J’ai été blessé lors d’une manifestation : que puis-je faire ?
Posté le 13 juillet 2023 dans Droit public.
Les manifestations peuvent parfois entraîner des blessures pour les personnes impliquées dans la manifestation, mais également pour de simples passants extérieurs à la manifestation.
Il est important de noter que la gravité et la fréquence des blessures lors des manifestations peuvent varier considérablement en fonction du contexte, de la manière dont la manifestation est gérée par les autorités et des comportements individuels des participants.
Ces dernières années ont pu marquer une banalisation et un durcissement de la violence pendant les manifestations, autant du côté des manifestants, que du côté des forces de l’ordre.
De nombreuses blessures sont causées par des « armes de force intermédiaire » utilisées par les forces de l’ordre, et dont l’usage est très controversé (I). Les victimes doivent alors saisir le tribunal administratif pour obtenir réparation de leurs préjudices après engagement de la responsabilité de l’Etat (II). Toutefois, l’indemnisation des victimes peut être minorée lorsqu’une faute de leur part est retenue par le juge administratif (III).
I-Sur l’usage controversé de certaines armes par les forces de l’ordre
Certaines blessures peuvent être dues à des altercations directes, par exemple des coups donnés par les forces de l’ordre au cours de manifestations.
Mais la plupart des blessures proviennent de l’utilisation d’armes de force intermédiaire, également dénommées « armes non létales » (ANL), dénomination qui regroupe les lanceurs de balles de défense (LBD), les canons à eau, les fumigènes, les lacrymogènes et les pistolets à impulsion électrique.
Le défenseur des droits rappelle que « le recours à ces armes, assimilé à l’usage de la force, est soumis à une exigence de stricte nécessité et proportionnalité au regard du contexte de l’intervention, des caractéristiques de ces armes et des autres moyens mis à la disposition des forces de l’ordre. » (https://www.defenseurdesdroits.fr/fr/outils/trois-moyens-de-force-intermediaire)
L’usage du lanceur de balle de défense (LBD) est fréquemment décrié par certaines autorités politiques. Par exemple, plusieurs sénatrices et sénateurs ont déposé une proposition de loi enregistrée le 22 janvier 2019 visant à interdire les lanceurs de balles de défense, proposition qui n’a pas eu de suite législative (https://www.senat.fr/salle-de-presse/201902/interdire-lusage-des-lanceurs-de-balles-de-defense.html). Dans le même sens, le 9 juillet 2020, le Défenseur des droits, Jacques TOUBON, a rappelé sa recommandation d’interdire l’usage du LBD au cours des opérations de maintien de l’ordre (https://www.defenseurdesdroits.fr/sites/default/files/atoms/files/decision_cadre_maintien_de_lordre_-_defenseur_des_droits.pdf).
Les manifestations et mouvements sociaux successifs (« gilets jaunes », contre la réforme des retraite en 2023…) révèlent de fréquents cas d’usage disproportionné ou inadapté (non respect des distances minimales, tir au visage…) de ces armes, qui causent des dommages importants, et parfois médicalement irréparables, aux victimes, qui souhaitent obtenir réparation et condamnation de l’Etat.
II-Une responsabilité de l’Etat engagée mais sans que la faute de l’Etat ne soit reconnue
La personne blessée au cours d’une manifestation doit en premier lieu porter plainte.
Lorsque l’auteur des violences est un membre des forces de l’ordre, l’article R434-15 du Code de la sécurité intérieure lui impose d’être identifiable par son numéro RIO (référentiel de l’identité et de l’organisation) composé de 7 chiffres, qui doit être visible sur l’uniforme.
Toutefois, il est souvent rapporté, et non contesté par le Ministre de l’intérieur, que l’obligation de port du RIO n’est pas toujours respectée (Conseil d’État, Juge des référés, 05/04/2023, 472509, Inédit au recueil Lebon).
Lorsque l’auteur des blessures est identifié, la victime dépose alors plainte contre lui. Une enquête pénale sera diligentée, qui aboutira éventuellement sur une condamnation pénale de l’auteur des violences.
Lorsque l’auteur des blessures n’est pas identifié, la victime dépose alors plainte contre X.
En cas de classement sans suite de la plainte du fait de l’impossibilité d’identifier l’auteur des faits, la victime devra engager la responsabilité de l’Etat devant le juge administratif pour obtenir réparation.
Il faut s’avoir qu’en matière de responsabilité administrative, il existe deux régimes : la responsabilité pour faute et la responsabilité sans faute.
