». Afin de répondre à cette exigence la CJUE (CJUE, 8 septembre 2016, aff. C-160/15, GS MEDIA BV c. Sanoma Media Netherlands BV) a ajouté au critère du public nouveau celui de la volonté contrefaisante assorti d’une présomption en cas de caractère lucratif du lien. Ainsi, les créateurs de liens agissant à but non lucratif sont supposés ne pas avoir connaissance du caractère contrefaisant de la copie liée. Néanmoins, si l’internaute agissant à but non lucratif « savait ou devait savoir » que le lien mène vers une contrefaçon, il aurait pour effet de communiquer l’œuvre au public et enfreindrait par conséquent les dispositions de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE. L’arrêt GS Media étend ainsi la solution de l’arrêt Del Corso qui avait retenu, en matière de droits voisins, que le caractère lucratif figure parmi les éléments les plus pertinents à prendre en considération afin de déterminer s’il existe un acte de communication. La présomption fonctionne en sens inverse pour les créateurs de liens agissant à but lucratif. En effet, il leur est demandé d’effectuer les « vérifications nécessaires pour s’assurer que l’œuvre concernée n’est pas illégalement publiée sur le site auquel mènent […] les liens hypertexte » (CJUE, 8 septembre 2016, aff. C-160/15). Dès lors, les juges de Luxembourg ont établi une présomption « que le placement est intervenu en pleine connaissance de la nature protégée de ladite œuvre et de l’absence éventuelle d’autorisation de publication sur internet par le titulaire du droit d’auteur ». Il s’agit néanmoins d’une présomption réfragable qu’il sera particulièrement difficile de renverser. Cette approche est sans doute conforme à une dichotomie entre l’internet à titre non-lucratif qui bénéficie d’un régime juridique plus favorable que l’internet lucratif. Elle soulève néanmoins la difficulté de la définition de la gratuité sur l’internet.

La CJUE a donc initialement abordé la question de manière semble-t-il maladroite eu égard aux canons classiques du droit d’auteur. Cette approche, bien que critiquable, constitue le résultat d’une prise en considération souterraine d’un équilibre entre les droits fondamentaux et la liberté d’accès à internet que les juges n’ont pas su développer de façon rigoureuse. L’erreur initiale a donc rendu tout l’édifice chancelant en Europe. Les Etats-Unis n’ont pas eu recours à une recherche d’équilibre entre des libertés fondamentales et appliquent par conséquent un raisonnement plus orthodoxe.

Les juges américains autorisent l’établissement de liens vers des contrefaçons car ce n’est pas le lien en soi qui engage la responsabilité de son créateur mais la présentation de l’ancre. Ainsi, le défendeur n’engagera sa responsabilité que s’il « possess either actual or constructive knowledge of the infringing activity to be found contributorily liable ». L’interdiction de lier vers une contrefaçon est donc limitée dans l’esprit de l’arrêt Sony car, dès lors qu’un site sera substantiellement non contrefaisant, le lien ne sera pas interdit. Cette solution a été réaffirmée par l’arrêt Columbia Pictures Industries, Inc. v. Fung en se référant à la théorie de inducement, c’est à dire de l’incitation à commettre des contrefaçons lorsque l’utilisation prédominante du site a pour objet la contrefaçon. La jurisprudence américaine a en outre encadré cette interdiction. L’arrêt Universal City Studios v. Corley a en effet souligné les dangers qu’un régime de responsabilité de plein droit pourrait avoir en se fondant sur l’arrêt Reimerdes qui avait interdit la distribution d’un logiciel de contournement de mesures techniques. Les créateurs de liens seraient dissuadés de lier, et cela ferait obstacle à l’accès aux contenus en ligne. L’arrêt a par conséquent établi un test en trois étapes reprenant et modifiant l’arrêt Sullivan relatif à la liberté d’expression pour établir la responsabilité du créateur de lien vers un logiciel permettant le contournement de mesures techniques efficaces. Le créateur de lien doit savoir (1) au moment opportun que le site lié comportait des contenus contrefaisants, (2) que la technique permettant le contournement ne peut être légalement proposée, (3) crée ou maintient le site dans l’objectif de disséminer cette technologie. L’arrêt a donc intégré dans le test l’exigence que le créateur de lien avait connaissance de la présence du contenu contrefait au moment de la création du lien.

