A titre liminaire, il sera rappelé que certaines caractéristiques des œuvres sont indifférentes. Le genre de l’œuvre est ainsi indifférent, ce qui signifie que peu importe le type d’œuvre ou l’objet de l’œuvre (film abordant une question technique, film pornographique) le droit d’auteur a vocation à s’appliquer.

Constitue également un élément indifférent la forme d’expression, le mérite (ce qui signifie que l’œuvre est protégée indépendamment de son intérêt culturel ou artistique ou encore d’éventuels propos contestables qu’elle contiendrait : un film de qualité médiocre est ainsi protégé) ou la destination. Il s’agit de ce que la doctrine a appelé la théorie de l’unité de l’art qui interdit la discrimination entre les différents types d’œuvres.

Cependant, en pratique, il n’est pas rare de remarquer que pour les œuvres peu originales la subjectivité des juges joue un rôle déterminant. A ce titre, la célébrité d’un auteur peut constituer un indice sérieux de l’originalité de l’œuvre tout comme son succès commercial. Concrètement, il est probable qu’une œuvre d’un auteur célèbre ou ayant connu un succès commercial soit qualifiée d’originale par les juges.

Pour être protégée l’œuvre doit constituer une création humaine consciente (1) et originale (2).

  1. La création humaine mais une titularité ouverte aux personnes morales

Par principe la création est le fait d’une personne humaine (a) mais il est des cas où soit l’œuvre sera cédée à une personne morale soit les droits naitront directement sur la tête d’une personne morale (b).

a) La création humaine

La question de savoir si une œuvre est protégée alors qu’elle n’a pas été créée par un être humain ne s’était jamais posée au rédacteur révolutionnaire des premières lois relatives aux droits d’auteur, ni au législateur de 1957 ni même au législateur de 1992.

La question a pu émerger avec l’affaire dite du selfie du singe. Dans cette affaire, l’association américaine PETA avait saisi une juridiction fédérale américaine afin de faire reconnaître l’existence d’un copyright (équivalent américain du droit d’auteur) sur cette photographie. En l’espèce, le photographe avait paramétré son appareil photo de telle façon qu’il suffisait au singe d’appuyer sur le bouton déclencheur. La juridiction a rejeté l’existence du copyright. Les juges se sont inspirés notamment d’un livre blanc interprétatif de la loi américaine sur le droit d’auteur pour retenir que les auteurs sont uniquement des êtres humains et ce à l’exclusion des animaux et des machines. La décision américaine n’est évidemment pas directement applicable en droit français mais le raisonnement serait sans doute largement repris par nos juges. En effet, le droit n’a vocation à s’appliquer qu’à des relations interpersonnelles entre les individus.

Le Code de la propriété intellectuelle a introduit une présomption d’auctorialité dans le secteur audiovisuel. Sont ainsi présumés auteurs d’une œuvre audiovisuelle réalisée en collaboration l’auteur du scénario, l’auteur de l’adaptation, l’auteur du texte parlé, l’auteur des compositions musicales avec ou sans paroles spécialement réalisées pour l’œuvre ainsi que le réalisateur.

La jurisprudence a ajouté à cette liste d’autres auteurs comme l’auteur d’une mise en scène théâtrale dont originalité apparaît dans la combinaison des choix opérés, l’auteur du montage notamment lorsque le travail de sélection et de montage de séquences d’archives permet de constituer un ensemble audiovisuel cohérent, la création originale d’un acteur (on pensera à titre d’exemple à l’improvisation du protagoniste du Joker dans la fameuse scène au cours de laquelle il entre dans le réfrigérateur, ce qui permet à l’acteur de cumuler d’une part le statut d’auteur pour sa création originale et d’autre part le statut d’auteur interprète pour le rôle qu’il joue) etc…

b) Les titulaires des droits d’auteur

Le créateur est par définition une personne physique à moins qu’il ne s’agisse d’une œuvre collective. En effet, conformément aux dispositions de l’article L. 113-5 du Code de la propriété intellectuelle « l’œuvre collective est, sauf preuve contraire, la propriété de la personne physique ou morale sous le nom de laquelle elle est divulguée ».