En matière de blessures causées à des manifestants ou des passants au sein, ou en marge de manifestation, la responsabilité de l’Etat est engagée sur le fondement de l’article L211-10 code de la sécurité intérieure, qui dispose : « L’Etat est civilement responsable des dégâts et dommages résultant des crimes et délits commis, à force ouverte ou par violence, par des attroupements ou rassemblements armés ou non armés, soit contre les personnes, soit contre les biens (…) ».
Cela permet, en présence d’une blessure subie au cours d’une manifestation, causée par un membre des forces de l’ordre, d’engager la responsabilité de l’Etat mais sans qu’une faute de l’Etat n’ait à être constatée.
L’avantage est que la victime n’a pas à prouver une faute commise par un membre des forces de l’ordre, que ce soit dans son comportement, ou dans l’usage d’une de ses armes. Cela facilite l’engagement de la responsabilité de l’Etat, et donc l’indemnisation des victimes.
L’inconvénient est que la jurisprudence administrative, en engageant la responsabilité sans faute de l’Etat sur le fondement de l’article L211-10 code de la sécurité intérieure, évite d’avoir à se prononcer sur une éventuelle faute de l’Etat dans le choix d’utiliser les armes controversées tel que détaillé supra, ou de constater une faute des forces de l’ordre en cas de mauvaise utilisation.
Psychologiquement, il est compliqué pour les victimes de ces violences, qui ont été blessées dans leur chair du fait de l’usage de ces armes dangereuses et parfois mal utilisées, de comprendre et accepter que juridiquement, aucune faute de l’Etat n’est reconnue, même si elles sont indemnisées.
III-Le risque de qualification d’une faute de la victime diminuant son indemnisation
Les juridictions administratives peuvent se montrer particulièrement sévères avec les victimes de blessures subies au cours de manifestations ou rassemblements, en constatant l’existence d’une faute commise par la victime.
En effet, lorsque la responsabilité de l’Etat est engagée sur le fondement de l’article L211-10 code de la sécurité intérieure, si le juge administratif considère que la victime a, par son action ou inaction, concouru à la production de ses préjudices, il peut considérer que la victime a commis une faute, qui va diminuer, d’un certain pourcentage, les sommes que l’Etat doit verser à la victime.
Par exemple, un manifestant s’est vu reconnaitre une faute de la victime à hauteur de 10% alors qu’il participait à la manifestation et se maintenait, avec d’autres manifestants, à proximité d’une brèche que les manifestants avaient pratiquée dans le grillage de l’enceinte d’un lieu public, la faute de la victime étant de s’être maintenue à proximité immédiate des manifestants responsables de jets de projectiles.
Autre exemple, un manifestant s’est vu reconnaitre une faute de la victime à hauteur de 30% alors qu’il participait à un rassemblement ayant adopté un comportement agressif, et qui a été à l’origine de violences à l’encontre des forces de l’ordre. La victime s’est maintenue à proximité immédiate de cet attroupement, sans s’en désolidariser clairement. Le juge en déduit une imprudence fautive, même si la victime n’avait pas elle même manifesté un quelconque signe de violence envers les forces de l’ordre et n’avait pas participé aux jets de projectiles ayant été commis.
La qualification d’une faute de la victime peut conduire à un fort sentiment d’injustice pour la victime.
Tel est le cas pour une simple passante blessée en marge d’une manifestation « gilets jaunes », qui s’est vu récemment reconnaitre une faute diminuant l’indemnisation de ses préjudices de 25%.
En effet, par décision du 21 février 2023, le Tribunal administratif de Bordeaux a retenu l’existence d’une faute de la victime à hauteur de 25% pour une passante -non manifestante- victime d’un tir de LBD, et alors qu’elle se promenait dans la ville de BORDEAUX et ne participait pas à la manifestation « gilets jaunes » alors en cours le 8 décembre 2018, considérant que la victime s’est « maintenue à proximité immédiate des attroupements ».
La victime indique quant à elle avoir été victime, sans aucune sommation, d’un tir en pleine nuque alors qu’elle tournait le dos au tireur pour fuir la charge policière, et sans respect des distances minimales d’utilisation du lanceur de balles de défense (LBD).
Un appel a été interjeté par notre cabinet contre cette décision. La procédure est actuellement en cours.
Cette décision est d’autant plus contestable, que le Tribunal administratif de LYON a rendu une décision totalement opposée le 25 novembre 2020 pour une victime blessée au cours d’une manifestation « gilets jaunes » par un tir de lanceur de balles de défense, alors que la victime était pourtant une manifestante « gilets jaunes »qui s’éloignait d’une zone d’échange de jets de projectiles et jets de grenades lacrymogènes …