Les solutions française et américaine manquent de nuance. En effet, il ne semble pas que la création d’un lien par un journaliste afin d’illustrer son article, la fourniture d’un lien par un activiste agissant contre le droit d’auteur par conviction, ou encore l’établissement d’un lien par une société afin de tirer des bénéfices constituent des situations similaires pouvant être traitées de la même façon.

La liberté d’établir des liens est donc garantie de façon assez large. Elle se trouve renforcée par le principe de neutralité des liens. Les internautes pourront en effet créer tous les types de liens qu’ils souhaitent. Les doctrines française et américaine s’étaient initialement interrogées sur la nécessité de distinguer entre les différents types de liens. Il avait notamment été suggéré qu’il est nécessaire de distinguer entre la légalité des liens de surface – qui mènent vers la page d’accueil d’un site – et les autres types de liens qui étaient censés être illicites per se. La jurisprudence américaine a été la première à être saisie de la question (Bernstein v. JC Penney, Inc., C.D. Cal. Sept. 29, 1998). Elle a retenu que les liens – sans distinction – sont capables de « substantive non infringing use » sur le fondement de l’arrêt Sony. Cet arrêt avait retenu qu’une technologie peut être utilisée et commercialisée dès lors qu’elle peut faire l’objet d’une utilisation licite substantielle. Le recours à l’arrêt Sony souligne donc le fait que la nature des liens est indifférente dès lors qu’ils sont tous susceptibles de faire l’objet d’une utilisation licite substantielle. Les juges ont par conséquent suivi la doctrine libertaire et majoritaire. La jurisprudence française a opéré une distinction, dans un jugement du 26 décembre 2000, entre la légalité des liens simples et l’illégalité des autres liens à l’instar d’autres jurisprudences européennes. Le TGI de Nanterre, puis le TGI de Nancy, ont en effet retenu que les liens profonds et les liens cadres sont légaux. L’arrêt Ticketmaster v. Ticket.com avait également retenu le principe de la licéité des liens profonds, et l’arrêt Futuredontics v. Applied Anagramics avait retenu la même solution pour les liens cadres. Cette évolution a ainsi mis fin à la distinction en droit français entre les différents types de liens et a permis une convergence avec le droit américain. Il est ainsi interdit de distinguer entre les différents types de liens dans les deux pays. Le standard de l’autorisation implicite constituerait ainsi, dans une perspective Rawlsienne, un élément de justice procédurale en matière de copyright visant à une répartition plus juste des ressources. Étant donné que les droits d’auteur français et européen ont adopté la même solution, il y a lieu de conclure qu’ils assurent eux aussi une répartition plus juste des ressources.

Les deux droits vont néanmoins converger sur l’interdiction de contournement des mesures techniques efficaces conformément aux dispositions de l’article 11 du traité de l’OMPI. Dès lors, la création d’un lien vers une page contenant une mesure technique efficace et permettant son contournement devra être considérée illégale dès lors qu’elle contient des œuvres protégées. Le traité OMPI a donc conféré un droit de mise à disposition qui, s’il ne constitue pas un droit d’accès absolu, autorise une restriction de l’accès sur internet. Cela permet certes aux auteurs de maintenir l’état de rareté artificielle de leurs œuvres, mais ce faisant, ils participent de l’enclosure de l’internet. La CJUE s’est conformée à la ratio legis de l’article 11 du traité OMPI en retenant explicitement dans l’arrêt Svensson que les hyperliens peuvent contourner les mesures techniques efficaces et, ce faisant, ils communiqueront l’œuvre à un public non visé initialement qui sera donc considéré comme nouveau. Le second critère de la représentation, à savoir le nouveau public, peut ainsi être opposé dès lors qu’un lien contourne une mesure technique efficace. L’arrêt Svensson rejoint ainsi une position doctrinale considérant que l’établissement du lien est libre tant que l’auteur n’a pas eu recours à des systèmes de limitation de l’accès à ses œuvres. La jurisprudence américaine n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur ce point. Elle se fonderait a priori sur la section 1201(a)(1) du Copyright Act interdisant le contournement des mesures techniques efficaces. Le DMCA n’introduit pas expressis verbis un droit d’accès, c’est à dire la possibilité pour l’auteur de contrôler la lecture ou le visionnage de son œuvre. Il y a donc lieu de penser que les juges interdiront, comme au sein de l’Union Européenne, les liens contournant les mesures techniques installées sur un site.

