L’art moderne est sans doute l’art de se faire remarquer… du moins par les juristes. En effet, le droit d’auteur – c’est à dire de la protection juridique des œuvres originales – a été introduit et renforcé en France sous la pression d’auteurs comme Beaumarchais et Victor Hugo qui l’ont pensé pour des œuvres que nous pourrions aujourd’hui qualifier de classiques. Environ 200 ans plus tard, la célèbre artiste Orlan se présentait à la FIAC vêtue d’un carton couvrant sa poitrine et son bas ventre et contenant un conduit transparent où l’on pouvait insérer une pièce afin de recevoir un baiser de l’artiste. Nous sommes loin des conceptions que pouvaient avoir Beaumarchais et Hugo de l’art lorsqu’ils ont pensé le droit d’auteur. La FIAC du 19 au 22 octobre à Paris est ainsi l’occasion de s’interroger sur l’adaptabilité du droit d’auteur ou copyright face à l’art moderne.

Le droit d’auteur a en effet été bâti sur la notion d’originalité de l’œuvre. Mais cette notion est-elle vraiment pertinente pour inclure toute la variété de la création artistique ? L’art moderne coule-t-il dans le lit bicentenaire du droit d’auteur ?

Il est permis d’en douter. L’art moderne consiste largement en une approche intellectuelle de la création qui n’est pas de prime abord compatible avec la philosophie personnaliste du droit d’auteur. Celui-ci se trouve en effet encadré par certaines limites dont l’absence de protection des idées. Cependant, la concrétisation des idées sous une forme se trouvera protégée. Les juges pourront donc, comme dans les affaires Christo en France et en Allemagne, protéger le pont neuf ou le Reichstag emballés dès lors que cela permet de mettre en relief les lignes des monuments.

Si la question de la distinction entre la forme et l’idée ne constitue pas le terreau fertile pour des litiges, il en va autrement de la détermination de l’originalité. En effet, où se trouve l’originalité de la présentation par Andy Warrhol d’une soupe en conserve par rapport à la mise en rayon de la même conserve par un salarié ? Face à ce dilemme, les juges ont adopté une méthode devenue classique lorsqu’ils sont confrontés à l’application du droit d’auteur à un objet nouveau : la modulation de la notion d’originalité. Ainsi, comme les juges l’ont fait pour les logiciels et les bases de données, l’originalité a été comprise comme les choix effectués par l’auteur et non pas seulement comme l’empreinte de sa personnalité. C’est dans ce sens que les juges de première instance ont statué dans l’affaire dite « Paradis » où le terme avait été inscrit en lettres d’or patinées et estompées au sommet d’une porte abimée d’un ancien hôpital soignant des alcooliques. Il y a eu une succession de choix relevant d’un arbitraire de l’artiste. L’œuvre dite « Paradis » se trouve ainsi protégée par le droit d’auteur.

Outre ce critère, les juges ont été confrontés à la question de la prise en compte de l’environnement de l’œuvre. En effet, que ce soit dans l’affaire « Paradis », pour les créations de Christo ou pour les œuvres relevant du sublime, l’environnement de l’œuvre ne peut être dissocié de l’œuvre elle-même. Un objet peut donc présenter une originalité – et donc être protégé par le droit d’auteur – dès lors qu’il se trouve inclus dans une mise en scène particulière. Le détournement de sens aura ainsi vocation à être protégé comme lorsqu’une porte se trouve coiffée du terme paradis.

Un autre défi posé par l’art moderne réside dans la dimension aléatoire de certaines œuvres. Ainsi, le « petit déjeuner » de Spoerri pose la question de l’existence des choix de l’auteur lorsqu’il a collé le petit déjeuner à une table renversée et accrochée au plafond. L’artiste n’est plus forcément fabricant des choses, il se focalise sur la création de sens. Ce que les juges prendront en compte dans le cadre d’une œuvre aléatoire c’est le choix créatif de l’auteur. Dès lors, la dimension aléatoire de l’œuvre ne fera pas toujours obstacle à la protection par le droit d’auteur dès lors qu’il existe des choix arbitraires suffisants.

Enfin, l’une des dernières difficultés pour l’art moderne réside dans l’exécution par un tiers d’une œuvre d’art. La question a été soulevée dans l’affaire Spoerri où un enfant de 11 ans avait réalisé une œuvre sous les directives de l’artiste. Le droit d’auteur distingue traditionnellement – comme cela avait été notamment le cas dans une affaire Rodin – entre l’auteur – qui détient les droits – et le technicien qui n’est qu’un exécutant n’ayant aucun droit d’auteur sur l’œuvre. Il en va de même pour les œuvres d’art moderne. Les droits naitront donc sur la tête de l’auteur et non pas dans les mains du technicien qui les exécute.

Pour résumer, les juges protégeront facilement les œuvres d’art moderne après une étude de leur dimension arbitraire. Le droit d’auteur a ainsi adopté une approche moins matérialiste et plus intellectuelle de la création. Cette nouvelle conception présente l’intérêt d’assurer une plus grande liberté à disposition de l’artiste moderne. L’art moderne a donc bien été disruptif en obligeant les juges à adapter leur conception de l’originalité et in fine de l’œuvre d’art.