Introduction

1. Les Modernes se sont inspirés des Anciens, les œuvres circulent et les auteurs s’inspirent des œuvres d’autrui à travers le temps et les continents à l’image des Demoiselles d’Avignon ou de l’œuvre de Gustavus Vassa qui a mélangé les cultures africaines et occidentales, de sorte que le public tire dans cet ensemble une inépuisable source d’inspiration. Il semble donc que plus les œuvres circulent librement, plus le fonds culturel est important et plus les auteurs ont d’inspiration pour créer. L’accès aux œuvres constituerait donc une garantie du dynamisme intellectuel d’une civilisation. La révolution de l’internet dans la seconde moitié du XX siècle aurait par conséquent dû renforcer le dynamisme culturel.

2. Parmi les différentes déclinaisons de l’internet, les hyperliens constituent un moyen de lier deux pages entre elles sur le Web, mais également depuis le monde analogique – c’est-à-dire le monde palpable – jusqu’à une page Internet, ainsi qu’à l’intérieur d’un même document numérique. Le journal officiel du 16 mars 1999 a ainsi défini l’hypertexte comme « un système de renvois permettant de passer directement d’une partie d’un document à une autre, ou d’un document à d’autres documents choisis comme pertinents par l’auteur ». Les hyperliens – ou liens – permettent donc de mettre en relation deux contenus. Leur nombre est incalculable mais ils lient une partie substantielle des 4,6 milliards de pages Internet et chaque page peut accueillir plusieurs liens. De prime abord, les hyperliens renforcent la nécessité civilisationnelle de donner l’accès au plus grand nombre d’œuvres possible.

3. La technologie des liens n’est pas monolithique car les ingénieurs ont créé différents types de liens . Ainsi les « liens simples » mènent vers la page d’accueil d’un site Internet. Les « liens profonds » mènent en revanche vers l’une des pages internes du site. Les liens cadres – ou liens de transclusion – permettent de visualiser une œuvre se trouvant sur le site lié depuis le site où se trouve l’ancre du lien . En recourant à ce type de lien l’internaute n’a pas l’impression que le contenu qu’il regarde se trouve sur un autre site. Cette méthode est utilisée notamment par la fonctionnalité Google Vidéo. Enfin, les « liens inline » envoient l’internaute directement vers le site cible sans intervention de l’internaute. Les deux premiers se contentent de mener l’internaute vers un contenu alors que les troisième et quatrième types peuvent laisser penser à l’internaute non averti que les contenus se trouvent sur le site source. Toute cette variété d’hyperliens constitue la structure du Web et facilite l’accès aux œuvres.

4. Ces différents types de liens peuvent être créés de deux façons différentes. Soit ils sont créés manuellement par un internaute qui entrera les codes nécessaires, soit ils sont créés par un algorithme. Les liens manuels peuvent permettre aux propriétaires de sites de se réapproprier l’œuvre d’autrui, mais l’internaute consultant les sites n’est pas impliqué dans un processus auctorial car il se contente de surfer. Il peut en revanche en aller différemment pour les liens automatiques étant donné qu’ils peuvent intégrer des suggestions de résultats en fonction de l’expérience en ligne de l’internaute. Ce processus risque de limiter l’accès aux contenus de l’Internet en enfermant l’internaute dans ses propres limites culturelles, tout comme cela peut également constituer l’occasion pour l’internaute de voir des suggestions plus ou moins proches de ses goûts initiaux qui l’amèneront à s’ouvrir à d’autres types de créations. Les liens peuvent donc rendre de facto accessible une partie de la culture ne correspondant pas aux canons traditionnels d’un groupe culturel. De ce point de vue, les hyperliens renforcent la promesse universaliste de la culture.

5. Le nombre de liens est appelé à augmenter avec la croissance exponentielle de l’Internet. Ils véhiculent en effet une dimension universaliste dans la mesure où tout internaute peut en créer. Or, le nombre d’internautes augmente rapidement. Ainsi, alors qu’ils ne représentaient qu’un pour-cent de la population mondiale en 1995, ils sont désormais plus de 4 milliards soit environ la moitié de la population mondiale . L’augmentation du nombre de liens suivra cette évolution exponentielle, ce qui améliorera a priori l’accès aux contenus sur Internet et donc la rencontre d’internautes avec des créations culturelles auxquelles ils n’avaient auparavant jamais été confrontés. Eu égard à l’intérêt qu’ils présentent, il n’y a pas lieu de bloquer la création des liens et encore moins de supprimer les liens déjà établis. Le monde serait exposé à un risque de perte culturelle incommensurablement plus important que l’incendie de la bibliothèque d’Alexandrie. L’intérêt des auteurs et des internautes semble donc ne faire qu’un.

6. L’importance de l’internet est culturelle mais également juridique. En effet, l’accès à l’Internet est qualifié en France, à l’inverse des États-Unis, de droit fondamental reconnu par le Conseil Constitutionnel sur le fondement de la liberté d’expression. La France a donc pris part à un mouvement assez global étant donné que l’Organisation Mondiale des Nations Unies encourage la reconnaissance du droit à l’accès à Internet. L’idée selon laquelle l’accès à l’Internet est un droit fondamental est par conséquent en train de se répandre. En effet, le réseau permet la libre circulation d’idées partout dans le monde, il renforce la liberté d’entreprendre et a assuré une croissance spectaculaire pendant les années 1990 et 2000 . Or, les liens participent de cet accès à l’Internet dans la mesure où ils constituent « un outil puissant de valorisation de l’Internet en tant que bien public ». Un mouvement historique semble ainsi s’affirmer qui permettrait par les échanges d’assurer la plus grande disponibilité d’œuvres culturelles que l’humanité ait connue, ce qui devrait assurer un dynamisme intellectuel encore jamais vu. Les intérêts des auteurs, des internautes et des citoyens souhaitant exercer leur liberté d’expression se rencontrent donc harmonieusement. Les complexités du dynamisme culturel d’une société font néanmoins intervenir des conflits a priori irréductibles.

7. En effet, la liberté de circulation des œuvres n’est pas le seul facteur de créativité d’une société. Il est en effet nécessaire d’offrir aux auteurs les moyens de vivre de leur création afin qu’ils puissent pleinement s’y dédier et qu’ils aient la possibilité de créer sans pression extérieure. Or, le droit d’auteur repose sur l’existence d’un monopole sur une œuvre lui conférant un état de rareté de nature à lui donner un prix sur le marché que les hyperliens viennent casser en facilitant l’accès aux œuvres. Un conflit irréductible entre la liberté de circulation des idées et la nécessaire limitation de l’accès aux œuvres émerge de la rencontre entre les intérêts des auteurs et les liens. Les hyperliens pourront ainsi remettre en cause l’effectivité du monopole de différentes façons. Étant donné que le nombre d’hyperliens est appelé à augmenter, le risque de diminution de l’état de rareté artificielle des œuvres ira crescendo. En outre, l’Internet est souvent à l’origine de confusions entre les auteurs et de modifications de la présentation des œuvres. Cela constitue une menace pesant sur l’accès à la culture étant donné que les internautes pourraient être trompés sur l’identité de l’auteur – c’est-à-dire l’origine intellectuelle de l’œuvre – ainsi que sur le contexte et l’intention de cette œuvre. Dès lors, outre les droits patrimoniaux des auteurs, les hyperliens font peser un risque sur le respect des droits moraux. Les liens risquent donc de menacer les intérêts patrimoniaux et moraux des auteurs d’une part, ainsi que les intérêts culturels du public d’autre part, ce qui risquerait d’induire une diminution de la production intellectuelle.

8. Le droit d’auteur (Paragraphe 1) et les hyperliens (Paragraphe 2) relèvent donc de deux logiques différentes et en tension. Les deux peuvent se renforcer ou se neutraliser. La présente thèse se propose d’exposer les solutions juridiques élaborées afin d’harmoniser les intérêts en conflit.

Paragraphe 1 : La logique du droit d’auteur

9. Le droit d’auteur est une création occidentale relativement récente. Il est apparu en Grande-Bretagne lorsque le statut de la Reine Anne de 1710 a conféré non plus aux imprimeurs, mais aux auteurs, un droit sur leurs œuvres. Les imprimeurs n’avaient donc plus le rôle de censeurs qui leur était dédié jusqu’alors. Le XVIIIe siècle français a également marqué un recul de la censure royale par une tolérance des copies contrefaisantes . Le mouvement de l’indépendance des auteurs vis-à-vis de toute autorité était ainsi initié et tournait la page des siècles de clientélisme . La liberté dont les auteurs jouissent par leurs créations leur permet une indépendance d’esprit nouvelle et marque une révolution dans l’histoire culturelle occidentale. Le modèle d’Érasme, qui a été l’un des premiers auteurs à vivre de sa plume et donc à créer de façon indépendante, a donc pu s’étendre. Le droit d’auteur est ainsi constitutif de la liberté de création et d’expression des auteurs.

10. Outre la concession d’une forme d’indépendance des auteurs, la loi anglaise de 1710 visait à les inciter à créer des œuvres. La loi s’intitulait ainsi « une loi pour l’encouragement de l’apprentissage, en conférant les copies de livres imprimés aux auteurs ou aux acheteurs de ces copies, pour les durées mentionnées ». Le copyright anglais – ou droit à la copie – est donc né d’une conception utilitariste et a été pensé comme un mécanisme d’incitation à la création et de lutte contre la censure. Le copyright présentait par conséquent une dimension maïeutique. Cette loi s’est appliquée aux colonies américaines sous domination anglaise. Le droit d’auteur est par conséquent né comme un catalyseur de créativité.

11. À la même époque, le Saint-Empire-Romain-Germanique où a été inventée l’imprimerie, comme la France d’Ancien où elle s’est répandue Régime et la péninsule italienne où sa présence s’est rapidement diffusée, n’ont pas conféré aux auteurs de droits globaux sur leurs créations. La Chine qui avait auparavant une avance considérable sur l’Europe en matière d’impression, n’a pas introduit de réglementation relative au droit d’auteur pour des raisons culturelles . Ce n’est donc pas la technologie de l’imprimerie qui a nécessité l’introduction du droit d’auteur en Europe – d’autant plus que dans les premières années certains lecteurs, dont le Pape Pie II , ne voyaient pas la différence de nature entre l’écrit manuscrit et imprimé – mais bien la volonté d’inciter les auteurs à créer en les rendant économiquement indépendants. L’Angleterre et ses colonies marquaient ainsi une avance considérable dans l’histoire des idées car elles sont restées longtemps les seules à connaître un mécanisme de protection de la propriété littéraire et artistique. Cet état des idées s’est maintenu aux États-Unis après l’indépendance.

12. L’atout que représente le droit d’auteur dans l’acquisition de l’indépendance et la liberté d’expression a bien été compris par la jeune république américaine dès sa révolution. Le pouvoir Constituant a ainsi autorisé le Congrès américain à voter des lois sur le copyright. Le Congrès étasunien a dès lors voté dès 1790 une loi adoptant une conception utilitariste visant à encourager à la création d’œuvres utiles. Ainsi, alors que la jeune nation était confrontée à des défis colossaux elle a considéré que l’une de ses priorités était le vote d’une loi relative au copyright afin d’encourager la création et la circulation des œuvres.

13. La Révolution française, qui était imprégnée d’idéaux similaires à la Révolution américaine, a emprunté une voie semblable. En effet, en 1791 , la France a voté sa première réglementation relative au droit d’auteur. Il a donc fallu attendre presqu’un an et demi pour que la jeune démocratie s’intéresse au droit d’auteur, ce qui montre qu’elle ne considérait pas son existence comme une priorité civilisationnelle à l’inverse des États-Unis. L’approche française était aux antipodes de celle adoptée aux États-Unis. Effectivement, alors que les États-Unis ont introduit un copyright – littéralement le droit sur la copie – le législateur français a suivi les recommandations de Beaumarchais, homme de théâtre, qui préconisait de protéger le droit de représentation des œuvres. Ainsi, alors que le droit américain protégeait ce que nous appelons aujourd’hui le droit de reproduction ainsi que le droit de représentation, le droit français n’a initialement protégé que le second. Néanmoins, les conceptions philosophiques convergeaient car l’auteur du mariage de Figaro prônait une approche utilitariste comme aux États-Unis en rappelant que les auteurs ont besoin de revenus pour créer. Le droit d’auteur n’est donc pas uniquement le droit de l’auteur, mais bien le résultat d’une synthèse des intérêts divergeants des auteurs, du public et de l’exploitant et ce dans le but de diffuser les Lumières . Le droit d’auteur est donc depuis sa conception le fruit d’un équilibre entre des intérêts divergents. Néanmoins, à la différence des États-Unis qui restaient pauvres en œuvre de l’esprit à la sortie de la Révolution, la France n’a pas eu besoin de s’assurer de la meilleure circulation des œuvres possible.

14. La faiblesse de la réglementation française résidait par conséquent dans son caractère incomplet qui a été comblé en 1793 avec une loi relative au droit de reproduction. Ainsi, selon des modalités différentes, les deux droits concédaient aux auteurs le droit de reproduire une œuvre et de la communiquer à un public. Les deux systèmes adoptaient également des conceptions relativement similaires à la fin du XVIIIe siècle et les droits pouvaient déjà être rattachés au droit de propriété – bien que cela soit resté longtemps inutile en droit français jusqu’à la création du Conseil Constitutionnel. Dès lors, les rapports entre les auteurs et le public n’étaient pas profondément divergents et marquaient la prise en compte des intérêts des tiers. Les intérêts des auteurs ne constituaient donc pas une forteresse inviolable.

15. Cette convergence globale entre les systèmes français et américain n’a été que temporaire. En effet, les différences entre les environnements culturels européen et américain ont eu des répercussions sur l’évolution du droit d’auteur français et du copyright américain. Le XIXe siècle a vu l’émergence du mouvement romantique en Europe qui a sacralisé l’auteur et le lien entre le créateur et son œuvre. La jurisprudence française s’est faite l’écho de cette conception novatrice de l’auteur en reconnaissant des droits moraux aux auteurs. Le mouvement d’appropriation des œuvres par les auteurs s’est donc renforcé, ce qui a un peu plus éloigné la logique du droit d’auteur français de l’approche libertaire et ouverte que l’internet adoptera presque deux siècles plus tard. Les États-Unis n’étaient à l’époque pas un centre intellectuellement dynamique – que ce soit en nombre ou en qualité – et les œuvres créées étaient principalement utilitaires et autobiographiques. La majorité de la production était ainsi composée soit d’œuvres n’ayant pas de lien particulier avec la personnalité de l’auteur, soit un lien constituant la substance de l’œuvre. En outre, le mouvement romantique n’a pas trouvé un terreau fertile aux États-Unis qui lui ont préféré le mouvement naturaliste . La nécessité de reconnaître un droit de paternité – et plus largement des droits moraux – aux auteurs ne s’est donc pas faite aussi impérieuse qu’en France. De plus, la clause constitutionnelle autorisant le Congrès à adopter des lois sur le copyright inclut également le droit des brevets qui ne nécessite pas de droit moral et se satisfait d’une approche utilitariste et positiviste.

16. Le XIXe siècle a donc vu une divergence d’approche entre les systèmes français et américain alors que les échanges d’œuvres interétatiques devenaient de plus en plus courants. Partant de racines différentes, les deux systèmes ont éclos de conceptions divergentes. L’approche française s’est en effet encore un peu plus écartée de la tradition américaine lorsqu’elle a adopté un paradigme jusnaturaliste qui permettra néanmoins d’appliquer un test de proportionnalité avec des libertés fondamentales et notamment la liberté d’entreprendre au XXIe siècle. La France a ainsi adopté une approche synthétique des droits des auteurs en reconnaissant le droit de reproduction et le droit de représentation. Le copyright américain est en revanche resté attaché à sa conception utilitariste initiale et, couplée à la tradition de Common Law qui veut que les lois prévoient toutes les hypothèses , il a maintenu une définition analytique des droits. La différence méthodologique entre les systèmes français et européen d’une part et américain d’autre part est par conséquent manifeste. L’introduction d’un régime de copyright ne constituant qu’une possibilité pour le législateur américain et non pas un devoir, il lui est plus facile de modifier les contours de ce droit en fonction des besoins d’une époque ou d’impératifs techniques. Se dessinait ainsi la division entre les traditions jusnaturalistes continentales et la tradition de Common Law optant pour le modèle du copyright. Malgré l’intérêt intellectuel du système de copyright tel qu’il a émergé aux États-Unis il n’a pas su s’imposer dans les outils de régulation internationaux au XIXe siècle.

17. A cette époque les États-Unis n’étaient en effet encore constitués que de quelques États peu prospères. Les principales puissances mondiales se trouvaient en Europe. Le modèle continental s’est par conséquent imposé en droit international du droit d’auteur et sa philosophie a fortement influé sur les dispositions de la convention de Berne sur le droit d’auteur de 1886. La convention de Berne a donc adopté une approche plutôt jusnaturaliste reposant sur une forte appropriation des œuvres par leurs auteurs. Cette logique entrera en conflit avec le principe d’ouverture de l’internet un siècle plus tard. La dimension jusnaturaliste du droit d’auteur ayant été rejetée aux États-Unis cela a fait obstacle à leur adhésion à la convention jusqu’en 1988 . Ainsi, alors que la majorité des États du monde harmonisait leurs droits autour des valeurs véhiculées par le droit d’auteur continental, les États-Unis sont restés longtemps farouchement attachés à leur conception nationale du copyright. Cet éloignement du droit américain des appels à l’harmonisation internationale lui ont permis de développer des facettes originales et uniques au monde particulièrement intéressantes à comparer avec le système européen qui a longtemps constitué un modèle global.

18. Ces évolutions historiques et culturelles ont donc débouché sur l’émergence de deux droits aux contenus philosophiquement très divergents. Les deux systèmes ont ainsi les conceptions les plus opposées au monde en matière de propriété littéraire et artistique malgré les processus d’harmonisation internationaux créés par la convention de Berne pour la protection des œuvres littéraires et artistiques du 9 septembre 1886 et le traité de l’OMPI sur le droit d’auteur . Ces divergences entrent aujourd’hui en conflit à l’occasion de leur application concomitante sur l’Internet.

19. Une comparaison franco-européeo-américaine s’avère donc particulièrement pertinente par plusieurs aspects. Tout d’abord, les trois modèles constituent désormais les régimes les plus influents au niveau mondial. De nombreux pays se sont inspirés de ces trois systèmes et continuent de le faire pour l’introduction d’une réglementation du droit d’auteur ainsi que pour leurs réformes. Dès lors, la comparaison constituera un état des lieux de ces régimes influents. De plus, il est rappelé que le droit européen fait partie intégrante du droit national – et notamment du droit français – avec ordre de priorité , ce qui impose donc d’analyser les deux concomitamment au droit américain. Néanmoins, une analyse euro-américaine s’avérerait incomplète dans la mesure où le droit d’auteur de l’Union Européenne n’a pas de disposition spéciale en matière de droits moraux – laissant ainsi la place aux droits nationaux et notamment au droit français en la matière – et que la CJUE n’a pas rendu d’arrêt concernant le droit de reproduction. En somme, une comparaison entre le droit américain et le droit de l’Union Européenne aurait pour résultat de limiter l’analyse au droit de communication au public. En outre, d’un point vue intellectuel, la comparaison entre les régimes européen, français et américain si divergents philosophiquement permettra de mettre en relief les tensions, les contradictions, mais également les avantages de chaque système qu’une analyse ethnocentrée n’offrirait pas. La comparaison présentera un autre intérêt dans la mesure où les États-Unis et l’Europe ont abordé de façon divergente l’Internet et notamment les hyperliens.

Paragraphe 2 : La confrontation du droit d’auteur aux implications des hyperliens

20. L’un des principaux enjeux culturels est d’assurer l’accès aux contenus. Il s’agit d’une problématique classique remontant à l’Antiquité. Alexandre le Grand avait en effet fait bâtir la bibliothèque d’Alexandrie où étaient conservées les connaissances de l’époque. Il est donc apparu relativement tôt qu’il était nécessaire d’organiser la discussion dans le temps et l’espace entre les productions intellectuelles afin non seulement de leur permettre d’obtenir une dimension nouvelle, mais aussi d’orienter le lecteur vers d’autres créations.

21. Les copieurs du Moyen-Âge ont été les premiers à recourir à un procédé de renvoi à des œuvres s’apparentant aux hyperliens actuels et ce, grâce à la technique de la manicule . Il s’agit d’un symbole – souvent d’une main – effectuant un renvoi à une autre partie de l’ouvrage. Le procédé s’avérait révolutionnaire en soi, mais il restait largement insatisfaisant car il effectuait des renvois au sein de l’ouvrage, ou se réduisait à une simple note de bas de page référençant un autre écrit. Bien que la question ait fait débat , les hyperliens ont une nature substantiellement différente de celle des notes de bas de page en ce qu’ils mènent directement au contenu . À une époque où les livres étaient rares le renvoi à un autre ouvrage signifiait souvent que l’information demeurait indisponible.

22. L’invention de l’imprimerie en 1454 a permis de faciliter l’accès aux livres et donc de résoudre partiellement cette difficulté. Les livres pouvaient donc se démocratiser et avec eux l’accès à la connaissance. Elle a permis de parfaire la démocratisation de l’accès à la culture qui avait commencé avec les récitations publiques grecques et s’était fortement développée au XVIIe siècle avec la généralisation des livres chez les notables et la petite bourgeoisie . Cette facilitation de l’accès aux idées était néanmoins insatisfaisante car elle confrontait les lecteurs à la territorialité des supports matériels sur lesquels étaient reproduites les œuvres. Malgré l’amélioration relative de l’éducation des populations européennes et des Lumières, l’accès aux œuvres et aux connaissances est longtemps restée inchangé et compliqué. Le statut de la Reine Anne en Grande-Bretagne a certes eu le mérite de libéraliser la circulation des œuvres en faisant reculer la censure, mais il a – comme le copyright américain et le droit d’auteur français – ajouté une couche de complexité dans l’accès aux œuvres par l’imposition d’un prix. Le conflit entre droit d’auteur et accès à la culture était d’autant plus important que la majorité des populations européennes et américaine restait pauvre et n’avait pas les moyens de s’offrir des œuvres de l’esprit. La logique privative du droit d’auteur entrait donc en conflit avec la prétention universaliste de la culture.

23. Le lendemain de la Seconde Guerre Mondiale et les débuts de l’informatique ont commencé à marquer une évolution des idées qui allait déboucher sur une révolution technique et civilisationnelle améliorant sans commune mesure l’accès aux œuvres. Le penseur visionnaire Bush Vannevar a en effet imaginé dès 1945 un système appelé le Memex permettant de naviguer d’un texte à un autre. Il s’agissait d’un ordinateur permettant d’accéder en temps réel à des œuvres. Il a été suivi par Ted Nelson qui a imaginé en 1978 un projet de liens hypertextes appelé le Projet Xanadu . Nelson a été le premier à utiliser le terme hypertexte qu’il a créé en référence au concept d’extension et de généralité. Cette référence s’avère particulièrement pertinente car les liens permettent de créer une bibliothèque universelle telle que l’avait imaginée Borges et rendent plus effective la République des Lettres qu’Érasme avait fait naître. Les deux auteurs ont ainsi imaginé un système fonctionnant par association d’idées comme le fait l’esprit humain. Il n’y a cependant pas lieu d’établir une analogie complète entre le fonctionnement du cerveau et les hyperliens, car les liens informatiques ne créent aucune information alors que les synapses créent des informations. Il s’agit en tout état de cause d’une vision moderne et outrement plus efficace des manicules médiévales. Ces projets ont néanmoins longtemps relevé de la pure science-fiction.

24. La fin de la Seconde Guerre Mondiale a marqué le début de l’époque des communications modernes qui ont participé de l’imaginaire de Vannavar et de Nelson. En effet, le projet américain ARPANET a commencé à développer un procédé de communication entre ordinateurs distants. L’objectif était de maintenir un système de transmission pour le gouvernement américain ainsi qu’un contact avec l’Union Soviétique en cas de destruction des infrastructures de télécommunications par une attaque nucléaire. Cependant, les préoccupations bellicistes de Washington n’étaient pas partagées par tous les ingénieurs impliqués dans le projet, dont certains étaient surtout emprunts d’idéaux universalistes et pacifistes. L’Internet s’est donc développé grâce à des ingénieurs qui partageaient les idéaux de liberté et d’indépendance, et qui ont réussi à établir des connexions entre ordinateurs et par conséquent entre des contenus. Il y a ainsi a priori une convergence entre les ratios legis des premières réglementations relatives au droit d’auteur et au copyright d’une part, et l’esprit de certains pionniers de l’Internet d’autre part. Néanmoins, cette approche s’oppose en contradiction radicale avec la logique privative du droit d’auteur et du copyright.

25. Le réseau qui commençait à se développer et qui est plus tard devenu l’Internet a donc été programmé par des ingénieurs embrassant des conceptions universalistes qui ont marqué l’architecture du Web. Les fondements idéologiques de l’internet s’harmonisent avec le besoin civilisationnel d’assurer le meilleur accès aux œuvres pour le public et pour les auteurs. Il se confronte en revanche fondamentalement avec l’existence d’un monopole des auteurs sur leurs œuvres. Les logiques de l’internet et du droit d’auteur sont donc concomitamment en harmonie et en conflit.

26. La France a voulu obtenir son indépendance en matière de communication et a développé une autre technique en créant le minitel. Il s’agissait d’un projet piloté par l’État laissant moins d’indépendance aux ingénieurs que le projet américain. Le système français s’est certes démocratisé plus vite en France que l’Internet aux États-Unis, mais il présentait le défaut de suivre un fonctionnement pyramidal. Les différences d’approches dans les deux systèmes ne sont pas que le fruit de l’implication plus ou moins forte des gouvernements dans le projet, mais également des cultures nationales. Alors que les États-Unis sont nés comme un pays égalitaire de tradition protestante où la hiérarchie est restreinte, la France a une culture profondément marquée par les hiérarchisations romaine et catholique. Les réseaux de chaque pays ont reflété ces mentalités divergentes. Or, les agrégateurs de liens actuels se sont bâtis conformément au modèle américain qu’ils imposent donc de facto au droit français qui ne saurait les interdire. L’internet véhicule par conséquent des valeurs plutôt américaines qui soulèvent un conflit radical lorsque le copyright et surtout le droit d’auteur français y sont appliqués.

27. Cependant, l’Internet américain et le minitel français ne facilitaient que partiellement l’accès aux contenus car il était nécessaire de connaître l’emplacement d’un contenu pour y accéder. En outre, les pages n’étaient pas mises en relation entre elles. L’idéal de Bush Vannevar et de Ted Nelson n’a donc pas vu le jour grâce aux projets des gouvernements américain et français. Il aura fallu tout le génie de Tim Berners-Lee – un chercheur britannique donc de culture protestante – au début des années 1990 pour inventer un système permettant de relier les pages entre elles et d’assurer enfin une véritable communication entre les créations de l’esprit. Les liens étaient nés et avec eux le World Wide Web qui allait révolutionner le monde. L’accès aux œuvres se trouve ainsi facilité comme jamais auparavant au cours de l’histoire de l’humanité, ce qui complexifie pour les auteurs l’opposition de leur monopole sur les œuvres qu’ils créent. L’internet et les hyperliens semblent avoir rendu le copyright et le droit d’auteur inopposables.

28. Le système a été implémenté sur l’Internet uniquement et non pas sur le minitel qui a fini par disparaître. L’invention des liens est apparue concomitamment à la démocratisation des connexions Internet, ce qui a permis au réseau de grandir à une vitesse fulgurante et a causé une forte chute des revenus des auteurs car le monopole a perdu de son sens sur l’Internet.

29. L’Internet a néanmoins réussi à réunir des créations intellectuelles dans une dimension que la bibliothèque d’Alexandrie n’a jamais pu approcher. Il est donc difficilement concevable d’entraver le développement de l’Internet. Néanmoins, comme la célèbre bibliothèque égyptienne, l’Internet et les liens visent à mettre en relation des communautés de chercheurs et d’intellectuels. La différence – fondamentale – entre l’institution antique et les hyperliens réside dans la dimension démocratique de ces derniers qui visent à mettre en relation tous les individus sans considération de leurs rangs. Cela devrait a priori permettre une élévation du niveau de connaissance dans le monde et les liens auront un effet dialectique en mettant en relation des personnes qui n’avaient a priori pas de raison de se rencontrer. Les liens devraient donc renforcer ce que les Américains appellent le libre marché des idées. Ce concept retient que les idées entrent en concurrence entre elles et que la ou les meilleures l’emportent, ce qui participe du dynamisme intellectuel d’un pays et de la santé et de la solidité de sa démocratie. Cet accès aux œuvres s’est ainsi trouvé facilité par le recours au format numérique. Les hyperliens amènent par conséquent la liberté d’expression en ce qu’elle a de libérateur pour l’individu et de protecteur pour la démocratie à entrer en conflit avec les intérêts des auteurs. Néanmoins, le droit d’auteur permet aux auteurs de percevoir une rémunération pour continuer à réfléchir, créer et s’exprimer. Le conflit révèle ainsi toute sa complexité et fait obstacle à toute tentative extrémiste visant à détruire le droit d’auteur sur l’autel de la liberté d’expression. Outre le conflit entre liberté d’expression et droit d’auteur, les hyperliens confrontent ce dernier à une problématique technique à laquelle il n’avait encore jamais été opposé.

30. En effet, avec l’Internet et les liens, les œuvres ne sont plus transmises sur un support matériel. Elles se trouvent transformées au contraire sous forme de code binaire immatériel. Or, le copyright américain tout comme le droit d’auteur français ont initialement été pensés dans un monde analogique où la composante immatérielle de l’œuvre de l’esprit se fondait avec le support matériel. Cette situation nouvelle appelle à plus de rigueur. En effet, si les juristes faisaient la différence entre le corps et l’esprit de l’œuvre, les agents économiques pouvaient les confondre sans grande conséquence pour leurs affaires. Les hyperliens ont donc obligé à faire preuve de plus de précision et à s’interroger sur les logiques économiques du copyright et du droit d’auteur. Ainsi sur l’Internet, et notamment avec les liens, le risque pour les auteurs réside dans le fait que le public bénéficie de la gratuité – effective ou à cause de l’utilisation de leurs données – de l’accès aux œuvres car les ayants droit ne bénéficieraient ainsi d’aucun revenu. Les auteurs sont pourtant obligés d’assurer un état de rareté de leurs œuvres afin qu’elles présentent une valeur commerciale. Cet état de rareté peut apparaître naturel pour les choses matérielles et même pour les œuvres reproduites dans des formats tangibles. Il s’avère artificiel pour les œuvres de l’esprit sur format numérique car il est possible de partager la jouissance d’une œuvre sans baisse d’utilité pour chaque membre du public. L’état de rareté doit par conséquent être imposé conventionnellement car il ne peut exister à l’état de nature. Or, cet état de rareté artificiel se trouve diamétralement opposé aux idéaux fondateurs de l’Internet prônant la libre circulation des idées. Les liens confrontent par conséquent le copyright et le droit d’auteur aux faiblesses des conceptions remontant à la fin du XVIIIe siècle qui ont mélangé la dimension immatérielle avec la matérialité des œuvres. La limitation à des droits portant sur des expressions matérielles des œuvres constituait une erreur historique due au contexte technologique de l’époque. Il est donc nécessaire de repenser le droit d’auteur et le copyright à la lumière de cette analyse afin d’assurer aux auteurs un monopole sur leurs œuvres et ainsi d’abandonner la limitation aux formes matérielles de diffusion des œuvres . La rédaction de la présente thèse se trouve à ce moment historique charnière où le droit d’auteur et le copyright doivent être repensés afin d’être plus conforme aux idéaux des Lumières dont l’application souffre de plusieurs erreurs.

31. Ainsi, en reliant deux pages ou deux sites Internet entre eux, les liens hypertextes constituent non seulement un nouveau défi pour les intérêts des auteurs, mais également une révolution intellectuelle. Ils mettent en effet un terme à la lecture linéaire des œuvres et permettent d’impliquer le public dans la création intellectuelle en modifiant profondément les contours de l’auctorialité. Ils confrontent donc le droit d’auteur et le copyright – pensés comme des prérogatives universelles – aux limites des conceptions traditionnelles de la création. Les lecteurs peuvent ainsi établir leurs propres connexions – et dans une certaine mesure adapter l’appréhension des œuvres – ce qui donne un sens nouveau aux œuvres . Les hyperliens parviennent par conséquent à recentrer la création sur le lecteur comme l’avaient imaginé plusieurs philosophes de la French Theory . D’un point de vue culturel cela constitue un retour au flou de la distinction entre l’auteur et le lecteur du Moyen-Âge où les lecteurs s’appropriaient le texte en l’annotant . L’œuvre est donc devenue un espace social que chacun peut intellectuellement s’approprier alors que l’œuvre telle que conçue par le droit d’auteur et le copyright est créée par un ou plusieurs auteurs en concertation. Les modalités de création et de lecture des œuvres se trouvent ainsi profondément impactées d’une façon peu propice à l’application du droit d’auteur aux hyperliens. Le droit d’auteur tel que pensé au XVIIIe siècle autour de la figure d’un ou de quelques auteurs se trouve confronté à de nouveaux modes de productions culturels auxquels il n’est pas adapté.

32. Les hyperliens permettent ainsi l’émergence d’un nouveau style littéraire libéré du format linéaire de l’écrit et de la pensée hiérarchisée qu’il implique . En offrant de nouvelles façons de communiquer et de penser, les liens permettent l’émergence de nouvelles modalités de création. Il s’avère par conséquent nécessaire d’opter pour une application raisonnable du droit d’auteur afin d’assurer l’indépendance des créateurs – qui constitue l’un des fondements sur lequel le droit d’auteur s’est construit – sans pour autant casser le développement de nouvelles formes de créations. L’Histoire nous enseigne que les technologies et les époques changent et, avec elles, les types de créations artistiques sont appelés à se modifier et certaines à disparaître. Il nous semble que ce constat n’est pas une fatalité mais une opportunité pour le dynamisme intellectuel d’un pays à condition que le système juridique offre les moyens non seulement de maintenir les modes de création traditionnels, mais également d’encourager le développement de nouveaux types d’œuvres. Le droit d’auteur devra donc continuer à s’appliquer afin de maintenir et d’encourager les créations intellectuelles classiques, tout en se cantonnant à une conception conforme à la ratio legis des premières lois de droit d’auteur ainsi que de copyright de la fin du XVIIIe siècle qui visaient à inciter à la création d’œuvres nouvelles même dans des formats innovants. En cantonnant le droit d’auteur et le lien à des domaines qui leur sont propres la création devrait être encouragée.

33. Cette révolution technique, économique et intellectuelle que constitue l’Internet a joué le rôle de marée descendante en permettant de découvrir les défauts initialement cachés. Le droit d’auteur a tenté de résister mais les observateurs ont dû se rendre à l’évidence que seule une nouvelle analyse à la lumière des libertés fondamentales – notamment de la liberté d’entreprendre, de la liberté d’expression ou encore de l’accès à la culture en France et en Europe et à la lumière de considérations politico-juridiques via l’exception dite de fair use aux États-Unis – s’avérait indispensable. La prise en compte de libertés fondamentales était devenue nécessaire eu égard au mouvement général de fondamentalisation du droit européen qui s’est étendu au droit d’auteur. La Charte de Nice a explicitement élevé le droit d’auteur au rang de liberté fondamentale . Le Conseil Constitutionnel a qualifié le droit d’auteur de droit de propriété et lui a ainsi conféré valeur constitutionnelle. Par la suite, l’arrêt Balan c. Moldavie de la CEDH puis l’arrêt Luksan de la CJUE a en effet reconnu le caractère fondamental du droit d’auteur. Il était donc devenu cohérent de confronter le droit d’auteur avec d’autres libertés fondamentales. L’arrêt SABAM a franchi le pas – après la tentative des juges du premier degré dans l’affaire Utrillo renversé en appel – et a fait entrer le droit d’auteur européen dans un nouveau monde . Le droit d’auteur n’est plus un îlot protégé mais une île battue par les vents des droits fondamentaux. Le législateur américain a été le premier à réagir avec le Digital Millenium Copyright Act, suivi par le législateur européen avec la directive 2000/31/CE dite e-commerce qui ont tout deux pris en compte la liberté d’entreprendre des prestataires de service sur Internet qu’ils ont confronté au droit d’auteur. Les jurisprudences française et européenne ont en outre commencé à frémir depuis plusieurs années. Cette prise en compte des libertés fondamentales par les juges européens est révolutionnaire car l’établissement de l’équilibre entre les différents intérêts en présence relevait initialement de la seule compétence du pouvoir législatif. Elles ont commencé à effectuer des tests de proportionnalité entre les différents intérêts . Ainsi, le jugement Utrillo a procédé à un équilibre – parfois critiqué en ce qu’il aurait procédé à un mauvais usage des droits de l’Homme – entre le droit d’auteur et l’intérêt informatif du public. L’exercice est sans doute intervenu trop tôt et la solution a été infirmée en appel ainsi que par la Cour de cassation qui a rejeté le pourvoi . Il s’agit donc d’un échec de l’affirmation d’un contrôle de l’équilibre entre des libertés fondamentales et le droit d’auteur, mais cette saga jurisprudentielle démontre que l’idée commençait à germer. Il faudra attendre l’audace de la CJCE pour que le droit d’auteur soit de nouveau confronté aux libertés fondamentales. Ainsi, les arrêts Scarlet et SABAM ont ouvert la boite de Pandore de l’équilibre entre les droits. Ce type de raisonnement s’est avéré par la suite particulièrement utile pour l’application du droit d’auteur aux hyperliens. Ainsi, et pour paraphraser les mots de l’avocat général de la Cour de Justice de l’Union Européenne , « il convient de maintenir un juste équilibre en matière de droits et d’intérêts entre les différentes catégories de titulaires de droits ainsi qu’entre celles-ci et les utilisateurs d’objets protégés ». C’est en effet un conflit de droits fondamentaux – comme la Cour Européenne des Droits de l’Homme a su l’insuffler sur tout le continent – que constitue la rencontre entre l’Internet et le droit d’auteur , et tout particulièrement entre le droit d’auteur et les hyperliens . L’Internet, et tout particulièrement les hyperliens, ont permis l’émergence d’une nouvelle approche du droit d’auteur européen. En effet, dès le premier arrêt rendu par la CJUE au sujet de l’application du droit d’auteur aux hyperliens, la Cour a dû adopter un syllogisme inversé afin de faire semblant de ne pas confronter le droit d’auteur aux libertés fondamentales en ayant à l’esprit les libertés fondamentales et en tordant les principes traditionnels de droit d’auteur afin d’arriver à la solution souhaitée. Elle a pourtant confronté implicitement plusieurs libertés fondamentales. L’arrêt GS Media a par la suite explicitement retenu que le droit d’auteur devait être confronté aux libertés fondamentales et le plan reflétera cette approche nouvelle. Dans l’optique d’une possible adhésion de l’Union européenne à la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme, il est nécessaire d’anticiper et d’intégrer ce type de raisonnement tel qu’il a été appliqué dans l’arrêt Baln c. Moldavie . La difficulté que soulève ce raisonnement réside dans le fait que les exceptions – qui constituent des « expropriations partielles de l’auteur pour cause d’utilité privée » – ne devraient exister que dans des cas précis conformément au triple test et seulement lorsque la loi le permet . Or, le contrôle de proportionnalité joue le rôle d’exception sans qu’il ne soit confronté au test des trois étapes, ce qui risque d’introduire des exceptions particulièrement larges en violation des engagements internationaux de l’Union Européenne. Il en va de même aux États-Unis avec l’exception de fair use. Néanmoins, en l’absence de réponse législative, les approches judiciaires doivent être louées en ce qu’elles visent à établir un équilibre entre les différentes libertés fondamentales en présence.