II) Les divergences en matière d’établissement de liens face aux droits moraux et aux droits sui generis

Les droits français et américain divergent sur la question des droits moraux (A) ainsi que du droit sui generis des bases de données (B).

A) L’établissement des liens face aux droits moraux

Certains droits moraux ont pour effet, lorsqu’ils se trouvent appliquer à l’internet, de limiter l’accès à la culture. En revanche, le droit de paternité et d’intégrité ont l’effet inverse et favorisent l’accès à la culture.

Le droit de divulgation pourra s’opposer aux créateurs de liens. La jurisprudence française ne s’est cependant pas encore prononcée sur la question. Néanmoins, étant donné que le droit français reconnaît un principe général d’interdiction de l’établissement d’un lien vers un contenu illicite, il y a lieu de conclure qu’un lien menant vers une copie d’une œuvre violant le droit de divulgation constituera une violation dudit droit. La solution sera identique pour le droit de retrait et de repentir. L’auteur bénéficie donc d’un droit d’isolement d’une contrefaçon en droit français s’inscrivant dans une logique de webring, c’est à dire d’exclusion des contenus illicites. Les Etats-Unis n’ont jamais connu de droit de divulgation même avant l’arrêt Dastar qui marquait une sortie de la conception libérale du droit des marques qui avait servi d’équivalent fonctionnel aux droits moraux.

À côté des droits moraux limitant l’accès aux œuvres, les droits de paternité et au respect de l’œuvre assurent au public l’accès à la culture qu’il recherche. En effet, en imposant une liaison correcte entre une œuvre et son auteur, le droit français permet aux internautes de prendre connaissance du nom de l’auteur d’une œuvre et, par conséquent, de son origine intellectuelle. Le TGI de Paris a effectué une analogie inopportune avec la jurisprudence des théâtres en imposant aux créateurs de liens d’établir un lien interne au site entre l’œuvre et le nom de l’auteur. Or, l’établissement d’un lien vers une page externe au site présentant le nom de l’auteur ne s’avère pas moins protecteur du nom de l’auteur qu’un lien interne. Le lien devra en outre montrer le nom de l’auteur de façon précise. Il risque cependant d’en aller différemment lorsqu’un créateur de lien crée un cadre. Dans une telle hypothèse, l’œuvre apparaît sur la page contenant l’ancre sans que l’internaute n’ait besoin de cliquer pour se rendre sur la page cible. Dès lors, le principe d’accessibilité du nom de l’auteur commande au créateur de lien de mentionner le nom près du cadre ou du moins à un emplacement directement accessible. Il nous semble qu’il en ira ainsi lorsque le lien présente une fonction active.

Les exigences quant à la précision seront en outre profondément différentes entre les deux droits. Il est ainsi interdit d’indiquer, en droit français, un lien de paternité imprécis ou erroné. Cette interdiction est d’autant plus large qu’elle s’applique aussi bien aux erreurs involontaires qu’aux fausses attributions volontaires. Le droit français accepte néanmoins une légère entorse au principe de précision. En effet, lorsqu’un tiers à l’auteur exprime un doute quant à la paternité d’une œuvre, il ne violera pas le droit de paternité. La solution aurait été tout à fait différente si les juges américains avaient été saisis. En effet, le caractère interne ou externe d’un lien n’induit pas en soi de risque de confusion pour les consommateurs au sens de la section 43(a) du Lanham Act. Ce ne sera que lorsque la liaison établie constitue une publicité trompeuse que le lien sera considéré comme illégal, mais cela reste indépendant du caractère interne ou externe du lien. Le droit américain ne reconnaissant pas de droit de paternité il ne sanctionnera pas l’absence de lien vers le nom de l’auteur. Le droit français protège l’auteur alors que le droit américain protège le technicien. Les deux droits adoptent ainsi deux approches opposées.