Nous verrons donc dans un premier temps le principe de l’auteur personne physique (i) puis les hypothèses de titularité des droits à la personne morale (ii).

i) L’auteur personne physique

Historiquement, seules les personnes physiques bénéficiaient d’un droit d’auteur. L’approche est cohérente avec la conception romantique du droit français. En conséquence, la jurisprudence constante de la Cour de cassation écarte la qualité d’auteur des personnes morales. Vous pourriez à l’occasion trouver des décisions en sens contraires émanant de juges de première instance ou de Cour d’appel mais j’attire votre attention sur le fait que ces décisions émanant de juges de degrés inférieurs à la Cour de cassation elles ne constituent pas la position du droit français.

Le schéma traditionnel qui a été imaginé à la fin du XVIIIe siècle et au début du XIXe siècle repose sur un modèle en pratique largement dépassé et en tout état de cause largement inapplicable au secteur audiovisuel qui est celui de l’auteur indépendant tels que Beaumarchais ou Monet.

La création en situation de dépendance se divise de la façon suivante en droit d’auteur :

  • L’auteur salarié : l’article L. 111-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que l’existence d’un contrat de travail n’emporte aucune dérogation à la jouissance du droit d’auteur. Concrètement, les droits d’auteur naissent sur la tête du salarié même si l’œuvre est réalisée dans le cadre du contrat de travail.

La solution seraitdifférente aux Etats-Unis car la loi américaine de 1976 a reconnu la théorie dite de work made for hire qui a notamment vocation à s’appliquer en matière d’œuvre audiovisuelle, ce qui pourrait avoir des conséquences sur la titularité des droits et par conséquent sur la personne ou l’entité dotée de la possibilité de céder les droits. Concrètement, il convient aux Etats-Unis de demander la cession des droits directement à l’employeur.

Il sera vu dans la consultation de ma consœur Maître YSCHARD que dans cette hypothèse l’auteur doit être rémunéré par le paiement d’un salaire et doit également être rémunéré en droits d’auteur. L’employeur peut conserver à l’esprit une astuce qui n’est pas interdite par les dispositions de l’article L. 131-1 du Code de la propriété intellectuelle (prohibant la cession globale des œuvres futures et qui ne s’applique pas en matière de création subordonnée) :

  • l’employeur peut insérer une clause de cession des œuvres futures dans le contrat de travail pendant une durée déterminée. Il convient dans cette hypothèse de rédiger un document confirmant annuellement les œuvres susceptibles d’être exploitées, ce qui rend a priori valable la cession des droits d’auteur.
  • conclusion d’un pacte de préférence accordant une priorité à l’employeur sur le travail futur du salarié.

En pratique, dans le cadre notamment de la création d’une œuvre audiovisuelle, la première hypothèse semble plus pertinente.

  • L’auteur fonctionnaire : comme le salarié dans le secteur privé, l’agent public est investi de la création (contrairement à la situation qui semblait prévaloir avant la loi du 1er août 2006). Néanmoins, l’agent public voit son droit fortement réduit et notamment ses droits moraux (le droit de divulgation ne lui est en effet pas reconnu, le fonctionnaire ne peut s’opposer à la modification de l’œuvre lorsqu’elle est créée dans l’intérêt du service et que la modification ne porte pas atteinte à son honneur ou à sa réputation, enfin il ne peut exercer son droit au retrait de l’œuvre) et patrimoniaux dans la mesure où ces droits sont cédés à l’Etat automatiquement à la création de l’œuvre. Concrètement, si l’œuvre est créée dans le cadre de l’exécution des missions de service public, l’exploitation commerciale revient à l’Etat. En revanche, lorsque l’œuvre n’est pas ou n’est plus l’objet strict d’une mission de service public il y aura lieu de demander la cession de droits directement auprès de cet auteur tout en conservant à l’esprit l’obligation pesant sur cet auteur de proposer aux services de l’État son œuvre avant toute cession à des tiers (il s’agit là d’un droit de préférence). Le seul domaine où le droit de préférence n’a pas vocation à s’appliquer est celui des fonctionnaires indépendants c’est-à-dire concrètement des enseignants universitaires.