34. Cette perspective d’harmonisation entre les différentes libertés fondamentales doit constituer le cap du législateur, du juge, mais également sans doute du commentateur soucieux de ne pas se contenter d’une simple analyse passive mais d’un véritable travail critique se voulant force de proposition. En effet, une analyse purement passive sans proposition ne constitue qu’une critique sans doute facile, en tout cas largement insatisfaisante à l’issue d’un long parcours se voulant ouvert et critique. Il relève sans doute du rôle du commentateur de prendre des risques en émettant des propositions qui présenteront au moins l’intérêt de susciter le débat. Le commentateur devra dès lors conserver à l’esprit que le droit est emprunt d’une dimension sociale. Il constitue ainsi une médiation entre « le juste et le raisonnable, entre l’individuel et le social, entre le consensus et le conflit ». Il doit par conséquent prendre en considération tous les intérêts de la société sans léser unilatéralement une partie et ce, tout en prenant en compte les spécificités de chaque espace juridique. Il sera dès lors nécessaire d’établir un équilibre entre le droit d’auteur, la liberté d’entreprendre des créateurs de liens, ainsi que la liberté d’expression des internautes qui variera selon les systèmes.

35. En somme, la question de l’application du droit d’auteur aux hyperliens présente des enjeux pour le développement de l’Internet et la pérennité d’un système de rémunération des auteurs par le marché. Elle impose de repenser le droit d’auteur afin de lui conférer une véritable dimension immatérielle qui lui a longtemps fait défaut à cause d’une confusion avec le support matériel des œuvres. La comparaison entre les droits français et américain est d’autant plus importante qu’il s’agit des deux systèmes les plus opposés philosophiquement. Leur rencontre ne manquera pas de choquer, d’interroger, et in fine de remettre en cause des préjugés. En outre, les hyperliens sont au cœur de modèles économiques reposant sur l’indexation des contenus sur l’Internet. Il s’est donc avéré nécessaire d’adapter les contours du droit d’auteur et du copyright d’une part, et de la liberté d’entreprendre d’autre part, afin de concilier les différents intérêts.

36. L’application du droit d’auteur aux hyperliens est donc riche d’enseignement sur les tensions qui innervent l’Internet. L’ensemble ouvre une infinité de potentialités de circulation des œuvres et de violation du droit d’auteur. L’opposition entre les antagonismes ouverts/fermés, libres/contrôlés, gratuits/payants, droits à/droit de… introduit des conflits en apparence radicaux que la jurisprudence a tenté de résoudre à la lumière des libertés fondamentales. Malgré l’importance de la question pour l’avenir de la création, de l’accès aux informations et de la liberté d’entreprendre dans un monde globalisé, elle a été peu traitée. Elle a certes été au cœur de nombreux débats depuis que la CJUE – dont les décisions sont directement applicables en droit français – a été saisie de la question et que le Copyright Office s’intéresse au droit de mise à disposition. La difficulté de la question a sans doute découragé une partie de la doctrine de saisir la question à bras-le-corps. Il s’avère donc nécessaire de prendre de la hauteur sur le sujet en comparant deux approches différentes afin de confronter chacune à ses paradoxes et ses incohérences, dans le but de faire émerger de nouvelles solutions propres à chaque système.

37. Avant toute analyse sur le fond, une comparaison des règles en droit international privé permettra de déterminer les champs d’application des règles et la répartition des compétences des juges des deux côtés de l’Atlantique.

Chapitre introductif : Les conflits de lois et de juridictions

38. La première moitié du XIXe siècle a marqué l’émergence, certes encore timide, d’un mouvement universaliste . Il s’est trouvé renforcé par des penseurs aux idées universalistes tels que Victor Hugo et par l’article 5 de la convention de Berne.

39. Le mouvement universaliste s’est affirmé de façon relativement forte au cours de la seconde moitié du XIXe siècle en France alors qu’il a été rejeté lors de la réforme de 1870 aux États-Unis. Néanmoins, sous la pression des auteurs américains qui subissaient une concurrence économique déloyale – car leurs œuvres pouvaient être copiées gratuitement – le législateur américain a voté en 1891 le Chace Act qui assurait la protections des œuvres étrangères à condition que les œuvres américaines soient protégées dans le pays de publication de l’œuvre étrangère. Les États-Unis ont par conséquent conclu des accords multilatéraux, notamment avec la France , mais ont refusé d’adhérer à la convention de Berne jusqu’en 1988 car ils la considéraient comme étant trop influencée par les conceptions continentales.

40. Par la suite, et poussant la logique jusnaturaliste à son terme, la jurisprudence française a reconnu en 1960 – soit à une époque où les thèses universalistes étaient influentes – la protection en France de tous les auteurs indépendamment de leurs nationalités et du pays de première publication de leur œuvre. La France connaît un régime juridique éclaté entre celui de droit commun que nous venons de voir et celui spécial limité aux citoyens européens conformément à l’article 18 du Traité sur le fonctionnement de l’Union Européenne qui interdit « toute discrimination exercée au nom de la nationalité ». Il y a donc, sous les conditions que nous venons d’examiner, une assimilation de l’étranger au national . Les États-Unis adoptent en revanche une approche restrictive de la protection des œuvres étrangères en la limitant à celles publiées dans des États ayant conclu des accords bilatéraux ou publiées dans des États membres de la Convention Universelle sur le droit d’auteur du 6 septembre 1952 . La ratification de la convention de Berne a étendu ce principe aux oeuvres publiées dans un État membre. Dès lors, la France et les États-Unis protégeront les œuvres publiées pour la première fois sur le territoire des deux pays de la même manière que les œuvres nationales.

41. Les États se sont donc organisés pour coréguler le droit d’auteur. Il y aura donc lieu de choisir le juge compétent pour le litige (Paragraphe 1) et de résoudre les conflits de lois face à l’application des hyperliens (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les conflits de juridictions face à l’application du droit d’auteur aux hyperliens

42. Le choix du juge implique de déterminer quel juge sera compétent pour connaître d’un litige (I). Or, il peut être pertinent de faire reconnaître la décision des juges initialement saisis dans différents États, soulevant la question de la reconnaissance des décisions judiciaires étrangères (II).

I) Le choix du juge compétent

43. Les règles traditionnelles d’élection du juge compétent sont certes souples mais elles s’avèrent insuffisantes pour l’application du droit d’auteur aux hyperliens (A). Il est par conséquent nécessaire d’adapter les règles de compétences territoriales pour l’application du droit d’auteur aux hyperliens (B).

A) L’insuffisance des règles classiques pour l’application du droit d’auteur aux hyperliens

Les règles en matière de compétence juridictionnelles se divisent pour notre étude entre les règles de compétence en matière de litiges extra-contractuels (1) et les règles de compétence en matière de litiges contractuels (2).

1) Les règles de compétence en matière de litiges extra-contractuelles

44. La convention de La Haye sur les accords d’élection de for – qui n’est pas encore entrée en vigueur – exclut de son champ d’application la propriété intellectuelle . Il y aurait donc lieu de se référer à la convention de Berne mais elle ne prend pas position sur la question du choix de la juridiction compétente . Les États membres sont par conséquent libres de déterminer cette question.

45. L’Union Européenne, la France et les États-Unis ont convergé sur le principe actor sequitur forum rei donnant compétence au tribunal du lieu de domicile du défendeur. Il a en effet été repris par l’article 2 de la Convention dite Lugano II applicable entre les États membres de l’Union Européenne, puis par l’article 4 du règlement européen n°1215/2012 du 12 décembre 2012 repris à l’article 42 du Code de procédure civile . La CJUE et la Cour de cassation ont accepté cet élément de rattachement. La solution est similaire aux États-Unis car la Cour Suprême a retenu dans l’arrêt Goodyear Dunlop Tires Operations, S.A. v. Brown qu’un juge peut avoir la general jurisdiction sur un défendeur s’il est lié à l’État de façon continue et systématique. Il faut donc que le défendeur soit chez lui dans l’État saisi. Les juges se fonderont sur des indices comme le domicile d’une personne physique ou le lieu principal de l’activité d’une société. Il sera par conséquent possible de poursuivre le créateur d’un lien – qu’il soit manuel ou automatique – soit devant le juge compétent pour le domicile du défendeur compétent soit devant celui du lieu d’établissement de la société défenderesse. Cependant, alors que le droit français laissera au demandeur le choix de saisir un des juges compétents pour les lieux où est implantée une société – conformément à la théorie des gares principales – il en ira différemment aux États-Unis où il faudra saisir le juge compétent pour le lieu de la main place of business , c’est-à-dire le lieu où la société effectue la plupart de ses activités. Il sera par conséquent possible de saisir le juge du lieu où se trouve le défendeur ayant créé un hyperlien litigieux.

46. Ces règles s’avèrent sans doute globalement satisfaisantes dans le monde analogique, mais elles perdent en pertinence lorsqu’elles sont appliquées à l’espace commun qu’est l’Internet. En effet, de nombreux créateurs de liens – qu’ils soient automatiques ou manuels – se trouvent aux États-Unis. Dès lors, le principe actor sequitur forum rei aurait pour conséquence d’obliger les internautes français à saisir les juridictions américaines dans de nombreuses hypothèses malgré les difficultés en terme de coûts et de complexité juridique que cela représente. Le régime traditionnel – qui constitue toujours le droit commun – s’avère donc insatisfaisant lorsqu’il est appliqué à l’Internet.

47. Les parties pourront en outre saisir le juge compétent pour le lieu où le dommage a été subi. En effet, dès lors que le site Internet est accessible depuis le lieu où se trouve le juge et qu’un préjudice y a été subi, la juridiction sera compétente . Cela permettra aux demandeurs européens de saisir la juridiction la plus proche de chez eux et de faire respecter l’État de droit au sein de l’Union Européenne. Aux États-Unis cette solution serait rejetée conformément au principe de la territorialité de l’application du copyright. La solution européenne présente une faiblesse importante en ce qu’elle rend un nombre considérable de juridictions compétentes, ce qui a pour corollaire une diminution de la sécurité juridique des créateurs de liens. Les règles sont sans doute plus satisfaisantes en matière contractuelle.

2) Les règles de compétence en matière de litiges contractuels

48. En matière contractuelle, les deux droits permettent la saisine du juge d’un lieu ayant un rattachement avec le litige mais ils ont adopté des méthodologies différentes. Les deux systèmes convergent ainsi vers le choix du principe de la prévisibilité en matière contractuelle. La jurisprudence américaine aborde ce principe de façon souple en retenant qu’il suffit d’un point de rattachement pour que le juge soit compétent . Il en va ainsi notamment lorsque la cession des droits se fait depuis les États-Unis . Dès lors qu’un propriétaire de site cède des droits – notamment relatifs à l’établissement d’un lien – le tribunal compétent est celui du lieu où il se trouve. De même, si le cocontractant à l’origine de la création du lien se trouve sur le territoire américain, le tribunal du lieu où il se trouve sera compétent pour connaître du litige. La jurisprudence américaine appliquera donc son principe traditionnel du lien suffisant entre le défendeur américain et son forum, dès lors qu’il est prévisible pour le propriétaire du site. Cela devrait être retenu relativement facilement étant donné qu’un site est accessible partout dans le monde . D’autres critères pourront influer sur le choix de la juridiction compétente tels que le fait de faire des affaires de façon systématique et continue dans le forum afin que l’élection de la juridiction soit suffisamment liée à l’affaire pour que la compétence du juge soit juste . À défaut, le défendeur pourra opposer la Due Process Clause de la Constitution américaine – c’est-à-dire le principe du procès équitable – pour écarter la compétence d’un juge . Il sera pour cela nécessaire de prendre en considération le fait que le défendeur a mené des activités dans le forum, d’examiner si le demandeur reproche un fait s’étant produit dans le forum, et si la compétence du juge s’avère constitutionnellement raisonnable. Cela sera le cas lorsque le site Internet vise le public américain intentionnellement et qu’il existe des contacts suffisants avec les États-Unis, même si les données proviennent de l’étranger . La solution adoptée aux États-Unis devrait permettre de reconnaître dans de nombreux cas la compétence des juges américains, ce qui permettra aux internautes de ne pas s’exposer à la compétence d’autant de juridictions qu’ils y a de créateurs de liens avec lesquels ils auront contracté. Cela risque cependant de ne pas participer à l’affirmation du principe de l’État de droit étant donné que la majorité des internautes se trouvent en Asie et en Europe et que la distance risque de les décourager à saisir une juridiction américaine. Dès lors, la majorité des internautes qui pourraient être concernés par le droit américain risque d’être confrontée à des difficultés importantes pour en obtenir le respect. Ce régime, d’une grande souplesse, est très loin de la rigidité du système français et européen qui présente quant à lui l’avantage de la prévisibilité.

49. En Europe, l’article 7 du règlement n°1215/2012 du 12 décembre 2012 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l’exécution des décisions en matière civile et commerciale énonce une série de critères. Sont notamment retenus le lieu d’exécution de l’obligation servant de base à la demande ainsi que le lieu de fourniture d’un service . Ces critères visent un objectif similaire à celui de la Due Process Clause américaine en ce qu’ils assurent la « bonne administration de la justice » ainsi qu’une « organisation utile du procès ». Il en ira ainsi notamment lorsqu’une juridiction est la « mieux à même d’apprécier le bien-fondé de l’atteinte alléguée ». Ce dernier critère inclura le lieu d’exécution de l’obligation portant sur l’établissement d’un lien vers un site. Une partie de la doctrine a retenu que le lieu de fourniture du service sera celui où les données sont reçues . Cette solution est confirmée par le règlement européen du 7 octobre 2013 qui dispose que les fournisseurs de service en ligne se trouvent assujettis à la TVA du preneur du service. Cependant, le simple accès à un contenu ne suffira pas pour que le juge du lieu où le contenu est accessible soit compétent . Il est nécessaire que l’offrant invite à la conclusion et qu’un contrat soit effectivement conclu à distance. Pour cela, des facteurs importants seront notamment le contenu du site, le type de domaine Internet utilisé, le recours à la publicité . Sera ainsi compétent le juge d’un lieu pertinent en matière de conventions relatives aux hyperliens. Les particularités de l’Internet a donc obligé le droit européen à adopter une solution plus souple qui permet une convergence limitée avec le droit américain. Dès lors, sera compétent, dans les deux systèmes, le juge ayant un point de rattachement pertinent eu égard aux relations sociales que la convention implique.

50. Outre les règles de compétences par défaut, les droits internationaux privés européen et américain permettent aux parties d’élire une loi compétente. Les conventions relatives à l’autorisation de créer un lien peuvent contenir une clause attributive de juridiction. Le recours à de telles clauses pourra s’avérer particulièrement pertinent pour les propriétaires de sites Internet lorsqu’ils proposent des conditions générales de lier à valeur obligatoire. En effet, ils pourront déterminer en amont la juridiction compétente en cas de litige avec un créateur de lien. Or, suivant les conceptions que les deux systèmes se sont forgés des auteurs, les deux droits divergent en la matière. Le droit américain considère que les auteurs sont des commerçants comme les autres et ne leur offre donc pas de protection juridique particulière en matière contractuelle. Ils sont par conséquent libres de conclure des clauses attributives de juridiction . Le droit français adopte une position contraire et paternaliste qu’il nuance cependant en matière de contrats internationaux. Il interdit aux auteurs de modifier les règles de compétence territoriale dans un contrat national car l’article 48 du Code de procédure civile dispose que de telles clauses ne sont valables que dans des conventions conclues uniquement par des commerçants . Or les auteurs ne sont pas des commerçants. Le principe n’aura pas vocation à s’appliquer pour les contrats internationaux conformément à l’article 25 du règlement du 12 décembre 2012 qui autorisera de telles clauses. Cette distinction est sans doute pertinente dans le monde analogique, mais son intérêt est moindre sur l’Internet. En effet, le créateur de lien n’est pas confronté à une relation par nature nationale ou internationale lorsqu’il crée un lien étant donné que l’hyperlien mène d’une page à l’autre d’un même espace constitué par l’Internet. Cependant, la possibilité de prévoir une clause attributive de juridiction présentera encore un intérêt dans la mesure où, en assurant une plus grande souplesse dans le choix de la loi applicable lorsque le lien est créé vers un site étranger, elle permet aux internautes de mieux s’adapter à l’altérité culturelle. Le caractère ubiquitaire et international de l’Internet – et donc des conventions portant sur les liens – permettra à de nombreuses conventions d’être qualifiées d’internationales et par conséquent de recourir à une clause attributive de juridiction.

51. Un autre élément de complexité réside dans le droit de la consommation en Europe. En effet, certains internautes pourront conclure des conventions relatives à l’établissement de liens en qualité de consommateurs. Il en ira ainsi notamment lorsqu’un blogger conclut une convention avec un site pour établir des liens le pointant. La jurisprudence française rejetait traditionnellement la validité de clauses attributives de juridiction aux consommateurs. La solution a été réitérée dans l’arrêt Amazon rendu par la Cour de Justice de l’Union Européenne qui s’est fondée sur l’article 6 du règlement Rome 2 . Cette solution doit être approuvée dans la mesure où elle renforce la protection des consommateurs, mais elle sera source d’insécurité juridique pour les propriétaires de sites qui ne savent pas toujours s’ils concluent avec des professionnels ou des consommateurs.

52. Ces règles classiques ont été élaborées à une époque où les juristes ne pouvaient penser le droit que dans le monde réel. L’Internet oblige à repenser les règles de compétences.

B) L’adaptation des règles de compétences territoriales pour l’application du droit d’auteur aux hyperliens

53. Les règles de compétences ont été adaptées pour l’Internet afin que ces règles soient plus cohérentes en matière de droits patrimoniaux (1) et de droits moraux (2) soient plus cohérentes. La distinction entre les deux types de prérogatives s’avère sans doute cohérente avec la division doctrinale classique, mais nous verrons qu’elle présente des faiblesses pratiques.

1) Les droits patrimoniaux

54. Les règles de compétence territoriale s’avèrent, malgré leur souplesse, souvent insatisfaisantes pour saisir les innovations impliquées par l’Internet. Il s’est donc avéré nécessaire de les adapter. Il a été proposé de recourir au critère de la focalisation du site Internet – c’est-à-dire l’ensemble de faisceaux d’indices visant une juridiction – notamment pour les contrats conclus avec des consommateurs pour déterminer la compétence territoriale du juge. Étant donné que le droit n’a pas pour vocation de saisir de simples mécanismes techniques mais les relations interpersonnelles qui en résultent, il s’est avéré nécessaire d’établir un lien minimal avec le for et de ne pas se contenter de la simple accessibilité d’un site Internet. Les États-Unis et l’Union Européenne ont convergé sur ce principe.

55. La jurisprudence américaine a été la première à adopter cette approche. Il a ainsi été retenu qu’un site Internet – quel qu’il soit – n’offrant pas de moyen de paiement pour les résidents d’un État ne permet pas de retenir la compétence de ses juges. Ainsi les internautes d’un État visés par un commerçant, notamment par des publicités en ligne si elles ciblent spécifiquement les internautes d’un État ou via des mediums traditionnels, permettront à leur juridiction de connaître d’un litige naissant de la convention . Cette solution est le résultat du « effects test » de l’arrêt Calder v. Jones . Si la solution inverse avait été adoptée, un internaute aurait pû être traduit devant les tribunaux de tous les États, ce qui aurait violé les dispositions de la Due Process Clause de la Constitution relative au procès équitable. Cette solution – bien que particulièrement souple et opposée à la mentalité des juristes continentaux dont l’héritage romano germanique tend vers plus de prévisibilité au prix d’une plus grande rigidité – est cohérente avec la déclaration conjointe du Conseil et de la Commission Européenne. Il a en effet été retenu lors de l’adoption du règlement n°44/2001 que la simple accessibilité d’un site Internet ne suffit pas à conférer la compétence aux juges de l’État où les contenus sont accessibles. Cette solution est corroborée par le considérant 24 du règlement n°593/2008. L’internaute pourra donc être traduit vers les tribunaux qu’il aura visés, c’est-à-dire vers les territoires avec lesquels il aura voulu conclure des relations interpersonnelles. L’arrêt Austro-Mechana de la CJUE a retenu que les fora visés sont, au sens de l’article 5-3° du règlement de Bruxelles 1 bis, le lieu où le fait dommageable s’est produit ou risque de se produire. Cette solution est applicable en matière extra-contractuelle également. Le critère de la source de l’émission – qui était ouvert par l’article 7 du règlement Bruxelles 1 bis et permettait de retenir la compétence du juge du lieu d’émission des données à partir du serveur originel – se trouve écarté sur l’Internet car il aurait eu pour effet de rattacher les litiges à des fora sans pertinence et aurait incité à recourir à des serveurs se trouvant dans des paradis numériques. Cette solution permet d’appliquer le droit le plus conforme aux relations humaines en cause au lieu d’opter pour une approche techniciste.

56. La CJUE, quant à elle, a relevé plusieurs indices de la volonté de cibler un public tels que les extensions des noms de domaine ou la mention d’une clientèle internationale avec les avis des utilisateurs. En revanche, la langue et la monnaie ne constituent pas des éléments pertinents dans la mesure où l’anglais et le français, l’euro et le dollar, ne visent pas de pays précis. Il en va de même pour l’adresse électronique ou physique. Ce critère dit de la focalisation a été repris par l’arrêt Football Dataco Ltd c. Sportradar GmbH . L’arrêt a retenu que le juge du lieu visé par l’émetteur des données est compétent pour connaître du litige dès lors que l’émetteur a eu l’intention de « cibler des membres du public établis » dans l’État. La jurisprudence française a introduit un élément de complexité supplémentaire à cause de la divergence des chambres civiles – qui retiennent le critère de l’accessibilité – et de la chambre commerciale – qui retient le critère de la focalisation . Il nous semble que le critère de la focalisation devrait être privilégié. En effet, la jurisprudence la plus récente de la Cour de cassation française semble plaider pour cette solution.

57. La solution de l’arrêt Football Dataco doit cependant être rejetée pour plusieurs raisons . Tout d’abord, elle implique une confusion entre la détermination de la juridiction compétente et l’analyse du fond du litige. En outre, la théorie de la focalisation s’avère imprévisible et les indices ne sont pas toujours probants. La Première chambre civile a ainsi retenu, en se fondant expressément sur l’arrêt Pinckney , que le tribunal du lieu de la matérialisation du dommage allégué est compétent. La formulation est malheureuse car elle s’avère ambiguë et pourrait laisser croire que le critère de l’accessibilité est maintenu. Cependant, la référence à la jurisprudence de la CJUE amène à la conclusion inverse. Il n’en reste pas moins que la frontière entre les deux tests n’apparaît pas clairement aux yeux des juges. La solution sera identique en matière pénale avec les risques que cela comporte en terme de prévisibilité de l’application de la norme pénale.

58. Le droit américain appliquera un critère similaire en considérant que la loi compétente pour un site est celle de l’État dont le marché est visé par le site . Cela permettrait de faciliter la question de la détermination du juge compétent pour connaître d’un litige concernant un hyperlien. Il ne serait pas nécessaire de trancher entre la compétence de la juridiction du site source ou du site pointé étant donné que les deux seraient compétentes. Ce critère soulève des difficultés dans la mesure où il permet en théorie de rendre compétentes toutes les juridictions du monde . Cependant, cette difficulté se trouve limitée par deux séries de raisons. Tout d’abord, le juge saisi n’est compétent que pour les contrefaçons et les préjudices subis sur le territoire de l’État dont il relève . En outre, tous les contenus ne sont pas systématiquement accessibles partout dans le monde car les internautes placent parfois des limites à l’accessibilité de leurs pages.

59. Cependant, en l’état de la jurisprudence européenne, la théorie de la focalisation aura vocation à s’appliquer tout comme aux États-Unis. Les jurisprudences américaine et européenne ne se sont pas encore prononcées sur le choix du site source ou du site cible pour déterminer la compétence du juge, mais il est très probable qu’en France comme aux États-Unis les juges appliquent la loi propre à chaque site source. En effet, le lien étant accessible depuis le site source les juges retiendront sans doute qu’il vise le même public. Il y aura donc lieu de considérer que le juge compétent pour le site source est compétent pour connaître de la légalité de l’hyperlien. Il devra donc y avoir une série de contacts entre le défendeur et l’État pour qu’il soit compétent et que le défendeur bénéficie d’un procès équitable. Cependant, le manque de prévisibilité constitue une véritable difficulté pour les créateurs de liens. Ils sont en effet confrontés à une grave insécurité juridique qui limite l’intérêt du DMCA ainsi que de la directive e-commerce qui devaient offrir aux prestataires de services sur Internet – et par conséquent aux créateurs automatiques de liens – un régime juridique sécurisant leur permettant de développer leurs activités.

60. Les enjeux économiques jouent un rôle dans la détermination du juge en droit américain. En effet, la majorité des juges américains adopte désormais un test hybride entre celui de l’arrêt Calder que nous venons de voir, et celui de l’arrêt Zippo . Ce dernier introduit une échelle entre les sites lucratifs proposant des conventions et menant des activités économiques dans le forum d’une part, et les sites passifs d’autre part. La summa divisio suit la distinction que nous proposons entre l’Internet lucratif et l’Internet à but non lucratif, mais elle présente l’inconvénient d’introduire une sorte de nouvelle exception non prévue à l’article 5 de la directive 2001/29/CE . Cette dernière catégorie n’a pas vocation à conférer compétence au juge du lieu où le site est accessible. Cela laissera plus de souplesse aux juges américains afin de déterminer le juge territorialement compétent de façon à respecter le principe du procès loyal, mais cela ne renforcera pas l’objectif de sécurisation véhiculé par le DMCA. Outre cette divergence sur la question de la prise en compte des dimensions économiques des litiges, les deux systèmes divergent également sur les critères de compétence juridictionnelle en matière de droits moraux.

2) Les droits moraux

61. L’approche européenne diverge de celle en vigueur aux États-Unis pour les droits de la personnalité et notamment pour les droits moraux. Les juridictions de chaque État membre de l’Union Européenne sont en effet compétentes dès lors que le contenu est accessible depuis le territoire où se trouve le juge. En effet, les arrêts eDate Advertising et Martinez – qui concernaient des droits de la personnalité – ont adopté la théorie de l’accessibilité en cas de litige sur Internet. Or, étant donné que les droits moraux constituent une branche des droits de la personnalité il y a lieu de leur appliquer la même théorie . Cela permet au droit moral français de s’appliquer de façon universelle à tous les sites – même en langue anglaise et ciblant le public américain – accessibles depuis la France. Dès lors, dans une situation telle que celle du jugement du 6 juin 2008 rendu par le TGI de Paris dans l’affaire Carla Bruni – où la photo du mannequin était présentée sans le nom de l’auteur qui n’était accessible qu’après un clic sur un lien situé à proximité – les juridictions françaises seront compétentes pour connaître de la violation du droit de paternité. Cette solution était satisfaisante dans cette affaire, mais elle le serait beaucoup moins lorsqu’un hyperlien mène d’un site visant le public américain à un autre site visant le public américain. En effet, les propriétaires des deux sites étant soumis à un droit qui ne reconnaît pas de droit moral sur Internet, ils auront bâti leurs présentations sans considération notamment pour le droit de paternité. Il pourra dès lors s’avérer peu satisfaisant de considérer qu’un juge relevant d’un système juridique et d’une culture différente puisse être saisi d’un litige portant sur un lien entre les deux sites. Cela risque d’entraîner un véritable conflit culturel car des propriétaires de sites américains pourront être condamnés pour violation du droit moral alors qu’il s’agit d’une notion quasiment inconnue aux États-Unis.

62. Le caractère éclaté du régime de droit international privé fait peser un risque de forum shopping. Le forum shopping est constitué lorsqu’un choix frauduleux de juridiction est effectué . Le risque sera d’autant plus important que les parties peuvent saisir le juge du lieu ciblé par le site source et le site cible. La tentation est en effet grande pour les ayants droit de choisir la juridiction la plus protectrice de l’intérêt litigieux. Cela a déjà été le cas dans l’affaire Shostakovitch. L’auteur, n’ayant eu aucun recours aux États-Unis pour l’utilisation de son œuvre dans un contexte anticommuniste étant donné qu’il ne s’agissait ni un libel ni un slander , a porté son affaire devant les juges français . Ces derniers ont en revanche retenu la violation du droit à l’intégrité de l’auteur. Cette situation risque de constituer une charge pour le système juridique français qui attirera des auteurs en recherche d’une protection plus forte de leurs intérêts notamment moraux. Cela permet cependant au modèle français de rayonner dans le monde en matière de droits moraux.

63. En outre, des difficultés pourront surgir lorsque l’auteur allègue concomitamment la violation de ses droits patrimoniaux et moraux. Il serait dès lors souhaitable d’adopter un système unique qui serait plus à même d’assurer la prévisibilité qui constitue un principe cardinal du droit international privé européen . Conformément au principe de prévisibilité du droit international privé, il y a lieu d’harmoniser les deux régimes autour de la théorie de l’accessibilité.

64. Dans un souci de collaboration internationale, il sera plus pertinent pour les parties de faire reconnaître des jugements étrangers que d’initier une nouvelle procédure.

II) La reconnaissance des décisions judiciaires étrangères

65. Les litiges portant sur des créations sont susceptibles de présenter des enjeux dans plusieurs fora. Les parties pourront, en amont, concentrer les procédures connexes devant un seul juge (A), et elles pourront, en aval, faire reconnaître une décision étrangère par un juge (B).

A) Les procédures connexes

66. La question des procédures connexes se posera notamment lorsque le site d’origine du lien et le site cible visent des publics différents, et ne sont donc pas soumis aux mêmes juridictions. La concentration des litiges devant un seul juge constitue un gage d’une lutte plus efficace contre la contrefaçon . Alors que le droit européen prévoit un régime particulier pour ce type de situation, le droit américain applique la théorie de forum non conveniens.

67. L’article 8 du règlement Bruxelles 1 bis bis dispose qu’une « personne domiciliée sur le territoire d’un État membre peut aussi être attraite, s’il y a plusieurs défendeurs, devant la juridiction du domicile de l’un d’eux, à condition que les demandes soient liées entre elles par un rapport si étroit qu’il y a intérêt à les instruire et à les juger en même temps afin d’éviter des solutions qui pourraient être inconciliables si les causes étaient jugées séparément ». Cette disposition est normalement d’interprétation stricte étant donné qu’elle déroge à la règle de l’article 2-1° du règlement Bruxelles 1 et 4-10 du règlement Bruxelles 1 bis reconnaissant la compétence du for du domicile. Il s’avère donc nécessaire de prouver qu’il existe un risque de divergence entre les décisions pouvant être rendues par deux juges sur une même situation de fait et de droit . Il en ira notamment ainsi lorsque les faits sont « matériellement identiques » dans deux pays . La CJCE a ainsi nuancé sa position avec l’arrêt Painer qui constitue un véritable revirement de jurisprudence par rapport à l’arrêt Roche Nederland . Les juges européens ont ainsi laissé aux juges nationaux la liberté de déterminer la juridiction compétente « au regard de tous les éléments du dossier ». Le critère de la divergence s’inscrivant dans une même « situation de fait ou de droit » est repris de l’arrêt Roche Nederland mais interprété de façon différente. En effet, les faits doivent être matériellement identiques, écartant ainsi le critère de la même situation de fait. Le revirement était astucieux d’un point de vue pratique étant donné que les deux lois proposées aux juges étaient en « substance identiques » et leur choix entre les deux théories ne portait donc pas à conséquence.

68. Le droit américain propose une solution plus souple que le droit européen en ayant recours à la doctrine de forum non conveniens. Le règlement Bruxelles 1 bis l’a écarté alors qu’elle était en vigueur au Royaume-Unis. Elle permet de déterminer si une autre juridiction est plus à même de se saisir du litige. L’arrêt Boosey & Hawkes Music Publrs., Ltd. v. Walt Disney Co. a été rendu dans une affaire concernant des contrefaçons de vidéocassettes dans au moins 18 pays. L’arrêt retient qu’il est nécessaire de contrôler l’existence d’un autre forum compétent et, si tel est le cas, il y a lieu de déterminer quel juge sera le mieux placé pour assurer la meilleure justice possible – ce qu’il est convenu d’appeler le facteur Gilbert . Il sera également possible de prendre en compte les intérêts des parties en matière d’accès aux preuves, la disponibilité des témoins et « tous les autres problèmes pratiques ayant pour conséquence de rendre l’affaire facile, rapide et peu onéreuse ». En l’espèce, étant donné que la preuve n’avait pas été apportée que d’autres fora étaient compétents, la juridiction américaine s’est estimée compétente.

69. Malgré les différences d’approches, les droits européen et américain permettront aux ayants droit de réunir les litiges portant sur la création de liens vers différentes contrefaçons de leurs œuvres par un créateur de liens. Il en ira de même dans l’hypothèse où plusieurs créateurs de liens mènent vers une contrefaçon. La diminution des coûts ainsi que la célérité étant des atouts majeurs dans l’accès au juge et le respect de l’état de droit la résolution de la question de la connexité renforcera les droits des auteurs. Il pourra en outre être intéressant de privilégier une procédure de reconnaissance des décisions judiciaires.

B) La reconnaissance des décisions judiciaires étrangères

70. Il pourra être pertinent pour les ayants droit de faire reconnaître une décision judiciaire, notamment lorsque le défendeur ne possède pas assez actifs dans le for pour faire face au paiement des dommages et intérêts . La nécessité de la solidarité internationale s’avère plus pressante avec le processus de mondialisation auquel participe l’Internet . Cela pourra s’avérer particulièrement efficace en matière d’hyperlien car les ayants droit pourront saisir le juge compétent pour le site source et faire reconnaître la décision par le juge compétent pour le site cible, notamment lorsque les deux sites collaborent pour mettre à disposition des contrefaçons.

71. Les droits américain et français permettent, dans certaines conditions et conformément à l’article 8 de la convention de La Haye sur les accords d’élection de for, de reconnaître des effets à des décisions étrangères. Cependant, en l’absence d’accord bilatéral de reconnaissance des décisions judiciaires entre la France et les États-Unis, chaque pays appliquera ses normes nationales .

72. Les États-Unis n’ont pas de réglementation uniforme de la question, qui reste réglementée par les législations des États fédérés, rendant toute comparaison avec le droit français impossible et peu pertinente pour nos propos. Il y aura donc lieu de comparer le droit positif français avec le Uniform Foreign-Country Money Judgment Recognition Act . Bien qu’il n’ait pas de valeur obligatoire, ce texte s’avère particulièrement influant dans le domaine de la reconnaissance des jugements portant sur des sommes financières, ainsi qu’avec le Restatement (Third) Foreign Relations qui n’a pas de valeur obligatoire. Ce dernier permet en effet la reconnaissance de décisions étrangères portant sur des sommes d’argent ou un droit de propriété .

73. Le droit français adopte une approche assez de la reconnaissance des décisions internationales par rapport au droit américain. Tout d’abord, le juge américain saisi déterminera si le juge étranger était compétent pour connaître le litige. Ce critère a été introduit en France par un arrêt de la Cour de cassation du 4 juillet 2006 . Ensuite, le juge étasunien devra, comme le juge français , contrôler que les droits de la défense ont été respectés et que la procédure n’a pas été frauduleuse. Enfin, en France comme aux États-Unis , le juge contrôlera que la décision n’est pas contraire à l’ordre public. Une décision étrangère sera contraire à l’ordre public lorsqu’elle s’avérera choquante d’un point de vue moral. Dès lors, les deux systèmes adoptent des méthodologies globalement similaires. La différence reposera donc principalement sur la conception que les juges auront du procès équitable – ce qui ne devrait pas soulever de difficultés particulières dans le cadre de jugements en exequatur entre la France et les États-Unis, et l’ordre public. Ce dernier point sera plus problématique car l’ordre public en matière de droit d’auteur diverge profondément entre les deux systèmes. Les décisions américaines seront donc contrôlées en France selon les critères français et les décisions françaises seront soumises au test d’exequatur devant les juridictions américaines. Le droit européen a en revanche adopté une solution différente pour les décisions des États membres de l’Union Européenne.

74. En effet, le droit français est tenu d’aller plus loin que le droit américain dans la reconnaissance des jugements internationaux. En effet, l’article 39 du règlement Bruxelles 1 bis dispose que l’arrêt rendu dans un État membre de l’Union Européenne et qui est « exécutoire jouit de la force exécutoire dans les autres États membres sans qu’une déclaration constatant la force exécutoire soit nécessaire ». Les décisions européennes ne sont donc pas passées au crible du contrôle que nous venons d’analyser, sauf dans certaines hypothèses sans pertinence pour nos propos. Dès lors, si les procédures de notifications aux créateurs de liens restent éclatées, l’étape judiciaire est en revanche unifiée dans la mesure où un seul procès verra ses effets reconnus dans tous les États membres de l’Union Européenne.

75. La convergence globale observée jusqu’ici laisse place à une divergence profonde en matière d’ordre public. En effet, d’une part le régime français distingue entre l’ordre public international qui est plus restreint que l’ordre public national – alors que le droit américain ne connaît pas cette dichotomie – et d’autre part les juges américains procèdent à une lecture restrictive de l’ordre public lorsqu’il s’agit de donner l’exequatur à une décision étrangère. Il y a donc une convergence des deux systèmes sur le principe de la limitation de l’ordre public en matière de reconnaissance des décisions étrangères. Ainsi, la Cour d’appel fédérale pour le Deuxième Circuit a pu reconnaître un jugement français qui rejetait l’exception de fair use même si cela peut limiter la liberté d’expression. Le juge américain n’est pas tenu de procéder à un contrôle complet et équitable de la décision étrangère, qui ne sera écartée que si elle s’avère contraire à l’ordre public réduit à sa conception la plus fondamentale. Cela n’était pas le cas en l’espèce. Dès lors qu’une décision française n’appliquant pas l’exception de fair use reçoit l’exequatur aux États-Unis, les hypothèses où le droit français pourra heurter l’ordre public américain seront relativement rares en matière de droit d’auteur. Les ayants droit français bénéficieront donc d’une grande facilité d’exequatur des décisions outre-Atlantique. Les juges américains reconnaîtront donc une décision condamnant un créateur automatique de liens pour la reproduction non autorisée d’une œuvre alors qu’il aurait bénéficié du fair use aux États-Unis conformément à l’arrêt Perfect 10 . Cela permettra aux ayants droit français d’aller chercher les actifs des créateurs de liens qui ne se trouvent pas toujours sur le territoire européen. Cela renforce donc l’effectivité des décisions des juges.

76. L’ordre public américain ne devrait généralement pas être opposé au droit d’auteur français. Il n’est cependant pas évident qu’en matière d’hyperliens les décisions se fondant sur le raisonnement de l’arrêt Svensson obtiendraient l’exequatur aux États-Unis étant donné qu’il repose sur une lecture contra legem de la convention de Berne.

77. Au contraire, le droit français devrait cependant se montrer plus sévère lors de l’exequatur que le droit américain, car le manque de protection des droits moraux aux États-Unis constitue une violation de l’ordre public international français . Il sera donc possible pour un ayant droit américain d’obtenir l’exequatur en France et d’y obtenir une protection de ses droits moraux alors qu’elle n’était pas prévue par les juges étasuniens. Nous considérons que cette solution doit être approuvée car elle n’a pas pour conséquence de briser les efforts de collaboration internationale. Les décisions ne reconnaissant pas de droit moral ne seront pas rejetées mais adaptées. Les auteurs comme le public y trouveront leur intérêt aux dépens des créateurs de liens.

Paragraphe 2 : Les conflits de lois face à l’application du droit d’auteur aux hyperliens

78. Certains auteurs ont souligné l’obsolescence du principe de territorialité du droit d’auteur sur Internet. Ils considèrent en effet que la notion de frontière n’a pas de sens en ligne et que la territorialité d’un droit est par conséquent absurde. Il a donc été proposé de créer un droit d’auteur commun à l’Internet . Il s’agit là d’une réaction somme toute classique face à un mouvement d’intégration mondiale. La délégation allemande avait en effet déjà proposé la création d’un régime mondial du droit d’auteur en 1884 lors des négociations relatives à la convention de Berne alors que le processus de mondialisation moderne s’était enclenché.

79. Cette proposition nous semble largement utopique car il apparaît particulièrement ardu de trouver un accord entre l’intégralité des États de la planète sur des règles de droit d’auteur. En effet, les pays européens refuseront d’abandonner le droit moral, et les États-Unis n’accepteront pas de l’intégrer en droit interne au-delà de la protection circonscrite qu’ils accordent déjà. De plus, outre la détermination du fond du droit, la question de l’effectivité de la lutte contre la contrefaçon constituera une autre pomme de discorde internationale car certains pays se montrent moins enclins à assurer une protection effective que d’autres. Cette proposition apparaît enfin peu souhaitable car elle imposerait une vision unique de la question du droit d’auteur qui ne respecterait pas les particularités ainsi que les nécessités de chaque État. Dès lors, les juges devront appliquer des lois nationales et non pas une réglementation internationale unique.

