Il y a une relation commerciale établie dans le cas où « la relation commerciale entre les parties revêtait avant la rupture un caractère suivi, stable et habituel et où la partie victime de l’interruption pouvait raisonnablement anticiper pour l’avenir une certaine continuité du flux d’affaires avec son partenaire commercial » (Cour de Cassation, rapport annuel 2008, page 307, à propos de cass. Com., 16 décembre 2008, n°0715589).

Le régime de responsabilités relatif à la rupture brutale des relations commerciales établies doit être compris dans un sens économique et non pas uniquement contractuel, de sorte que l’existence de difficultés dans l’exécution des contrats entre les parties est indifférente.

L’article L442-1 du Code de Commerce ne sanctionne pas la rupture d’une relation commerciale établie mais sa brutalité. La relation considérée n’est pas seulement contractuelle mais commerciale, ce qui permet d’intégrer plusieurs relations contractuelles.

Il est nécessaire que la notification soit non équivoque. A ce titre, a été considérée comme équivoque la rupture interdisant immédiatement de faire usage du logo et de la marque tout en laissant à titre provisoire et dans l’attente d’une rencontre entre les conditions d’achat et de règlement. Les juges ont retenu que ce comportement entretient une incertitude quant à la volonté de rupture et ne vaut donc pas notification de la rupture. Le préavis commence à courir à réception de la notification de la rupture.

Le préavis doit être proportionné à la durée des relations entre les parties. L’article L 442-2 du Code de commerce dans sa dernière rédaction datant du 25 avril 2019 présente un défaut de rédaction. Il convient a priori de retenir que le législateur a introduit un plafond de 18 mois, assurant, conformément à l’intention indiquée dans le rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2019-359 du 24 avril 2019 à assurer une meilleure sécurité juridique et une meilleure prévisibilité juridique pour les parties.

La durée du préavis minimum doit être appréciée au moment de la notification de la rupture. En conséquence, les événement affectant la victime après cette notification, même s’ils sont positifs, ne doivent pas être pris en compte par le juge afin d’apprécier la brutalité de la rupture. Il en est allé ainsi dans une affaire jugée par la Cour d’appel de Paris le 28 janvier 2016 dans laquelle une société avait subi une rupture brutale de ses relations qui avaient duré 17 ans, même si elle a réussi à trouver un partenaire commercial dans un délai d’une semaine. L’événement positif ne saurait écarter le caractère brutal de la rupture.

Plusieurs critères doivent être pris en compte pour déterminer la durée du préavis :

  • L’ancienneté : celle-ci peut être délicate notamment lorsqu’il existe déjà des ruptures de la relation commerciale, mais dans un tel cas, les juges retiennent la durée de l’intégralité des relations commerciales (il est difficile de déterminer une corrélation entre la durée des relations et la durée du préavis, et tout au plus peut-on rappeler la proposition d’un auteur suggérant que le préavis raisonnable serait de 3 mois jusqu’à 3 ans de relation, de 6 mois jusqu’à 10 ans de relations, d’une année à partir de 10 ans de relations et de 18 mois pour les relations supérieures à 15 ans).
  • La dépendance économique : il ne s’agit pas d’une condition d’application du texte mais elle joue lorsque la preuve de son existence est rapportée. Elle se définit comme l’impossibilité, pour une entreprise, de disposer d’une solution techniquement et économiquement équivalente aux relations qu’elle a nouées avec une autre entreprise.
  • Les perspectives de reconversion et de réorganisation du partenaire évincé : la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt en date du 28 janvier 2016, a retenu que le délai de préavis « se détermine non pas au regard d’un gain manqué mais au regard du délai qui aurait été nécessaire à l’entreprise victime pour se réorganiser ».
  • Le volume d’affaire : il a par exemple été jugé que le délai de préavis devait être fixé à 6 mois et non pas à 2 mois dès lors que la part de chiffre d’affaires que représentait le partenaire pour le fournisseur s’élevait à 90%.
  • D’autres critères peuvent être pris en compte et notamment l’exclusivité, le cycle particulier de production ou de distribution, la circonstance que la victime est débitrice d’une clause de non-concurrence, ou encore la notoriété de l’auteur de la rupture ou encore lorsque le demandeur a subi une rupture concomitante de celle dont il dénonce la brutalité.