L’œuvre n’est pas toujours le fruit d’une organisation pyramidale mais peut également être – au moins en partie – le fruit d’une collaboration entre plusieurs auteurs. Il s’agit là de l’œuvre dite de collaboration qui est le fruit d’une communauté d’inspiration entre les coauteurs de l’œuvre. Une œuvre audiovisuelle est, conformément aux dispositions de l’article L. 113-7 du Code de la propriété intellectuelle, une œuvre de collaboration. Une personne morale ne peut être considérée comme coauteur d’une œuvre de collaboration.

Sera considéré comme auteur d’une œuvre collaborative la personne qui effectue des choix créatifs. La copropriété de l’œuvre de collaboration implique l’application de la règle de l’unanimité. Le consentement de tous les coauteurs pour les actes d’exploitation ou pour une action en justice est rendu nécessaire. En pratique, deux grandes situations se rencontrent :

  • soit les auteurs n’ont pas pris de dispositions et dans ce cas il sera nécessaire d’obtenir le consentement individuel de chaque auteur,
  • soit les auteurs ont conclu un mandat avec l’un d’entre eux ou avec un tiers qui sera en charge de représenter tous les auteurs et ainsi de négocier la cession des droits d’auteur.

En tout état de cause, chaque auteur jouit d’un droit sur sa propre contribution (il peut l’exploiter et la céder) lorsqu’elle relève d’un genre différent et qu’il n’existe pas de concurrence avec l’œuvre commune (ce qui implique de ne pas porter atteinte à l’œuvre commune). Cependant, l’article L. 121-5 du Code de la propriété intellectuelle dispose que les coauteurs n’ont pas à être consultés dans le cas de l’exploitation d’une œuvre audiovisuelle et que le réalisateur – dans la mesure où il intervient au cœur même de l’œuvre – est habilité à prendre au nom des coauteurs certaines décisions relatives à la création et l’exploitation de l’œuvre audiovisuelle. Cela n’empêchera pas les coauteurs d’exploiter leur contribution personnelle.

ii) La personne morale titulaire des droits d’auteur

Une personne morale – et notamment une entreprise ou une association – pourra être titulaire des droits d’auteur dès la création de l’œuvre lorsqu’il s’agit d’une œuvre collective. Pour rappel, une œuvre collective n’est pas forcément commandée par la personne morale mais peut également l’être par une personne physique. Néanmoins, et en pratique, dans la très grande majorité des hypothèses ou une œuvre collective est créée c’est une personne morale qui est à l’origine de la commande.

L’œuvre audiovisuelle n’est jamais qualifiée d’œuvre collective mais d’œuvre collaborative. Néanmoins il apparaît important de bien comprendre les contours de la notion car il est concevable qu’un réalisateur souhaite inclure dans son œuvre audiovisuelle une œuvre collective (par exemple des vêtements de créateur de mode portés par les acteurs). Il apparaît par conséquent nécessaire de comprendre la titularité des droits afin d’obtenir une cession valide des droits d’auteur.

L’œuvre sera qualifiée de collective lorsqu’un maître d’œuvre actif assume la direction de la création de l’œuvre et prend l’initiative de l’éditer, de la publier et de la divulguer. Cependant, la jurisprudence se contente généralement d’une exploitation de l’œuvre.

Lorsque l’œuvre est qualifiée de collective il n’est pas nécessaire d’obtenir le consentement de chaque auteur mais uniquement du maître d’œuvre actif de l’œuvre. Il en va de même pour leur participation individuelle sauf si l’exploitation ne fait pas concurrence à l’œuvre collective. De surcroît, les contributeurs n’ont aucun droit moral sur leurs apports si leur apport fait concurrence à l’œuvre collective. A l’inverse, les contributeurs auront un droit moral sur leurs apports s’ils ne font pas concurrence à l’œuvre collective.