80. Le droit d’auteur et le copyright sont donc des droits territoriaux conformément aux dispositions de la convention de Berne . Le droit américain avait traditionnellement tiré la conclusion qu’il n’y avait pas lieu d’appliquer une loi étrangère à un litige relevant du copyright et refusait par conséquent de connaître d’affaires extraterritoriales en opposant la doctrine de forum non conveniens , jusqu’à ce que l’influence de la convention de Berne amène les juges américains à adopter une position plus collaborative .

81. Les jurisprudences des deux pays ont nuancé le principe de territorialité et permettent désormais aux juges de connaître d’une affaire de contrefaçon du droit d’auteur survenue à l’étranger . L’application de ce principe soulève des difficultés nouvelles lorsque le litige naît sur l’Internet. En effet, le juge risque d’être confronté à l’application de plusieurs lois. Le juge français ne semble pas rebuté par cette perspective, mais il est arrivé qu’un juge américain , malgré le principe de collaboration internationale, considère qu’il s’agissait là d’une charge trop lourde et qu’il écarte l’application de la loi étrangère sur le fondement de la doctrine de forum non conveniens. La jurisprudence postérieure a rejeté cette solution étant donné que la doctrine de forum non conveniens ne peut servir de commodité pour le juge. Les deux droits convergent donc sur le principe de l’application par un juge national de lois étrangères.

82. Les règles d’élection de la loi (I) permettent aux juges de prendre en compte l’extraterritorialité d’un litige et de ne pas briser les prévisions des parties. Elles bénéficieront ainsi d’une relative sécurité juridique qui sera néanmoins circonscrite par des hypothèses de rejet de la loi étrangère (II).

I) L’élection de la loi

83. La convention de Berne a adopté une approche duale en introduisant des règles de fond et en renvoyant aux lois des États membres . Le droit américain – encouragé en cela par la ratio legis de la convention de Berne – va dépecer les œuvres pour leur appliquer la loi d’origine afin de déterminer si elle est protégée, alors que le droit français applique la lex loci protectionis afin d’assurer la meilleure protection de l’œuvre (A). Les juges pourront appliquer une loi différente afin de déterminer le régime de responsabilité que ce soit en matière pénale ou civile dans le but de protéger les prérogatives des auteurs (B).

A) La protection de l’œuvre

84. La convention de Berne n’oblige pas les États membres à appliquer la loi du lieu de création afin de déterminer l’existence de la protection . Il y a néanmoins lieu de choisir une règle de conflit de lois assurant la meilleure circulation des œuvres conformément à la ratio legis de la convention de Berne , ce qui encourage à adopter ce principe.

85. Dès lors que l’œuvre proviendra d’un pays membre de la convention de Berne, il conviendra de contrôler si l’œuvre est protégée dans son État d’origine . En effet, l’arrêt Lefait retient que seule une disposition expresse peut conduire à refuser la jouissance du droit d’auteur conformément au principe de la lex loci originis. En effet, selon Desbois, la « volonté du créateur doit jouer un rôle dans la solution du conflit [de lois], en raison des liens qui l’unissent à l’œuvre ». Cette conception romantique s’enrichit de celle holiste de Battifol qui affirme que la publication « donne à l’œuvre littéraire et artistique sa valeur propre dans les relations sociales ». Cette solution présente en outre l’intérêt pratique de ne pas soumettre l’œuvre à une pluralité de lois au moment de la détermination de sa protection . La lex loci originis protège ainsi la sécurité juridique. Le principe est partagé par les États-Unis qui encouragent le recours à cette approche à la section 313 des Principles Governing Jurisdiction, Choice of Law and Judgments in Transnational Disputes.

86. Si l’œuvre n’a pas encore été publiée il faudra en revanche se référer à la loi personnelle de l’auteur . Cette solution ne manquera pas de soulever des difficultés pour les auteurs binationaux. Cette solution permet d’assurer la sécurité juridique des parties qui pourront savoir à l’avance – même au prix d’efforts de recherches importants – si une œuvre a vocation à être protégée. Cela permet ainsi à une œuvre de naître dans un pays source sous l’empire d’une loi et d’éclore dans les autres pays sous l’empire d’une autre afin de mieux s’adapter aux particularismes locaux .

87. Cette solution a été partiellement rejetée par la Cour de cassation qui a retenu, dans les arrêts dits « ABC » du 10 avril 2013 , que la titularité des droits d’auteur devait être déterminée selon la loi du pays où la protection est réclamée conformément à l’article 5-2 de la convention de Berne. Or, il était certainement plus sécurisant d’appliquer la loi du pays d’origine de l’œuvre afin de déterminer la titularité des droits d’auteur car cela permet d’adopter une solution uniforme dans toutes les juridictions. Pourtant, la CJUE tend à considérer que le recours à la lex loci protectionis au lieu de la lex loci originis constitue un gage de protection contre les discriminations. Cela présenterait néanmoins l’inconvénient pour les auteurs américains de ne pas voir leurs titres protégés par les juges français étant donné qu’ils ne le sont pas – de manière générale – aux États-Unis . Les créateurs de liens français pourraient ainsi reproduire les titres américains dans leurs ancres alors que les internautes américains ne pourraient pas effectuer le même acte avec les titres français .

88. Dès lors, la lex loci protectionis aura vocation à régir non seulement la protection ainsi que la titularité des droits. Malgré des exceptions, il en ira ainsi également pour la protection des prérogatives de l’auteur.

B) La protection des prérogatives de l’auteur

89. La loi applicable à un litige est traditionnellement choisie de façon différente selon qu’il s’agisse d’une infraction à une règle civile ou à une règle pénale. En effet, la réglementation en matière pénale suit généralement le principe de la territorialité de l’infraction (1) alors que les règles en matière civile peuvent être modulées (2).

1) La détermination de la loi pénale applicable au lien

90. Le droit pénal implique l’ordre public d’un pays et justifie donc l’appropriation du litige par le juge national. La responsabilité pénale aura plus de chance de trouver à s’appliquer en France qu’aux États-Unis – bien que la section 2319(b)(1) du Criminal Code prévoit expressément les contrefaçons numériques – car les contrefaçons sont susceptibles de poursuites pénales en droit français dès lors que le droit des auteurs est violé. Les sanctions pénales sont en revanche particulièrement limitées en droit américain et auront peu de chances de s’appliquer en matière d’hyperliens. Néanmoins, bien que certaines décisions françaises aient pu condamner les créateurs de liens à des sanctions pénales, les ayants droit privilégient désormais la voie civile en cas de contrefaçon .

91. Ainsi, lorsqu’une infraction est commise en ligne et que le site est accessible depuis le territoire français, l’auteur pourra solliciter l’application de la loi française. Il en ira ainsi même si la mise en ligne a eu lieu depuis l’étranger et que les actes de contrefaçon sont commis à l’étranger dès lors qu’il vise le public français . En outre, lorsqu’un seul élément de la contrefaçon est commis en France, le droit pénal français aura vocation à s’appliquer . Le droit américain adopte une approche plus simple en appliquant le droit pénal aux sites Internet accessibles depuis les États-Unis. Cette possibilité offerte aux ayants droit aux États-Unis n’a toujours pas eu l’occasion d’être appliquée.

92. Néanmoins, un ayant droit conserve la possibilité de saisir une juridiction pénale en cas de contrefaçon. Étant donné que le juge pénal se considère compétent lorsqu’il existe un élément de rattachement, il apparaît que le juge français sera compétent dès lors qu’un seul élément de la contrefaçon visant le public français sera constitué. Cela risque de permettre une application particulièrement extensive du droit pénal français qui pourra s’avérer insatisfaisante quand un internaute se verra opposer la loi française à cause du lien créé par un tiers.

93. La responsabilité pénale reste donc un monopole des juges étatiques. Elle a de moins en moins souvent vocation à s’appliquer car, dans leurs stratégies judiciaires, les ayants droit privilégient les procédures civiles.

2) La détermination de la loi civile applicable au lien

94. La responsabilité civile se subdivise en deux sous-catégories. La première qui sera étudiée est la responsabilité délictuelle (a) qui sera opposable en cas de contrefaçon. Ce régime de responsabilité a connu des évolutions importantes depuis certaines hésitations initiales notamment aux États-Unis optant pour l’application de la loi du for au régime actuel de la lex loci protectionis en passant par l’hésitation pour l’application de la loi du pays d’émission. La seconde est la responsabilité contractuelle (b) qui sera opposable en cas de violation d’une obligation contractuelle portant sur la cession ou l’utilisation d’un droit de l’auteur. L’Union Européenne et les États-Unis ont opté pour l’application de la loi la plus pertinente eu égard aux relations sociales entourant le contrat.

a) La responsabilité délictuelle applicable au lien

95. Les œuvres de l’esprit ne sont pas matérielles et ne peuvent être rattachées à un espace que de façon artificielle. Des hésitations sur la loi applicable en matière de responsabilité délictuelle ont donc vu le jour.

96. La Commission Européenne avait initialement proposé dans le Livre vert sur le droit d’auteur dans la société de l’information d’étendre le principe de la directive 92/83 du 27 septembre 1993 applicable aux émissions de télévision communiquées par satellite. Le texte européen avait retenu l’applicabilité de la règle du pays d’émission. Or, ce choix aurait eu pour conséquence d’inciter les contrefacteurs à se réfugier dans les paradis numériques . Cela aurait par conséquent empêché les ayants droit de bénéficier des dispositions du droit d’auteur . En outre, alors que la théorie de l’émission était applicable au sein de l’Union Européenne car les réglementations sont harmonisées, il n’en va pas de même des mises en ligne à partir de pays tiers. Cela aurait posé d’autant plus de difficultés que, à l’inverse des émissions radiodiffusées, la mise en ligne sur Internet peut être effectuée facilement depuis n’importe quel point du globe . Enfin, le recours à la théorie de l’émission aurait eu pour effet d’appliquer très souvent la loi américaine et par conséquent l’exception de fair use qui, bien que très intéressante d’un point de vue aussi bien intellectuel que pratique, ne correspond pas aux attentes de nombreux Européens . Ainsi, afin d’assurer l’application en phase avec l’état des relations sociales nées en amont du litige, les droits européen et américain ont donc rejeté la thèse de l’émission.

97. La CJUE a expressément refusé cette thèse dans l’arrêt Football Dataco c. Sportradar concernant la protection sui generis des bases de données. Les juges ont retenu que la théorie de l’émission poserait des difficultés de localisation du serveur et de surcroît « affecterait l’effet utile de la protection par le droit national concerné ». En outre, cette approche présenterait la faiblesse d’appliquer la loi d’un pays avec lequel l’œuvre n’a pas forcément de lien avant même qu’un internaute ne puisse télécharger l’œuvre – c’est-à-dire avant qu’une relation interpersonnelle ne voit le jour. Aux États-Unis, les Cours d’appel fédérales pour les Deuxième et Neuvième Circuit ont adopté des solutions divergentes mais elles ont toutes deux rejeté la théorie de l’émission qui se trouve par conséquent écartée. Le American Law Institute , dont les suggestions n’ont pas valeur obligatoire, a également refusé cette théorie de l’émission. Ces choix doivent être approuvés dans la mesure où ils permettent d’écarter le forum shopping et qu’ils assurent l’application d’une loi plus conforme à l’état de la relation sociale née entre les parties.

98. Une autre voie apparaissait possible aux États-Unis. En effet, à l’inverse du droit américain qui propose une procédure non obligatoire d’enregistrement des œuvres , le droit français ne prévoit aucune procédure similaire. Il serait donc possible d’envisager une application du principe de la lex rei sitae aux États-Unis par référence à l’enregistrement au Copyright Office. Cependant, cela s’avérerait artificiel car l’inscription n’est pas limitée aux œuvres créées par des citoyens américains ou publiées pour la première fois sur le sol américain. En outre, cette théorie ne répondrait pas à la question de l’applicabilité de la loi aux œuvres non enregistrées provenant de pays ne connaissant pas de système similaire d’enregistrement . La Cour d’appel fédérale pour le Neuvième Circuit a pourtant résisté et a maintenu le principe de l’application de la loi du for. Cette approche est erronée étant donné que le système de la convention de Berne repose sur la diversité juridique et que la conception adoptée mélange les conflits de lois et de juridictions , sans respecter les dispositions de la convention de Berne. En outre, le cloud computing a souligné le peu de pertinence de ce critère car les contenus peuvent être stockés dans un État mais utilisés dans un autre.

99. Cette solution a par la suite été écartée par le American Law Institute qui a retenu, à la section 103 de ses « Principles Governing Jurisdiction, Choice of Law, and Judgments in Transnational Disputes », que le tribunal saisi n’est pas tenu d’appliquer la loi du for. Cette suggestion n’a cependant pas valeur obligatoire . Les théories traditionnelles de conflits de lois se fondaient mal dans l’Internet, ce qui faisait peser une véritable insécurité juridique sur les créateurs de liens et sur le développement du réseau.

100. Il y a cependant lieu de revenir aux origines du droit d’auteur international pour trouver la solution aux conflits de lois concernant les liens. En effet, l’article 5.2 de la convention de Berne dispose qu’en « dehors des stipulations de la présente convention, l’étendue de la protection ainsi que les moyens de recours garantis à l’auteur pour sauvegarder ses droits se règlent exclusivement d’après la législation du pays où la protection est réclamée ». La convention de Berne se réfère par conséquent à la théorie de la lex loci protectionis, c’est-à-dire la loi du lieu de protection. Cette solution a été globalement reprise dans les deux droits.

101. La solution a été établie par le législateur pour l’Union Européenne et par la jurisprudence pour les États-Unis. En Europe, l’article 8.1 du Règlement Rome II dispose que « la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d’une atteinte à un droit de propriété intellectuelle est celle du pays pour lequel la protection est revendiquée ». L’utilisation de l’expression « pays pour lequel » et non pas « pays où » implique qu’il est fait recours à la lex loci protectionis . Le considérant 26 du règlement ne laisse aucun doute et se réfère expressément à cette théorie du conflit de lois. Aux États-Unis, l’arrêt G.B. Marketing U.S.A. Inc. v. Geroldteiner Brunnen GmbH & Co. a également appliqué la loi du pays où la protection était recherchée. Cependant, à la différence du droit européen, le recours à la lex loci protectionis résulte d’une interprétation particulièrement large de la doctrine de la lex loci delicti. En effet, en l’absence de réglementation ad hoc applicable à la propriété intellectuelle, les juges américains se sont fondés sur le droit de la responsabilité civile puisque le copyright constitue une branche du droit du tort . Le droit américain n’applique donc pas la même théorie que le droit européen mais, étant donné que leurs effets sont souvent similaires, les deux systèmes auront tendance à converger. La Cour d’appel fédérale pour le Deuxième Circuit a ainsi fait application du principe de la lex loci delicti, mais en s’intéressant plus globalement aux rattachements les plus pertinents. L’arrêt Itar a ainsi retenu que la lex loci delicti visant les États-Unis avait vocation à s’appliquer étant donné que la contrefaçon s’était produite aux États-Unis et que le défendeur était une société américaine .

102. Le principe de la lex loci protectionis n’est cependant pas rigide. En effet, la France et les États-Unis permettent d’écarter ce principe afin de privilégier la loi la plus pertinente. La souplesse ainsi proposée risque de déboucher sur des décisions arbitraires. Ce n’est donc que par défaut que le juge appliquera la loi du for dans les cas, sans doute rares, où il s’avérera particulièrement complexe de déterminer la loi la plus pertinente . Cela pourra s’avérer particulièrement approprié lorsqu’un lien relie deux sites visant des publics différents mais que l’une des parties saisit un juge d’un pays tiers dès lors que la culture juridique est au moins partiellement partagée par les parties. Le risque de forum shopping reste néanmoins substantiel. Cette solution a été confirmée par le American Law Institute dont les avis n’ont pas valeur obligatoire. Il suggère de retenir la loi la plus pertinente, qui se détermine selon une série de critères tels que le lieu où résident les parties, le lieu de la relation entre les parties, le lieu des activités et des investissements des parties, le lieu du marché principal ciblé par les parties. Les droits français et américain convergent globalement et assurent la souplesse nécessaire pour embrasser la richesse des situations naissant sur l’Internet.

103. Le principe de la lex loci protectionis est relativement facile à appliquer dans le monde analogique. Il n’en va pas de même sur l’Internet qui constitue un espace déconnecté du principe de territorialité. La Cour de cassation a par conséquent eu recours à la théorie de la focalisation dans l’arrêt Auféminin afin de déterminer la loi du lieu de protection. Elle a ainsi proposé les critères de la langue du site, du site destiné au public français, de l’adresse URL en « .fr », du fait que le demandeur réclamait la protection de ses droits en France. La CJUE a adopté ce principe dans les arrêts L’Oréal c. eBay et Football Dataco . Dès lors, il y aura lieu d’opposer au créateur du lien la loi du site source. En effet, le lien vise le public du site qui le contient. Il n’y a donc pas de raison de lui appliquer une autre loi.

104. Une distinction a été proposée par Rättzén qui propose de faire le départ entre la loi applicable au lien et la loi applicable à la page cible. Dans les deux cas, le principe de la lex loci delicti est retenu. Néanmoins, il tire les conséquences de l’arrêt GS Médias pour affirmer qu’un lien menant vers une copie qui constituerait une contrefaçon conformément à la loi applicable au lien mais en aucun cas conformément à la loi applicable à la page cible ne peut être qualifié de contrefaçon. En effet, dans le droit applicable à la page cible, la copie n’est pas illicite. Rättzen en conclut que le lien ne mène pas vers une contrefaçon et ne peut être illicite. Cette approche est certes fine mais manque de pragmatisme. En effet, il serait aisé de contourner facilement la loi applicable au lien en ciblant des pages auxquelles sont appliquées les lois de paradis numériques. En outre, lorsqu’une œuvre est ciblée par un lien, elle cible de facto le même public que celui du site d’origine, ce qui ne milite pas pour l’application de deux lois distinctes.

105. Les jurisprudences française et américaine font donc preuve d’une grande souplesse afin de saisir de la façon la plus satisfaisante les relations interpersonnelles. Les points de rattachement sont a priori plus clairs en matière contractuelle, mais cette intelligibilité de principe sera moins évidente en matière d’hyperliens.

b) La responsabilité contractuelle applicable au lien

106. Alors qu’elle précisait la théorie de conflit de lois applicable en matière de violation des droits des auteurs, la convention de Berne s’est abstenue de prendre position sur cette question en matière contractuelle. Il n’y a donc pas eu d’outil d’harmonisation internationale sur la question.

107. Les deux droits ont néanmoins adopté, selon des modalités différentes, le principe de la loi la plus pertinente. Au sein de l’Union Européenne, la loi applicable au contrat est, conformément à l’article 4.2 du règlement Rome I , celle « du pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle ». Il ne sera fait exception à cette règle que quand la prestation caractéristique ne pourra être déterminée ou lorsque le contrat présente des liens manifestement plus étroits avec un autre pays . Nous retrouvons ici le critère du rattachement le plus pertinent qui est également en vigueur aux États-Unis. Le droit américain a en effet pu puiser dans sa tradition juridique pour répondre au défi des conflits de lois . Le législateur européen a ainsi écarté le plus possible le critère de la proximité afin d’assurer la meilleure prévisibilité en matière contractuelle qui sera fonction des relations interpersonnelles.

108. En matière de conventions concernant les hyperliens aucune prestation ne sera fournie dans un État en particulier mais vers un site Internet. Il y aura par conséquent lieu de retenir que la prestation est fournie dans le pays visé par le site Internet et ce en fonction d’un faisceau d’indices. La théorie des points de contact s’avère donc particulièrement pertinente.

109. La théorie des points de contacts était déjà connue outre-Atlantique. La jurisprudence française a néanmoins innové en retenant que la présence d’une extension en « .fr » d’un nom de domaine , couplée avec le fait que le tribunal saisi était le tribunal français, que les œuvres concernées étaient françaises, que les demandeurs étaient français, que les défendeurs se trouvent en France et que le site est rédigé en en langue française permettent de converger vers la France et de déterminer la compétence de la loi française. Les juges n’ont pas établi de hiérarchie entre les critères mais la doctrine a retenu qu’il n’y a pas lieu de les placer tous au même rang. Ainsi, l’utilisation de l’euro ou du dollar peut s’avérer peu significative – étant donné qu’il s’agit de monnaies utilisées dans plusieurs pays – tout comme l’utilisation d’une extension en « .fr » ou en « .com ». Le recours à la langue française sera en revanche particulièrement pertinent pour la jurisprudence, bien que le français soit parlé dans d’autres pays que la France. Elle ne permettra donc pas, à elle seule, de distinguer entre les publics francophones. Cela posera notamment des difficultés lorsqu’il s’agira de distinguer entre les publics français et belge. La différence de traitement entre les monnaies et les langues qui sont pourtant confrontées à des problématiques similaires souligne le manque de cohérence de la construction juridique. La difficulté devrait être résolue par une question plus large consistant à savoir s’il s’agit encore de publics différents. Un droit d’auteur uniforme européen permettrait de prendre en compte le fait que les publics ne sont plus divisés en 28 selon les frontières des États membres. La situation est similaire entre les États-Unis et le Canada où il n’est pas évident qu’il existe deux publics distincts. Les deux pays ne forment déjà plus qu’un seul public aux yeux de certaines ligues sportives comme la National Basket-ball Association.

110. Outre ces règles applicables par défaut, les parties à un contrat portant sur l’établissement d’un lien pourront choisir la loi applicable . Le choix des parties pourra être écarté aux États-Unis lorsque l’économie du contrat vise une autre loi . Cette solution permet de ne pas contourner des dispositions législatives par le recours à une autre loi. Le droit européen sera plus prévisible dans la mesure où il respectera le choix des parties mais qu’il opposera des mécanismes de rejet de la loi étrangère lorsqu’elle s’avérera contraire aux valeurs européennes .

111. Les juges pourront donc être amenés à faire application d’une loi étrangère. Il ne serait cependant pas acceptable qu’un juge étatique applique une norme contraire aux valeurs fondamentales du for. Le juge pourra donc prendre acte du conflit de loi tout en refusant d’appliquer certaines règles étrangères.

II) Le rejet de la loi étrangère

112. Le processus de mondialisation n’a abouti qu’à une harmonisation a minima laissant largement inchangés les ordres publics nationaux en matière de droit d’auteur. Les efforts de coordination internationaux sont donc confrontés aux différences culturelles des différents espaces juridiques. Par conséquent, lorsque la loi étrangère sera contraire à l’ordre public (A) ou à une loi de police (B) la loi du for ne l’appliquera pas. La différence concrète entre les deux notions réside dans le fait que l’exception d’ordre public intervient a priori alors que les lois de police constituent un mécanisme a posteriori . Cette distinction repose sur une différence d’importance des valeurs ainsi protégées.

A) L’ordre public

113. En droit international privé, l’exception d’ordre public constitue une réaction de rejet de la norme étrangère . Elle permet de ne pas appliquer certaines dispositions légales d’un système étranger lorsqu’elles s’avèrent contraires à l’ordre public du for. Les différences entre le droit d’auteur français et le copyright américain reflètent des divergences de paradigmes qui sont le résultat d’ordres publics différents.

114. Le copyright américain est moins personnel que le droit d’auteur français et permet de retirer plus de droits aux auteurs. Cela pourra enfreindre l’ordre public français qui reste largement fondé sur une approche romantique de la création et en tire des conséquences relevant de l’ordre public. Il en irait ainsi en cas de cession portant sur toutes les œuvres futures de l’auteur bien que les juges reconnaissent plus difficilement cette exception pour les droits patrimoniaux que pour les droits moraux . La loi française aurait vocation à s’appliquer de préférence à la loi américaine car une telle disposition s’avère contraire à l’ordre public international français . De manière plus générale, il en irait de même de toute spoliation de l’auteur , d’une renonciation partielle au droit de reproduction après sa confiscation sans indemnité ou encore d’une cession globale des droits . Il pourrait en aller ainsi notamment des works made for hire – c’est à dire des œuvres effectuées par des salariés dont la titularité est automatiquement transférée dans les mains de l’employeur – du droit américain. Dès lors, dans un litige concernant un lien placé vers une œuvre créée par un salarié, le juge français refusera d’appliquer la notion de work made for hire. Il sera donc souvent plus intéressant pour un salarié de chercher l’application du droit français au lieu du droit américain.

115. Les droits moraux les moins fondamentaux – à savoir le droit de divulgation et le droit de retrait – bénéficient des dispositions d’ordre public . Les deux autres prérogatives que sont le droit de paternité et le droit à l’intégrité de l’œuvre, et qui bénéficient d’une protection particulière car elles sont visées par la convention de Berne, relèvent des lois de police. Il sera par conséquent possible d’opposer la violation de l’ordre public français lorsqu’un lien violera le droit de divulgation ou de retrait et que le juge américain ne l’aura pas sanctionné.

116. En revanche, dès lors que l’absence de fair use n’aura pas été considérée comme constituant une violation de l’ordre public américain , les occasions pour la loi française de violer les règles de l’ordre public étasunien seront rares. La American Law Institute – dont les recommandations n’ont pas valeur obligatoire – a par ailleurs retenu à la section 403(e) de ses principes de droit international privé et propriété intellectuelle que l’exception d’ordre public devait être opposée avec parcimonie. Les juges américains auront donc rarement l’occasion d’opposer l’exception d’ordre public lorsque la loi française aura vocation à s’appliquer. En outre, il est peu probable qu’un juge américain oppose l’ordre public aux droits moraux des auteurs.

117. Outre l’ordre public, les lois de police auront vocation à s’appliquer afin de faire obstacle aux effets d’une loi étrangère.

B) Les lois de police

118. Les lois de police protègent les règles fondamentales de la vie en société considérées comme étant les plus sacrées au sein d’une société. Étant donné que les droits français et américain ont adopté des philosophies différentes en matière de droit d’auteur les lois de police divergent profondément.

119. Le juge américain n’aura pas de règles de police à opposer en matière de copyright. Le juge français sera en revanche tenu d’écarter les dispositions étrangères – et notamment américaines – contraires à une loi de police et d’opter pour la loi française . En effet, le droit à l’intégrité ainsi que le droit de paternité sont protégés en leur qualité de loi de police . Le droit français s’appliquera lorsqu’une œuvre aura été modifiée même si le juge étranger n’a pas sanctionné le défendeur .

120. Cette distinction est cohérente avec les dispositions de l’article 6bis de la convention de Berne, et permet d’assurer une protection spéciale aux violations particulièrement perturbatrices de l’ordre public français. Il y aura également lieu d’appliquer la loi française lorsque la loi étrangère, à l’instar de la loi allemande , prévoit une expiration des droits moraux . La loi française – et les valeurs qu’elle véhicule – aura donc souvent vocation à s’appliquer dans les litiges internationaux.

121. Ainsi, dans une affaire concernant la violation du droit de paternité – comme dans l’affaire Carla Bruni – les juges français pourront, même si la loi américaine a vocation à s’appliquer au lien conformément au principe de la lex loci protectionis, opposer les dispositions du Code de la propriété intellectuelle français relatives au droit de paternité.

122. L’application du droit d’auteur français et du copyright américain pose la question de l’application d’un droit, pensé à la fin du XVIIIe siècle comme étant intimement lié à un support matériel, sur un support complètement dématérialisé. En somme, la question posée au législateur, aux juges et aux commentateurs est de savoir comment l’établissement d’un monopole artificiel et fondamentalement immatériel, en faveur des ayants droit, et respectueux des intérêts du public et des agents économiques, peut-être établi sur un réseau n’ayant pas été pensé pour donner prise au droit ?

123. Il sera par conséquent impératif de protéger les prérogatives des auteurs de façon moderne en appliquant le droit d’auteur aux hyperliens. Il sera de surcroît nécessaire que cela n’enfreigne pas de façon déraisonnable l’accès à la culture des internautes. Une approche partant des libertés fondamentales est, bien que peu classique, nécessaire afin de refléter non seulement l’évolution législative mais également jurisprudentielle. L’application du droit d’auteur aux hyperliens implique la confrontation avec deux grandes libertés fondamentales.

124. En premier lieu, il sera nécessaire d’analyser le droit à la culture. En effet, si en reprenant la construction initiale du copyright et du droit d’auteur, nous nous accordons pour considérer que la culture implique un antagonisme entre les auteurs, les distributeurs et les intérêts du public, il y a lieu d’analyser tout d’abord le conflit entre les auteurs et le public comme étant le premier ayant émergé sur un espace initialement pensé comme étant détaché de toute dimension lucrative. L’équilibre entre les intérêts des auteurs et du public en matière d’application du droit d’auteur et du copyright aux hyperliens fera l’objet de la première étape de l’étude (Première partie).

125. Il sera par la suite pertinent d’analyser le second conflit entre les auteurs et les distributeurs de contenus que sont les créateurs de liens. Il est en effet nécessaire pour ces derniers d’assurer leur liberté d’entreprendre – qui est en outre à l’origine de création de richesses considérables – étant donné qu’ils jouent un rôle dans la stimulation de la création culturelle mais également dans l’accès aux informations des internautes. La liberté d’entreprendre des créateurs de liens fait peser sur les auteurs le risque de voir leurs revenus fondre et avec eux la perspective de vivre de leur activité intellectuelle et donc de continuer à créer. L’analyse du conflit entre droit d’auteur et copyright d’une part et liberté d’entreprendre d’autre part est d’autant plus nécessaire que c’est via cette opposition que les jurisprudences américaine et européenne ont commencé à suivre des tests de proportionnalité en matière d’hyperliens. Le conflit entre l’application du droit d’auteur au lien et la liberté d’entreprendre fera donc l’objet de la seconde étape de cette thèse (Seconde partie).

Première Partie : L’application du droit d’auteur au lien face au droit à la culture

126. Le droit d’auteur et le droit à la culture sont intimement liés. En effet, lorsque le Congrès américain a voté la première loi sur le copyright il entendait encourager la production culturelle afin de proposer des œuvres à la population. Il en va de même dans l’esprit de Beaumarchais en France et des premières lois sur le droit d’auteur. Pourtant, le droit à la culture n’est reconnu ni aux États-Unis ni en France, à l’exception de l’article 13 du préambule de la Constitution de 1946 qui n’a présenté qu’un intérêt limité devant les juridictions. L’article 27 de la Convention Universelle des Droits de l’Homme ainsi que l’article 15.1 du Pacte de 1966 relatif aux droits économiques, sociaux, et culturels – qui n’ont pas valeur obligatoire aux États-Unis et en France – reconnaissent néanmoins un droit à la culture.

127. Ce droit à la culture peut être compris de deux façons différentes. Soit l’on y voit un droit à recevoir les œuvres créées par autrui – et auquel cas il s’agit d’un droit passif – soit on lui confère une dimension plus dynamique en considérant qu’il inclut la créativité intellectuelle . Le droit américain a adopté cette seconde approche dans la première loi sur le copyright . Le droit français adopte une position plus ambiguë à cause de son approche jusnaturaliste des droits des auteurs, mais l’équilibre de son régime répond également au souci de combiner l’incitation de la création avec l’accès du public aux œuvres. Le droit d’auteur véhicule donc un conflit originel entre les intérêts des auteurs et ceux du public. Les deux prérogatives se trouvent ainsi mélangées au sein d’une même norme . L’invention des hyperliens viendra attiser ce conflit en renforçant l’accès aux œuvres.

128. Les deux dimensions du droit à la culture ne sont cependant pas en conflit permanent . En effet, le droit à la culture se trouve renforcé par le droit d’auteur en ce qu’il permet d’encourager la création. À l’inverse, il a été fait remarquer qu’en l’absence de droit d’auteur, « il n’y aurait plus ce levain qui permet la production, [ce qui] provoquerait un tarissement de l’activité intellectuelle ». Cette dynamique est ainsi énoncée aux deux alinéas de l’article 27 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui se trouvent donc être en conflit mais qui sont également complémentaires.

129. Malgré ses atouts, la monopolisation que permettent le droit d’auteur français et le copyright américain entre en conflit avec l’idéal libertaire de l’Internet. Il y a lieu d’établir un équilibre entre les prérogatives des auteurs – qui tendrait vers l’apposition d’un prix en cas de création de lien – et la liberté de lier – qui peut doit être comprise du mot anglais free à savoir libre et gratuit. La recherche d’équilibre est classique lorsque deux libertés fondamentales s’affrontent . Cela implique une nouvelle harmonie entre le droit d’auteur et le droit à la culture. En matière d’hyperliens, l’harmonie doit être trouvée en deux temps. Il est tout d’abord nécessaire de déterminer l’équilibre entre les intérêts en conflit au moment de la construction de l’ancre de l’hyperlien – c’est-à-dire de sa partie visible. Dans un second temps, le créateur de lien devra respecter l’équilibre entre ses intérêts, ceux du public et ceux des auteurs lors de l’établissement du pointeur du lien. L’analyse de l’état des droits américain, européen et français permettra de déterminer un état des lieux qu’il y aura lieu de critiquer de façon constructive en proposant des pistes de réflexion voire de réformes.

130. Les droits européen et américain ont globalement convergé, selon des modalités différentes, sur le principe de la liberté de constituer une ancre. Les approches ont été opposées car le droit américain a pu bénéficier de l’exception souple de fair use alors que les droits français et européen doivent trouver des solutions dans des listes fixes – et peut-être datées – d’exceptions. L’harmonisation est en revanche assez marquée pour les ancres créées automatiquement. Les droits américain, européen et français ont ainsi convergé sur le principe de la liberté de constituer une ancre (Titre I)

131. En outres, les deux systèmes ont adopté des solutions qui assurent un équilibre entre les droits des auteurs, les intérêts du public et la liberté de lier. Les raisonnements ont profondément divergé. Le droit américain montre ainsi l’avantage d’un régime certes moins prévisible mais présentant l’avantage de la souplesse face aux régimes français et européen qui se sont montrés sclérosés. La liberté d’établir un lien (Titre II) est donc le résultat d’un équilibre entre les différents intérêts en présence.

132. L’étude qui suit se voudra donc évidemment juridique, mais également culturelle, sociale, historique et économique. En effet, la comparaison entre deux droits s’avère insatisfaisante car chacun est le fruit de la rencontre de plusieurs systèmes culturels, sociaux, historiques et économiques. Dès lors, et afin de comprendre les raisons de l’existence de chaque règle puis leur fonctionnement au sein de chaque pays, des développements contextualisant seront proposés au lecteur. Le lecteur est ainsi emmené dans un voyage numérique entre les deux continents.

Titre I : La liberté de constituer une ancre face au droit d’auteur

133. Le dynamisme culturel des sociétés française, européenne et nord-américaine dépend en partie du droit d’auteur et des conflits qu’il véhicule. Les créateurs de liens sont dès lors confrontés à ce conflit lorsqu’ils créent les ancres des liens. En effet, le créateur d’une ancre – c’est-à-dire de la partie visible du lien – pourra vouloir copier une œuvre protégée en violation du droit d’auteur et du copyright. La copie pourra en effet se fonder sur des arguments recevables telle que la volonté d’assurer le meilleur référencement possible afin de faciliter l’accès aux œuvres pour les internautes. Aucun des deux extrêmes n’est acceptable. Prenant acte de cette difficulté fondamentale pour le développement de l’Internet, les juridictions ont sur faire preuve d’adaptabilité et de créativité afin d’assurer le meilleur respect possible des intérêts en présence.

134. La division proposée entre auteur, internaute et public est utilisée pour la compréhension des problématiques étudiées. Néanmoins, le lecteur doit conserver à l’esprit que les positions changent régulièrement sur l’Internet. L’auteur peut facilement devenir internaute pendant une pause puis public lorsqu’il prend connaissance de l’œuvre d’un autre auteur. Néanmoins, la division conserve un intérêt car certaines parties tendent à être plus souvent dans une catégorie qu’une autre et défendent ainsi les intérêts de leur communauté. La vision d’une société où les citoyens élaborent la règle en portant un voile d’ignorance les empêchant de connaître leur situation sociale telle que décrite par Rawls ne s’est toujours pas matérialisée avec l’Internet.

135. Le conflit se trouve résolu par certaines prérogatives – notamment patrimoniales – en faveur des auteurs et leurs exceptions en faveur des internautes et du public. Le droit d’auteur et le copyright assurent la protection de l’intérêt des créateurs face aux ancres, et leurs exceptions assurent le respect des positions des internautes et du public (chapitre I).

136. D’autres prérogatives – et notamment les droits sui generis sur les bases de données ainsi que les droits moraux – penchent plutôt en faveur de l’accès à la culture. Le droit d’auteur et le copyright assurent la protection des intérêts du public grâce aux ancres (chapitre II). L’équilibre se trouve raffiné par le fait que les prérogatives ne sont jamais unilatérales.

Chapitre 1 : La protection de l’intérêt des créateurs face aux ancres

137. Le droit de reproduction est apparu en Angleterre avec le statut de la Reine Anne en 1710 qui introduisait le copyright – c’est-à-dire le droit sur la copie. Il s’agissait, dans l’esprit du législateur britannique, de créer un monopole sur la reproduction des œuvres de l’esprit. Aux États-Unis le copyright avait été introduit pendant la période coloniale par l’application du statut de la Reine Anne. La centralité de la notion de reproduction a été reprise par le droit américain à la suite de l’indépendance avec la ratification de la Constitution en 1789 . Le droit français ne s’est en revanche occupé du droit de reproduction que dans un second temps – après avoir tout d’abord reconnu le droit de représentation en 1791 – avec le décret des 19-24 juillet 1793.

138. En Angleterre, les imprimeurs étaient protégés grâce à la Stationers’ Company . C’est donc à la lumière d’une forme écrite de création que le copyright a été pensé. En France en revanche, les auteurs de pièces de théâtre étaient au centre de la réflexion grâce à Beaumarchais notamment dont l’éloquence a permis aux auteurs dramatiques de voir leurs œuvres protégées . Le Parlement britannique a donc rédigé une loi pour les auteurs d’écrits alors que le législateur révolutionnaire souhaitait protéger les spectacles vivants . La différence de centralité du droit de reproduction est par conséquent le fruit du travail des groupes d’influence de l’époque.

139. Le statut de la Reine Anne n’a pas défini le droit de reproduction a priori et s’est contenté d’interdire l’impression d’œuvres protégées. Le droit anglais – qui constitue également le premier droit de copyright appliqué aux États-Unis – concevait donc implicitement le droit de reproduction comme le fait de reproduire une œuvre sur un support communicable à autrui. Le droit français a également adopté une approche concrète en apportant une solution pragmatique au problème de pillage des œuvres dont souffraient les auteurs. Le législateur révolutionnaire français s’est ainsi abstenu d’apporter une définition a priori de la reproduction qu’il concevait simplement comme le fait d’imprimer dans la loi de 1793. Il s’agit d’une faiblesse de rédaction car le législateur n’aurait pas autorisé la copie manuelle d’œuvres protégées. Il faut donc voir dans cette rédaction la volonté de résoudre le défi technologique de l’époque que posait l’imprimerie. Le copyright et le droit d’auteur répondaient donc à un problème technique mais ils manquaient de hauteur et une lecture littérale des deux textes n’aurait pas permis de saisir les nouvelles technologies et notamment les hyperliens. Les accents jusnaturalistes de certains tribuns comme Le Chapelier n’ont donc eu qu’une influence limitée sur la rédaction des premières lois sur le droit d’auteur.

140. Le droit américain a repris l’idée britannique selon laquelle le droit de reproduction implique de reproduire une œuvre dans le but de la présenter à autrui. Il répondait ainsi au même défi technologique que les législateurs anglais et français ont affronté à la fin du XVIIIe siècle. Cependant, l’approche philosophique était différente de celles pragmatiques auxquelles ont eu recours les législateurs européens. Alors que ces derniers ont apporté une réponse pratique à un problème, les Pères Fondateurs américains ont pris plus de hauteur en retenant que la reproduction est constituée par la fixation sur un support tangible d’une information. La définition est sans doute la plus correcte des trois bien qu’elle pêche par son attachement à un état de la technique qui n’aurait pas permis de saisir les hyperliens.