La durée des préavis peut être fixée par accords interprofessionnels (sachant qu’il n’en existe que 4 à ce jour, à savoir les usages professionnels de la fédération de l’imprimerie et de la communication graphique, l’exploitation location gérance des fonds de commerce de stations-services des sociétés pétrolières, l’accord entre l’union des industries du bricolage et la fédération française des magasins de bricolage et l’accord entre la fédération des entreprises et entrepreneurs de France et la fédération des entreprises du commerce et de la distribution). Certains contrats prévoient un préavis contractuel, mais la Chambre Commerciale de la Cour de Cassation a retenu que « l’existence d’une stipulation contractuelle de préavis ne dispense pas le juge, s’il en est requis, de vérifier si le délai de préavis contractuel tient compte de la durée des relations commerciales ayant existé entre les parties et des autres circonstances » (Chambre Commerciale de la Cour de Cassation, 20 mai 2014, n°13-16398).

Pendant le préavis, les parties ont l’obligation de maintenir leurs relations. Néanmoins, il ne leur est pas fait obligation de maintenir la relation aux conditions antérieures pendant le préavis. Il est ainsi possible de redéfinir la relation contractuelle entre les parties. Les parties peuvent convenir des modalités de la rupture de leurs relations commerciales ou transiger sur l’indemnisation du préjudice subi.

Certaines circonstances permettent d’écarter la qualification de rupture brutale. Il en va ainsi lorsque la baisse ou l’interruption des commandes n’est que le résultat de la diminution d’activité du donneur d’ordre. Il en va également ainsi dans le cas d’inexécution par l’autre partie de ses obligations ou en cas de force majeure.

La victime peut donc se voir opposer sa propre faute ou la force majeure. L’appréciation de la gravité du manquement relève du pouvoir souverain des juges du fond (c’est-à-dire que seuls les juges de première instance et de Cour d’appel peuvent statuer étant donné qu’il s’agit d’une question de fait et non pas de droit). L’inexécution d’obligations financières peut constituer un manquement grave justifiant une rupture brutale. Il en va de même pour la méconnaissance de l’obligation de loyauté ou le non-respect par un intermédiaire des obligations de mise à sa charge par son partenaire en matière de compliance et de règle anti-corruption. En cas d’introduction d’une clause résolutoire dans le contrat, les juges restent souverains dans l’appréciation de l’existence d’un manquement grave.

L’article L 442-4 du Code de Commerce donne compétence aux juridictions de l’ordre judiciaire pour connaître des litiges relatifs aux pratiques restrictives de concurrence et aux ruptures de relations commerciales établies entre particuliers et aux tribunaux commerciaux pour les contentieux intéressant les commerçants. Si les contrats sont qualifiés de contrats administratifs, alors les Tribunaux administratifs seront compétents. Néanmoins, tous les Tribunaux ne sont pas compétents et les litiges doivent être portés en première instance devant les juridictions désignées dans les annexes aux articles D442-3 et D442-4 du Code de Commerce. Une clause attributive de compétence ne peut faire échapper le contentieux à la compétence des juridictions spécialisées.

Le contentieux est soumis à une prescription quinquennale, c’est-à-dire que 5 ans après les faits, il n’est plus possible de saisir le Tribunal.

Au titre des l’indemnisation, il est possible de demander des dommages et intérêts pour le gain manqué, mais la Cour de Cassation a pu retenir que le préjudice est évalué en fonction de la durée du préavis jugé nécessaire. Il est également possible d’obtenir l’indemnisation pour les frais engagés en considération de la pérennité de leurs relations commerciales, pour le préjudice d’image et de désorganisation, pour une procédure collective ainsi que le préjudice moral.