2) Une création originale

L’article L. 112-2 du Code de la propriété intellectuelle propose une liste non-exhaustive d’œuvres protégées. Cette liste inclut notamment :

  • les livres,
  • les œuvres dramatiques ou dramatico-musicales,
  • les compositions musicales,
  • les œuvres chorégraphiques,
  • les œuvres de dessin, de peinture, d’architecture, de sculpture, de gravure, de lithographies,
  • les œuvres photographiques.

Les œuvres audiovisuelles ne sont donc pas mentionnées mais plusieurs éléments les composant sont expressément listés (compositions musicales etc…). En outre, l’article L. 112-4 du Code de la propriété intellectuelle protège les titres d’une œuvre de l’esprit.

Cette liste est ouverte et la jurisprudence intègre régulièrement de nouvelles œuvres dès lors qu’elles sont originales.

De façon étonnante ni la Convention de Berne – qui s’applique dans 177 Etats dont la France, et tous les Etats membres de l’Union Européenne – ni le Code de la propriété intellectuelle ne définissent l’œuvre originale. La Cour de Justice de L’Union Européenne a retenu, dans l’arrêt dit INFOPAQ, qu’est originale l’œuvre constituant la création intellectuelle propre à son auteur. La notion d’originalité se distingue donc de celle de nouveauté. Cependant, le Code de la propriété intellectuelle entretient la confusion en matière audiovisuelle en opposant l’œuvre originale et l’œuvre nouvelle qui en est tirée. En pratique, les notions d’originalité et de nouveauté se chevauchent régulièrement, entretenant une confusion des notions et ce notamment en matière de titre.

Concrètement, les éléments suivants pourront a priori être considérés comme étant originaux et par conséquent bénéficier du droit d’auteur :

  • le scénario,
  • la réalisation,
  • les dialogues,
  • la musique,
  • les décors,
  • les personnages etc.…

Cette conception extrêmement large et englobante constitue une protection pour le créateur d’œuvres audiovisuelles – que les œuvres soient purement originales ou qu’elles relèvent de documentaires elles seront protégées – mais également un risque dans la mesure où il est nécessaire d’obtenir une cession des droits sur les œuvres protégées et ce notamment s’il s’agit d’un personnage original, d’une musique ou même d’un bâtiment dont l’originalité de l’architecture lui permet de bénéficier de la protection du droit d’auteur.

Conformément aux dispositions de l’article 1353 du Code civil c’est à la personne qui argue de l’existence d’un droit d’en apporter la preuve. Concrètement, cela signifie que les auteurs ont la charge de la preuve de l’originalité de leur œuvre. L’auteur devra donc identifier les caractéristiques de l’empreinte de la personnalité de l’auteur.

Il n’y aura pas de protection par le droit d’auteur sur une création s’il ne s’agit que d’un concept – étant donné que les idées sont de libre parcours – mais également si la création manque d’originalité. Il a ainsi été retenu que l’idée de greffer une histoire sentimentale sur des éléments biographiques tirés de la vie d’un chef d’orchestre – qui n’est pas protégée avant soi – n’est pas protégé par le droit auteur car il ne s’agit que d’une idée. Ne sera pas non plus protégée l’idée consistant à transplanter un personnage hors de son époque et exploiter les situations résultant de son inadaptation à son nouvel environnement. Il en ira de même pour une idée de scénario traitant de la passion d’un personnage pour la boxe et les effets de la guerre d’Algérie.

La personne à l’origine de l’idée pourra toujours opposer l’action en concurrence déloyale et ainsi obtenir une indemnisation. L’action en concurrence déloyale est constituée lorsqu’il est fait un usage excessif de la liberté d’entreprendre en recourant à des procédés contraires aux règles et usages occasionnant un préjudice. Cependant la tâche est compliquée car il est difficile d’apporter la preuve au juge que la personne avait connaissance de l’idée. Une solution peut résider dans la conclusion d’un accord de confidentialité avec les personnes qui auraient accès à un scénario ou à une bible.