141. À cause des évolutions technologiques successives – et notamment du numérique – les législateurs ont dû adopter des définitions plus conceptuelles. La loi française de 1957 définissait le droit de reproduction comme « la fixation (nous soulignons) matérielle de l’œuvre par tous procédés qui permettent de la communiquer au public d’une manière indirecte ». La loi américaine de 1976 – encore en vigueur aujourd’hui – définit la copie comme des « objets matériels, autres que des enregistrements sonores, dans lesquels une œuvre est fixée (nous soulignons) par toute méthode déjà connue ou développée plus tard, et à partir desquels l’œuvre peut être perçue, reproduite ou communiquée d’une quelconque façon, soit directement soit avec l’aide d’une machine ou d’un appareil ». Le législateur américain a donc, comme le législateur français, adopté une approche plus conceptuelle de la reproduction se fondant sur le principe de fixation. Il s’est cependant montré plus précis que ce dernier en affirmant que la copie effectuée par une machine est incluse dans la définition, mais également plus universelle en ne limitant pas la reproduction à un support matériel. Cette différence reflète les états de la technique au moment de la rédaction de chaque loi. Malgré ce manque d’universalisme de la rédaction française, le législateur de 1992 n’a pas modifié la définition de la reproduction lors de la codification qui s’est faite à droit constant. Il n’a pas non plus saisi l’occasion de la transposition de la directive 2001/29/CE dont l’article 2 est pourtant beaucoup plus universel – bien que vague – pour adopter une définition plus conceptuelle et en cela plus proche de la définition américaine. Ces différences méthodologiques restent a priori sans conséquences pratiques.

142. La différence entre les définitions américaine d’une part, et française et européenne d’autre part, réside désormais dans le caractère durable de la reproduction. Les rapports des deux chambres du Congrès américain avaient en effet retenu que constitue une reproduction la fixation sous une forme tangible d’une œuvre qui doit être suffisamment permanente ou stable afin qu’elle puisse être perçue, reproduite, ou encore communiquée pour une période plus que transitoire. Le droit français n’a pas introduit de critère de durabilité dans sa définition. Cette différence est le fruit du fondement philosophique du copyright américain qui n’est justifié que par le fait qu’il améliore l’accès aux connaissances, alors que le droit français est d’inspiration jusnaturaliste et s’applique dès la création de l’œuvre sans considération de la facilité à la communiquer.

143. Le droit de reproduction permet donc d’introduire un état de rareté artificiel sur les œuvres à l’origine de l’imposition d’un prix. L’arrêt ProCD, Inc. v. Zeidenberg a ainsi rappelé que le copyright – mais le raisonnement s’applique également au droit d’auteur français – constitue un droit « contre le reste du monde ». Un droit imprégné d’une telle conception constituera une limite au droit de constituer des ancres et freinera l’accès des internautes aux œuvres.

144. Les intérêts du public – qui souhaite la meilleure accessibilité aux contenus sur l’Internet – et ceux des auteurs – cherchant à protéger l’état de rareté artificielle de leurs œuvres – entrent donc en conflit sans que la suppression de l’un des intérêts ne permette l’émergence d’une situation favorable pour tous. Les auteurs et le public se trouvent par conséquent dans une situation similaire au dilemme des prisonniers où leur intérêt commun est de trouver une situation d’équilibre mais où ils ne réussissent pas à communiquer.

145. Le principe de l’application du droit d’auteur à l’Internet et aux ancres permet de respecter les intérêts des auteurs (Section 1). À défaut, il ne fait pas de doute que l’éclatement des auteurs aurait tôt fait de faire pencher la balance en faveur des géants de l’Internet. L’application du droit d’auteur et du copyright pèse donc en faveur des auteurs, mais la balance se trouve rééquilibrée par la circonscription du champ d’application du droit d’auteur et du copyright aux ancres (Section 2).

Section 1 : Le principe de l’application du droit d’auteur à l’Internet et aux ancres

146. L’Internet a initialement été pensé comme un espace sur lequel les droits des États n’avaient pas vocation à s’appliquer . Il n’était donc pas évident que le droit d’auteur – dans la mesure où il permet de s’approprier des contenus mis en ligne – s’applique à l’Internet.

147. Cependant, cette vision anarchiste du réseau ne pouvait survivre à la mercantilisation ainsi qu’à l’arrivée massive des internautes qui nécessitent une protection. Les auteurs – et notamment les moins célèbres – se sont rapidement retrouvés confrontés à des géants de l’Internet face auxquels leur liberté de négociation est quasiment inexistante. Il s’est donc avéré nécessaire de protéger les auteurs par l’application du droit. On retrouve ici, comme le rappelait Lacordaire dans un contexte différent , l’idée selon laquelle « entre le fort et le faible […], c’est la liberté qui opprime et la loi qui affranchit ». Ainsi, afin d’assurer l’égalité entre la masse des auteurs et les géants de l’Internet, le copyright tout comme le droit d’auteur ont vocation à s’appliquer à l’Internet (Sous-Section 1). Dès lors, les deux systèmes seront opposables aux créateurs d’ancres des liens (Sous-Section 2).

Sous-Section 1 : L’universalité de l’application du droit d’auteur et du copyright à l’Internet et aux ancres

148. Le droit d’auteur ainsi que le copyright ont suivi de près les évolutions technologiques. Les droits français et américain ont ainsi toujours pu faire preuve d’adaptabilité face aux changements technologiques (Paragraphe 1), et c’est donc naturellement que le droit d’auteur et le copyright se sont appliqués à l’Internet (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L’adaptabilité du droit d’auteur et du copyright

149. Les droits français et américain sont généralement opposés à cause des méthodes qu’ils adoptent. En effet, le droit français est synthétique – ce qui lui permet aisément de saisir de nouvelles situations ainsi que les évolutions techniques malgré une rédaction prima facie restrictive – alors que le droit américain est analytique – et limite donc son application aux cas établis dans la loi. Cependant, cette dichotomie ne doit pas être exagérée dans la mesure où le copyright est compris de façon extensive. L’arrêt Burrow-Giles Lithographic Co. v. Sarony de 1884 a en effet retenu que le critère de « writing » de la première loi sur le copyright doit être compris de façon large. Dès lors, puisque la gravure a été ajoutée quelques temps après la première loi sur le copyright par des membres du Congrès dont certains avaient siégé à l’assemblée constituante, il y avait lieu de retenir que la ratio legis du copyright est universaliste car les Pères Fondateurs ne se seraient pas contredit quelques années après la rédaction de la Constitution. Il revient donc au Congrès d’étendre le champ d’application du copyright, mais les juges peuvent interpréter les dispositions de la loi pour étendre leur champ d’application à des œuvres qui n’auront pas été spécialement visées. Cela permettra d’étendre l’application du copyright aux ancres.

150. Le medium utilisé pour la reproduction est donc indifférent en droit américain – comme en droit français – tant qu’il y a une reproduction matérielle . Cette approche a ainsi permis d’intégrer facilement les photographies – qui n’existaient pas encore lors de la rédaction de la Constitution – ainsi que les autres innovations technologiques.

151. Le débat entre tradition et modernité, incarné par Hamilton et Jefferson , et qui a marqué les débuts de la jeune République américaine, a donc vu la victoire des partisans de la seconde option. En effet, malgré la volonté de certains Pères Fondateurs des États-Unis – dont Thomas Jefferson – de maintenir le pays dans un état agricole et de rester fidèle aux idéaux de la Déclaration d’Indépendance , la Constitution a résolument adopté la conception moderniste défendue par Alexander Hamilton. Ce débat a encore des répercussions aujourd’hui entre les néo-jeffersoniens qui s’opposent à tout monopole attribué par un État central – représentés notamment par J. Lessig et qui souhaitent un domaine public fort et par conséquent un champ d’application du droit d’auteur limité facilitant ainsi la créations d’hyperliens et notamment d’ancres – et les néo-hamiltoniens – qui prônent la création toujours plus nombreuse de droits de propriété intellectuelle afin d’assurer les intérêts économiques des auteurs. La France et l’Europe en général ont été moins confrontées à ce débat car le Vieux Continent était déjà au XVIIIe siècle au cœur d’une concurrence particulièrement rude qui obligeait les États à innover. Malgré l’absence du débat entre tradition et modernité en Europe des courants anti-droit d’auteur s’y sont développés. Ils affirment que l’abolition de la propriété intellectuelle favoriserait le dynamisme de nos sociétés . Les nouvelles technologies donnent donc un nouveau souffle au débat sur la libre circulation des idées intrinsèque à chaque démocratie. Eu égard à l’augmentation de la protection des droits des auteurs, aussi bien au niveau national qu’international, il apparaît que les tenants de l’application du droit d’auteur l’emportent et assurent l’extension de ce droit aux nouvelles technologies.

152. La méthode analytique américaine ne constitue donc pas l’antithèse de la tradition française car, dans les deux systèmes, les concepts ont vocation à s’appliquer aux nouvelles technologies. Il n’existe ainsi pas d’exemple où le droit d’auteur français a mieux abordé une révolution technologique que le copyright américain.

153. La distinction entre les deux méthodes relève principalement de différences de tradition avec d’un côté le modèle français s’inspirant du droit romain et de son esprit incisif , alors que le droit américain se situe plus dans le sillage de l’héritage du droit anglais où les lois sont traditionnellement exhaustives. Le droit d’auteur français et le copyright américain ont donc réussi à s’appliquer sans difficulté particulière à l’Internet grâce à leur commune adoption du principe d’équivalence fonctionnelle . Les droits de reproduction américain et français ont par conséquent vocation à s’appliquer sur l’Internet.

Paragraphe 2 : L’application du droit d’auteur et du copyright à l’Internet

154. L’application du droit d’auteur et du copyright à l’Internet a d’abord été reconnue par la jurisprudence (I) puis par les législateurs américain, européen et français (II).

I) La reconnaissance jurisprudentielle de l’application du droit d’auteur et du copyright à l’Internet

155. Le copyright américain, tout comme le droit d’auteur français, ont été pensés à une époque où personne n’imaginait l’avènement du numérique ni de l’Internet. Il existe donc traditionnellement une identité entre l’œuvre immatérielle et son support matériel. Les juges ont par conséquent dû se demander s’ils ont vocation à s’appliquer lorsque les reproductions sont immatérielles.

156. Les jurisprudences américaine et française ont été saisies de la question de l’application du droit d’auteur à l’Internet dès le développement de l’Internet commercial – qui a donc mis un terme au paradigme anarchiste et libertaire de l’Internet – au milieu des années 1990. Aux États-Unis, l’arrêt Religious Technology Center v. Netcom a été le premier à retenir que le droit de copyright s’applique à la reproduction d’une œuvre sur Internet. L’arrêt a analysé les caractéristiques d’une copie sur une mémoire RAM et a déterminé qu’elle présente les caractères de permanence du Copyright Act. L’année suivante la première décision française statuant sur l’applicabilité du droit d’auteur à l’Internet a été rendue en référé – juge de l’évidence – par le Tribunal de Grande Instance de Paris le 14 août 1996 . Il est donc paru évident au juge français que le droit d’auteur s’applique à Internet bien que la reproduction ne soit pas matérielle. Les juges français et américain n’ont ainsi eu aucune difficulté à reconnaître que le droit d’auteur et le copyright s’appliquent à la numérisation d’une œuvre sur Internet.

157. La réponse n’allait cependant pas de soit. En effet, une fois numérisée, l’œuvre n’est composée que d’une série binaire de 1 et de 0. Elle n’est donc pas lisible pour la majorité des utilisateurs de terminaux numériques. La distinction entre le code source – lisible par des êtres humains – et le code objet – composé de 1 et de 0 – est donc indifférente pour les juges qui considèrent que l’œuvre est reproduite dès lors qu’elle est retranscrite. La différence de format de l’œuvre est par conséquent sans importance en droit national comme en droit international, bien que l’article 10 du traité ADPIC n’ait reconnu explicitement le principe que pour les programmes d’ordinateurs.

158. Cette solution s’inscrit néanmoins dans le sillage de celles accordant une protection aux cartons perforés des orgues de barbarie . Le mécanisme utilisé – reposant sur une double possibilité entre un trou et un espace rempli – constitue la version analogique des codes binaires actuels. La reproduction est donc comprise indépendamment de la compréhension possible par un public afin d’assurer la meilleure protection possible aux auteurs. La jurisprudence a donc effectué à la fin du XXe siècle un travail similaire à celui produit par les juges au cours du XIXe siècle lorsque les nouveaux modes d’expression artistique tels que la photographie ou le cinéma sont apparus. Les juges ont donc initié un mouvement de séparation des œuvres immatérielles d’un support matériel. La définition de l’article L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle français est dès lors caduque étant donné qu’elle se limite à la fixation matérielle de l’œuvre. Il y a dès lors lieu de modifier la rédaction de cet article afin de lui conférer une dimension plus universaliste. Nous proposons dès lors une nouvelle rédaction pour cet article tel que suit (les propositions de modifications sont en italique et en gras) :

L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle

La reproduction consiste dans la fixation de l’œuvre par tous procédés connus ou développés à l’avenir permettant de la communiquer au public.
Elle peut s’effectuer sur un support matériel ou immatériel.
Pour les œuvres d’architecture, la reproduction consiste également dans l’exécution répétée d’un plan ou d’un projet type.

159. Cette application du droit d’auteur et du copyright par la jurisprudence a anticipé les réponses législatives.

II) La reconnaissance législative de l’application du droit d’auteur et du copyright à l’Internet

160. Le législateur se montre généralement en retard sur les évolutions technologiques – notamment à cause de la lenteur des procédés d’élaboration de la loi – mais il a fini par se saisir de la question de l’application du copyright et du droit d’auteur à l’Internet.

161. Le Congrès américain a été le premier à se saisir de la question avec le Digital Millenium Copyright Act (DMCA) dans le cadre d’une réforme visant à adapter la législation américaine aux nouveaux défis de l’Internet . Le législateur américain avait adopté une approche libertaire, dont le législateur européen s’est inspiré dans la directive e-commerce . En France, les lois HADOPI I et II ainsi que la loi DADVSI sont venues renforcer l’arsenal juridique français en matière de lutte contre la contrefaçon sur Internet. La France s’oppose donc aux États-Unis et à l’Union Européenne dans la mesure où elle légifère en faveur des auteurs plus que dans les intérêts des prestataires de services sur Internet. Il y a lieu de s’interroger sur la pertinence de ces deux approches.

162. De prime abord, il peut sembler que la diminution de la protection des auteurs aura pour conséquence de diminuer leurs revenus et donc la possibilité de créer. Le droit de la propriété littéraire et artistique que la France cherche à renforcer ne constitue cependant qu’un levier parmi d’autres de la créativité. En effet, sans moyen de financements efficaces, le droit d’auteur et le copyright ne permettent pas aux auteurs de continuer à créer. C’est donc sans surprise que l’industrie du cinéma prospère en France grâce au système de financement original qui a été introduit . En matière d’arts plastiques, les niches fiscales incitent les investisseurs à acheter des œuvres. Ce mécanisme aide au dynamisme de ce secteur . En Allemagne, le théâtre est largement subventionné par les villes, les Land ainsi que l’État fédéral – assurant ainsi une division des financements publics et donc une diminution du contrôle de l’administration sur les créations – ce qui permet à ce secteur de connaître un fort dynamisme. Aux États-Unis la culture ne bénéficie pas d’un budget fédéral et étatique très élevé . Ce sont donc des agents privés qui assurent le dynamisme de la culture américaine et permettent à sa culture de rayonner dans le monde. Les modalités de financements varient sans que cela n’ait a priori de conséquence sur le nombre d’œuvres produit . L’extension du droit d’auteur n’est donc pas l’unique solution pour assurer le dynamisme de la création.

163. Le paradigme du financement privé américain avec peu de recours à des agences étatique sied sans doute mieux à l’Internet que l’approche européenne. Il n’est cependant pas évident que l’application stricte du droit d’auteur à l’Internet permette, dans tous les cas, d’inciter à la création. Il y aurait ainsi un seuil au-delà duquel tout ajout de protection n’aura aucun effet sur l’incitation à la création . Le droit d’auteur et le copyright se sont donc étendus à l’Internet sans qu’il n’y ait de réflexion sur l’incitation à la création sur ce nouveau medium qui nécessite sans doute de trouver de nouveaux financements .

164. Il y a donc eu une montée en puissance de la prise en compte de la nécessité d’appliquer le droit d’auteur à l’Internet par les autorités les plus proches des évolutions sociales – c’est-à-dire les juges – et qui a été relayée de façons différentes par les législateurs. Dès lors que le droit d’auteur et le copyright s’appliquent à l’Internet, il s’avère nécessaire de déterminer dans quelle mesure ils s’appliquent aux hyperliens et à leur interface visible que sont les ancres.

Sous-Section 2 : L’application du droit d’auteur et du copyright aux ancres

165. Les hyperliens ont une interface visible appelée ancre. C’est sur cette interface que l’internaute clique afin de se rendre sur la page cible. La qualité et l’intelligibilité d’une ancre sont des éléments cruciaux car ils déterminent la liaison entre les deux pages. En effet, une ancre ne permettant pas de comprendre rapidement vers quel contenu le lien mène ne recevra que peu d’attention des internautes. Il sera donc souvent tentant pour le créateur de lien de reproduire une partie de l’œuvre liée ou une réduction afin de créer une ancre.

166. Si les hyperliens ont tout d’abord été conçus uniquement pour le monde numérique (Paragraphe 1), les ancres matérielles se développent (Paragraphe 2) et permettent de créer une liaison directe entre le monde matériel et l’Internet.

Paragraphe 1 : Les ancres numériques

167. Les ancres numériques sont les ancres accessibles depuis l’Internet présentées sous la forme de texte ou d’images . Elles n’ont donc aucune matérialité.

168. Le principe de l’application du droit d’auteur et du copyright à l’Internet a néanmoins pour conséquence que les deux droits s’appliquent à toutes les formes originales qui s’y trouvent. Ainsi, le droit d’auteur et le copyright s’appliquent aux ancres présentant une forme originale. Les jurisprudences française et américaine n’ont donc eu aucune difficulté à reconnaître qu’une ancre peut violer les dispositions du droit d’auteur et du copyright . Le conflit entre les intérêts du public et ceux des auteurs semble donc remporté par les seconds étant donné que les internautes seront limités dans la création d’ancres par le droit d’auteur et le copyright lorsqu’ils développeront l’Internet.

169. Ainsi, conformément aux principes généraux du droit d’auteur et du copyright, les internautes devront soit solliciter l’autorisation de reproduire l’œuvre – moyennant généralement le paiement d’un prix – soit s’abstenir de reproduire l’œuvre – ce qui risque de compromettre la qualité du référencement. Or, le processus menant à l’octroi d’une licence est relativement long et coûteux, ce qui ralentit l’établissement des liens et le développement de l’Internet. Les internautes sont donc confrontés au dilemme entre une construction lente et coûteuse mais précise de l’Internet, et une construction rapide et gratuite mais présentant un référencement peu clair. Il s’avère donc nécessaire d’introduire une exception en faveur des créateurs de liens manuels, limité aux internautes agissant à but non lucratif conformément à l’arrêt GS Media BV c. Sanoma de la CJUE, afin d’assurer le développement de l’Internet. Néanmoins, il ne devrait s’agir que d’une facilité de référencement et non pas d’une reproduction se substituant à l’œuvre. La reproduction ne devrait donc pas être intégrale ni à la taille originale, mais sous forme de citation ou de vignette. Le droit américain n’aura pas besoin d’une telle exception grâce à la section 107 du Copyright Act relative au fair use qui permet aux internautes de reproduire une œuvre dès lors que la reproduction est équitable .

170. Les monopoles institués par le droit d’auteur et le copyright n’assurent donc pas un référencement efficace des œuvres. L’application par principe de ces droits aux liens pose donc un sérieux problème à la qualité du référencement sur l’Internet qui ne pourra être résolu – au moins partiellement – que par les exceptions. Les exceptions au droit d’auteur permettent en effet d’assurer un équilibre entre les libertés fondamentales et assurent ainsi leur cohabitation. Les internautes rencontreront cependant moins de difficultés lorsqu’ils créeront des ancres dans le monde analogique.

Paragraphe 2 : Les ancres matérielles

171. Les ancres matérielles sont des ancres placées non pas sur le réseau Internet mais dans le monde réel. Elles établissent une connexion directe entre le monde qui nous entoure et l’Internet et troublent la frontière entre ces deux espaces.

172. Les ancres matérielles peuvent notamment être constituées par un QR code (I). Les objets matériels peuvent également servir d’ancres. Le procédé de scan d’une chose avec une présentation d’une page constitue un mécanisme d’hyperlien bien que l’ancre soit matérielle (II).

I) Les ancres codifiées

173. En 1994 la société japonaise Denso-Wave a inventé le QR code pour assurer le suivi des pièces détachées au sein de son entreprise. Depuis, avec le développement des smartphones et des Google glasses, les QR codes ont envahi notre quotidien. En scannant le code, les utilisateurs de ces appareils sont envoyés vers la page Internet choisi par le créateur du QR Code. Les QR codes fonctionnent donc comme des ancres d’hyperliens.

174. Il s’agit donc de savoir si un QR code peut être protégé par le droit d’auteur et le copyright. Les droits français et américain convergent sur le principe de la protection des œuvres originales. Les deux droits ne concèdent de protection qu’à des personnes humaines et non pas à des animaux ni à des machines . Or, étant constituée d’un code-barres élaboré de façon purement technique par une machine – et n’étant donc pas originale – le QR code n’est pas protégé. Il est donc loisible à des tiers de le reproduire et par conséquent de créer librement des ancres.

175. Ce nouveau procédé peut permettre d’assurer la légalité de la reproduction des ancres car les éléments techniques sans originalité ne sont pas protégés. Il y a donc lieu de considérer que le développement du Web 3.0, qui sera celui des objets connectés , ne sera pas entravé par le droit d’auteur ni le copyright tant que les internautes auront recours à des QR codes ou d’autres systèmes créés par des algorithmes. La solution risque d’être moins souple lorsque des choses du monde matériel seront scannées.

II) Les ancres du monde matériel

176. Outre les QR codes, qui ne posent pas de problème du point de vue du droit d’auteur , les internautes peuvent utiliser directement des œuvres protégées comme ancre. À cette fin, les internautes auront recours à la reconnaissance visuelle via leurs smartphones ou de leurs Google glass qui fonctionnent selon deux méthodes différentes. Les choses peuvent être scannées (A) ou photographiées (B).
A) Les ancres par scan

177. La première méthode consiste à relier la chose scannée aux œuvres présentes dans une base de données. Le terminal utilisé effectue donc une copie de la chose scannée qu’il relie à une base de données. La reproduction effectuée est transitoire. Elle est par conséquent autorisée en droit européen et américain . Ainsi, les utilisateurs de ce système n’engageront pas leur responsabilité pour la visualisation de reproductions.

178. Il n’est cependant pas évident que la convergence perdure. En effet, l’imprécision de la notion de recel de contrefaçon en droit français pourrait permettre à un juge de retenir que l’internaute bénéficie d’un recel de l’œuvre lorsqu’il regarde une copie illicite en streaming. La notion de recel au sens de l’article L. 321-1 alinéa 2 du Code pénal n’est pas clair et la question de savoir si le bénéfice doit être matériel ou s’il peut être moral n’est pas tranchée. S’il peut ne s’avérer que moral, comme la contemplation de l’œuvre, le délit de recel sera constitué vis-à-vis de l’internaute qui regarde une œuvre en streaming. S’il est probable que le juge se tienne à une définition restrictive conformément au principe d’interprétation stricte du droit pénal , il pourrait également effectuer une lecture protectrice des auteurs et engager la responsabilité des internautes visualisant des œuvres dès lors qu’il est évident que le site consulté où l’œuvre scanné est une contrefaçon. Cela permettrait de maintenir l’état de rareté artificiel des œuvres tout en luttant contre la demande des internautes qui nourrit le marché de la contrefaçon.

179. La situation est en revanche plus claire aux États-Unis où l’arrêt Aereo – rendu par la Cour d’appel fédérale du Second Circuit qui est compétente notamment pour l’État de New York – a retenu que les copies transitoires dans la mémoire tampon ne constituent pas des reproductions au sens de la section 101 du Copyright Act et échappent par conséquent au monopole de l’auteur. Les personnes visualisant une œuvre en streaming ne violent donc pas le monopole de l’auteur. La reproduction d’œuvres dans la mémoire tampon est par conséquent licite pour les utilisateurs. Le droit américain ne permet donc pas d’engager la responsabilité des internautes prenant simplement connaissance d’informations concernant un objet et pourrait donc converger vers le droit français. Les deux solutions, si d’aventure elles devaient s’avérer convergentes, renforceraient l’accès du public aux informations et plus globalement à la culture.

180. Le créateur de la base de données engagera en revanche sa responsabilité pour la reproduction des œuvres car il ne pourra pas se réfugier derrières les exceptions de reproduction transitoire. Il pourra en outre engager sa responsabilité pour la représentation de l’œuvre au public en France comme aux États-Unis. En effet, le créateur de la base de données communique l’œuvre au public car il la transmet au public au sens de l’arrêt Svensson de la CJUE et de l’arrêt américain Perfect 10 rendu par la Cour d’appel fédérale pour le Neuvième Circuit – qui est notamment compétente pour la Californie. La communication d’une œuvre par un canal technologique non exploité par l’auteur lui-même constitue traditionnellement une communication au public . Il sera en revanche plus difficile de retenir que le public scannant l’œuvre est nouveau étant donné que le fait de scanner l’œuvre constitue une utilisation nouvelle de l’œuvre par un public y ayant déjà accès. Il sera par conséquent nécessaire d’obtenir une autorisation de représentation pour les créateurs des bases de données.

181. Les deux droits vont donc converger sur le principe de l’interdiction de la reproduction de contrefaçons par les producteurs de bases de données. Il ne sera cependant pas plus sécurisant de recourir à la technique des ancres par photographies pour les producteurs de bases de données.

B) Les ancres par photographies

182. En revanche, certains appareils effectuent des photographies des choses qu’ils scannent. Les photographies sont reliées à une base de données afin de reconnaître la chose photographiée.

183. Ces photographies ne violent pas le monopole de l’auteur dans la mesure où elles pourront souvent bénéficier de l’exception de copie privée en France et de l’exception de fair use aux États-Unis. L’exception de fair use est d’application souple mais pas toujours prévisible . Le test se divise en quatre étapes requérant du juge qu’il analyse (1) le but et le caractère de l’usage, et notamment la nature commerciale ou non de celui-ci ou sa destination à des fins éducatives et non lucratives, (2) la nature de l’œuvre protégée, (3) le volume et l’importance de la partie utilisée par rapport à l’ensemble de l’œuvre protégée, (4) l’incidence de l’usage sur le marché potentiel de l’œuvre protégée ou sur sa valeur . Les premier et quatrième critères sont les plus importants dans un test de fair use. Il s’agit d’un test dont les critères ne sont pas exhaustifs et qui doit être compris de façon casuistique .

184. En cas de scan d’une œuvre, la reproduction de l’œuvre sera transformative – c’est-à-dire qu’elle modifiera l’utilité de l’œuvre – dès lors qu’elle aura un usage nouveau et qu’elle n’aura pas de conséquence sur le marché de son propriétaire. Le premier critère sera ainsi rempli. Le critère de la nature de l’œuvre pourra peser légèrement contre l’opposabilité du test de fair use tout comme la question de la quantité de l’œuvre reproduite si elle est copiée intégralement. Enfin, l’impacte sur le marché sera souvent minime et penchera pour l’application de l’exception de fair use. Les deux critères principaux étant les premier et quatrième , le safe harbor de fair use sera donc généralement constitué et permettra aux utilisateurs de ne pas engager leur responsabilité pour contrefaçon.

185. Le test de fair use a en effet connu un changement de paradigme sous l’influence de la jurisprudence de la côte Ouest. Il est ainsi passé d’une exception assurant la création d’une « œuvre transformative » à un safe harbor permettant les « utilisations transformatives ». En effet, le Neuvième Circuit – qui est compétent notamment pour l’État de la Californie – a retenu dans l’arrêt Perfect 10 que le test de fair use autorise la reproduction d’une œuvre dès lors que cela permet à un prestataire de service de développer ses activités. L’arrêt a procédé à un passage en force en retenant que la différence d’objectif de l’utilisation de l’œuvre constitue une transformation de celle-ci. La jurisprudence du Second Circuit – compétente notamment pour l’État de New-York – n’est en revanche jamais allée dans ce sens. Il s’agit d’une modification profonde de la philosophie du test de fair use qui était initialement destiné à promouvoir le progrès des arts ainsi que la création de nouvelles expressions bénéficiant au public . L’équilibre devait initialement être trouvé entre les intérêts du public et des auteurs . Le fair use sert désormais au développement d’activités économiques. L’application du copyright américain se trouve ainsi écartée dès lors qu’elle bloque le développement économique. Cette prise en compte des intérêts économiques est impossible en droit français à cause des dispositions strictes de l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, mais également de l’incapacité des juges français à comprendre les enjeux économiques, ce qui est plus aisé pour les juges américains étant donné que nombre d’entre eux a fait des études en économie. L’approche américaine se justifie eu égard aux intérêts économiques de la côte Ouest des États-Unis où l’industrie numérique est très présente et prospère. Le développement des ancres analogiques, c’est-à-dire du Web 3.0, ne sera donc pas limité par le droit d’auteur ni le copyright.

186. Les utilisateurs pourront en outre bénéficier de l’exception de copie transitoire des droits européen et américain . En effet, les copies se trouvent supprimées lors du prochain scan par une autre copie. En outre, les copies constituent une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique en assurant la communication des contenus à l’utilisateur à partir de la page d’un tiers sans modification de l’œuvre. Enfin, elles n’ont pas de signification économique indépendante.

187. Les producteurs de bases de données vers lesquelles seront envoyés les scan des photographies devraient être soumis au même régime que lorsque les utilisateurs scannent les œuvres . Les deux types de technologies fonctionnent d’une façon similaire pour les producteurs de bases de données.

188. Il n’est cependant pas évident que cela empêche les internautes de scanner des contrefaçons car le scan reconnaîtra des formes qui seront souvent très similaires voire identiques entre l’œuvre originale et une contrefaçon. L’accès à la contrefaçon sera ainsi maintenu, ce qui réduira l’effectivité du monopole des auteurs. Les auteurs auront donc la lourde charge de lutter contre les contrefaçons sur les bases de données tout en sachant que cela sera parfois sans conséquence. Il apparaît dès lors opportun d’introduire une redevance pour copie privée sur les systèmes de type Google glasses qui permettrait de participer au financement de la création et de compenser les pertes économiques des auteurs.

189. Outre ces limites pratiques pour les auteurs, les droits français, européen et américain ont introduit des limites internes aux monopoles des auteurs qui auront vocation à s’appliquer à toutes les ancres.

Section 2 : La circonscription du champ d’application du droit d’auteur et du copyright aux ancres

190. Le droit d’auteur et le copyright permettent aux auteurs de vivre de leurs créations et les incitent à continuer à créer. Cependant, si le monopole des auteurs n’était pas encadré, il limiterait le fond culturel commun et poserait un obstacle à la créativité. Un monopole sans limite aurait donc pour conséquence de ne pas assurer une circulation optimale des idées et des œuvres, limitant ainsi l’accès à la culture et in fine la création par une limitation trop forte de l’accès aux œuvres. L’introduction d’exception au monopole des auteurs s’est donc imposée afin d’assurer un droit optimal à la culture.

191. Ainsi, les législateurs français et américain ont circonscrit le champ d’application du droit d’auteur et du copyright afin d’équilibrer la balance en faveur des tiers (Sous-Section 1). Ces exceptions traditionnelles trouvent toujours une résonance aujourd’hui sur l’Internet étant donné qu’elles ont vocation à s’appliquer. En outre, face aux nécessités imposées par les évolutions technologiques récentes, les deux systèmes ont évolué afin de prendre en considération les nouvelles problématiques introduites par les murs d’images (Sous-Section 2). Cette évolution assure une meilleure adaptation aux défis posés par l’Internet.

Sous-Section 1 : La circonscription traditionnelle du droit d’auteur et du copyright

192. Les champs d’application du droit d’auteur et du copyright sont tout d’abord circonscrits par des limites externes (Paragraphe 1), c’est-à-dire par la circonscription du champ d’application du droit d’auteur et du copyright. En outre, afin d’assurer l’accès aux œuvres protégées les deux systèmes ont introduit des limites internes (Paragraphe 2) permettant d’écarter l’application du droit d’auteur dans une hypothèse où, à défaut, il aurait eu vocation à s’appliquer.

Paragraphe 1 : Les limites externes du monopole

193. Les droits de propriété intellectuelle dont le droit d’auteur ont des limites externes – c’est-à-dire des limites au périmètre du champ d’application – permettant aux tiers d’utiliser des idées afin d’encourager la créativité. Néanmoins, malgré les limites posées à la propriété intellectuelle, des tentatives d’appropriation de l’Internet ont vu le jour par le droit d’auteur ainsi que par le droit des brevets .

194. La société British Telecom a ainsi tenté de s’approprier les hyperliens par des actions fondées sur le dépôt d’un brevet dont le fonctionnement était similaire aux liens. Cependant, cette tentative d’appropriation des liens a été rejetée dans l’arrêt British Telecommunications PLC v. Prodigy Communications Corporation rendu par le tribunal du District Sud de New-York. Cette décision libertaire a fait obstacle à toute appropriation des liens par le droit des brevets. Les juges français ne se sont pas prononcés sur cette question. Néanmoins, étant donné que la durée de protection des brevets est limitée à 20 ans et que les liens ont été inventés au début des années 1990 la question n’est plus d’actualité car, soit le délai de protection a expiré, soit l’enregistrement est postérieur et alors il n’est pas valide à cause de l’absence de nouveauté. Les liens sont donc à l’abri de toute appropriation de leur technique.

195. Le droit d’auteur et le copyright peuvent en revanche avoir vocation à s’appliquer. Cependant, leur application sera limitée dans la mesure où ils ne protègent que les formes d’expressions et non pas les idées elles-mêmes. Or, le lien est constitué d’une suite d’éléments ne bénéficiant a priori d’aucune protection par le droit d’auteur (I). Cependant, certains éléments peuvent constituer des reproductions d’œuvres protégées (II).

I) L’absence de protection des éléments techniques du lien

196. Le lien est constitué par des informations sur la localisation d’une page sur le Web. Un lien hypertexte fonctionne par référence à des emplacements de pages, c’est-à-dire des informations se trouvant sur l’Internet. L’ordonnancement des informations suit un modèle précis de type : <ahref= « pagecible.com »>Ancre de lien. Il s’agit donc d’un ensemble technique d’informations. Un hyperlien est par conséquent constitué d’une structure fixe dans laquelle sont insérés des éléments dépendants du type de lien et de la page vers laquelle l’internaute veut mener. Il est ainsi possible d’effectuer une analogie avec la jurisprudence relative aux formulaires car les deux sont constitués par des structures non modifiables au sein desquelles sont insérés des éléments contingents.

197. En la matière, les juges français et américains appliquent les critères traditionnels d’originalité afin de déterminer l’existence d’un droit. Étant donné que la structure du lien est dictée par des impératifs techniques ne pouvant être modifiés, et qu’elle ne s’avère pas originale, le copyright ainsi que le droit d’auteur n’assureront aucune protection aux hyperliens considérés dans leur dimension technique. Les droits français et américain convergent donc sur la solution à adopter et s’abstiennent de protéger les éléments techniques des liens.

198. En effet, comme l’a notamment souligné Gottlieb Fitche , et malgré un courant doctrinal visant à créer un droit de propriété sur l’information , l’information ne bénéficie pas de la protection du droit d’auteur et ce, dans tous les systèmes juridiques . La particularité du droit américain est qu’il est le seul , avec le droit colombien , à reconnaître expressément ce principe. Le Compendium of U.S. Copyright Office Practices de 2019 vient expressément préciser ce principe . Cette limitation de l’appropriation permet d’assurer l’effectivité du droit du public à l’information , à l’éducation et de la liberté de création . Les idées et les informations sont ainsi de libre parcours , comme le retiennent traditionnellement les droits français et américain . Cette absence de protection des informations recouvre ce que la doctrine appelle la dichotomie entre idée et expression . Ce principe est fondé sur l’idée que « la pensée elle-même échappe à toute appropriation, elle reste dans le domaine inviolable des idées, dont le privilège est d’être éternellement libres ». Cela permet de constituer un fonds commun utilisable par les auteurs « récursivement nécessaire à la production de son propre producteur anthropo-social ».

199. Les internautes peuvent ainsi créer des liens sans engager leur responsabilité car le format imposé des liens n’est pas le fruit de la personnalité d’un auteur ni une forme originale. Les liens ne bénéficient donc pas de la protection du droit d’auteur ni du copyright.

200. La liberté d’établir des liens se trouve ainsi renforcée par le respect du domaine traditionnel d’application du droit d’auteur et du copyright. Néanmoins, les liens contiennent des informations contingentes pouvant constituer des œuvres originales. Ces éléments pourront ainsi faire l’objet d’une protection par le droit d’auteur et le copyright.

II) La protection d’éléments particuliers du lien

201. Les ancres peuvent être créées selon deux techniques. La première consiste à utiliser un format standard (A) – c’est-à-dire les ancres utilisant l’adresse URL complète de la page liée – alors que la seconde permet de réduire les ancres (B) – en ayant recours à un mécanisme de réduction des adresses URL.

A) Les ancres standards

202. Certains éléments des liens ne sont pas imposés par la technique . Il en va ainsi des éléments en gras suivants : ancre de lien. La protection des éléments contingents des liens pourra être attribuée selon un raisonnement similaire à celui adopté pour les éléments originaux d’une base de données.

203. En effet, la structure d’une base de données non originale ne fait pas obstacle à l’application du droit d’auteur et du copyright aux éléments originaux qui composent la base aussi bien en droit français qu’en droit américain . Les deux droits se retrouvent donc sur le raisonnement à adopter. La capacité du droit d’auteur et du copyright à distinguer entre les différents éléments auxquels ils s’appliquent risque donc de limiter la liberté de créer des liens.

204. Les créateurs de liens peuvent notamment reproduire l’adresse URL du site lié dans le corps du lien. Or, l’adresse URL reproduite peut être originale, ce qui implique l’application du droit d’auteur français ainsi que du copyright américain. Les textes courts sont cependant relativement pauvres en originalité. Face à ce constat les droits français et américain ont divergé quant à la réponse à apporter.

205. En effet, l’article L. 112-4 du Code de la propriété intellectuelle français énonce que les titres sont susceptibles de jouir de la protection du droit d’auteur. L’arrêt Infopaq a rappelé ce principe en retenant que les parties d’œuvres originales bénéficient de la protection du droit d’auteur. Le droit d’auteur a donc vocation à s’appliquer aux éléments originaux des liens et la reproduction de mots notamment constitue un monopole de l’auteur . Les juges contrôlent notamment si le titre fait partie du langage courant ou s’il a déjà été donné à une autre œuvre au jour de la création du titre afin de déterminer l’existence de l’empreinte de la personnalité de l’auteur. Le caractère frappant d’un titre constitue un bon indice de son originalité et par conséquent de sa protection . La traduction du titre, si elle est originale, peut également bénéficier de la protection du droit d’auteur . Il en va de même pour les slogans qui peuvent aussi être reproduits dans une adresse URL. La solution européenne pourrait converger vers celle en vigueur aux États-Unis si la proposition d’amendement de la Commission de la culture et de l’éducation est retenue. Elle a en effet proposé que le « texte fixant l’hyperlien » ne soit pas couvert par le droit d’auteur. Cela participerait de la liberté de créer des liens. Une telle exception pourrait par ailleurs passer le test des trois étapes car il ne semble pas évident qu’elle aurait un impact sur l’exploitation normale de l’œuvre.