En outre, le droit à l’intégrité permet aux auteurs d’interdire en France – à l’inverse des Etats-Unis – la création de liens contraires à leurs conceptions intellectuelles. La jurisprudence française n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur la question d’un lien menant depuis une œuvre vers un contenu idéologiquement ou philosophiquement différent. Il serait néanmoins conforme à l’état du droit français de retenir qu’un lien menant vers un contenu idéologique, artistique, politique ou culturel différent de celui pensé par l’auteur viole le droit à l’intégrité de l’œuvre. Il a en effet été retenu que la présentation d’un article « savant et documenté », dans un journal gratuit et au milieu de nombreuses publicités viole le droit à l’intégrité de l’œuvre. Par analogie, la création d’un lien vers une œuvre savante à partir d’une page en accès libre contenant de nombreuses publicités devrait violer le droit à l’intégrité de l’œuvre. Il en ira de même dès lors qu’un tiers donne une idée inexacte de l’œuvre qu’il reproduit ou représente ou qu’il déforme la « pensée générale » de l’auteur. Dès lors, les créateurs de liens devront être attentifs à la cohérence entre le site source et le site cible. Il en ira de même si l’internaute propose une série de liens vers différentes œuvres qui devront être intellectuellement compatibles entre elles. Enfin, la jurisprudence française retient traditionnellement que la présentation d’œuvres dans un ordre non voulu par l’auteur constitue une violation du droit à l’intégrité, surtout lorsque l’œuvre originale et la présentation par le tiers visent des publics différents. Ces situations pourront se vérifier sur l’internet lorsque les œuvres sont accessibles à partir d’hyperliens. Le droit américain appliquera la même solution que dans l’arrêt Shostakovitch et retiendra qu’aucun droit du titulaire du copyright n’est violé. L’accès à une information fiable est ainsi, aux Etats-Unis, sacrifié sur l’autel de la liberté d’expression.

Les droits français et américain convergent néanmoins lorsque la présentation d’une œuvre est effectuée dans un contexte pornographique. En effet, une telle présentation d’une œuvre sera sanctionnée en droit américain sur le fondement de la section 43(a) du Lanham Act et en droit français en tant que violation du droit moral à l’intégrité. Le dénominateur commun des deux droits, en matière de droit à l’intégrité, se trouve donc limité à la présentation d’une œuvre dans un contexte pornographique.

L’internet joue ainsi le rôle d’une marée descendante découvrant les défauts initialement cachés par l’océan. En effet, dans de nombreux cas, l’absence de droit à l’intégrité était compensée, en droit américain, par le droit de reproduction qui permet aux titulaires du copyright d’interdire toute modification de leurs œuvres étant donné que cela nécessitait une copie. Cependant, avec l’invention des hyperliens, l’intérêt des droits moraux se trouve renforcé. Ainsi, loin de constituer des reliquats d’un passé qu’il faudrait jeter aux oubliettes, les droits moraux se montrent plus moderne que jamais. En revanche, nous ne soutiendrons pas la pertinence du droit sui generis sur internet.

B) Les liens face au droit sui generis

Le droit américain n’ayant pas introduit de protection sui generis des bases de données l’établissement d’hyperliens se trouvera facilité. La jurisprudence française a partiellement convergé vers cette solution dans la mesure où elle ne reconnaît pas facilement l’existence de la protection. Ainsi, le TGI de Paris a retenu que l’indexation de références immobilières en fonction de la situation des biens, du type, de la surface, du nombre de pièces et du prix ne constitue pas une extraction de la base de données. Les juges ont ainsi retenu que le caractère banal de ces informations fait obstacle à leur qualification d’éléments qualitativement substantiels de la base de données. Le lien ne pourra en revanche pas effectuer de réutilisation des données, permettant au droit européen de converger vers le droit américain. Cette approche surprend car le critère de banalité n’a pas été mentionné par la directive relative aux bases de données qui confère une protection dès lors qu’un investissement substantiel a été effectué. Il fait en revanche référence à l’originalité qui relève du droit commun du droit d’auteur et qui a été exclu de la directive. Les juges auraient donc dû se contenter de mentionner le critère de l’extraction substantielle au lieu de tomber dans une confusion des genres. Ces solutions donnent l’impression que les juges tentent de trouver des raisonnements afin d’assurer la liberté de lier. Néanmoins, les créateurs de liens devront être attentifs à ce que les éléments qu’ils référencent ne soient pas intégrés dans une base de données protégée par le droit sui generis.

Les droits européen et américain convergent donc sur le principe de la liberté de lier qu’ils ont limité de façons différentes. Les deux systèmes convergent philosophiquement en ce qui concerne la protection de la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens, mais les différences de chaque droit reflètent les divergences civilisationnelles des deux espaces.