206. La reproduction des œuvres protégées pourra donc être interdite en l’absence d’une autorisation expresse de l’auteur. La solution traditionnelle a vocation à s’étendre aux ancres des hyperliens. En effet, le forum des droits sur l’Internet , dont les propositions n’ont que valeur doctrinale, avait retenu que les créateurs de liens voulant utiliser une œuvre protégée afin de créer une ancre doivent demander l’autorisation au titulaire des droits sur l’œuvre utilisée . Il y a donc une convergence de la doctrine française et des jurisprudences européenne et française pour reconnaître l’application du droit d’auteur aux textes courts. Il existe sur ce point une divergence entre la position française et la tradition des pays de copyright.

207. En effet, certains pays de copyright n’assurent pas une protection aussi étendue que le droit d’auteur européen et français en matière de textes courts. Ainsi, dans le premier arrêt relatif à l’application du droit d’auteur aux hyperliens , les juges ont retenu qu’un titre ne bénéficie pas de la protection du copyright s’il est inférieur à 8 mots . La solution n’est plus valide depuis l’arrêt Infopaq de 2009, mais il s’avère utile pour souligner la divergence entre le système continental et celui de Common Law. Le droit étasunien appartient au second groupe et la jurisprudence américaine a adopté une solution similaire en n’appliquant pas le copyright aux titres à cause de leur manque d’originalité . La position de la jurisprudence est partagée par le Copyright Office qui a retenu que ne bénéficient pas de la protection du copyright les « words and short phrases, such as names, titles and slogans ». Les avis du Copyright Office ne sont cependant pas obligatoires et les juges seront à l’avenir autorisés à s’en écarter. Les titres et les mots sont ainsi considérés comme des expressions communes de la langue anglaise qui se trouvent faire partie du domaine public et ne peuvent donc pas faire l’objet d’un droit privatif. Le principe de minimis écarte donc la protection des titres. A contrario, si un titre est suffisamment long, il pourra être protégé par le copyright. Tel est le cas notamment des phrases courtes . Cette situation sera néanmoins rare en pratique en matière de liens.

208. Le domaine public permet donc d’assurer un fond culturel permettant aux auteurs de créer. Lorsqu’il est limité aux titres, le domaine public permet avant tout d’accéder facilement aux œuvres car les titres pourront être librement reproduits et communiqués. La solution américaine permet donc de renforcer la liberté de lier, ce que le droit français ne permettra pas étant donné que la solution de l’arrêt Microfor – qui introduisait une exception de référencement – a été écartée . Les droits français et américain ont par conséquent emprunté des voies profondément divergentes. Cette divergence n’est pas étonnante dans la mesure où les États-Unis se sont construits depuis leur Révolution autour des principes de liberté d’expression et de libre circulation des idées, alors que la France s’est plus construite depuis le XIXe siècle autour de l’image adulée des auteurs auxquels il est de bon ton d’assurer la plus large reconnaissance légale possible.

209. La solution américaine nous paraît a priori erronée bien qu’elle soit cohérente au sein du système juridique américain. En effet, il ne peut être soutenu que certains titres, tel que Moby-Dick ou le Horla , ne sont pas originaux. La prise de position du Copyright Office est donc idéologique et présente l’inconvénient de ne pas prendre en compte la réalité de la création artistique. Il nous semble dès lors que la solution américaine manque de subtilité et écarte indûment de la protection certaines créations de l’esprit. Cette absence d’application du copyright est cependant cohérente dans le système juridique américain. En effet, la protection des seuls titres n’assurerait pas une plus grande incitation à la création. En revanche, l’absence de protection permet de les référencer, ce qui les rend plus accessibles au public. La solution étasunienne s’avère peut-être, paradoxalement, économiquement plus pertinente pour les auteurs.

210. En outre, la solution américaine assure une plus grande sécurité juridique que le droit français. En effet, il peut s’avérer particulièrement complexe de déterminer si un titre est le fruit de la personnalité de son auteur et de ce fait protégeable par le droit d’auteur . La jurisprudence française sera par conséquent dans une certaine mesure imprévisible alors que la solution américaine présente l’avantage de la clarté et de la prévisibilité.

211. Les créateurs de liens devront par conséquent solliciter l’autorisation de l’auteur en droit français afin de reproduire son œuvre originale, alors que la reproduction sera beaucoup plus libre en droit américain car l’adresse URL étant composé de quelques mots elle n’est pas protégeable . La création de liens est par conséquent plus facile aux États-Unis qu’en France. La divergence sera effacée en cas de recours à des ancres réduites.

B) Les ancres réduites

212. Les adresses peuvent en effet être réduites par une méthode de réécriture URL qui les recompose sous la forme d’un code technique ne présentant aucune empreinte de la personnalité de l’auteur ni originalité. Une ancre réduite contiendra une adresse URL modifiée et plus courte. Ainsi, l’adresse URL < http://www.nytimes.com/2015/09/15/business/media/youtube-dancing-baby-copyright-ruling-sets-fair-use-guideline.html> pourra être réduite dans le format suivant : < http://tinyurl.com/ndsd5xv>.

213. L’adresse ainsi réduite pourra être insérée dans un lien sans avoir reproduit l’œuvre originale. Cette solution technique paraît de prime abord favorable à la liberté de lier en ce qu’elle évite au créateur d’ancre de reproduire une œuvre protégée. Le recours à cette technique permet de réduire la taille du lien. Toutefois, lorsque l’utilisateur clique dessus, il sera redirigé vers l’adresse URL concernée.

214. Un acte de contrefaçon pourra cependant être commis par le site à l’origine de la réduction de l’adresse URL. En effet, lorsque l’internaute cliquera sur le lien, il sera renvoyé vers la base de données du site à l’origine de la réduction de l’adresse URL qui établira la relation entre l’adresse réduite et l’adresse d’origine qu’il aura enregistrée. Or, la reproduction de l’adresse URL originale sans l’autorisation de l’auteur constitue une contrefaçon si elle a été effectuée sans autorisation . Étant donné que la création d’un lien vers une contrefaçon est en principe illicite – bien que l’arrêt GS Media c. Sanoma ait introduit une présomption d’absence de responsabilité lorsque le lien est constitué sans but lucratif – les internautes français ne pourront pas créer des liens à partir d’adresses URL réduites issues d’adresses protégées. La situation s’avère d’autant plus critiquable que la reproduction de l’œuvre ne constitue pas une commodité mais un impératif pour les créateurs de liens. Le risque de cette situation est de voir les sites souhaitant filtrer l’établissement de liens – et donc introduire de facto une autorisation préalable de lier – établir des adresses URL originales afin d’obliger les créateurs de liens à solliciter leur autorisation. La liberté de lier ainsi que la liberté d’expression seraient ici indûment réduites car ces comportements ne viseraient pas à assurer un meilleur revenu pour l’auteur mais à contrôler les liaisons entre des idées sur l’Internet. Il est par conséquent nécessaire d’introduire une exception au droit de reproduction en faveur des créateurs d’ancres.

215. Le droit d’auteur et le copyright connaissent donc des limites externes différentes ayant pour effet de circonscrire leurs champs d’application. Les contours soulignent les différences de conception de la création et des auteurs dans les deux systèmes. Les limites internes du droit d’auteur et du copyright constituent également des sources de division entre les deux systèmes et soulignent les différences d’approches des deux droits.

Paragraphe 2 : Les limites internes au droit d’auteur et au copyright

216. Les exceptions au droit d’auteur et au copyright constituent les limites internes des deux systèmes. Elles marquent non pas les limites instituées du droit d’auteur et du copyright, mais la prise en compte d’un équilibre entre les droits des auteurs et les intérêts du public.

217. Les droits européen et américain ont adopté des approches divergentes. L’analyse analytique de l’article 5 de la directive 2001/29/CE, qui fait écho dans sa méthodologie à l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle, s’oppose au système mixte américain qui combine un système d’exception listée – donc analytique – ainsi qu’une exception malléable d’interprétation synthétique avec le safe harbor de fair use.

218. Les deux approches sont autorisées par le droit international. En effet, la convention de Berne ainsi que le traité de l’OMPI de 1996 – à la rédaction duquel les États-Unis ont pris part – ont adopté un système ouvert en se contentant de se référer au test des trois étapes sans se prononcer sur le choix entre système ouvert ou fermé d’exceptions. Il n’y a donc qu’une harmonisation internationale a minima.

219. Le droit international n’empêche donc pas le droit français d’adopter un système d’exceptions plus souple. La jurisprudence française a ainsi pu écarter l’application du droit d’auteur lorsque la liberté d’expression se trouvait indûment limitée. Les ingérences du droit d’auteur dans le champ de la liberté d’expression doivent désormais respecter l’article 10§2 de la CEDH et s’avérer légales, légitimes – c’est-à-dire nécessaires dans une société démocratique [pour assurer la protection…] des droits d’autrui – et proportionnelles. Cette limitation du champ d’application du droit d’auteur n’a cependant été acceptée que lorsqu’elle était demandée par un auteur second souhaitant créer une œuvre à partir d’une autre œuvre protégée. La Cour de cassation a donc reconnu une liberté d’expression artistique qui n’a pas vocation à s’étendre aux liens à moins que le créateur de l’ancre ne crée une œuvre nouvelle. Le statut de rente du droit d’auteur s’effrite un peu pour laisser place à une prérogative visant à l’incitation à la création. Il était donc logique de contenir l’application du droit d’auteur lorsqu’il aurait pour effet d’empêcher la création.

220. Le droit français ne devrait donc pas connaître de changement de paradigme comparable à celui effectué par l’arrêt Perfect 10 lorsqu’il a utilisé le safe harbor de fair use pour assurer le développement des activités des moteurs de recherche, affirmant la liberté d’entreprendre des prestataires de service. Le système américain va donc beaucoup plus loin car il ne comprend plus le safe harbor de fair use uniquement comme une liberté artistique – alors que le test est né comme un outil dans les mains d’un second auteur utilisant une œuvre première afin d’encourager la création intellectuelle – mais plus globalement comme une liberté d’entreprendre. Une telle évolution n’est cependant pas vraiment surprenante étant donné que le système d’exceptions souples a permis aux prestataires de service sur Internet de développer leurs activités. Il leur a ainsi été relativement aisé de se développer aux États-Unis alors que cela aurait été plus compliqué en France à cause de l’existence d’une liste limitative d’exceptions .

221. Cette évolution est tout d’abord le signe d’une fondamentalisation du droit ainsi que de la montée en puissance du public en Europe et aux États-Unis – bien que ses choix soient largement biaisés par le truchement des majors qui prennent en considération non pas le public dans son intégralité, mais sa partie la plus importante en termes de ventes. Le public a donc globalement émergé non pas en tant que pluralité intellectuelle mais en tant qu’unité consommatrice. Ce rôle l’amène à adopter un comportement non pas de citoyen jouant un rôle dans le dynamisme de la création nationale, mais celui de consommateurs. La situation actuelle confirme ainsi la crainte de Tocqueville qui avait souligné le risque d’égocentrisme des systèmes démocratiques. Le régime actuel est donc le fruit de la limite de tout système démocratique. Nous n’appelons donc pas à un changement juridique – qui risquerait de rester sans effet substantiel – mais à un empowerment de la société en tant que citoyens et non pas que de simples consommateurs afin que la question de la culture constitue un véritable débat de société au lieu de s’interroger uniquement sur l’accessibilité – si possible gratuite – des œuvres.

222. Le système d’exceptions actuel est le fruit de cette histoire et des évolutions récentes. Les auteurs jouissent ainsi de régimes d’exceptions (I) dont le champ d’application se trouve limité par le test des trois étapes (II).

I) Les exceptions

223. Le droit de création de liens se trouve renforcé par les exceptions au droit d’auteur et au copyright. Les systèmes français et américain sont divisés sur l’approche à adopter en matière d’exception.

224. D’un côté, les droits français et de l’Union Européenne ont adopté une lecture réductrice et analytique des exceptions en les limitant à certaines hypothèses. L’interprétation de ces exceptions doit être stricte conformément à l’adage exceptio est strictissimae interpretationis.

225. De l’autre côté le droit américain a adopté un système mixte en introduisant des exceptions énumérées limitativement et un usage loyal dit fair use. L’exception de fair use s’analyse de façon large et casuistique . Le test de fair use se développe en quatre critères que sont « (1) le but et le caractère de l’usage, et notamment la nature commerciale ou non de celui-ci ou sa destination à des fins éducatives et non lucratives, (2) la nature de l’œuvre protégée, (3) le volume et l’importance de la partie utilisée par rapport à l’ensemble de l’œuvre protégée, (4) l’incidence de l’usage sur le marché potentiel de l’œuvre protégée ou sur sa valeur ». Il s’agit d’un test dont les critères ne sont pas exhaustifs et qui doit être compris de façon casuistique . Il n’est donc pas toujours parfaitement prévisible.

226. Les deux droits reposent donc sur des paradigmes largement différents bien que le droit américain constitue un exemple mixte . Le droit français vise donc la plus grande protection possible des auteurs et la lecture la plus stricte possible des exceptions, alors que le droit américain limite le monopole de l’auteur en laissant le champ des exceptions ouvert. La solution américaine a ses vertus – dans la mesure où elle assure une bonne adaptation aux nouvelles technologies – mais elle s’avère relativement insécurisante pour les créateurs de liens qui ne peuvent savoir a priori si la citation qu’ils font d’une œuvre est licite . Le manque de prévisibilité doit cependant être nuancé car les juristes américains ont la culture des concepts malléables et sont plus en mesure que les juristes continentaux d’y faire face.

227. La différence doit cependant ne pas éclipser la convergence d’objectif des deux systèmes. Il s’agit dans les deux cas d’établir un équilibre entre le droit des auteurs et l’accès aux œuvres et à leurs informations . Cette préoccupation concernant l’équilibre entre la propriété et l’accès à la connaissance était déjà connue du droit juif du XIe siècle. En effet, bien que le rabbin Isaac Ben Jacob Alfassi eût affirmé le principe de propriété de la Thora, il avait introduit une exception lorsque les textes sacrés étaient rares dans une communauté . Dans ce cas, ils pouvaient être reproduits librement. L’objectif était donc d’assurer l’accès à la Thora en cas de situation de rareté. L’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle ainsi que le test de fair use américain répondent, selon des modalités certes très différentes, à la même préoccupation d’assurer l’accès aux connaissances lorsque le marché de la circulation des œuvres n’est pas optimal.

228. Étant donné que les intérêts du public sont pris en compte dans les exceptions, la question s’est posée de s’avoir s’il s’agit d’un droit ou bien de tolérance. En l’absence de réponse donnée par les réglementations européenne, française et américaine , la doctrine et la jurisprudence se sont divisées sur la question. Certains ont affirmé qu’il s’agit d’un droit du public alors que d’autres considèrent qu’il ne s’agit que de tolérances . Or, un droit subjectif a, à l’inverse d’un droit objectif, un créancier . Il est fondé sur la possibilité pour le sujet de faire quelque chose ou d’imposer à autrui de faire quelque chose , c’est-à-dire sur des prérogatives . En matière d’exceptions le public a un créancier en la personne de l’auteur, ce dernier ayant l’obligation de laisser les tiers utiliser son œuvre dans le cadre de la loi. L’arrêt Mulholland Drive a cependant écarté l’idée selon laquelle « la copie privée ne constitue pas un droit mais une exception légale ». Étant donné que dans les deux droits les tiers ne pourront saisir le juge pour qu’il oppose une exception à l’auteur, il ne peut être affirmé que les exceptions constituent des droits pour le public. Il ne s’agit que d’excuses à l’utilisation d’une œuvre protégée.

229. Les exceptions sont donc le résultat d’une recherche d’équilibre entre les auteurs et le public. En matière de liens deux types d’exceptions seront particulièrement pertinents. Les internautes pourront chercher d’écarter l’application du droit d’auteur et du copyright lorsqu’ils effectuent des citations (A) ou les revues de presse (B).

A) Les citations

230. Les citations permettent de reprendre pour mieux faire circuler les idées d’un auteur. Il s’agit de la conséquence du principe de la libre circulation des idées. L’absence de protection des idées était considérée naturelle au Moyen-Âge car les connaissances étaient un don de Dieu selon l’adage scentia donum Dei est, unde vendi non potest . Le droit d’auteur était inconnu à cette époque car la question de la création d’œuvres nouvelles ne présentait pas la même urgence que la circulation des œuvres déjà existantes . Le paradigme a été renversé depuis cette époque avec l’introduction du copyright puis du droit d’auteur mais l’idée d’assurer la circulation des idées nous est parvenue et s’est notamment traduite par la reconnaissance d’un droit à effectuer des citations.

231. La convention de Berne a ainsi introduit l’exception de citation à l’article 10.1. L’exception internationale dénote une prise en compte des intérêts du public et de la liberté d’expression des tiers à l’auteur . Seront licites les citations « tirées d’une œuvre, déjà rendue licitement accessible au public, à condition qu’elles soient conformes aux bons usages et dans la mesure justifiée par le but à atteindre ».

232. Le critère de la parution licite ne présente pas de difficulté particulière. Il permet d’interdire le contournement du monopole de l’auteur par le droit de citation qui pourrait vider, au moins en partie, l’œuvre non encore divulguée de sa substance – et donc de sa valeur économique. Les citations d’œuvres non divulguées licitement seront ainsi illicites. La logique de Webring est donc étendue aux exceptions. Les critères de conformité aux bons usages (1) et de mesure justifiée par le but à atteindre présentent en revanche plus de difficultés (2).
1) Les bons usages

233. La citation doit être conforme aux bons usages et doit être justifiée par le but à atteindre . Le critère de la conformité aux « bons usages » a été introduit lors de la révision de Stockholm de 1967 réformant la convention de Berne . L’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle souligne que l’utilisation du pluriel amène à se référer à ce qui est « couramment accepté » et à ce qui est « normalement admissible», ce qui impose une lecture vivante de la convention en fonction du contexte de l’interprétation. Il s’agira donc pour les tribunaux de statuer in concreto et en équité en fonction des faits de l’espèce . L’interprétation faite par l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle n’a cependant qu’une valeur informative et en aucun cas obligatoire. Il ne s’agit donc que d’un guide et les États membres restent libres d’interpréter le critère. Ni la France ni les États-Unis n’ont modifié leurs législations sur ce point.

234. En droit américain, une modification était inutile car le safe harbor de fair use permet de statuer in concreto et de retenir pour valide ce qui est normalement accepté . Le caractère souple du safe harbor de fair use se situe donc dans la même approche que celle adoptée pour le critère des bons usages.

235. Le droit français n’a pas introduit ce critère en droit interne alors que l’article 5.3(d) de la directive 2001/29/CE l’a intégré. Un ersatz existe néanmoins. En effet, l’article L. 122-5 3° du Code de la propriété intellectuelle énonce que l’auteur ne peut interdire, sous réserve que soient cités le nom de l’auteur et la source « les analyses et courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées ». Les citations doivent en outre être incluses dans une œuvre citante conformément à l’article L. 122-5 du CPI qui se trouve moins restrictif que la directive 2001/29 qui la limite aux usages critiques, polémiques, pédagogiques, scientifiques ou d’information en ayant recours à des œuvres déjà publiées. Ce critère n’est pas mentionné par de nombreux pays car il s’agit d’un critère évident étant donné que la citation est « destinée à étayer un propos ». Le législateur français considère donc que les bons usages sont limités à certains usages limitativement énumérés. Cette approche ne constitue qu’un équivalent partiel du critère de bons usages de la convention de Berne car le législateur français n’a pas intégré la dimension dynamique et évolutive qui était au cœur du critère international. Le droit français se distingue donc du droit international et du droit américain par sa position statique.

236. La jurisprudence française, à l’inverse des juges américains, a eu l’occasion de se saisir de la question du recours à une exception au droit d’auteur pour la création d’une ancre manuelle. Le Tribunal de Grande Instance de Nancy a ainsi pu retenir la légalité d’ancres constituées de citations d’articles. En l’espèce les ancres reprenaient les premières lignes d’articles de journaux ainsi que les titres et la source. Elles proposaient parfois un résumé de quelques lignes. Le jugement énonce que les liens permettent au journal de « remplir la mission d’information et de pluralisme de la presse ». Cette solution se place dans le sillage de l’arrêt Microfor – dont la solution a ainsi été réintroduite alors qu’elle avait été abandonnée à la suite de l’entrée en vigueur de la directive sur les bases de données – qui avait retenu qu’un index comportant la mention de titres d’œuvres ne porte pas atteinte au droit d’auteur. La Cour de cassation avait ainsi considéré qu’il s’agit de citations justifiées par le caractère d’information de l’œuvre. La très grande majorité des ancres pourra donc bénéficier de l’exception de citation dans la mesure où un site Internet pouvant contenir plusieurs ancres d’hyperliens il y a lieu de la qualifier d’œuvre citante. Ce critère traditionnel du droit français a néanmoins été écarté par l’arrêt Painer de la CJUE qui a qualifié de citation un extrait d’une œuvre protégée qui ne se trouvait pas au sein d’une œuvre citante. Cette solution est surprenante car elle ne permet plus de faire le départ entre la simple citation et la contrefaçon d’un extrait, alors que Desbois avait souligné qu’il fallait que l’œuvre citante puisse « survivre à la suppression des citations, conserver après le retrait une physionomie et un intérêt propre ». Il ne restera au propriétaire d’un site Internet qu’à prouver un but « critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées », c’est-à-dire du site Internet lui-même. Cela ne devrait pas poser de difficultés particulières étant donné que la très grande majorité des sites Internet peuvent se prévaloir d’un objectif d’information. La solution de l’arrêt Painer s’avère donc particulièrement favorable à la création de liens, mais elle ne semble pas partagée par le droit américain . Cette différence est logique étant donné que le droit américain ne réfléchit pas en terme de citation mais d’exception de fair use. Le droit français adopte ainsi une liste limitative des bons usages dans lesquels est incluse l’information journalistique, ce qui facilitera la création d’ancres.

237. La méthode américaine n’est cependant pas exempte de critique. En effet, le critère flou du fair use n’est pas très prévisible. Une tentative de précision de ses contours en matière de bons usages a par conséquent été effectuée. Le Report of the Register of Copyrights de 1961 – sans valeur obligatoire mais qui constitue un indice de la position du droit américain – a retenu que le fair use s’applique notamment aux citations d’extraits dans des revues ou dans un but critique aux fins d’illustrations ou de commentaires. Le rapport partage donc la position du droit positif français et propose une liste suivant une méthode similaire à celle de l’article L. 122-5 du CPI. La prévisibilité des règles en droit français et américain s’avère donc similaire sur ce point.

238. La jurisprudence américaine a suivi cette proposition dans l’arrêt Craft v. Kobler qui a retenu que le fair use peut s’appliquer aux citations limitées d’une œuvre protégée par le copyright afin d’illustrer les qualités, l’intelligence, la puissance, la vivacité ou encore l’originalité de l’auteur. Cependant, l’autorisation n’est pas illimitée et, en l’espèce, le nombre, l’importance et la taille des citations dépassaient le seuil de tolérance. La citation doit par conséquent rester limitée tout comme en droit français. Lorsque la citation ne sera pas démesurée une juridiction pourra retenir que le fair use s’applique. Le raisonnement pourra être étendu aux citations utilisées pour constituer des ancres.

239. En effet, l’arrêt Kelly v. Arriba – qui concernait des images mais dont le raisonnement peut être étendu aux autres œuvres comme l’a retenu l’arrêt Authors Guild, Inc. v. Google Inc. pour les photographies – a été saisi de cette question et a considéré que l’utilisation de la citation est « transformative » dans la mesure où elle permet d’améliorer l’accès à Internet. La reproduction poursuit donc un objectif différent de l’œuvre originale selon l’arrêt. Le critère est donc plus large que celui retenu dans le jugement Dijonscope qui le limitait à « la mission d’information et de pluralisme de la presse ». Or, le fait que l’œuvre accusée de contrefaçon soit « transformative » pèse largement en faveur de la reconnaissance de l’existence d’un fair use. En outre une œuvre « transformative » est moins susceptible d’avoir un impact négatif sur le marché du demandeur . Le dommage économique est déterminé conformément à l’impératif kantien dans la mesure où, selon les mots de la Cour Suprême, « il est seulement nécessaire de montrer que si l’utilisation litigieuse devenait commune, cela affecterait négativement le marché de l’œuvre protégée ». L’absence de préjudice commercial constitue un critère primus inter pares dans le test de fair use . Or l’utilisation d’une citation afin de constituer l’ancre d’un lien amenant vers l’œuvre originale ne causera généralement pas de dommage au marché du demandeur. Seul le critère du type d’œuvre pèsera en faveur du demandeur s’il s’agit d’une œuvre littéraire. Ainsi, à l’instar des juges français, les juges américains prendront en considération l’intérêt que présente le lien pour l’amélioration du référencement sur Internet et considéreront que la reproduction d’une citation est licite. Il en résulte que les droits français et américain adoptent des méthodologies similaires mais que les deux prennent en compte, à des moments différents de la réflexion, un principe général et une liste de situations.

240. Il résulte de ces développements que l’exception de citation et son équivalent fonctionnel qu’est l’exception de fair use sont très favorables à la création de liens. Le critère de la mesure justifiée par le but à atteindre permettra néanmoins de rééquilibrer la balance entre les droits des auteurs et du public.

2) La mesure justifiée par le but à atteindre

241. L’article 10.1 de la convention de Berne dispose que les citations doivent être justifiées par le but à atteindre. Elle ne précise pas l’autorité en charge d’établir l’équilibre. Le manque de précision de ce critère a eu pour conséquence une absence d’harmonisation des droits français et américain qui sont restés fidèles à leurs approches statiques du côté français et souple du côté américain.

242. Les juges ont ainsi retenu une solution particulièrement favorable au développement de l’Internet dans l’arrêt Dijonscope . Ils ont en effet considéré comme constituant de courtes citations des extraits composés de plusieurs lignes d’articles de journaux. Cette solution ne respecte pas la lettre de l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose que sont autorisées les « courtes citations ». Le caractère court s’apprécie en effet in concreto en fonction de l’œuvre qui est citée . Or la citation de plusieurs lignes d’un article de journal constitue une proportion importante qui n’aurait pas dû être considérée comme courte par les juges. Les juges ont donc adopté une lecture très libérale de l’exception de citation en se fondant principalement sur des motifs d’opportunité et ont, par ce biais, effectué une application du critère souple des bons usages. Le droit français présente donc la qualité et le défaut que constitue l’adoption d’un critère flou. Les juges belges ont tranché dans le même sens dans le jugement Copiepresse . Les juges se sont donc montrés libéraux et ont adopté une démarche très souple similaire à celle des juges américains et du fair use.

243. Il en résulte que la dimension adaptative de l’article 10.1 de la convention de Berne a été intégrée par les jurisprudences américaine et européenne alors même que le droit français aparaissait de prime abord statique. Les liens hypertextes ont donc agi comme un révélateur des limites du critère de brièveté auquel doit être privilégié un critère de proportionnalité entre la quantité reproduite et l’intérêt de la reproduction. Cette solution est heureuse en ce qu’elle permet d’améliorer la qualité du référencement. Cependant, elle risque de permettre à des internautes de substituer les ancres aux articles, ce qui renforce la nécessité de trouver d’autres sources de financements pour les créateurs sur Internet .

244. Les détails relatifs au critère de la mesure justifiée ne peuvent en effet être gravés dans le marbre de la loi car elle pourra varier en fonction de chaque situation. Le législateur français – à l’inverse du législateur américain – a pris partiellement position sur cette question en limitant les citations à ces extraits courts. Le législateur américain n’a pas défini la citation et a laissé la jurisprudence déterminer la longueur de la citation. La jurisprudence a pu retenir que la reproduction de l’intégralité d’une œuvre ne pèse que légèrement contre le safe harbor de fair use. Il sera donc possible de retenir que la citation intégrale d’une œuvre constitue un usage équitable d’une œuvre. Ainsi, alors que le droit français adopte une approche rigide en retenant que la citation doit être courte, le droit américain laisse aux juges le soin de déterminer si la longueur de la citation peut être justifiée par d’autres intérêts. Les juges pourront donc adopter des solutions convergeantes avec celle en vigueur en France et permettre à des internautes de reproduire plusieurs lignes de l’article lié. Les deux droits semblent donc converger sur ce point.

245. La mesure justifiée par le but à atteindre a donc évolué et a fini par prendre un tournant technique depuis la démocratisation des terminaux numériques et de l’Internet . Les systèmes juridiques sont ainsi gagnés par une course – sans doute perdue d’avance – à l’adaptation technologique. Ce changement d’approche a eu pour conséquence d’amener les législateurs et les juges à ne plus placer la question de l’accès à l’œuvre au centre de la réflexion mais l’accès à des contenus et à des informations. Ce changement de perspective a fait perdre une partie de la légitimité du droit d’auteur qui est perçu comme une entrave à la circulation des idées.

246. Or, tant que le débat se focalise sur l’application du droit d’auteur et du copyright à des nouveautés technologiques, les droits des auteurs se réduiront comme peau de chagrin car une démocratie ne peut soutenir une entrave à la circulation des idées. Il nous semble dès lors nécessaire d’introduire une unique exception technologique qui permettrait de distinguer entre les nécessités techniques – qui seraient autorisées – et les simples commodités qui ne justifieraient pas une limitation du droit d’auteur. La souplesse de ce critère aurait pour conséquence une grande adaptabilité et, concomitamment, une certaine imprévisibilité du droit qui en constitue le pendant. L’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle pourrait ainsi contenir un 12° sous réserve que la directive sur le droit d’auteur soit modifiée en ce sens. En effet, les exceptions en droit national sont limitées à la liste exhaustive de l’article 5 de la directive 2001/29/CE . Il pourrait être rédigé comme suit :
L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle
12°) Les reproductions rendues impérativement nécessaires pour le fonctionnement d’un outil technique sont autorisées.

247. La formulation ainsi proposée présenterait l’intérêt d’assurer une évolution de l’application du droit d’auteur. En effet, en adoptant une approche non pas technique – alors que le droit ne devrait pas suivre les technologies mais leur donner de l’humanité – mais théorique, elle permettrait d’embrasser toutes les évolutions technologiques à venir.

248. Les solutions française et américaine devraient par conséquent souvent converger. Cependant, les raisonnements adoptés sont différents et le droit français assure une meilleure sécurité juridique en écartant les facteurs d’incertitudes des critères adoptés. Ce clivage se retrouve en matière de revues de presse.

B) Les revues de presse

249. Les créateurs de liens peuvent en outre constituer des revues de presse . L’article 10 bis(2) de la Convention de Berne reconnaît l’exception de revue de presse qui vise à contribuer à l’accès du public à la culture . Le droit français, à l’inverse du droit américain qui se cantonne à l’exception de fair use, prévoit explicitement cette exception . Cependant, le Code de la propriété intellectuelle ne la définit pas. La jurisprudence a retenu qu’il s’agit d’une « présentation conjointe et par voie comparative de divers commentaires émanant de journalistes différents et concernant un même thème ou un même événement ».

250. En France, le jugement Dijonscope a écarté l’exception de revue de presse car les extraits ne traitaient pas d’un même thème ni d’un même événement . Les juges n’ont cependant pas écarté par principe l’application de l’exception de revue de presse pour la création d’ancres. Il converge donc sur ce point avec le droit américain qui permettra aux internautes de constituer une revue de presse par application de l’exception de fair use. En effet, la revue de presse aura pour résultat de créer une œuvre nouvelle – donc tranformative – et ne devrait a priori pas réduire le marché des auteurs des articles mais plutôt stimuler la vente des articles. Il n’en irait autrement que si l’extrait de l’article est assez long pour se substituer à l’œuvre. Si les revues de presse reproduisent l’intégralité des œuvres qui sont au cœur de la protection du copyright, cela ne devrait généralement pas faire obstacle à l’application de l’exception étant donné que les deux critères précédents – qui sont prépondérants – font pencher la balance en faveur de l’exception de fair use.

251. La revue de presse se distingue en effet de l’anthologie par l’effort de comparaison et de synthèse de son auteur . Dès lors, en France comme aux États-Unis , une revue de presse pourra bénéficier d’une exception si elle respecte ce critère. Ainsi, une série de liens recopiant servilement des articles constituera une contrefaçon. Il est donc nécessaire dans les deux droits que la revue de presse procède d’une explication ou d’un commentaire . Ces critères devraient être facilement mobilisables, ce qui renforcera la liberté de créer les ancres des liens. Cette liberté de créer des ancres n’est limitée que par le triple test.

II) La limitation du champ d’application des exceptions par le triple test

252. Afin d’harmoniser les systèmes juridiques autour de principes universels, le test des trois étapes a été introduit par la convention de Berne à l’article 9(2) . Une exception est ainsi autorisée lorsqu’elle est limitée à des cas spéciaux , qu’elle ne porte pas atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre – c’est-à-dire qu’elle n’empêche pas l’auteur de retirer des bénéfices de son œuvre – et qu’elle ne cause pas un préjudice injustifié aux intérêts légitimes de l’auteur. Le troisième critère fait l’objet d’une difficulté étant donné que le triple test a été proposé en langue anglaise par le Royaume-Uni sous l’expression « unreasonable prejudice » alors que la version française – qui constitue la version officielle – a traduit cette notion par l’expression « ne cause pas un préjudice injustifié ». Il y a une division entre les langues latines et la langue anglaise – et donc une harmonisation internationale manquée – car la version espagnole a adopté la même approche que la version française. Ainsi, alors que la version anglaise autorise un préjudice minimal – sorte d’exception de minimis – la version française impose une justification du dommage. Or, le préjudice raisonnable peut être interprété d’un point de vue quantitatif, alors que la justification implique un fondement juridique. La montée en puissance du mouvement de fondamentalisation du droit en Europe – encore renforcé par l’introduction de la Charte de Nice qui a reconnu une place de choix aux droits de propriété intellectuelle – donnerait plutôt raison à la seconde approche.

253. Le test doit être mené dans l’ordre des critères énoncés mais s’interprète de façon globale . Il se trouve traditionnellement limité au droit de reproduction . Il a par la suite été repris à l’article 13 de l’Accord ADPIC de 1994 ainsi qu’à l’article 10 du traité de l’OMPI qui l’ont étendu, dans les mêmes termes, au droit de représentation. La directive 2001/29/CE l’a introduit à l’article 5.5 . Les différentes normes postérieures à la dernière réforme de la convention de Berne ont toutes adopté la même définition du test des trois étapes.

254. Le test des trois étapes est donc devenu une réglementation constante en droit d’auteur international. Son interprétation doit par conséquent respecter les normes d’interprétation de la convention de Vienne sur le droit des traités . Les États membres de la convention de Berne et du traité de l’OMPI, dont la France et les États-Unis, sont donc tenus de limiter le champ d’application de leurs exceptions. Les deux droits n’ont cependant pas correctement intégré le test en droit interne.

255. En effet, le législateur français n’a introduit qu’un test en deux étapes à l’article L. 122-5-9° du Code de la propriété intellectuelle . Le triple test limite ainsi les exceptions aux cas où il n’y a pas d’atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre et où aucun préjudice injustifié n’a été causé à l’auteur. Le critère des cas spéciaux se trouve ainsi écarté . Le droit d’auteur français ne conserve donc que deux critères redondants . En effet, l’exploitation anormale, c’est-à-dire qui risque de créer une concurrence économique , d’une œuvre portera forcément préjudice à l’auteur. Le droit français a cependant intégré le critère des cas spéciaux. Le Conseil Constitutionnel a en effet rappelé que le test des trois étapes s’applique aux exceptions de l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle uniquement. Le droit français respecte par conséquent les trois conditions du test des trois étapes et n’encourt pas de sanction par le panel de l’OMC comme cela avait été le cas pour les États-Unis qui n’ont pas introduit de test des trois étapes.

256. Une autre distinction a été opérée par le droit français en ce qu’il oppose le test non seulement au législateur – conformément à l’obligation qu’a le législateur de respecter les conventions internationales – mais également aux juges .

257. La solution française détonnait car elle opérait un contrôle plus large que celui proposé par la convention de Berne ainsi que par l’accord ADPIC qui ne prévoyaient l’opposabilité du test des trois étapes qu’au législateur. Le traité OMPI sur le droit d’auteur a cependant modifié cette approche en prévoyant son opposabilité au législateur ainsi qu’au juge national . L’article 10 du traité prévoit en effet l’intégration du test dans les législations nationales ainsi que son application par les Parties contractantes. Étant donné que seul le juge peut appliquer une norme, l’article 10.2 s’adresse directement aux juges . Dès lors, l’Union Européenne et les États-Unis – qui doivent respecter leurs engagements internationaux conformément à l’adage pacta sunt servanda – doivent prévoir l’application du test des trois étapes par les juges .

258. Le Conseil Constitutionnel français a conféré une valeur constitutionnelle à cette obligation. Il a en effet retenu que les mesures techniques de protection et d’information doivent « être entendues comme n’interdisant pas aux auteurs ou aux titulaires de droits voisins de recourir à des mesures techniques de protection limitant le bénéfice de l’exception à une copie unique […] dans les cas particuliers » du test des trois étapes. Le Conseil ne s’est prononcé que sur les mesures techniques de protection et d’information mais il nous semble que s’il était saisi des autres exceptions il n’aurait pas de raison d’adopter une solution différente. L’utilisation du terme « entendu » souligne l’applicabilité du test par les juges car il signifie que le test doit être interprété. Or, seul un juge peut interpréter la loi. La jurisprudence a pris acte de cette obligation et la Cour de cassation a fait application de l’article 5.5 de la directive 2001/29/CE pour retenir que la copie privée d’un DVD constitue une atteinte à l’exploitation normale de l’œuvre. Le même raisonnement aurait vocation à s’appliquer aux mesures techniques de protection des sites internet.

259. Le test des trois étapes pose néanmoins le problème du manque de prévisibilité. Or, les règles sanctionnant pénalement le droit d’auteur doivent être prévisibles. Le test des trois étapes n’est cependant pas prévisible – à cause de son caractère malléable et du manque de jurisprudence – et atteint par conséquent à la sécurité juridique . Il y a donc lieu d’écarter son application en matière pénale. Cette situation d’insécurité juridique est d’autant plus grave en France que les juristes français n’ont pas, à l’inverse des juristes américains, l’habitude de manier des concepts flous. Les États-Unis ont coupé court à cette difficulté en rejetant l’introduction le test des trois étapes en droit interne.

260. Le droit américain adopte en effet, avec l’exception de fair use, une approche divergente. Lors de l’adhésion des États-Unis au traité OMPI la question du respect du triple test par le droit américain n’a même pas été soulevée alors même que la logique du test de fair use est de permettre l’utilisation équitable d’une œuvre par le public et non pas de limiter le champ d’application des exceptions. Le fair use ne vise donc pas à protéger les auteurs contre l’utilisation déraisonnable de leurs œuvres, mais à assurer au public le droit d’utiliser les œuvres dans un cadre loyal, ce qui constitue le paradigme inverse . Les deux approches étant complètement différentes il ne peut être conclu que le droit américain respecte son obligation d’intégrer le triple test en droit interne. Les États-Unis se trouvent donc en situation de violation de leurs obligations internationales.

261. Malgré cela, il est peu probable que les États-Unis modifient leur position. En effet, un litige est intervenu, devant l’Organisation Mondiale du Commerce, entre l’Union Européenne et les États-Unis . Le litige portait sur l’exception de la section 110(5)(A) du Copyright Act autorisant la représentation d’œuvres musicales dans les lieux de commerce. L’Union Européenne a retenu que l’exception de la section 110(5)(A) est trop large et qu’elle viole par conséquent le triple test. L’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) a tranché en ce sens et a laissé aux États-Unis jusqu’au 27 juillet 2001 afin de conformer leur législation interne avec cette disposition. Cependant, les États-Unis ont préféré payer des dommages et intérêts aux États membres de l’OMC afin de compenser les pertes induites par le système de licence , plutôt que de conformer la législation interne au test des trois étapes. Il est ainsi très peu probable que les États-Unis introduisent un triple test dans leur législation nationale et ce, d’autant plus qu’il aurait pour effet de renforcer les prérogatives des titulaires de copyright au détriment du public et des auteurs en puissance. Pire, la somme payée par les États-Unis à l’Union Européenne a servi pour les dépenses de colloques relatifs au droit d’auteur. Les auteurs n’en ont pas bénéficié alors que cette somme aurait pu participer au financement de projets culturels. Les auteurs européens n’ont donc pas vu leur situation s’améliorer aux États-Unis et n’ont pas bénéficié de la condamnation américaine. Il nous semble par conséquent nécessaire de modifier cette règle et d’autoriser l’utilisation du montant des amendes au financement de projets culturels et artistiques lorsque l’amende est prononcée par une juridiction tierce aux États en cause comme peut l’être le panel de l’OMC. Ainsi, sur le modèle du fonds en matière d’amendes pour infraction de la législation routière, les amendes prononcées pour violation du droit d’auteur pourraient être utilisées afin de financer des projets culturels.

262. Le droit américain n’ajoute donc aucune restriction ni incertitude supplémentaire pour les créateurs d’ancres alors que le droit français introduit une situation d’insécurité juridique relative dans la mesure où l’analyse du triple test est complexe et peu prévisible pour les internautes.

263. Il résulte de ces développements que les droits français et américain ont su, chacun à leurs manières et à des degrés différents, s’adapter afin de ne pas freiner le développement de l’Internet. Cette volonté d’encourager l’innovation a été étendue aux œuvres graphiques.

Sous-Section 2 : Le régime dérogatoire applicable aux moteurs de recherche d’images

264. Les murs d’images constituent des outils efficaces dans le cadre de recherches. Les moteurs de recherche reproduisent les œuvres qu’ils référencent grâce à des robots d’indexation. Cette reproduction constitue une simple facilité pour les moteurs de recherche et en aucun cas une nécessité imposée par la technique. Néanmoins, eu égard à l’intérêt que ces outils de recherches présentent, les droits français et américain ont reconnu le principe de leur légalité (Paragraphe 1) tout en en l’encadrant (Paragraphe 2) afin d’assurer le respect des intérêts des auteurs.

Paragraphe 1 : La légalité des murs d’images

265. Les moteurs de recherche effectuent de nombreuses copies d’œuvres afin de constituer les ancres. Ils ont recours à des spiders qui cherchent notamment des images sur la toile. Les copies effectuées sont ensuite réduites sous la taille de vignettes et présentées sur des murs d’images .

266. Les algorithmes sont par conséquent à l’origine d’une amélioration sans précédent de l’accès aux informations et à la culture. Ils permettent néanmoins le référencement d’un grand nombre de copies illicites. Le droit à la culture se trouve donc en même temps violé dans sa dimension auctoriale et renforcée dans son accessibilité pour le public. Cette situation d’illégalité à grande échelle risque de mettre en péril la survie des moteurs de recherche.

267. La reproduction par les moteurs de recherche n’est pas exclue du monopole de l’auteur dans les deux systèmes juridiques et les droits communs ont vocation à s’appliquer. En effet, lors des discussions sur le projet de réforme français portant création d’une nouvelle exception au monopole de l’auteur pour les commissaires priseurs utilisant des images des œuvres mises en vente , les moteurs de recherche se sont faits entendre afin de bénéficier eux aussi d’une exception pour les vignettes. Le législateur n’a cependant pas retenu cette proposition d’exception. Ce débat n’a pas eu lieu aux États-Unis. Néanmoins, conformément au principe de neutralité technologique , le copyright s’applique aux reproductions effectuées par les moteurs de recherche. L’utilisation d’une image afin de constituer une vignette implique par conséquent l’application du droit d’auteur et du copyright et nécessite donc l’obtention d’une autorisation préalable du titulaire des droits.

268. La jurisprudence américaine a été la première à être saisie de cette question avec l’arrêt Kelly v. Arriba . En l’espèce, des images protégées par le copyright avaient été reproduites par un moteur de recherche pour son mur d’image. La reproduction étant l’une des prérogatives conférées par le Copyright Act aux titulaires de droits la création de murs d’images devrait être interdite.

269. Les juges ont cependant appliqué l’exception de fair use alors que les juges français étaient tenus d’appliquer les principes traditionnels du droit d’auteur et ne pouvaient écarter le monopole que dans le cas des exceptions de l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle. Or, aucune ne semblait pertinente. Aux États-Unis les juges ont en revanche retenu dans l’arrêt Kelly que la reproduction s’avère transformative car elle assure une fonction différente de celle initialement pensée pour les œuvres en permettant le référencement. L’expression œuvre transformative ne recouvre pas exactement le sens que la doctrine française lui a conféré car il n’est en effet pas nécessaire de créer une œuvre nouvelle. Il est simplement nécessaire que l’œuvre transformative modifie l’objectif et l’utilisation de l’œuvre, sans se contenter de la remplacer . Le caractère transformative de la reproduction pèse en faveur du fair use. En outre, la réduction effectuée était de faible résolution. Il a ainsi été considéré qu’elle fait obstacle à une utilisation des vignettes par les internautes et ne permettrait pas de compromettre le marché de l’auteur. Il existe donc un équilibre entre le droit des auteurs de ne pas être spolié de leurs œuvres et des créateurs automatiques de liens d’innover. Pourtant, le safe harbor de fair use vise traditionnellement à établir un équilibre entre les intérêts des différents auteurs pour leur permettre de créer des œuvres nouvelles , et non pas un équilibre entre les intérêts des auteurs et d’autres agents économiques. La Cour d’appel fédérale pour le Second Circuit – qui est notamment compétente pour l’État de New-York – a adopté une solution plus rigoureuse en retenant que le fair use ne permet pas de copier une œuvre protégée pour la mettre dans un autre contexte, mais sans que cela ne modifie a priori la solution de l’arrêt Kelly. Il faut en effet voir un message nouveau dans l’œuvre , ce qui n’est pas le cas lorsqu’une œuvre est utilisée pour constituer une vignette. Cette souplesse est inconnue du droit français car il ne revient traditionnellement pas aux juges d’établir un équilibre entre les différents intérêts en présence.

270. L’arrêt Perfect 10 a néanmoins soulevé la question de la validité de cet argument lorsque la résolution est suffisante pour une reproduction sur un téléphone portable. L’arrêt n’a cependant pas retenu que cet argument était déterminant. La nature des œuvres, qui en tant que photographies sont au cœur de la protection du Copyright Act, ne constitue pas un élément pesant de façon déterminante en faveur du titulaire des droits. La reproduction intégrale des œuvres étant nécessaire en l’espèce, il a été retenu que cela était indifférent pour le test de fair use. Il s’en suit qu’une reproduction qui ne s’avérerait pas nécessaire risquerait de ne pas bénéficier de l’exception de fair use. Enfin, la reproduction des œuvres ne cause pas de préjudice économique au titulaire des droits car elle a pour conséquence d’attirer des internautes vers son site.

271. Ne disposant pas d’un système souple d’exceptions, la Cour d’appel de Paris a retenu que la société Google avait commis une violation du droit d’auteur via son application Google image. En effet, la société s’est abstenue de mettre un terme à la reproduction des œuvres protégées. Dura lex, sed lex… La Cour de cassation a fait preuve d’une plus grande précision dans l’arrêt Auféminin du 12 juillet 2012 .

272. Les juges ont tout d’abord rejeté l’argument de la société Google qui consistait à arguer que le régime de caching avait vocation à s’appliquer à leur système. La Cour de cassation lui a opposé que la réduction des images sous forme de vignettes faisait obstacle à ce régime qui nécessite une absence totale de modification des contenus. Son argumentaire relatif à son statut d’hébergeur s’est avéré plus pertinent. En effet, la société Google stocke – c’est-à-dire reproduit – les œuvres en dehors des exceptions au droit d’auteur et notamment du droit de citation . Dès lors que la société reproduit des œuvres protégées sans intervention directe elle bénéficiera du régime de responsabilité limité. Ainsi, seul le régime des hébergeurs au sens de la directive e-commerce est applicable aux murs d’images. La Cour de cassation a donc retenu qu’à la suite de la réception d’une lettre de mise en demeure les propriétaires de murs d’images doivent retirer les œuvres qu’ils ont reproduites. Il ne s’agit cependant pas d’un régime d’opt in car les œuvres n’auraient pas dû être reproduites dès le début. Un équilibre a ainsi été établi entre les droits des auteurs et l’incitation à créer un nouveau service de recherche.

273. La solution française diverge donc de celle prise en Allemagne où les juges n’ont pas eu recours aux dispositions de la directive e-commerce dans une situation similaire. En effet, la Cour fédérale de Justice allemande a relevé que le service de moteur de recherche, qui utilise des images sous forme de vignettes, bénéficie d’une autorisation implicite du titulaire du droit d’auteur. La CJUE a confirmé qu’une autorisation implicite pouvait être conforme aux dispositions de la directive 2001/29/CE. La licence implicite sera opposable dès lors que l’auteur a mis ses œuvres à disposition sur Internet sans mesures techniques empêchant l’indexation automatique ni l’affichage par des moteurs de recherche. L’arrêt introduit ainsi une logique d’opt out en contradiction avec l’article 5.2 de la convention de Berne et avec le droit français . Les juges allemands ont ainsi considéré que la demanderesse présentait une demande abusive car elle n’avait pas placé de balise dans le code source de ses images afin d’interdire le référencement et qu’elle profitait ainsi de l’amélioration du référencement. La solution allemande est cependant contraire à l’article 8.3 de la convention de Berne qui dispose que le droit d’auteur est protégé sans formalité. Or, avec ce raisonnement, les auteurs ne jouiront de leurs droits que s’ils suivent une procédure de protection de leurs œuvres. La solution française doit donc être privilégiée en Europe à moins que les États membres n’introduisent une exception pour les ancres.

274. Il n’est cependant pas forcément nécessaire d’aboutir à une modification législative. Il est en effet tout à fait concevable que les propriétaires de moteurs de recherche créent des formulaires d’adhésions leur permettant de référencer et de reproduire les œuvres que les auteurs auront mentionnées. Cet argument avait été soulevé par la Société des auteurs des arts visuels et de l’image dans un litige les opposant à la société Google . Ce régime d’opt in permettrait aux auteurs d’obtenir une rémunération pour le référencement et le stockage de leurs œuvres. Les gouvernements pourraient réunir les moteurs de recherche et faire pression sur eux comme a pu le faire le gouvernement français avec la société Google afin de créer un fonds pour la presse. Il est cependant peu probable que le gouvernement américain aille en ce sens et pour l’heure les chancelleries européennes sont restées relativement timorées, à l’exception notable de l’Espagne et de la France .

275. Les droits français et américain divergent donc sur l’appréhension du fonctionnement des murs d’images. Ils convergent néanmoins pour interdire la possibilité d’agrandir les images référencées.

Paragraphe 2 : Les limites à la légalité des murs d’images

276. Les moteurs de recherche proposent généralement une fonctionnalité permettant de visualiser les images qu’ils référencent sur leurs murs en taille réelle. Cela permet aux internautes de prendre connaissance d’une œuvre sans avoir besoin de se rendre sur le site d’origine. La particularité juridique des moteurs de recherche d’images est que les résultats présentés coïncident avec les ressources référencées .

277. Cette situation s’avère pénalisante pour les auteurs car elle détourne une partie des flux qui leurs étaient destinés vers les moteurs de recherche alors même qu’elle n’incite pas à innover. En l’absence d’une incitation à l’innovation, les régimes de responsabilité limités perdent leur sens aussi bien aux États-Unis qu’en France. L’internaute n’a par conséquent pas besoin de se rendre sur les sites référencés afin de prendre connaissance des œuvres.

278. L’arrêt Kelly a nuancé, pour les murs d’images, l’approche très libérale qui avait été adoptée. Il a retenu que la possibilité de prendre connaissance de l’œuvre dans son format original constitue une violation du copyright de l’auteur. Le défendeur a en effet eu un rôle actif dans la présentation des œuvres et (1) l’utilisation des œuvres n’améliore pas la qualité du moteur de recherche, (2) le défendeur n’a pas ajouté d’expression nouvelle aux œuvres en les plaçant simplement dans un lien cadre, (3) la reproduction intégrale des images n’a pas été jugée légitime et (4) la représentation intégrale des œuvres a pour conséquence de retirer l’intérêt pour les internautes de se rendre sur le site Internet du défendeur, ce qui cause un dommage économique à Kelly. L’utilisation légale des œuvres est par conséquent limitée au référencement sur les murs d’images et toute utilisation en dehors de ce cadre ne jouira pas de l’exception de fair use. L’intérêt d’agrandir les œuvres n’est donc pas assez important pour justifier le préjudice à l’auteur. Le test de fair use permet ainsi de distinguer entre les simples commodités et les utilisations nécessaires. Le droit français adopte sans surprise une solution similaire.

279. La Cour de cassation a en effet retenu que la responsabilité de la société défenderesse est engagée car elle permettait de procéder à un « agrandissement, au-delà et indépendamment des strictes nécessités d’une transmission ». La Cour de cassation converge donc, bien que sur un fondement différent car elle a eu recours à la LCEN, avec la Cour d’appel fédérale pour le Neuvième Circuit américain sur la prise en considération de la stricte nécessité d’une transmission. La qualification d’hébergeur n’est pas non plus opposable étant donné que les images présentées sont référencées par des robots se trouvant sous le contrôle de la société propriétaire du moteur de recherche, à son initiative et sans sollicitation préalable de l’internaute . Cette solution a été confirmée par la jurisprudence postérieure .

280. La qualification de caching ou d’hébergeur tout comme l’exception de fair use doivent donc être écartées pour les murs d’images permettant l’agrandissement des images qu’ils stockent . Les solutions française et américaine ne surprennent pas car la possibilité d’agrandissement des œuvres limite fortement le monopole des auteurs. Les deux systèmes ont donc introduit des régimes de protection visant à inciter à l’innovation, quitte à circonscrire les droits des auteurs. Ils convergent également sur le rejet du droit de représentation – et de ses équivalents fonctionnels en droit américain que sont le droit de performance et de display – car aucun arrêt n’a retenu qu’une ancre violait ces prérogatives.

281. Le monopole des auteurs se trouve donc largement maintenu malgré les exceptions de plus en plus importantes. Les ancres constitueront donc rarement des sources de revenus pour les auteurs, mais elles permettent d’assurer l’accès à la culture des internautes.

Conclusion du premier chapitre

282. Une confrontation entre le droit d’auteur ou le copyright et l’établissement de liens ne pouvait permettre à l’un des intérêts en jeu de l’emporter sur les autres. Les juges et les législateurs des deux côtés de l’Atlantique ont dès lors su faire application du droit d’auteur ou du copyright par principe, tout en nuançant leur application par l’opposition des exceptions. Le droit américain s’est montré plus adapté aux défis impliqués par les liens grâce au fair use qui s’avère souple, mais dont la relative imprévisibilité rebuterait de nombreux juristes français. Ces derniers devront dès lors faire application d’une liste fixe d’exceptions – et notamment des exceptions de citation ou de revue de presse – afin de ne pas bloquer le développement de l’Internet. Nous proposons dès lors les réformes suivantes :

L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle

La reproduction consiste dans la fixation de l’œuvre par tous procédés connus ou développés à l’avenir permettant de la communiquer au public.
Elle peut s’effectuer sur un support matériel ou immatériel.
Pour les œuvres d’architecture, la reproduction consiste également dans l’exécution répétée d’un plan ou d’un projet type.

L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle
12°) Les reproductions rendues impérativement nécessaires pour le fonctionnement d’un outil technique sont autorisées.

Chapitre 2 : La protection des intérêts du public grâce aux ancres

283. Le droit d’auteur est tiraillé entre deux extrêmes. La première est techniciste et consiste à ne voir la création que par le medium au travers duquel elle s’applique. La seconde consiste à idolâtrer l’auteur et ses créations.

284. La propriété littéraire et artistique n’est pas le fruit de la technique. Cependant, elle a été pensée à la lumière de la technique. Le droit d’auteur et le copyright conservent donc les stigmates d’approches technicistes qui ont profondément marqué leurs contours. Nous avons vu dans le premier chapitre que les juges adoptent une approche universaliste en refusant de limiter l’application du droit d’auteur ou du copyright à une technique particulière. Cela permet à la propriété littéraire et artistique de rester à jour des évolutions technologiques.

285. L’Union Européenne a été plus accueillante que les États-Unis face au mouvement techniciste en établissant une réglementation ad hoc des bases de données qui a vocation à s’appliquer notamment aux ancres de liens (Section 1).

286. Concomitamment à ce mouvement européen techniciste la France a été fortement marquée par le mouvement romantique au XIXe siècle. Celui-ci a laissé des traces qui ont permis l’émergence et le développement de droits moraux presque inconnus aux États-Unis.

287. La France est en revanche allée plus loin que les États-Unis dans la conception romantique du droit d’auteur en conférant des droits moraux qui auront vocation à s’appliquer aux hyperliens (Section 2).

Section 1 : La création d’une base de données ou d’une compilation par les liens

288. Les bases de données de liens s’avéreront particulièrement utiles afin que les internautes ne se perdent pas dans le dédale de l’Internet. Les bases de données sont au carrefour de nombreux intérêts économiques, scientifiques et culturels et sont de la plus haute importance pour les sociétés occidentales . Concomitamment, les producteurs de bases de données ont besoin d’un régime juridique leur permettant d’assurer un retour sur investissement dans le but de continuer la création et le développement des bases de données. Les internautes et les producteurs ont donc des intérêts en conflit.

289. La fonctionnalité des hyperliens constitue en effet une aubaine pour les internautes qui y trouvent un moyen supplémentaire de lier des bases de données entre elles . Cela permet d’améliorer l’accès aux informations. Les liens se trouvent ainsi mêlés au conflit entre la libre circulation des informations – dans la mesure où ils facilitent leur accès – et les intérêts économiques liés à la constitution des bases de données car ils peuvent causer une perte de revenus pour le producteur.

290. La convention de Berne avait intégré dès 1886 la nécessité de la protection des anthologies qui constituent une forme de base de données. Cette solution pouvait être considérée comme étant satisfaisante à la fin du XIXe siècle mais l’avènement du numérique et le développement de la société de la connaissance ont provoqué un regain d’intérêt pour la protection des bases de données. Les accords ADPIC ont ainsi permis en 1994 la protection des bases de données à l’échelle mondiale. Par la suite, le traité OMPI de 1996 a inclus la protection des compilations et des bases de données protégées dès lors qu’elles s’avéraient originales. Ainsi, le mouvement international de protection des bases de données s’avère limité par le recours au critère de l’originalité alors que de nombreuses bases de données ne font pas preuve d’originalité et ne pourront donc pas bénéficier de la protection par le droit d’auteur. L’OMPI a annoncé qu’elle allait continuer ses travaux afin de proposer un traité international relatif à la protection des bases de données et ce, malgré l’échec d’un accord en 1996 et en 2002 dû notamment à l’opposition des cercles scientifiques. Les États membres – dont la France et les États-Unis – sont donc pour le moment simplement tenus d’appliquer le droit d’auteur aux compilations originales.

291. La règle de l’originalité est comprise de façon relativement similaire en Europe et aux États-Unis. Le critère de protection est l’empreinte de la personnalité en droit européen alors que le droit américain applique le critère de l’originalité – qui se définit comme la création indépendante dotée au moins d’un quantum modeste de créativité . La différence d’approche n’a que de rares conséquences . Les juges rencontrent donc des difficultés similaires dans l’application du droit d’auteur et du copyright à cause des particularités des bases de données .

292. Bien qu’ils soient particulièrement bas, les seuils d’originalité font obstacle à la protection de nombreuses bases de données. L’union Européenne a par conséquent instauré – à l’inverse des États-Unis – un régime ad hoc de protection des bases de données visant à mettre fin aux distorsions dans le commerce entre les États membres et à protéger les intérêts financiers des investisseurs ainsi que ceux des utilisateurs . Elle visait notamment à compenser l’abandon de la théorie de la sweat of the brow en Angleterre qui assurait la protection des bases de données . L’article 1.2 de la directive définit la base de données comme « un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique et individuellement accessibles par des moyens électroniques ou d’une autre manière ». L’article L. 112-3 alinéa 2 du Code de la propriété intellectuelle a repris quasiment mot pour mot les termes de la directive. Les États-Unis ont en revanche connu une évolution opposée au droit européen. En effet, alors qu’ils protégeaient initialement les œuvres dont la création était le fruit d’une « sweat of the brow » comme au Royaume-Uni – c’est-à-dire des efforts de l’auteur sans considération pour l’originalité – l’arrêt Feist a introduit le critère de l’originalité pour la protection des œuvres et a par conséquent écarté la théorie de la « sueur du front ». Le critère de l’originalité est désormais considéré comme un fondement constitutionnel.

293. La protection sui generis européenne n’est accordée qu’aux bases de données étant le fruit d’un investissement substantiel de la part du producteur. L’investissement doit être financier, matériel ou humain et doit s’avérer substantiel . Il s’agit donc d’un droit économique , portant sur l’interdiction de l’extraction ou de la réutilisation du contenu de la base , et visant à protéger les investissements des producteurs de la base de données et non pas des éléments qu’elle contient. Cette approche est étrangère au droit commun du droit d’auteur ainsi qu’au copyright américain. La directive 96/9/CE introduit ainsi une logique nouvelle qui renverse des siècles d’évolution du droit d’auteur . Le droit sui generis des bases de données constitue donc une excroissance surprenante du droit d’auteur tendant vers les droits de propriété industrielle . Cette divergence entre les droits européen et américain semble devoir perdurer. Le Congrès a rejeté les projets dits HR 354 et HR 1858 qui visaient à introduire une protection sui generis des bases de données. Il est peu probable qu’un changement intervienne malgré la condition de réciprocité que la directive Européenne a introduit pour la protection des bases de données.

294. Les différents régimes de protection se limitent cependant au contenu de la base de données. La protection est accordée à la contribution du producteur de celle-ci et les contenus préexistants à la base de données bénéficient ainsi d’une double protection par le droit sui generis et par le droit d’auteur s’il s’agit d’œuvres marquées par l’empreinte de la personnalité de leurs auteurs. C’est ainsi l’arrangement qui est protégé et non le contenu qui reste la propriété de l’auteur original . Cela étant, bien que les producteurs de bases de données ne bénéficient d’aucun droit de propriété sur les contenus qu’ils intègrent, ils jouissent de facto d’un contrôle sur l’accès aux œuvres.

295. Certains sites Internet proposent des listes de liens organisées qui sont le fruit d’investissements substantiels et qui peuvent également faire preuve d’originalité. Ces listes peuvent bénéficier d’une protection (Sous-Section 1). Leur utilisation par des tiers sera par conséquent limitée (Sous-Section 2).

Sous-Section 1 : La création manuelle ou automatique d’une liste de liens

296. Lors de la rédaction de la convention de Berne en 1886, la question de savoir si une entité autre qu’humaine pouvait bénéficier d’un droit de propriété intellectuelle n’avait pas encore émergé. Le droit d’auteur, le droit sui generis et le copyright s’appliquent donc, selon des critères différents, aux créations humaines et par conséquent aux listes de liens créées manuellement (Paragraphe 1).

297. L’humano-centrisme de la convention de Berne pose désormais des difficultés inattendues à l’époque. En effet, le développement de formes d’intelligences artificielles avec la création d’algorithmes oblige à repenser le rapport à la création dans la mesure où les créateurs automatiques de liens sont en mesure d’établir des listes raisonnées de liens (Paragraphe 2). L’application du droit d’auteur, du droit sui generis ainsi que du copyright pose ici plus de difficultés. Le droit est cependant réfractaire à l’idée qu’une entité non humaine puisse jouir de droits.

Paragraphe 1 : La constitution manuelle d’une liste d’ancres

298. Les bases de données peuvent bénéficier en Europe et aux États-Unis de la protection par le droit d’auteur et le copyright (I). Nous verrons cependant que le droit d’auteur a été partiellement adapté pour s’appliquer à ces créations. En effet, le droit d’auteur a été pensé pour les beaux-arts et non pas pour les bases de données. En revanche, le droit sui generis des bases de données est limité à celles produites sur le territoire européen (II). Les deux protections sont cumulables mais elles s’appliquent à des éléments différents.

I) La protection d’une base de données par le droit d’auteur et le copyright

299. Les juges français et américains ont eu l’occasion de se prononcer sur la protection d’une base de données par le droit d’auteur et il ont pu protéger ces créations lorsqu’elles s’avéraient originales.

300. Le droit européen applique le droit d’auteur aux œuvres qui « constituent une création intellectuelle propre à leur auteur » et a donc adapté le critère de l’originalité aux bases de données. Les bases de données bénéficient donc d’une conception minimaliste de l’originalité. La méthode contraste avec celle adoptée aux États-Unis car la jurisprudence a établi le standard de l’originalité dans l’arrêt Feist concernant la protection des bases de données. Il n’y a donc pas de distinction entre le régime de protection des œuvres relevant du droit commun et les bases de données. Le droit européen requiert par conséquent des auteurs d’apporter la preuve de l’existence d’un apport intellectuel , c’est-à-dire « un effort personnalisé dépassant la mise en œuvre d’une logique contraignante ». Le critère est donc assez similaire à celui retenu dans l’arrêt Feist du niveau minimal de créativité. La convergence souligne la nécessité d’adapter le régime applicable pour les bases de données qui ne constituent que la petite monnaie du droit d’auteur .

301. Dès lors, si une liste de liens est originale, elle se verra appliquer les protections du droit d’auteur ou du copyright . Les jurisprudences des deux pays vont en effet dans ce sens. La Cour de cassation a retenu dans l’arrêt Xooloo qu’une liste d’adresses URL peut être protégée par le droit d’auteur lorsque leur sélection est le fruit de « choix éditoriaux personnels ». Les juges ont donc appliqué le critère des choix arbitraires, conformément à la jurisprudence traditionnelle en matière de bases de données, afin de retenir qu’une liste est protégée par le droit d’auteur. Or, étant donné qu’un hyperlien est constitué d’une adresse URL, il est possible de procéder à une analogie et de retenir qu’une liste de liens constitue une liste d’adresses URL. Il en résulte qu’une liste de liens peut être protégée par le droit d’auteur dès lors qu’elle est le fruit de choix éditoriaux. Le seuil de protection est tellement bas qu’il inclut des œuvres qui sont loin de celles auxquelles avait pensé le législateur révolutionnaire. Il nous semble en effet difficile de défendre l’idée qu’une liste de liens puisse constituer la propriété la plus sacrée à laquelle se référait Le Chapelier. La solution sera similaire en droit américain, ce qui posera moins de difficulté étant donné que le copyright n’a pas intégré de dimension jusnaturaliste. L’arrêt Key Publications, Inc. v. Chinatown Today Publishing Enterprises, Inc. a retenu qu’une liste de coordonnées de sociétés se trouvant dans le quartier Chinatown à New York s’avérait originale car elle était le fruit de choix arbitraires . Il en ira de même lorsqu’une liste de liens est le fruit d’une sélection arbitraire . Les droits français et américain convergent donc sur le principe de la protection des bases de données de liens dès lors qu’il existe un degré minimal d’originalité dans la composition.

302. Cette solution permet aux internautes d’interdire la reproduction et la représentation de leurs bases de données ou de leurs compilations par des tiers. Cela n’empêche cependant pas d’utiliser les listes de liens étant donné que le droit d’auteur et le copyright n’interdisent que des actes de reproductions et de représentations – ou leurs équivalents fonctionnels en droit américain – et n’empêchent pas la lecture d’une œuvre. L’application du droit de la propriété littéraire et artistique constituera en revanche une difficulté pour les internautes souhaitant reproduire les bases de données. Les exceptions de citation et de revue de presse permettront cependant de reproduire un lien ou un petit groupe de liens. Cela facilitera le référencement des pages et donc des œuvres sur Internet.

303. Les pages seront d’autant plus facilement accessibles que les internautes bénéficieront de listes ciblées autour de thématiques précises qui leur permettront de ne pas se perdre dans les milliards de pages que comprend la toile. Eu égard à l’accroissement exponentiel de la toile, il est nécessaire d’inciter les internautes à créer des bases de données ou des compilations de liens. Les régimes de protection par le droit d’auteur et le copyright doivent donc être approuvés.

304. Cette convergence des deux systèmes sécurise les internautes qui ne se trouvent confrontés qu’à une seule règle. Il n’en ira pas de même pour les bases de données protégées par le droit sui generis.

II) La protection par le droit sui generis

305. Les États-Unis ont refusé , à l’inverse de l’Union Européenne, d’introduire une réglementation sui generis des bases de données. Il était pourtant possible de l’introduire en se fondant non pas sur la Copyright Clause de la Constitution mais sur la Commerce Clause étant donné que la protection du copyright est fondée sur le critère d’originalité depuis l’arrêt Feist. La Cour Suprême ne devrait a priori pas s’opposer à une telle réglementation dès lors qu’elle est justifiée par le Congrès par un intérêt impérieux . La Cour Suprême est en général assez accueillante et ne devrait pas opposer de difficultés particulières. Malgré les faibles difficultés auxquelles serait confronté le législateur américain il est très peu probable qu’il vote une réglementation similaire à celle en vigueur au sein de l’Union Européenne.

306. En effet, il a été constaté que la directive a un effet économique limité – voire inexistant . Elle n’aurait constitué qu’un feu de paille sans conséquence durable . En outre, la protection d’une base de données par un droit sui generis comparable à celui introduit au sein de l’Union Européenne pourrait s’avérer contraire au premier amendement de la Constitution des États-Unis protégeant la liberté d’expression . Enfin, les risques pesant sur la dissémination des informations scientifiques rebutent la doctrine américaine .

307. Il n’est cependant pas évident que la protection sui generis européenne représente un frein plus important à l’accès aux informations que les protections techniques ou les montages contractuels des créateurs de bases de données américaines. Au contraire, le critère d’extraction substantielle des données s’avère plus favorable au public que la conception stricte des mesures techniques qu’il ne peut contourner. Les producteurs de bases de données disposaient donc sans doute de moyens juridiques à leur disposition plus efficaces encore afin d’assurer la protection de leurs intérêts avant même l’introduction de la directive 96/9/CE. La divergence avec le droit européen, et par conséquent le droit français, est donc profonde, étant donné que le droit américain n’a pas concédé un droit hybride entre le droit d’auteur et la propriété industrielle n’ayant pas fait ses preuves. Néanmoins, la rigidité des conditions d’application du droit sui generis permet de limiter ces différences.

308. En effet, dans la saga M6, le Tribunal de Grande Instance de Paris, puis la Cour d’appel de Paris , ont retenu que la liste de liens menant vers des vidéos n’était pas le fruit d’un investissement substantiel. Les juges ont retenu que les bases de données qui sont le fruit d’investissements concernent la création et la maintenance des sites, et non pas la « mise en œuvre des tâches de sélection, d’indexation, de tri par genre, de classement par date, horaire ou titre, et plus généralement d’organisation et de mise à jour », ne jouissent pas de la protection sui generis. Les juges se sont donc écartés du premier état de la jurisprudence qui ne distinguait pas entre les investissements relatifs à la création des éléments de la base de données et ceux concernant l’organisation de la base.

309. La solution de la saga M6 s’avère néanmoins classique car elle reprend le raisonnement que la CJCE a adopté dans ses quatre arrêts du 9 novembre 2004 . Les juges avaient retenu que les investissements au sens de la directive sur les bases de données concernent « la recherche d’éléments existants […] et leur rassemblement », et non pas leur création . Cette solution permet d’établir un seuil de protection relativement élevé en écartant les investissements dédiés à la création de contenus. Cela permet de n’attribuer un droit qu’aux bases qui sont le fruit d’un véritable effort de création. On retrouve ici une approche inspirée de la théorie de la sweat of the brow bien que le seuil de protection soit plus élevé que dans l’ancien état du droit anglais .

310. Les droits français et américain convergent donc partiellement étant donné que le droit sui generis requiert un seuil relativement élevé d’investissement, ce qui écartera de la protection un nombre important de bases de données.

311. Malgré ce seuil de protection relativement élevé, le Tribunal de commerce de Paris a, dans l’affaire dite Xooloo, eu l’occasion de retenir qu’une liste d’adresses URL constituait une base de données. La solution aura vocation à s’étendre aux liens étant donné qu’ils sont composés d’une adresse URL. En l’espèce une liste dite blanche relevait les sites autorisés aux mineurs. Le Tribunal a retenu que l’investissement financier s’élevait à plusieurs millions de francs et incluait un investissement humain à hauteur de 1 959 000 francs. L’arrêt souligne que l’investissement était aussi qualitativement important en raison des efforts de promotions effectués, de la chaîne de traitement des données, du travail de classement et de tri. L’investissement humain, financier et intellectuel s’avéraient donc substantiels. Cette solution est cohérente avec les termes larges de la directive 96/9/CE du 11 mars 1996 qui permettent d’inclure tous les types de base de données.

312. Les juges français pourront donc, lorsqu’ils seront confrontés à des bases de données de liens, s’inspirer du jugement Xoloo ainsi que de la jurisprudence allemande qui applique également la directive 96/9/CE relative au droit sui generis. En effet, le Tribunal de Première Instance de Cologne a eu l’occasion de se prononcer, dans l’arrêt Kidnet.de v. Babynet.de, sur la question de la protection par le droit sui generis des bases de données lors de la constitution d’une liste de liens. Il a été retenu que le critère de l’investissement substantiel avait été respecté dans la mesure où le créateur de la base de liens avait contrôlé et vérifié des pages liées et que l’ensemble des liens constituait une base de données protégeable. Le droit allemand a donc appliqué la protection du droit sui generis à une base de données composée de liens. Les États membres de l’Union Européenne appliquent par conséquent la protection sui generis aux bases de données composées de liens. Cette solution est cohérente avec la directive 96/9/CE dans la mesure où elle est indifférente aux contenus des bases de données et peut par conséquent inclure des adresses URL ou des liens. La consultation de l’Internet n’est donc pas limitée par le droit sui generis. Les droits européen et américain n’ont donc pas limité l’accessibilité des contenus sur Internet.

313. La protection des bases de données constituée manuellement ne soulève in fine que des questions d’application du droit commun du droit d’auteur et du copyright ainsi que du droit sui generis à l’Internet. La protection de listes constituées par un algorithme soulève en revanche des problématiques nouvelles.

Paragraphe 2 : La création automatique d’une liste d’ancres

314. Les moteurs de recherche créent en permanence des listes de liens en fonction des recherches effectuées par les internautes. Une liste est donc créée par le renseignement de mots clés qui indiquent à l’algorithme du moteur de recherche quels éléments chercher. Les recherches sont effectuées en fonction de plusieurs critères tels que l’historique des recherches de l’internaute ou la popularité des recherches. Les droits communs du droit d’auteur et du copyright ne protègent pas de telles listes (I) mais le droit sui generis ainsi que le droit de la responsabilité délictuelle pourront avoir vocation à les protéger (II).

I) L’absence de protection des listes constituées par des algorithmes en droit commun

315. Lors de la rédaction de la convention de Berne en 1886 il paraissait évident que seule une personne humaine pouvait créer une œuvre. Le développement des algorithmes soulève désormais la question de la définition de l’auteur et de l’extension de cette notion aux machines et aux algorithmes.

316. La création d’une liste de lien par un algorithme ne satisfait pas aux critères d’originalité du droit d’auteur ni du copyright. Un algorithme est en effet incapable d’effectuer des choix arbitraires indépendamment des commandements techniques auxquels il est soumis. Il y a donc lieu de déduire des critères de protection du droit d’auteur qu’un algorithme ne peut être un auteur. Cette solution irait dans le sens de l’arrêt rendu le 15 janvier 2015 par la première chambre civile de la Cour de cassation qui a retenu que seule une personne physique peut être l’auteur d’une œuvre. Il y a donc lieu de retenir que seule une personne humaine peut être auteur d’une œuvre. Le droit américain présente l’avantage, par rapport au droit européen, d’avoir explicitement pris position sur cette question. En effet, le Copyright Office a retenu à la section 306 de son compendium – qui n’a certes pas valeur obligatoire – que le copyright ne peut naître que sur la tête d’êtres humains. La section 313.2 du compendium exclut en outre expressément du copyright les résultats des activations des machines ou des procédés mécaniques qui opèrent sans aucune créativité provenant d’une personne humaine. Une liste de liens créée par un algorithme ne pourra donc pas être protégée par le copyright. La solution américaine – qui converge vers celle en vigueur en France – présente néanmoins l’avantage de la clarté et permet de limiter l’application du droit aux êtres humains.

317. Il nous semble que cette solution n’aura pas vocation à être modifiée malgré l’amélioration des capacités cognitives des machines. En effet, certaines sont d’ores et déjà capables d’apprendre par elles-mêmes. Il est donc possible qu’un algorithme finisse par créer une liste de liens originale. Cependant, le droit vise à réglementer les relations interpersonnelles entre des êtres humains. Or, les algorithmes ne servent qu’à renforcer ces relations et ne les substituent pas. Il n’y a donc pas lieu de considérer que leurs créations originales naîtront dans leurs mains mais dans celles de leurs propriétaires. La seule question qui restera à trancher – et à laquelle nous répondons par la négative – sera de savoir si nous souhaitons conférer des droits aux machines .

318. Les algorithmes n’ont pas encore de personnalité leur permettant de créer des œuvres originales ce qui exclut par principe l’application du droit d’auteur et du copyright. En revanche, le droit sui generis sur les bases de données n’a pas introduit un tel critère et pourrait s’avérer plus accueillant.

II) La protection des listes de liens

319. Les moteurs de recherche peuvent protéger les résultats produits par les algorithmes par le droit sui generis (A) ainsi que par le droit civil (B).

A) La protection des listes de liens par le droit sui generis

320. Dès lors que le copyright américain ne s’applique pas à une œuvre créée par un algorithme, aucune autre protection ne permettra à quiconque de la réserver. Au sein de l’Union Européenne en revanche aucune règle ne s’oppose a priori à ce que les producteurs de bases de données jouissent du droit sui generis.

321. Aucun arrêt n’a cependant tranché la question de l’application du droit sui generis à la liste de résultats proposée par un moteur de recherche. Certains auteurs considèrent que la liste est trop aléatoire pour être considérée comme un arrangement jouissant de la protection sui generis. C’est donc le critère de l’organisation systématique des liens qui ferait défaut. D’autres auteurs ont en revanche retenu que la constitution d’une liste de liens par un moteur de recherche pourra jouir de la protection de la directive en fonction de la substantialité des travaux de développement des algorithmes permettant de proposer les liens.

322. Cependant, les jurisprudences européenne et française ont rappelé que les investissements doivent porter sur la vérification du contenu de la base de données et sur le contrôle de l’exactitude des éléments recherchés. Les investissements ne doivent concerner que la recherche et la collecte d’informations d’une part et la structuration de la base de données d’autre part . Or, les moteurs de recherche ne permettent que la collecte ainsi que la structuration de données. Ils ne sont pas capables de vérifier les données qu’ils référencent et ils n’ont aucun intérêt à le faire étant donné que les régimes de responsabilité qui leur sont conférés en Europe et aux États-Unis reposent sur l’ignorance du contenu des pages référencées. Les investissements réalisés afin de constituer un moteur de recherche ne bénéficient donc pas de la protection sui generis. L’algorithme n’est en outre pas protégé par le droit sui generis mais par le droit des logiciels dont le régime ne présente pas de particularité pour les hyperliens.

323. La protection sui generis ne s’applique donc pas aux résultats des moteurs de recherche, qui pourront néanmoins recourir au droit civil afin de protéger leurs intérêts.

B) La protection des listes de liens par le droit civil

324. En effet, les sociétés propriétaires de moteurs de recherche peuvent poursuivre les tiers reproduisant leurs résultats sur le fondement du parasitisme en droit français ainsi que du tort de trespass aux États-Unis. Ces deux fondements reposent sur des conceptions différentes. Le parasitisme du droit français sanctionne traditionnellement une forme de concurrence déloyale lorsque la relation entre les parties est de nature commerciale et relève des agissements parasitaires lorsque les parties ne sont pas en situation de concurrence . Cette distinction a été abandonnée et les deux fondements ont été fusionnés. Le tort de trespass en revanche sanctionne le fait d’interférer ou de s’immiscer dans la possession par autrui d’une chose .

325. Le droit français protège donc contre une interaction négative avec le marché alors que le droit américain assure la protection de la propriété sans se préoccuper des questions économiques. Ces deux régimes s’appliquent indifféremment aux liens manuels et automatiques. Cependant, étant donné que les premiers peuvent obtenir assez facilement une protection par le droit d’auteur, le copyright voire le droit sui generis n’auront pas besoin de recourir au droit de la responsabilité civile qui n’intervient qu’en l’absence de droit. En revanche, les créateurs de liens automatiques pourront recourir à ces deux fondements.

326. La jurisprudence française sanctionnera donc le créateur automatique de liens qui « se placer[ait] dans le sillage d’un autre en profitant indûment de la notoriété acquise ou des investissements consentis, résulte d’un ensemble d’éléments appréhendés dans leur globalité, indépendamment de tout risque de confusion ». Il en ira ainsi lorsqu’un moteur de recherche tire indûment profit des investissements et de la renommée d’un autre moteur de recherche alors même qu’il n’existerait pas de risque de confusion. La situation est différente aux États-Unis où ce n’est pas l’impression donnée aux internautes qui sera prise en compte.

327. L’arrêt eBay du District Nord de Californie a en effet retenu que malgré le caractère ouvert du moteur de recherche, qui est accessible à tous les internautes, il s’agit d’un serveur privé dont l’utilisation est sujette à l’autorisation du propriétaire lorsque celui-ci a le pouvoir d’en limiter l’accès, notamment par la voie contractuelle. Ce qui importe c’est la simple possibilité et non pas l’effectivité d’une relation contractuelle. Le tort de trespass pourra dans ce cas être constitué. Il s’agit de l’hypothèse où la responsabilité du défendeur est engagée lorsqu’il ou elle a, sans autorisation, pénétré sur ou utilisé la propriété d’autrui et ce de façon volontaire. L’arrêt eBay a retenu que ce tort est constitué lorsque le défendeur interfère volontairement et sans autorisation avec un droit que le demandeur a sur son ordinateur et lorsque l’utilisation faite par le défendeur cause un dommage au demandeur . Or, le défendeur a utilisé un programme automatique pour se connecter à la base de données de la société eBay et a continué à mener son activité de crawl même après que le demandeur lui a demandé d’y mettre un terme. Il est également nécessaire qu’un dommage soit constitué, ce qui sera le cas lorsque l’utilisation de la chose d’autrui diminue sa qualité, sa valeur ou l’utilisation que l’on peut en faire – bien que le préjudice soit immatériel. En l’espèce la consommation de bande passante ainsi que l’utilisation de la capacité du serveur ont été considérées comme constitutive d’un préjudice. Même si l’existence d’un préjudice économique n’a pas été apportée, le simple fait que la capacité du serveur soit diminuée et que la bande passante soit partiellement utilisée par le défendeur permet de constituer le dommage. Ainsi, l’utilisation ponctuelle par un moteur de recherche et autorisée mais pas l’utilisation systématique . Or, les moteurs de recherche peuvent interdire l’utilisation de données qu’ils produisent par des concurrents . Ce critère permet au droit américain d’arriver en pratique à des résultats assez similaires à ceux du droit français qui sanctionne les tiers se plaçant dans le sillage du demandeur.

328. La différence d’approche entre les deux systèmes est assez classique. Le droit américain adopte une approche techniciste et pragmatique alors que la jurisprudence française s’émancipe plus souvent de la dimension technique – par nature contingente et évolutive – pour réfléchir en terme de relations interpersonnelles. Le droit français interdit donc de présenter des résultats de façon à ce que le créateur automatique de liens se place dans le sillage d’un tiers, alors que le droit américain sanctionne l’aspect technique consistant pour atteindre ce résultat à utiliser la bande passante du créateur automatique de liens. L’approche française est moins pragmatique mais elle présente l’intérêt d’être plus universelle et de pouvoir s’appliquer à d’autres technologies ou à des technologies nouvelles, alors que les juges américains devront comprendre une technologie nouvelle avec le risque d’erreur et donc d’imprévisibilité de la règle que cela implique.

329. Les moteurs de recherche disposent donc de recours fondés sur la responsabilité civile afin de se protéger des utilisations importantes par des tiers. La situation d’exclusivité qui résulte de ces solutions ne constitue cependant pas a priori un frein au développement à l’accès à la culture. En effet, les internautes peuvent utiliser les listes proposées par les moteurs de recherche sans que leur responsabilité ne puisse être engagée. Seuls seront interdits les actes parasitaires ou les utilisations des moteurs de recherche à l’origine d’un préjudice dans la jouissance de l’algorithme. Nous verrons dans des développements postérieurs que le droit des contrats pourra également venir en aide aux propriétaires de bases de données en ligne. Cela leur conférera un autre type de protection sur leurs créations.

330. Les possibilités de protection des bases de données d’ancres s’avèrent assez larges pour les créateurs manuels de liens et beaucoup plus réduites pour les créateurs automatiques de liens. Néanmoins, lorsqu’une base de données est protégée, son utilisation par des tiers sera encadrée.

Sous-Section 2 : l’utilisation d’une liste protégée

331. Lorsqu’une base de données est constituée, le droit des tiers à l’extraction est encadré (Paragraphe 1). En cas de violation de ces règles les contrefacteurs engagent leur responsabilité (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les conditions d’utilisation d’une liste protégée

332. La différence de conceptions entre le droit européen et le droit américain débouche logiquement sur des approches différentes de la question de l’extraction des éléments d’une liste de liens. Les conditions varieront selon que le droit d’auteur français, le copyright américain, ou le droit sui generis européen s’appliquent.

333. Lorsqu’une base de données sera protégée par le droit d’auteur ou le copyright, les tiers ne pourront pas la reproduire en dehors des exceptions fermées de l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle ou de la section 107 du Copyright Act qui propose une conception ouverte des exceptions. La reproduction dans le cadre d’une citation ou d’une revue de presse sera par conséquent possible. Néanmoins, les possibilités de réutilisation par des tiers s’avèrent relativement limitées.

334. Il en ira différemment pour les bases de données protégées par le droit sui generis. En effet, le droit sui generis permet une appropriation si importante que le législateur européen l’a fortement limitée en définissant l’extraction de façon certes large mais en limitant son champ d’application. L’extraction a été définie par la CJUE comme « tout acte consistant (…) à s’approprier (…), sans le consentement de la personne qui a constitué la base de données, les résultats de son investissement, privant ainsi cette dernière de revenus censés lui permettre d’amortir le coût de cet investissement ». Cet acte n’a pas à être matériel et peut être simplement intellectuel . L’extraction est donc constituée par une inspiration et non pas uniquement une simple aspiration . La protection accordée par le droit sui generis marque donc le passage d’un paradigme du droit d’auteur fondé sur la protection de la forme à une protection de la nouveauté. En effet, lorsqu’un producteur s’inspirera d’une base de données ancienne il commettra une violation du droit sui generis indépendamment de la question de la reprise de la forme. La directive 96/9/CE a donc intégré, dans un régime relevant du droit d’auteur, un critère traditionnellement limité au droit des brevets . Le droit américain ne pourra jamais intégrer une telle protection – sauf à imaginer une intervention législative très peu probable – car l’arrêt Feist a retenu que le critère de protection par le copyright est l’originalité.

335. Eu égard à l’intérêt pour le public d’accéder aux informations contenues dans une base de données, les deux systèmes ont intégré une marge de tolérance face à la contrefaçon. En effet, l’extraction des contenus des bases de données protégées par le droit sui generis est autorisée dès lors qu’elle porte sur un élément ne s’avérant pas substantiel. Le caractère substantiel peut être quantitatif ou qualitatif . Le droit européen va donc plus loin dans la limitation du monopole avec le critère de substantialité que le droit américain.

336. En effet, le copyright américain retient que la reproduction d’une partie « constituent » – c’est-à-dire importante pour l’œuvre – requiert l’autorisation de l’auteur . Il y a lieu de conclure qu’une reproduction qui ne sera pas constituent n’engagera pas la responsabilité du copieur car elle sera de minimis. Il s’agit d’une originalité du copyright américain qui est rejetée en droit d’auteur français. Les seuils de substantialité européenne et de constituent américain seront établis au cas par cas dans chaque affaire, ce qui rend difficile toute comparaison des niveaux de protection. Cependant, le seuil constituent est plus bas que celui de caractère substantiel du droit sui generis.

337. Dans les deux systèmes, les protections des bases de données donnent donc lieu à des régimes de propriété particuliers autorisant une violation acceptable par les tiers – sauf lorsqu’elles sont protégées par les droits d’auteur européen et français. Il ne s’agit donc pas de droits de propriété absolus mais du résultat de la recherche d’un équilibre entre les intérêts du producteur ou de l’auteur d’un côté et du public de l’autre. Lorsque cet équilibre est rompu par un internaute le droit du producteur de la base de données sera violé.

Paragraphe 2 : La violation des droits sur les bases de données et les compilations

338. Les droits français et américain saisissent de façons différentes la question de la protection des bases de données en appliquant le droit sui generis et le droit d’auteur pour le premier, et le droit commun du copyright pour le second. Étant donné que les intérêts protégés sont différents les sanctions ne peuvent que diverger.

339. L’Union Européenne s’est abstenue de déterminer les sanctions applicables lors de l’extraction d’une base de données. La directive européenne 96/9/CE confie en effet aux États membres la tâche de « prévoir des sanctions appropriées en cas d’extraction et/ou de réutilisation non autorisées du contenu d’une base de données ». La directive précise seulement que les sanctions applicables en cas de violation du droit sui generis doivent être différentes de celles encourues en cas de violation du droit commun du droit d’auteur. La directive entérine ainsi le fait qu’il s’agisse d’intérêts différents. Le droit américain ne connaît évidemment pas cette distinction car il applique le droit commun du copyright.

340. À ce titre, le droit français a introduit des sanctions civiles et pénales pour la violation des droits sui generis . Les sanctions civiles de la violation du droit sui generis ne sont pas précisées et il y a donc lieu d’appliquer les règles de droit commun en réparant l’intégralité du préjudice conformément aux règles de droit commun . Le dommage sera donc réparé intégralement sans que le producteur de la base de données ne puisse s’enrichir. Le droit américain adopte une approche similaire en appliquant les sanctions de droit commun du copyright. Les ayants droit peuvent par conséquent demander des dommages et intérêts équivalents au préjudice subi ainsi que les profits du défendeur . Le droit américain s’écarte néanmoins du droit français dans la mesure où il autorise les dommages et intérêts « statutory » qui consistent en une somme allant de 750 dollars pour une violation involontaire à 150 000 dollars pour une violation volontaire du copyright. De tels montants seraient prohibés en droit français car ils permettent au demandeur de s’enrichir. Les sanctions civiles du droit américain s’avèrent donc plus dissuasives qu’en droit français. Outre les sanctions civiles, les droits français et américain ont établi des mesures pénales.

341. Les sanctions pénales ne protègent cependant pas l’intégralité du droit sui generis en droit français. L’article L. 343-4 du Code de la propriété intellectuelle ne sanctionne que la violation des dispositions de l’article L. 342-1 relatif à l’interdiction de l’extraction et de la réutilisation. Or, étant donné que les normes pénales sont d’interprétation stricte, les sanctions n’ont pas vocation à s’appliquer à l’article L. 342-2 du Code de la propriété intellectuelle. Cet article concerne uniquement l’extraction ou la réutilisation répétée ou systématique de contenus de la base de données. Cette dernière infraction ne relève donc que des sanctions civiles. Les sanctions pénales ne concernent par conséquent que l’extraction substantielle effectuée en une seule fois. Cette solution nous paraît injustifiée car la dangerosité pour le producteur de base de données est la même que l’extraction substantielle soit effectuée en une seule ou en plusieurs fois.

342. Les peines pour la violation de l’article L. 342-1 du Code de la propriété intellectuelle s’élèvent à trois ans de prison et de 300 000 euros d’amende depuis la loi du 9 mars 2004 et sont portées à cinq ans d’emprisonnement et 500 000 euros d’amende lorsque l’infraction est commise en bande organisée. Ces peines sont les mêmes qu’en matière de droits voisins , ce qui souligne la confusion du régime juridique des bases de données.

343. Le champ d’application des sanctions pénales en droit américain est en revanche plus limité qu’en droit français. En effet, même si le contrefacteur encourt une peine de six ans d’emprisonnement – soit le double de la peine française – il existe une série de critères limitant l’application des sanctions pénales. Tout d’abord, la personne doit être déclarée coupable d’avoir reproduit ou distribué au cours d’une période de 180 jours une ou plusieurs copies d’œuvre protégée par le copyright d’une valeur égale ou supérieure à 1 000 dollars. De façon alternative, sa responsabilité pénale sera engagée lorsqu’elle aura distribué une œuvre en cours de préparation en vue d’une distribution commerciale, en la téléchargeant sur un réseau d’ordinateur accessible au public. Dans les deux hypothèses, la responsabilité pénale ne sera engagée que si cette personne savait ou aurait dû savoir que l’œuvre était destinée à une distribution commerciale . Le but lucratif n’a pas d’incidence sur la qualification de misdemeanor alors que le droit français prend en compte cette dimension dans l’appréciation de la violation du droit sui generis . Or la distribution de parties d’une compilation ou de l’intégralité peut constituer une distribution au sens de la section 506 U.S.C. et à ce titre le contrefacteur encourt une peine de 6 ans d’emprisonnement. Le droit pénal américain s’appliquera donc moins souvent que le droit pénal français mais, lorsque tel sera le cas, il se montrera plus dur. Nous verrons dans des développements postérieurs qu’en pratique les juges y ont très peu recours . Le droit français adopte donc une politique pénale globalement plus ferme que le droit américain car il est d’application plus large. Le droit américain vise en revanche à dissuader les tiers principalement via le recours à des sanctions civiles.

344. Les internautes pourront donc reproduire des listes de liens dès lors que l’extraction ne porte pas sur des parties substantielles. À défaut, leur responsabilité pourra être engagée à des degrés divers en France et aux États-Unis. La méthode américaine, qui consiste à condamner financièrement tout en limitant le plus possible le recours à l’incarcération, doit être approuvée. Néanmoins, une approche plus proportionnée, sur le modèle européen, apparaît nécessaire et ce, afin de ne pas rendre une condamnation pour extraction fautive tout à fait injuste.

345. Les réglementations relatives à la protection des bases de données visent donc, selon des moyens très divers, à encourager la création de bases de données. Le dynamisme de la création de bases de données permet au public – et notamment aux internautes – de bénéficier d’un accès facilité aux œuvres. L’accès à la culture se trouve donc globalement renforcé par la réglementation relative aux bases de données, d’autant plus que le droit sui generis européen a introduit le critère de substantialité de l’extraction qui permet aux internautes d’en extraire une partie. L’accès à la culture est donc facilité par les bases de données. Cependant, la facilité de l’accès perdrait de son intérêt si les œuvres étaient présentées hors contexte. Le droit moral va permettre aux internautes d’accéder à des œuvres intellectuellement sécurisées.

Section 2 : Les droits moraux

346. Au lendemain de leurs révolutions, aucun des deux systèmes ne reconnaissait juridiquement le droit moral bien que l’idée commençait à germer dans le corps social français. La protection juridique des droits moraux n’a en effet été reconnue en France qu’au XIXe siècle. Ce sont la jurisprudence et la doctrine françaises qui ont construit – influencées par le courant romantique – un régime de protection des prérogatives morales des auteurs. La jurisprudence a adopté une démarche casuistique et a tout d’abord reconnu l’existence de prérogatives précises avant de systématiser l’ensemble sous le vocable de droits moraux . Le droit d’auteur français a étendu sa conception des droits moraux de l’auteur en incluant le droit de paternité, le droit de divulgation, de retrait ainsi que le droit à l’intégrité de l’œuvre . Ce mouvement a ainsi abouti à l’achèvement d’une théorie dualiste française du droit d’auteur . Les systèmes français et américain ont fortement divergé à partir de cette époque.

347. Le droit français se place ainsi dans une conception inspirée de la philosophie hégélienne de la propriété en ce qu’elle est pensée par le philosophe allemand comme l’expression de la personnalité. Étant donné que les droits moraux sont des droits de l’Homme, ils sont perpétuels, imprescriptibles et inaliénables . Néanmoins, et contrairement aux dispositions de la convention de Berne, le droit français protège l’œuvre et non pas l’auteur . Les droits moraux sont donc concomitamment des droits des auteurs et du public car l’œuvre est au centre de leurs relations.

348. Le droit moral est en effet né afin de protéger les intérêts intellectuels des auteurs et – par voie de conséquence – les intérêts culturels liés aux œuvres . Le respect de ces intérêts permet au public d’accéder à l’œuvre tel que l’auteur l’a conçu. Cette prérogative est ainsi liée à la dimension culturelle du droit d’auteur. En effet, le droit d’auteur n’est pas sanctionné lorsque le caprice d’un artiste n’est pas respecté mais dès lors qu’un intérêt social a été violé . La différence entre les droits français et américain est également le résultat des différences de traditions religieuses entre la tradition protestante anglo-saxonne et les traditions chrétiennes continentales. Il y a donc une particularité américaine à cause de la conception très austère développée outre-Atlantique en matière d’art par les Pilgrim Fathers.

349. En outre, depuis l’arrêt Wheaton , le droit américain a tourné le dos à l’approche jusnaturaliste de la doctrine de la première moitié du XIX siècle pour embrasser une approche positiviste. En effet, l’arrêt Wheaton a été rendu à la suite de l’arrêt Gibbons v. Ogden qui a retenu une approche positiviste du droit des brevets. Ils sont conçus pour faciliter le commerce inter-étatique. Or, le droit des brevets et le copyright tirent tous les deux leur origine de la même clause constitutionnelle. Dès lors, il aurait été incohérent que la jurisprudence adopte d’une part une approche jusnaturaliste tournée vers la protection d’une figure fantasmée de l’auteur, et de l’autre une conception commerciale limitée aux brevets . En outre, les droits moraux risquant, d’un point de vue américain, de limiter les échanges commerciaux, il n’y a pas lieu de les introduire.

350. Le manque d’universalisme des droits moraux a laissé des traces dans la convention de Berne – à laquelle le Royaume-Uni était déjà partie en 1887 – dont l’article 6bis a adopté une conception minimaliste. La convention de Berne ne protège pas les prérogatives morales portant sur le lien entre l’auteur et son œuvre, mais n’assure que le respect du nom et de l’honneur de l’auteur. Ainsi, alors que le droit français applique la protection des droits moraux à l’œuvre, la convention de Berne la limite à l’auteur. Le droit moral français constitue donc un droit de propriété intellectuelle ad hoc alors que la convention de Berne introduit un droit personnel.

351. Les États-Unis ont donc traditionnellement rejeté le droit moral. Ils n’ont introduit, au niveau fédéral , qu’une protection minimale des droits moraux dans le Visual Artists Rights Act afin de conformer le droit américain à la convention de Berne. Cette loi assure aux auteurs d’œuvres des beaux-arts la protection de leurs droits à la paternité et au respect de leurs œuvres originales tant qu’ils n’effectuent pas plus de 200 copies numérotées , que l’œuvre n’a pas été créée en tant que work made for hire – c’est-à-dire une œuvre créée par un salarié dont les droits sont automatiquement transférés à l’employeur – ni dans un but publicitaire, ni dans le cadre d’une « electronic publication ». La nouvelle protection est donc très limitée. Elle n’a sans doute pas vocation à s’appliquer aux œuvres créées sur support numérique car la liste mentionnée se réfère à des œuvres sur un support matériel .

352. Les droits français et américain connaissent donc le paroxysme de leurs divisions en matière de droits moraux. En pratique les différences seront d’autant plus grandes que l’Internet exacerbe les violations des droits moraux car les supports numériques permettent de nombreuses manipulations . Cependant, le Copyright Office réfléchit actuellement à l’introduction d’un droit de paternité en droit américain . Cela permettrait au droit américain de respecter les dispositions de l’article 6bis de la convention de Berne relatives au droit de paternité . La question a suscité un regain d’intérêt étant donné que certains processus technologiques ont pour effet de retirer les métadonnées qui peuvent contenir des données identifiant l’auteur .

353. Une telle convergence serait sans doute pertinente car les droits moraux permettent deux types de sécurité. Les droits de divulgation et de paternité permettent d’établir une liaison avec l’auteur au moment où il décide d’offrir son œuvre au public, assurant ainsi la sécurité des sources sur Internet (Paragraphe 1). La seconde sécurité est assurée par le droit d’intégrité qui permet la construction d’un Internet intellectuellement sûr où les œuvres ne sont pas présentées dans un contexte différent de celui imaginé par l’auteur (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L’ancre face au droit de divulgation et de paternité

354. La divergence entre les deux systèmes est surprenante car la sacralisation de l’auteur constitue pourtant un intérêt intellectuel pour les chercheurs et le public. En effet, le droit de divulgation (I) permet à l’auteur de contrôler les modalités de la première communication de son œuvre qui peuvent être riches de sens.

355. En outre, l’apposition du nom d’un auteur sur une œuvre (II), offre des clés de lecture du travail effectué en permettant de la contextualiser. Il est ainsi plus facile de comprendre les évolutions intellectuelles et artistiques à partir de la Renaissance, où les auteurs signaient leurs œuvres, qu’au Moyen-Âge où ils ne mentionnaient que rarement leurs noms. Le droit moral présente donc un intérêt intellectuel pour le public car il permet de comprendre l’origine des œuvres ainsi que leur objectif intellectuel.

I) Le droit de divulgation de l’œuvre

356. Le droit de divulgation consiste à réserver à l’auteur le choix des modalités de la communication de son œuvre au public . Le terme de divulgation vient du latin vulgus qui signifie la foule . Il s’agit donc d’un droit tourné vers la relation entre l’auteur et son public, alors que les droits patrimoniaux se limitent à des considérations économiques.

357. Cette prérogative n’est pas mentionnée dans la convention de Berne. Les États membres n’ont donc pas l’obligation de l’introduire en droit interne. L’adhésion des États-Unis à la convention de Berne n’a par conséquent pas permis aux droits français et américain de converger sur cette prérogative. Les États-Unis n’ont donc pas eu besoin d’intégrer le droit de divulgation dans le Visual Artists Rights Act . La question de l’application du droit de divulgation oppose donc les systèmes protecteurs des prérogatives morales des auteurs, c’est-à-dire les droits continentaux, et les systèmes protecteurs des intérêts économiques des auteurs que sont les États-Unis et l’Union Européenne.

358. Le droit français connaît le droit de divulgation depuis l’arrêt Whistler du 14 mars 1900 dont la solution a été confirmée dans l’arrêt Camoin du 6 mars 1931 . Le législateur l’a consacré dans la réforme de 1957 . Depuis la codification de 1992, le droit de divulgation a été intégré à l’article L. 121-2 du Code de la propriété intellectuelle qui énonce que « l’auteur a seul le droit de divulguer son œuvre ». Il y est précisé que « l’auteur détermine le procédé de divulgation et fixe les conditions de celles-ci ». L’auteur de son vivant a le droit discrétionnaire de décider des modalités de la divulgation de son œuvre . Le droit de divulgation consiste donc à communiquer son œuvre à la foule.

359. L’auteur d’une œuvre peut donc, en France, décider des modalités de divulgation de ses œuvres. Les auteurs américains ne jouissent pas de prérogatives similaires mais ils pourront recourir à un équivalent fonctionnel en opposant leurs droits patrimoniaux. Les auteurs pourront en effet opposer les droits qu’ils tiennent de la section 106 du Copyright Act lorsqu’un tiers communique l’œuvre au public en opposant notamment le droit de performance ou de display. Ainsi, là où le droit français permet d’opposer les droits patrimoniaux et moraux, le droit américain n’offre que des prérogatives patrimoniales. Cette limitation du droit américain a des conséquences dans l’étendue de cet équivalent fonctionnel. Les auteurs ne pourront pas s’opposer en droit américain à une divulgation qu’ils n’auraient pas souhaitée par un cessionnaire de leurs œuvres alors qu’ils en auront la possibilité en droit français.

360. La doctrine française s’est opposée sur la question de savoir si le droit de divulgation s’épuise à la suite de la première divulgation . En cas de réponse positive les auteurs conserveraient le droit de déterminer les conditions de communication d’une œuvre au public sur un nouveau medium. La jurisprudence a été incertaine sur la question, retenant parfois la thèse de la divulgation limitée aux modes de divulgation acceptés par l’auteur ou la thèse de l’épuisement sans réserve . Cependant, l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 11 décembre 2013 retient que le droit de divulgation s’épuise « par le premier usage qu’en fait l’auteur ». Un hyperlien ne procède donc pas à la divulgation à un public nouveau comme l’avait déjà énoncé Philippe Gaudrat dès 2006 étant donné que c’est la mise en ligne qui est à l’origine de la divulgation au public. Cette solution est logique dans la mesure où l’Internet constitue un espace unique il n’y a pas lieu de considérer qu’il puisse y avoir de semi-divulgation une fois que l’œuvre a été téléchargée en ligne. Le principe de la semi-divulgation doit par conséquent être écarté. Le droit français autorise donc les créateurs d’ancres à reproduire une œuvre déjà présente sur Internet sans avoir à solliciter l’autorisation de divulguer l’œuvre. Aucun arrêt français n’est venu préciser cette position en matière d’ancres de liens, mais il est tout à fait probable que les juges hexagonaux trancheront dans le sens de l’absence de violation du droit de divulgation dès lors qu’elle a déjà été divulguée sur Internet. Cette approche nous paraît philosophiquement juste car, bien qu’elle fasse fi des différences culturelles au sein d’une société, elle présente l’avantage de postuler le caractère universaliste de la culture et s’avère par là même démocratique.

361. La jurisprudence belge, dont les solutions sont souvent proches de celles retenues en France, a eu l’occasion de se pencher sur cette question. En effet, le tribunal de grande instance de Bruxelles a statué en référé – juge de l’évidence – dans une affaire opposant la société Google et la société Copiepresse . Il a jugé que la société Google ne viole pas le droit de divulgation lorsqu’elle utilise les œuvres de la société Copiepresse, dans la mesure où elles se trouvent déjà sur le Web. Internet serait donc un espace commun et unique sur lequel il n’est pas possible de divulguer plusieurs fois. Les droits français et belge limitent donc le droit de divulgation à un usage unique sur chaque medium. Étant donné que le droit de divulgation peut constituer une limite au droit à la culture du public en ce qu’il limite la circulation des œuvres, cette solution doit être approuvée car elle limite un contrôle disproportionné sur les œuvres. Les systèmes protecteurs des seuls droits patrimoniaux arrivent à une solution similaire mais selon un raisonnement différent. Une œuvre divulguée sur Internet est considérée comme ayant été communiquée à l’ensemble des internautes et ne souffre aucune divulgation ultérieure. Néanmoins, l’approche européenne n’est pas complètement opposée à celle en vigueur aux États-Unis, elle s’avère seulement plus nuancée.

362. La jurisprudence américaine adopte une approche uniquement patrimoniale mais elle a quand même eu l’occasion de rejeter la notion de semi-divulgation. Il a ainsi été retenu dans l’arrêt Harper & Row, Publishers, Inc. v. Nation Enters que « under ordinary circumstances, the author’s right to control the first public appearance of his undisseminated expression will outweigh a claim of fair use ». L’arrêt a ainsi retenu que la publication régulière par extraits des mémoires du président Ford, qui étaient sur le point d’être publiées, constituait une contrefaçon car elle ne bénéficie pas de l’exception de fair use à cause de l’absence de publication de l’œuvre. L’approche diffère profondément de celle adoptée en droit français. En effet, le droit américain sanctionne la reproduction de l’œuvre et adopte une lecture plus rigide de l’exception de fair use au lieu de sanctionner en soi la divulgation sans l’autorisation de l’auteur.

363. Les auteurs pourront en outre rechercher l’application du droit de distribution afin d’obtenir un équivalent limité au droit de divulgation. Ce droit permet à l’auteur de contrôler la première vente ou le premier transfert de titularité de son œuvre, par location ou par prêt . Il a ainsi été retenu que viole le droit de distribution l’internaute qui rend accessible au public une copie non autorisée par son auteur en permettant aux internautes de la télécharger . Les auteurs pourront donc s’opposer à ce qu’un internaute crée une ancre à partir d’une œuvre qu’ils n’ont pas encore distribuée. Il ne s’agit cependant pas d’une alternative exacte au droit de divulgation car le droit américain ne divise pas entre les publics et ne connaît donc pas la notion de semi-divulgation . Le droit de distribution ne sera en pratique que rarement opposable. Il serait en effet nécessaire de créer l’ancre reproduisant l’œuvre non encore distribuée – ce qui sera rarement le cas – avant que la page liée ne la reproduise. Cette hypothèse aura rarement l’occasion de s’appliquer en pratique. Les droits patrimoniaux américains n’offrent donc pas une protection aussi large que le droit de divulgation français.

364. Il en résulte que les droits français, européen et américain, même s’ils abordent la question à partir d’angles différents, considèrent l’Internet comme un espace unique et assurent à l’auteur une forme de contrôle sur la première communication de son œuvre au public. La mise en ligne d’une œuvre sur Internet épuise donc le droit de l’auteur d’interdire son utilisation par des tiers sur ce medium. Le créateur d’une ancre pourra par conséquent utiliser une œuvre mise en ligne sur Internet sans violer le droit de divulgation. En revanche, si l’œuvre n’a pas été mise en ligne, la reproduction constituera une violation du droit de divulgation en France alors qu’elle sera autorisée aux États-Unis. Le public français sera également privilégié dans sa compréhension des œuvres grâce au droit de paternité.

II) Ancre et droit de paternité

365. Le respect du nom de l’auteur est apparu de facto au début de la Renaissance. Dans un premier temps, le nom de l’auteur était déterminé par l’usage et n’était pas toujours mentionné. Cependant, au XVIe siècle, le nom de l’auteur prend une dimension plus officielle notamment grâce à l’invention de l’imprimerie qui en assure une présentation stéréotypée . La technique a donc favorisé l’établissement d’un lien entre l’auteur et son œuvre. Le nom est dès cette époque perçu comme un moyen d’appréhension de l’œuvre. Ainsi, de nombreux auteurs mentionnent leur appartenance géographique ainsi que leurs traits de caractères qui peuvent changer en fonction du public auquel ils s’adressent. Les auteurs, et notamment Érasme , prennent conscience à cette époque de leur paternité et commencent ainsi à germer une conception de ce qui est devenu le droit moral de paternité . Néanmoins, le droit de paternité a attendu plusieurs siècles avant d’être juridiquement protégé.

366. Il a notamment bénéficié d’une reconnaissance internationale en 1928 lors de la révision de Rome de la convention de Berne. L’article 6bis de la convention de Berne fait donc obligation aux États membres de respecter le droit de paternité des auteurs. Les droits français et américain sont donc tenus d’inclure le droit de paternité des auteurs. Cependant, les droits français et américain divergent profondément sur cette question.

367. Le droit français a adopté, à l’inverse du droit américain qui ne le reconnaît toujours pas, une conception jusnaturaliste du droit de paternité. Il est considéré en France comme un droit inné de l’auteur lié à son acte de création intellectuelle. Le droit français se place donc, à la différence du droit américain, dans le sillage de Kant. L’auteur avait en effet relevé dans « De l’illégitimité de la contrefaçon des livres » que « l’écrit d’un autre est un discours d’une personne et celui qui l’édite ne peut parler au public qu’au nom de cet autre, et il ne peut dire de lui-même autre chose sinon que l’auteur tient au public le discours suivant par son intermédiaire ». Il y a donc chez Kant l’idée qu’une œuvre véhicule un message qui est propre à son auteur que nul ne peut s’approprier. La paternité de l’œuvre était donc déjà perçue comme l’origine intellectuelle de l’œuvre qui ne pouvait être trahie par des tiers à l’auteur. Le respect de la paternité d’une œuvre se justifie donc vis-à-vis de l’auteur – qui jouit d’un jus personalissimum – mais également du public. Le droit de paternité de l’auteur bénéficie en effet au public dans la mesure où il peut prendre connaissance d’un discours sans erreur sur son origine, ce qui s’avère souvent fondamental dans la compréhension d’une œuvre. Le droit américain se place en revanche dans une dynamique économique et en aucun cas jusnaturaliste.

368. Le droit américain ne reconnaît traditionnellement aucune protection pour les droits moraux et notamment pour le droit de paternité. Ce rejet des prérogatives morales, issu en partie d’une traduction malheureuse en moral rights – qui laisse entendre que ces droits ont une dimension morale – a notamment justifié la réticence du législateur américain à ratifier la convention de Berne. En outre, la faible reconnaissance des droits moraux dans le VARA est en partie due au fait que le copyright ne constitue pas – à l’inverse du droit français – un droit de l’Homme mais un droit d’inspiration positiviste . Enfin, le copyright américain tient son fondement de la même clause constitutionnelle que le droit des brevets, ce qui implique une confusion entre les philosophies des deux droits faisant obstacle à la reconnaissance des droits moraux. Le champ d’application du VARA est par conséquent limité à celui établi par le Congrès.

369. La jurisprudence américaine n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur l’applicabilité du Visual Artists Rights Act à l’Internet. Une partie de la doctrine américaine considère néanmoins qu’il y a lieu d’appliquer ces dispositions à l’Internet en se fondant sur l’arrêt Carter v. Helmsley-Spear, Inc. qui a retenu que le Visual Artists Rights Act s’applique aux œuvres indépendamment du support. L’arrêt s’est ainsi fondé sur un rapport de la Chambre des Représentants relatif au Visual Artists Rights Act retenant que le medium était sans importance et que les fichiers numériques, notamment des peintures, pouvaient jouir de la protection du droit moral. Le Visual Artists Rights Act ne pourra cependant pas s’appliquer à des reproductions d’une œuvre matérielle car il ne s’applique qu’aux originaux. La lecture libérale d’une partie de la doctrine américaine est sans doute erronée car les œuvres susceptibles de bénéficier de la protection sont toutes matérielles – ce qui devrait faire obstacle à leur protection par le VARA sur Internet – et parce que le législateur de l’époque n’avait certainement pas pensé étendre l’application de la loi au numérique. Or, cette réglementation est particulièrement détaillée. Il doit par conséquent être retenu que la liste des critères de protection est exhaustive et doit être comprise strictement. Les auteurs américains devront donc chercher des équivalents fonctionnels aux droits moraux français dans les prérogatives patrimoniales de la section 106 voire dans le Lanham Act relatif au droit des marques.

370. Les deux droits divergent d’autant plus que le droit français a adopté une approche globale du droit de paternité en y incluant tous les attributs de la personnalité. Ainsi, le corollaire du droit au nom est établi à l’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle qui établit le droit au respect de la qualité de l’auteur. Il ne s’agit pas de « jugements subjectifs laudatifs », mais de références à la condition sociale et juridique de l’auteur tels que les titres , grades, distinctions ou les fonctions présentes ou passées . Le droit américain n’assure aucune protection de la condition sociale et juridique des producteurs et a fortiori des auteurs. La divergence ne pouvait être plus grande entre les deux systèmes.

371. Ainsi, ce ne sont pas simplement deux droits qui s’offrent à l’examen, mais plus généralement deux philosophies de la création, de la culture et de la place de l’auteur dans la société. Le créateur de lien peut violer le droit de paternité de l’auteur en s’abstenant de la mentionner (A) ou en mentionnant une paternité erronée (B).

A) L’absence de mention du nom de l’auteur

372. L’absence de mention du nom de l’auteur reçoit un traitement différent pour les liens manuels (1) et automatiques (2), alors que les préjudices pour l’auteur et le public sont similaires dans les deux cas.

1) Les liens créés manuellement

373. Le droit de paternité vise à assurer le respect du « lien naturel » qui existe entre l’œuvre et son auteur. Or, le lien de paternité doit être compréhensible pour le public qui est également le bénéficiaire de ce droit. Il en résulte que la mention du nom de l’auteur doit se trouver à proximité immédiate de l’œuvre afin que la liaison soit évidente. Malgré l’avantage culturel que cela représente pour le public, les droits français et américain divergent sur l’existence d’un principe d’accessibilité immédiate de l’information quant à l’auteur ou à l’origine.

374. En effet, le droit français accorde une protection élevée du droit de filiation entre l’auteur et son œuvre et impose par conséquent un principe d’accessibilité immédiate du nom à partir de l’œuvre. L’approche est centrée sur l’auteur et les intérêts du public des œuvres. En droit américain en revanche, la section 43(a) du Lanham Act – qui assure une forme de protection contre le parasitisme aux marques non enregistrées – se limite à une protection des consommateurs et non pas du public compris comme une pluralité intellectuelle, sans considération pour l’auteur. Il ne sanctionne donc que les mentions erronées relatives à l’origine matérielle – et non pas intellectuelle – de l’œuvre. En outre, il n’impose pas d’obligation positive d’information quant à l’origine du produit. Ainsi, alors que le droit français protège positivement le droit de paternité, le droit américain se contente de sanctionner les mentions ayant pour conséquence de tromper les consommateurs. Le droit français protège donc le droit des auteurs et du public, alors que le droit américain assure le respect des intérêts des consommateurs.

375. Cette distinction s’explique par le fait – outre les raisons que nous avons rappelées précédemment – qu’au moment du vote de la Constitution américaine la majorité des œuvres créées aux États-Unis n’étaient pas fortement empreintes de la personnalité de leurs auteurs puisque la majorité était de nature éducative ou civique . La situation a néanmoins changé et la production artistique américaine est désormais fortement marquée par la personnalité des auteurs au même titre que les œuvres françaises et européennes. Il nous semble donc que la réduction du public à un ensemble de consommateur n’est plus pertinente et que le droit américain devrait introduire un droit de paternité plus large que les ersatz du Lanham Act et du VARA.

376. L’avantage pour l’accès à la culture que confère le droit de paternité a été souligné par la jurisprudence française. En effet, dans un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris du 6 juin 2008 concernant des photographies exposant Carla Bruni, les juges ont retenu que le lien violait le droit de paternité de l’auteur car son nom n’était « pas accessible depuis l’affichage de la photographie litigieuse », mais uniquement depuis « un article illustré par cette photographie ». Les juges ont donc sanctionné l’éloignement entre l’œuvre et l’ancre menant vers le nom de l’auteur. L’ancre du lien menant au nom de l’auteur doit par conséquent se trouver à proximité de l’œuvre. Cette rigidité des juges se justifie sur l’Internet car il est plus facile dans le monde analogique de présenter le nom de l’auteur près de son œuvre. Ainsi, alors qu’il est compréhensible de ne pas écrire le nom de l’auteur d’une pièce de théâtre sur le devant de la scène, il serait critiquable de ne pas le mentionner à proximité immédiate de la vidéo protégée car cela ne gêne pas la visualisation de l’œuvre. La jurisprudence n’a pas à faire preuve de souplesse quand la mention du nom de l’auteur à proximité de son œuvre ne soulève pas de difficulté technique. En outre, l’absence de mention du droit de paternité ne constitue qu’une simple commodité pour les créateurs de sites Internet et non pas une nécessité technique assurant une meilleure circulation des œuvres ainsi qu’une baisse des coûts. Il est donc relativement aisé de respecter les prérogatives des auteurs et il n’y a donc pas lieu de limiter le champ d’application du droit de paternité.

377. Ce principe de proximité est inconnu en droit américain car la création d’un lien vers l’origine du produit n’est pas obligatoire. En outre, si un lien est établi entre un produit et son origine, l’internaute n’aura pas l’obligation de placer l’ancre à proximité immédiate de l’image du produit dès lors que cela ne crée pas un risque de confusion. Le droit américain n’aborde donc pas la question en terme de droit des auteurs mais d’interdiction de tromper les consommateurs. Le droit américain ne rejoint donc que très partiellement le droit français.

378. Le copyright pâtit de l’approche mercantile du droit américain qui n’oblige pas à relier une œuvre à un auteur. L’approche française nous semble préférable car elle permet aux auteurs de voir leur droit au nom respecté, et elle assure au public l’accès à une information directe sur l’origine intellectuelle des œuvres . La comparaison entre les deux systèmes permet donc de souligner que les droits moraux ne protègent pas que les intérêts des auteurs mais également ceux de la société. En effet, l’absence de mention de l’auteur ne permet pas de connaître la source intellectuelle de l’œuvre, ce qui fait obstacle à une compréhension globale du contexte philosophique d’une œuvre et ne renforce pas la sécurité des sources sur Internet. Le droit de paternité est donc irrigué d’une fonction sociale renforçant l’accès à la culture que le droit américain n’a pas saisie.

379. La solution américaine nous apparaît dès lors injustifiée car elle n’assure pas une meilleure circulation des œuvres et n’incite pas à la création d’œuvres nouvelles. Le droit américain pourrait par ailleurs aller plus loin que le droit français dans la mesure où il n’a pas adopté un paradigme jusnaturaliste lui permettant de régler tout conflit entre droit de paternité et intérêt du public en faveur de ce dernier – ce qui s’avère protecteur du droit à la culture – alors que le droit français résoudrait un tel conflit en faveur des auteurs. La dimension sociale du droit français n’est donc pas une couche constituante du droit de paternité mais une éclosion des racines jusnaturalistes. Le public américain peut cependant souvent se référer à la mention de copyright afin de connaître l’auteur de l’œuvre.

380. La mention de copyright , traditionnellement utilisée aux États-Unis alors qu’elle est inconnue du droit français, n’assure cependant qu’une protection imparfaite du droit de paternité tel qu’il est conçu en France. Elle a perdu son caractère obligatoire aux États-Unis depuis le Berne Convention Implementation Act . Les auteurs américains continuent néanmoins à recourir à la mention pour les avantages qu’elle offre aux auteurs , notamment parce qu’elle permet d’écarter la défense de innocent infringement . La mention ne constitue qu’un équivalent fonctionnel incomplet du droit de paternité français car elle requiert de mentionner le titulaire du copyright qui peut ne pas être l’auteur en cas de cession de l’œuvre . La différence est profonde avec le droit français qui retient que même en cas de cession de ses droits patrimoniaux, l’auteur conserve le droit de voir son nom lié à son œuvre car les droits moraux sont inaliénables .

381. En outre, l’arrêt américain UMG v. Veoh a retenu que l’établissement d’un lien vers une œuvre ne satisfait pas au respect de la mention de copyright. De ce point de vue, la rigueur dont a fait preuve l’arrêt UMG correspond à la position protectrice que nous recommandons en droit français pour le droit de paternité. La protection est donc plus rigide en droit américain mais elle ne permet, à l’inverse du droit français, que de protéger les auteurs qui exploitent eux-mêmes leurs œuvres et qui n’ont donc pas cédé leurs droits. En effet, la mention de copyright ne se réfère pas à l’auteur de l’œuvre mais au titulaire des droits de copyright. Or, dès lors qu’un auteur cède ses droits aux États-Unis, il n’a plus le copyright sur son œuvre.

382. Le droit américain n’assure donc qu’une protection bien lointaine des fondements du droit moral. Cependant, la jurisprudence française a adopté une approche dogmatique qui l’amène à adopter des solutions inadéquates à l’Internet.

2) Les liens créés automatiquement

383. Il est particulièrement complexe pour un moteur de recherche de mentionner l’auteur d’une œuvre qu’il utilise afin de constituer l’ancre d’un lien. En effet, les auteurs n’étant pas tenus de respecter le moindre formalisme pour jouir du droit d’auteur , ils ne sont pas tenus de renseigner leur nom dans le code source de leurs œuvres. Or, seule la mention dans le code source permettrait aux logiciels de connaître le nom de l’auteur. Dès lors, le respect du droit moral constitue une difficulté insurmontable pour les moteurs de recherche. Cette difficulté juridique va à l’encontre de l’objectif des législateurs européen et américain qui ont voulu établir des régimes prévisibles afin de sécuriser les prestataires de services.

384. La faible reconnaissance de droits moraux aux États-Unis, qui visait initialement à favoriser la circulation des œuvres, s’avère donc favorable aux moteurs de recherche en ce qu’elle permet de ne pas les confronter à une obligation à laquelle ils ne peuvent généralement pas faire face. L’absence de droit moral renforce donc la liberté du commerce et de l’industrie des moteurs de recherche – et par conséquent l’accessibilité des œuvres sur Internet – alors que le droit français continue à privilégier l’intérêt actuel des auteurs. Les approches des deux droits différent donc profondément.

385. La solution traditionnelle française a été confirmée par la Cour de cassation dans un arrêt du 12 juillet 2012 . Dans cette affaire, la Cour d’appel avait retenu que le créateur automatique d’un lien – donc d’une ancre – engage sa responsabilité pour violation du droit de paternité lorsque le nom de l’auteur n’apparaît pas à côté de son œuvre présentée sous forme de vignette. Les moteurs de recherche ont donc obligation de mentionner les auteurs des œuvres qu’ils utilisent afin de créer des ancres. La solution française se place ainsi dans le sillage de l’arrêt belge Central Station et confirme également la jurisprudence antérieure qui sanctionnait la reproduction d’une œuvre sur une page Internet sans mention de son auteur . Il s’agit donc d’une solution classique et ferme de la tradition continentale.

386. La solution continentale a le mérite de la prévisibilité car elle est classique. En outre, en appliquant dans un premier temps la LCEN , puis le droit commun lorsque le moteur de recherche n’obtempère pas à une notification, le droit français établit un équilibre délicat entre le respect du droit de paternité et la sécurisation des moteurs de recherche. Les moteurs de recherche devront par conséquent mentionner le nom de l’auteur près de l’œuvre utilisée comme ancre à la suite de la réception d’une notification en ce sens. Les créateurs automatiques de liens n’ont donc pas d’obligation de rechercher le nom de l’auteur mais de prendre acte du lien entre un auteur et son œuvre et de le mentionner. Cet équilibre techniciste présente cependant le défaut de l’incohérence avec l’article 8.3 de la convention de Berne dans la mesure où il impose une formalité aux auteurs afin qu’ils puissent jouir de leurs droits moraux.

387. Le droit américain adopte en revanche une position plus pragmatique et favorable à la liberté de lier. En effet, la section 43(a) du Lanham Act – qui introduit une protection contre une forme de parasitisme afin de protéger les marques non enregistrées – ne crée pas d’obligation de mentionner le nom du producteur mais interdit simplement de tromper les consommateurs sur l’origine. Il n’existe donc pas d’obligation positive de mentionner le nom de l’auteur mais une obligation négative de ne pas tromper les consommateurs sur l’origine d’un produit – ce qui s’avère très éloigné du droit de paternité à la française. Les créateurs de liens n’ont pas d’obligation de mentionner leur nom près des ancres en droit américain. Cette solution s’avère donc plus facilement applicable que celle adoptée en droit français.

388. La solution américaine est par conséquent plus sécurisante pour les créateurs automatiques de liens, mais elle ne présente pas l’avantage d’inciter à la construction d’un Internet plus sûr intellectuellement par la connexion du nom de l’auteur avec son œuvre. Le système de notification ne nous semble pas constituer un obstacle insurmontable pour les auteurs. Ces derniers ont en effet également la charge de la construction de l’Internet et du contrôle du respect de leurs droits, qu’il s’agisse de l’affirmation de leur nom ou de la lutte contre les mentions erronées.

B) La violation du droit de paternité par la mention erronée du nom de l’auteur

389. Le droit de paternité est dual. Il est en effet constitué d’un droit positif, celui de mentionner son nom près de son œuvre, et négatif, qui consiste à publier une œuvre sous couvert d’anonymat ou de pseudonymat . Ainsi, lorsque la mention du nom de l’auteur s’avère erronée elle violera le droit à la paternité (1). En outre, la mention du nom de l’auteur peut être apposée près de l’œuvre alors que celui-ci avait choisi l’anonymat ou le pseudonymat (2).

1) La mention erronée du nom de l’auteur

390. Il s’agit de la conséquence des dispositions de l’article 6bis de la convention de Berne relatif au droit de paternité. La mention erronée du nom de l’auteur constitue une violation de son droit moral. Malgré cette source juridique commune, et outre des influences historiques et culturelles partagées , les logiques diffèrent entre les droits français et américain.

391. En effet, en droit français, la fausse mention du nom de l’auteur est considérée comme une violation du droit moral de paternité . La mention erronée du nom de l’auteur près de l’œuvre utilisée aux fins de constitution d’une ancre engagera donc la responsabilité civile et pénale de son créateur pour violation du droit de paternité. L’application d’une sanction pénale peut paraître particulièrement sévère mais elle s’avère cohérente avec le principe de la protection par l’ordre public des droits moraux . Le créateur d’un lien qui mentionne une paternité erronée engage donc sa responsabilité pour contrefaçon. Le droit américain adopte en revanche une approche éclatée en appliquant le droit des marques et le droit des torts .

392. Les droits de Common law – comme le droit anglais – ne reconnaissent pas de sanction pénale pour la violation des droits moraux. Le droit américain s’inscrit dans cette tradition en ne reconnaissant aucune sanction pénale de ce qui correspond en France aux droits moraux même pour violation du VARA. Pour les œuvres ne relevant pas du VARA, le droit américain adopte une approche très lointaine de la conception romantique française. En effet, la section 43(a) du Lanham Act, qui introduit une forme de protection contre le parasitisme pour les marques non enregistrées, pourra avoir vocation à s’appliquer. Elle ne protège que contre les confusions du public quant à l’origine de l’œuvre et ne vise donc pas, à l’inverse du Copyright Act, à inciter à la création d’œuvres . Le droit des marques est en outre fondé sur la Commerce clause de la Constitution et non pas sur la Copyright clause. La protection accordée repose donc sur un fondement très différent du copyright américain et du droit d’auteur français. Malgré ces différences, il n’en reste pas moins que la mention erronée ayant pour conséquence de tromper les consommateurs sur l’origine d’une œuvre sera sanctionnée. Le Lanham Act pourra par conséquent constituer dans certains cas un équivalent du droit moral de paternité du droit français. Cependant, la convergence entre les deux régimes s’avère limitée. En effet, le critère de la confusion n’inclut pas les mentions erronées ne risquant pas de tromper les consommateurs ou qui ne créent qu’une erreur de minimis alors que le droit français sanctionnera toute liaison erronée. Le droit d’auteur français adopte en revanche une approche plus rigide en sanctionnant toute erreur sur le nom de l’auteur indépendamment de la propension à induire le public en erreur. Le droit américain tolère donc certaines erreurs car il n’assure pas un droit culturel – qui requiert une grande précision – mais protège la confiance des consommateurs dans l’origine de produits.

393. Outre la protection par un droit de propriété intellectuelle, les auteurs pourront également rechercher à opposer le droit des torts – c’est-à-dire la responsabilité délictuelle – aux créateurs d’ancres. Cette approche n’est pas surprenante car la convention de Berne ne requiert pas une protection des droits moraux par le droit d’auteur mais une protection de leur substance . Il est par conséquent possible pour les États membres de recourir à des équivalents fonctionnels. Le Royaume-Uni a donc pu protéger les droits moraux par le droit des torts après la réforme de la convention de Berne de 1928 . Ainsi, les torts de false light et de appropriation pourront a priori avoir vocation à s’appliquer aux ancres. La jurisprudence a cependant rarement l’occasion d’y recourir comme équivalent fonctionnel au droit moral et il est dès lors fort probable qu’il en ira de même pour les ancres. La logique diverge cependant de l’approche française car il s’agit de sanctionner un acte fautif alors que le droit français interdit la violation d’un droit subjectif. Le droit des torts vise en effet à réparer un mal causé par autrui dans le cadre d’une justice correctrice visant à rétablir l’égalité initiale entre les parties . Le droit des torts se contente donc d’interdire certains comportements dans le but de réguler les relations interpersonnelles . Il assure in fine la protection des justiciables sans distinction , conformément à l’idéal égalitariste américain qu’il tient de l’influence protestante . Le droit moral français, d’inspiration romantique, crée en revanche des droits visant à protéger une œuvre et, concomitamment, une personne sacralisée en la personne de l’auteur. Le droit des torts n’offre qu’une protection négative d’interdire certains actes alors que le droit d’auteur confère des droits positifs d’imposer le respect des droits des auteurs . Ainsi, bien que le droit moral soit une invention prétorienne issue du droit de la responsabilité délictuelle , il s’est largement émancipé de sa logique.

394. Tout d’abord, le tort de false light protège la dignité ainsi que la réputation d’un individu et s’avère donc indifférent aux considérations intellectuelles que véhiculent les droits moraux. Les tiers engageront leur responsabilité lorsqu’ils feront circuler une information fausse et particulièrement vexatoire sur une personne raisonnable et en ayant une intention effective de nuire . Ce tort pourra donc, dans certains cas, être rapproché de l’interdiction de présenter autrui comme l’auteur de l’œuvre qu’introduit le droit de paternité. Ainsi, dans le cadre de la création d’une ancre, la mention erronée de la paternité de l’œuvre pourra placer la personne sous une fausse lumière et elle pourra à ce titre engager la responsabilité du créateur de lien. Cette approche diverge du droit moral français qui protège l’œuvre, mais elle n’est pas si éloignée de la conception de la convention de Berne qui protège l’honneur. C’est donc la personne qui est protégée alors que le droit français protège l’œuvre et par voie de conséquence les intérêts culturels de l’auteur. En outre, le seuil de protection est particulièrement élevé en droit américain alors que toute erreur sera sanctionnée en droit français. Le droit américain sanctionne le préjudice à l’honneur alors que le droit français assure le respect de l’origine intellectuelle de l’œuvre. Les logiques sont donc très éloignées. En outre, la jurisprudence américaine utilise rarement le tort de false light comme un équivalent fonctionnel au droit moral. Il est dès lors fort probable qu’il continuera à en aller de même pour les ancres et que les différences entre les droits français et américains seront en pratique très importantes.

395. Un autre fondement de responsabilité civile se situe dans le sillage du tort de false light. Il s’agit du appropriation of name or likeness. Le Restatement (Second) of Torts 652(C) – qui n’a pas valeur obligatoire mais constitue un modèle pour les États fédérés – sanctionne l’appropriation du nom d’autrui dans un contexte publicitaire. Le tort vise à protéger l’intérêt de l’individu dans l’utilisation exclusive de son identité contre les utilisations par autrui ou dans le bénéfice d’un tiers. La divergence est encore plus importante avec le droit moral français qui s’applique à tous les contextes alors que le tort de appropriation se limite aux usages commerciaux. Le droit américain est donc éloigné de l’approche transversale française.

396. En outre, le tort de appropriation protège une personne de l’utilisation sans autorisation de son identité dans l’intérêt du défendeur. Ce tort ne constitue qu’un équivalent partiel du droit de paternité car il limite son champ d’application à l’utilisation dans l’intérêt du défendeur – c’est-à-dire du publicitaire – alors que ce critère est indifférent en droit français. En outre, il existe un seuil en dessous duquel l’utilisation du nom de l’auteur ne sera pas sanctionnée par les juges américains. Il sera en effet nécessaire d’apporter la preuve que le nom de l’auteur a été apposé à côté d’une ancre laissant penser qu’il promeut le produit, ce qui constitue un seuil d’exigence élevé. Cette conception contraste avec le droit moral français qui sanctionne en revanche toute erreur dans la mention de la paternité. En outre, il ne s’agit pas d’une réglementation spécifique aux auteurs – contrairement au droit moral français – qui ne jouissent pas d’une meilleure protection en leur qualité de créateur que les autres citoyens. Le droit américain n’offre donc un régime ad hoc aux auteurs que de façon très limitée alors que le droit français les distingue très clairement. Les créateurs d’ancres ne devront donc pas utiliser l’identité d’autrui de façon offensive ou injurieuse. Les protections des droits français et américain divergent donc profondément. Le faible intérêt que présente le droit des torts en pratique doit amener l’observateur à considérer que la différence entre les deux systèmes est radicale. Il n’y a donc pas lieu de s’étendre sur cette question.

397. La mention erronée de la paternité fait donc l’objet d’approches différentes en France et aux États-Unis. Le droit français la condamne car l’œuvre a un lien particulier avec son auteur. Aux États-Unis en revanche les auteurs auront des actions limitées afin de mettre un terme à une paternité erronée. Cependant, la protection sera beaucoup plus large en France et le public bénéficiera de façon beaucoup plus ample de cette sécurité intellectuelle. Cette différence de conception s’étend en matière d’anonymat et de pseudonymat.

2) Le dévoilement du nom de l’auteur

398. Le choix de l’anonymat ou du pseudonymat peut soit correspondre à une volonté de discrétion de l’auteur , soit relever d’une démarche intellectuelle libertaire. En effet, dès la Renaissance, certains auteurs publiaient de façon anonyme ou sous couvert d’un pseudonyme leurs œuvres afin de ne pas être condamnés par les tribunaux civils ou ecclésiastiques. Plus tard, le maréchal Foch a publié des articles de presses relatifs à la conduite des opérations militaires sous couvert d’anonymat afin de ne pas violer son obligation de réserve . Le nom de l’auteur a donc servi, et sert encore aujourd’hui, à contourner la censure . Le choix du pseudonymat assure une meilleure publicité de l’écrit, ce qui pourra parfois augmenter les ventes et assurer une meilleure rémunération à l’auteur . Le choix de l’anonymat ou du pseudonymat permet donc de libérer la parole des auteurs. Cependant, ces deux prérogatives établissent des équilibres différents dans les relations entre l’auteur et son public. En effet, dans le premier cas, le public n’a aucune idée de l’origine intellectuelle de l’œuvre. Dans le second en revanche, le public a connaissance d’une origine intellectuelle bien qu’il ne connaisse pas la personne. La compréhension de l’œuvre sera donc plus précise avec le pseudonymat qu’avec l’anonymat. Ces deux méthodes offrent en outre la possibilité à l’auteur de créer dans plusieurs registres , ce qui participe du dynamisme culturel. Cette liberté de l’auteur a néanmoins attendu plusieurs siècles avant d’être reconnue par le droit.

399. Le corollaire des droits à l’anonymat et au pseudonymat est le droit de ne pas voir son œuvre attribuée à autrui . L’article 6bis de la convention de Berne oblige en effet les États membres à adopter des mesures permettant de protéger l’anonymat et le pseudonymat . La convention impose donc aux créateurs de liens de respecter le choix de l’anonymat ou du pseudonymat des auteurs. Les États membres sont ainsi tenus d’introduire des règles relatives à ces prérogatives en droit interne. Le droit américain, à la différence du droit français, a procédé à une lecture minimaliste des dispositions de la convention de Berne.

400. Les droits à l’anonymat et au pseudonymat existaient déjà en droit français avant la révision de Rome de 1928. La France n’a donc pas eu besoin de modifier le droit d’auteur sur ce point. Les États-Unis n’ont en revanche modifié qu’à la marge leur législation sur la question à la suite de leur adhésion à la convention de Berne en 1988. Ils n’ont cependant intégré le droit à l’anonymat et au pseudonymat que dans le Visual Artists Rights Act qui n’est pas applicable aux reproductions. Les droits français et américain suivront donc leurs paradigmes nationaux, à savoir romantique pour le premier et mercantile et fondé sur le respect de la vie privée pour le second.

401. En droit français, l’auteur peut choisir de publier son œuvre anonymement ou sous un pseudonyme . Il faut y voir non seulement le pendant négatif du droit à la paternité, mais également la conséquence de la liberté d’expression et de la liberté de création . Ce choix n’a pas d’incidence sur la jouissance des droits d’auteur sur l’œuvre en dehors de certaines règles adaptées comme le calcul de la durée des droits . Ainsi, le dévoilement du nom de l’auteur par apposition de la mention de son patronyme près de l’ancre constituée par son œuvre s’analyse en une violation de son droit moral à conserver l’anonymat ou le pseudonymat. Le créateur d’ancre engagera sa responsabilité sur le fondement de l’article L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle. Il encourt par conséquent le paiement de dommages et intérêts à l’auteur ainsi qu’une peine de 300 000 euros d’amende et de 3 ans d’emprisonnement . L’introduction d’une protection pénale souligne le fait qu’il s’agit d’une valeur centrale du système juridique français. La solution est diamétralement opposée outre-Atlantique.

402. Aux États-Unis, le palliatif du droit des marques ne constituera aucune aide pour les auteurs dans la mesure où la révélation de leur véritable identité n’est pas de nature à les tromper sur l’origine du produit. Il s’en suit que le droit américain ne respecte pas les dispositions de l’article 6bis de la convention de Berne. Cette situation est surprenante dans la mesure où le droit américain s’est toujours montré particulièrement protecteur de la liberté d’expression et que le respect du choix de l’anonymat ou du pseudonymat renforce cette liberté . La conception américaine du copyright est donc réduite à sa simple dimension accessoire visant à inciter à la création d’œuvres et ne prenant pas en considération sa dimension libertaire. Il ne s’agit pas tant d’une prérogative assurant le plein exercice de la liberté d’expression même en cas de dictature – car un tel régime aurait tôt fait de retirer cette liberté – mais plutôt une indépendance vis-à-vis de la société permettant une plus grande liberté d’expression. Le droit à l’anonymat et au pseudonymat permet aux auteurs de s’exprimer avec la même discrétion que ne le font les internautes sur des sites où leur identité n’est pas communiquée. Il est indéniable que dans les deux cas l’absence d’identification des personnes libère leurs paroles. Le droit américain n’assure donc que la dimension juridique de la liberté d’expression sans prendre en considération son aspect social. Cette différence avec le droit français est partiellement atténuée par les droits des États fédérés.

403. En effet, les États fédérés offrent une protection aux auteurs via la réglementation étatique de la vie privée. La vie privée est protégée par plusieurs torts – et notamment les torts de appropriation et de false light – qui assurent une protection contre le dévoilement non souhaité du nom d’un individu. Ainsi, l’État de New-York a été le premier à interdire l’utilisation du nom d’une personne dans un cadre publicitaire ou commercial sans son consentement . Les auteurs pourront par conséquent interdire la mention de leur nom près de leur œuvre, notamment s’il est utilisé afin de constituer une ancre, lorsque le lien a une visée publicitaire ou commerciale. Tous les États fédérés ont depuis adopté une réglementation relative à la vie privée . Il ne s’agit cependant pas d’une protection pensée en considération de l’œuvre mais visant à protéger des individus – indépendamment de leur qualité d’auteur – contre l’utilisation de leur nom.

404. Alors que le copyright tient sa légitimité de sa capacité à encourager à la création d’œuvres pour le public, les intérêts intellectuels de ce dernier ne sont pas pris en compte. Le copyright américain a par conséquent cherché à assurer un intérêt quantitatif et non pas qualitatif du public. Cette approche se justifiait au lendemain de l’indépendance des États-Unis mais elle nous semble désormais obsolète. Il n’y a en effet aucun risque que le pays manque de production intellectuelle. En outre, les types d’œuvres produites à l’indépendance et aujourd’hui ne sont plus les mêmes. Les œuvres modernes ne sont pas majoritairement pratiques et sont souvent marquées par une forte dimension personnaliste. L’introduction du droit de paternité nous semble donc correspondre à l’état de la création américaine contemporaine. L’introduction du droit de paternité devrait être effectuée concomitamment au droit à l’intégrité afin d’assurer les intérêts culturels du public.

Paragraphe 2 : Ancre et droit d’intégrité

405. La reproduction d’une œuvre protégée n’est pas par nature une chose négative pour l’auteur. En effet, jusqu’à la fin du XXe siècle, la reproduction d’une œuvre d’un auteur était considérée comme un honneur en Chine . Cependant, au-delà d’un certain seuil, nous ne pensons pas qu’il relève du devoir des États de protéger l’honneur des personnes contre elles-mêmes. Les auteurs doivent avoir la possibilité de décider que les œuvres pourront être reproduites ou représentées par autrui sans que le droit ne leur impose en dehors des exceptions en faveur du public. En effet, étant donné que le droit moral permet de protéger concomitamment les intérêts des auteurs et du public, il apparaît que l’auteur est mieux placé que toute organisation étatique pour déterminer l’intégrité de l’œuvre. L’auteur joue donc le rôle de mandataire du public.

406. Le droit de « s’opposer à toute déformation, mutilation ou autre modification de [l’]œuvre » est mentionné à l’article 6bis de la convention de Berne. Le droit à l’intégrité constitue donc, avec le droit de paternité, l’un des deux droits reconnus par la convention.

407. La recherche d’un consensus autour du droit moral a amené les rédacteurs de la réforme de 1928 à établir un droit au respect a minima . En effet, la convention adopte une approche analytique, moins protectrice que l’approche synthétique du droit français, en limitant la protection aux déformations, mutilations et aux modifications de l’œuvre. La définition de la convention de Berne est donc éloignée de la tradition des pays continentaux et notamment de la France. Elle n’offre en effet aux auteurs qu’un régime limité de protection des droits moraux et des régimes juridiques se fondant sur d’autres branches du droit. Cette division est le fruit de divergences culturelles.

408. La conception française de l’acte créatif est très marquée culturellement et historiquement. Elle s’inscrit tout d’abord dans une conception plutôt catholique de l’auteur . Elle a en outre hérité de la conception européenne de l’art qui reconnaît une particularité dans une forme de création sans application pratique ou religieuse . La Contre-Réforme a également permis de magnifier l’auteur . Enfin, le courant romantique du XIXe siècle a permis à l’auteur d’acquérir un statut particulier au sein des sociétés européennes. Le droit au respect de l’œuvre est donc le résultat d’une évolution culturelle et historique européenne. Le besoin d’intégrer le droit à l’intégrité est moins ressenti aux États-Unis où la culture de la réutilisation est beaucoup plus présente qu’en France et se trouverait freinée par le droit à l’intégrité.

409. La France est l’un des pays les plus protecteurs des droits moraux. Le droit français connaît le droit au respect des œuvres depuis un jugement du Tribunal de la Seine du 17 août 1814 et n’a donc pas eu besoin de l’introduire en 1928 lors de la conférence de Rome. Désormais, l’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle énonce de façon lapidaire que l’auteur a droit au respect de son œuvre. Cette définition est vague – comme pour le droit de paternité – mais elle correspond à la méthode synthétique française qui assure une meilleure protection des droits des auteurs. Le terme respect vient du latin res speciere qui signifie veiller sur la chose. Le droit à l’intégrité s’applique à la chose et ne constitue donc pas une protection de l’honneur de l’auteur à la différence de la convention de Berne qui s’y cantonne. Les tiers devront donc veiller à ce que l’usage qui est fait de l’œuvre soit conforme à la conception que l’auteur s’en fait. Le droit français s’avère ainsi plus protecteur que la convention de Berne qui est loin d’imposer un comportement de bon père de famille en charge de veiller sur une œuvre. La différence d’approche ne rend pas le droit français contraire à la convention car elle n’institue qu’un minimum que les États membres peuvent dépasser. Cette approche du droit à l’intégrité n’a pas été suivie par les États-Unis.

410. Le droit américain n’a en effet pas introduit le droit moral à la française car il rejette l’idée qu’une fois cédée, une œuvre continue à appartenir moralement à l’auteur. Le droit américain ne considère donc pas, à l’inverse du droit français, qu’il existe une différence fondamentale entre une chose et une œuvre protégée par le droit d’auteur. Le droit américain s’avère ainsi plus égalitaire philosophiquement que le droit français car il effectue moins de distinction entre les qualités des sujets de droit que le droit français. Cette approche est le fruit de la tradition protestante qui ne voit pas dans l’activité artistique un travail d’une nature particulière et ce, malgré une production culturelle de haute qualité dans les pays protestants. La conception américaine nous semble dès lors détachée de la réalité car entre une œuvre originale et un bien quelconque, il existe bien une différence de nature dans la tradition occidentale. Or, des situations différentes requièrent des solutions juridiques différentes.

411. Le Visual Artists Rights Act assure, depuis 1990 seulement, une protection de l’intégrité des œuvres contre les « intentional distortion, mutilation, or other modification of that work » dans la mesure où elles causent un préjudice à l’auteur. Cette formulation s’inspire directement des dispositions de l’article 6bis de la convention de Berne qui énonce que l’auteur peut s’opposer à toute « déformation, mutilation ou autre modification de [son] œuvre ou à toute autre atteinte à la même œuvre, préjudiciable à son honneur ou à sa réputation ». Le droit américain s’est donc inspiré de la conception minimaliste de la convention de Berne qui ne reflète pas l’approche continentale. Le Visual Artists Rights Act est donc conforme à la philosophie de la convention de Berne sur le droit d’intégrité. Les dispositions du Visual Artists Rights Act n’auront cependant pas vocation à s’appliquer aux ancres qui sont constituées par des reproductions. L’entrée en vigueur du Visual Artists Rights Act introduit donc la conception du droit à l’intégrité de la convention de Berne mais la limite fortement. Son application étant réduite aux œuvres originales et non pas aux reproductions, il ne s’appliquera pas aux reproductions effectuées pour créer une ancre – sauf peut-être dans les cas très réduits où l’œuvre aura été créée sur un support numérique mais la jurisprudence ne s’est pas encore prononcée sur la question.

412. Les droits patrimoniaux du copyright peuvent néanmoins venir en aide aux auteurs à défaut de droits moraux. En effet, la jurisprudence américaine a retenu qu’en l’absence d’une autorisation du titulaire du copyright, la modification d’une œuvre constitue une violation du droit de reproduction ou de display. Il ne s’agit donc pas de la protection d’un droit moral mais d’un équivalent fonctionnel limité. Les droits patrimoniaux – et notamment les droits conférés par la section 106 du Copyright Act relatifs aux œuvres dérivées – peuvent ainsi venir en aide aux auteurs lorsque leur œuvre se trouve reproduite et déformée. Il s’agit d’un seuil moins exigeant que le droit à l’intégrité tel qu’il est conçu dans la convention de Berne car la moindre modification permettra de retenir que le droit patrimonial a été violé alors qu’avec le droit à l’intégrité il sera nécessaire de prouver que la conception que l’auteur se fait de l’œuvre n’est pas respectée. Cette différence d’approche amène les ayants droit américains à se montrer particulièrement rigides sur l’exécution des œuvres et notamment des spectacles, alors que le droit moral français offre une liberté un peu plus large à la personne représentant l’œuvre tant que la conception que l’auteur se fait de son œuvre est respectée. En matière d’ancres d’hyperliens les systèmes français et américain aboutiront donc souvent à des résultats similaires car ils pourront interdire une reproduction violant l’intégrité de l’œuvre, mais les raisonnements sont complètement divergents.

413. Cependant, et bien qu’il puisse être retenu que les droits de reproduction et de display peuvent jouer le rôle d’équivalent au droit à l’intégrité, il n’y a pas lieu de retenir que le droit américain offre un équivalent. L’objet ainsi que la durée de la protection diffèrent entre les deux systèmes juridiques. En effet, le droit français assure une protection duale aux auteurs car il distingue entre l’acte de reproduction matériel et la violation du respect de l’œuvre alors que le droit américain n’assure que la protection des droits patrimoniaux. De plus, le droit de reproduction ou de display ne dure que le temps de la vie de l’auteur et 70 ans après sa mort alors que le droit moral français – à l’inverse des droits moraux allemands ou anglais – est perpétuel et sera donc opposable lorsque l’œuvre sera tombée dans le domaine public.

414. Outre le copyright, les auteurs pourront avoir recours à une autre branche de la propriété intellectuelle américaine. En effet, la section 43(a) du Lanham Act protège les consommateurs contre les mentions erronées les induisant en erreur. Certaines décisions américaines depuis le début de la seconde moitié du XXe siècle se sont fondées sur cette section pour reconnaître, de façon réduite, un équivalent au droit d’intégrité. L’œuvre ne pourra donc pas être modifiée au point où cela tromperait les consommateurs sur l’origine. La solution américaine, qui accepte ainsi des modifications substantielles sans les sanctionner , contraste avec l’approche stricte française qui ne tolère aucune modification portant atteinte à l’esprit de l’œuvre. Le seuil du droit américain est donc bien plus élevé qu’en droit français. Elle est en outre fondée sur une approche mercantile inhérente au droit des marques alors que le droit français adopte une conception romantique. Le traitement juridique est complexifié par la distinction entre les liens manuels (I) et les liens automatiques (II).

I) Les liens manuels

415. Le droit français connaît, à l’inverse du droit américain, le principe de l’unité de l’art. Néanmoins, les régimes juridiques applicables aux œuvres textuelles (A) et aux images (B) divergent.

A) Les ancres constituées d’un texte

416. La création d’une ancre par la reproduction d’un texte est un phénomène assez couramment répandu. Les droits français et américain ont divergé face à la nature foncièrement duale des titres, à mi-chemin entre création de l’auteur et objet d’appropriation du public.

417. Le droit français applique le droit d’auteur , et par conséquent le droit moral, aux titres qui sont le reflet de l’empreinte de la personnalité de l’auteur. Le droit américain en revanche adopte une position aux antipodes car il n’applique pas le copyright à un titre. Le Copyright Office – dont les avis n’ont néanmoins pas valeur obligatoire pour les juges – considère en effet qu’il s’agit d’un texte trop court pour être original . Cette approche nous paraît critiquable dans la mesure où elle se fonde sur une tendance conjoncturelle à la rédaction de titres courts, alors que l’Europe et l’Amérique étaient habituées aux titres longs au XVIIIe siècle. La position du Copyright Office manque donc d’universalité. Il y a lieu d’y voir la volonté de laisser les titres à la disposition du public aux États-Unis et en aucun cas une considération pragmatique et factuelle. Ainsi, étant donné que les titres constituent le bien commun de la société, ils ne bénéficieront d’aucune protection par le copyright. La conception américaine s’éloigne donc de l’approche française qui considère qu’il existe un lien entre l’auteur et son titre. Les tiers devront donc respecter, en France, le droit d’intégrité du titre lorsqu’ils créent une ancre alors qu’ils seront libres d’en disposer aux États-Unis .

418. Le droit français sanctionnera la présentation d’un titre protégé dans un contexte différent de celui imaginé par l’auteur et notamment dans l’hypothèse courante sur Internet où il est entouré de publicités . Ainsi, la création d’une ancre à partir d’un titre protégé pourra être sanctionnée si l’œuvre est présentée dans un contexte différent de celui imaginé par l’auteur. Le droit américain en revanche n’assurera aucune protection des droits moraux de l’auteur dans ce contexte. Tout au plus les auteurs pourront opposer les torts de defamation ou de false light. Ces torts viennent cependant sanctionner un comportement et n’assurent en aucun cas la reconnaissance d’un droit. En outre, ils ne protègent pas l’œuvre mais la personne, et tolèrent des modifications substantielles de l’œuvre avant de pouvoir s’appliquer, alors que le droit moral français s’applique à toute modification ayant des conséquences sur l’esprit de l’œuvre. Les différences entre les deux droits s’étendent aux citations.

419. En effet, les deux droits divergent profondément en la matière. Alors que le droit français retient que les citations ne peuvent modifier l’œuvre originale dont elles sont extraites car toute « modification […] porte atteinte au droit de son auteur au respect » de son œuvre , la jurisprudence américaine a retenu que les citations ne respectant pas à la lettre le texte original, mais n’ayant pas pour effet de changer le sens ne constituent pas un tort de false light . La responsabilité de la personne à l’origine de la citation ne sera donc pas engagée tant que la modification constitue une interprétation rationnelle . La jurisprudence a adopté une interprétation particulièrement large de ce critère. Elle a en effet retenu que la phrase « a private asset but a public liability » pouvait être citée comme « intellectual gigolo ». L’approche est pour le moins souple et profondément opposée au droit français qui aurait sanctionné une telle déformation et ne sera limitée que par le tort de falsity qui sera opposable en cas de changement important du discours d’autrui. Il sera donc possible de procéder à des modifications importantes des textes pour créer une œuvre en droit américain alors que le droit français limitera fortement la liberté des créateurs de liens et assurera de ce fait une forme de sécurité intellectuelle. Il y a donc une tension entre l’encouragement de la créativité et la sécurité intellectuelle que les deux systèmes ont abordé de façons opposées.

420. Il ne s’agit donc pas de l’introduction d’une exception de minimis mais bien d’une grande tolérance vis-à-vis des modifications des citations. Il nous semble qu’elle s’avère négative pour le public qui ne peut avoir pleinement confiance dans les citations. Cela constitue une limite à leur accès à la culture et fait obstacle à l’édification d’un Internet intellectuellement fiable. La solution américaine nous semble d’autant moins justifiée que la liberté d’expression ne requiert pas la possibilité de modifier les discours d’autrui en dehors de l’exception de parodie.

421. Il n’y a cependant pas lieu d’opposer un droit français rigide à un droit américain exagérément souple. Le droit français a en effet su faire preuve de souplesse dans l’application du droit à l’intégrité. Ainsi, l’arrêt Microfor a retenu que l’utilisation de titres dans un index ne constitue pas une « mutilation » ni une « altération » des extraits dans la mesure où un index est « par nature, exclusif d’un exposé complet du contenu de l’œuvre et qu’aucune erreur n’avait été relevée ». L’arrêt a montré que les juges français sont capables de souplesse dans l’application du droit moral qu’ils savent adapter aux situations concrètes . La solution de l’arrêt Microfor a été écartée , mais il reste un exemple de la façon dont le droit moral peut être adapté à chaque forme d’œuvre ainsi qu’au contexte technologique. Il y a lieu de penser que les juges français feront application d’un raisonnement faisant preuve d’une souplesse similaire.

422. L’utilisation du titre d’une œuvre pour la constitution d’une ancre est donc plus libre en droit américain qu’en droit français. En effet, alors que le droit français impose aux créateurs d’ancres de ne pas faire usage d’une œuvre protégée dans un contexte différent de celui imaginé par l’auteur, le droit américain est totalement indifférent à cette problématique sauf si la reproduction est effectuée dans un contexte appelant l’application d’un tort. Il nous semble que les deux droits devraient imposer le principe du respect strict du texte de l’œuvre originale tout en autorisant la reproduction de citations ou de titres dans le but d’assurer le référencement des œuvres. Cela permettrait d’assurer l’accès au contenu des œuvres originales tout en améliorant leur accessibilité. Le risque de violation du droit à l’intégrité de l’œuvre est encore plus important en matière d’œuvres graphiques.

B) Les ancres constituées d’une œuvre graphique

423. La convention de Berne et le droit français ne distinguent pas entre les différents types d’œuvres et adoptent ainsi la théorie de l’unité de l’art. Le droit américain ne connaît pas cette théorie, ce qui l’a amené à distinguer notamment entre les œuvres des beaux-arts et les autres œuvres avec le VARA. Néanmoins, les spécificités des œuvres graphiques en matière de droit moral ont amené les juges à les traiter d’une façon particulière qui atténue la différence entre les deux systèmes juridiques. Le droit américain présente ainsi l’intérêt d’adopter une approche plus pragmatique en actant les différences existant entre les différentes formes d’œuvres.

424. Ainsi, les œuvres graphiques peuvent faire l’objet de réductions (1) ou de modifications (2) lorsqu’elles sont utilisées pour constituer des ancres. Les deux systèmes ont divergé dans leur appréhension de la question de la réduction des œuvres afin de constituer des ancres.

1) La réduction des œuvres graphiques

425. La réduction d’une œuvre graphique peut effectivement tromper sur l’intention et le message de l’auteur. Ainsi, le tableau « Le radeau de la Méduse » de Géricault pourra perdre son sens lorsqu’il est réduit car les personnages perdent de leur superbe en passant d’une taille réelle à une taille réduite. Le droit français ne sanctionne cependant pas systématiquement une telle réduction dès lors qu’elle ne modifie pas la conception de l’œuvre que l’auteur se fait, alors que le droit américain reste complètement indifférent à cette question. Les deux solutions sont donc radicalement opposées.

426. L’arrêt américain Kelly v. Arriba a établi une dichotomie entre les reproductions visant à substituer l’œuvre – qui font l’objet d’un contrôle important des juges américains – et les reproductions permettant l’amélioration du référencement et bénéficient du safe harbor de fair use. Le droit américain a ainsi suivi la distinction entre les nécessités et les commodités que nous recommandons. Il nous semble donc que cette summa divisio devrait être prise en compte par les deux systèmes.

427. Le droit français avait convergé vers une solution similaire avec l’arrêt Rodin en retenant que la réduction d’une œuvre graphique afin de l’intégrer dans un index ne viole pas les droits moraux de l’auteur. Il s’agit cependant d’une solution ancienne, ayant été renversée par la Cour de cassation . Les œuvres graphiques originales jouissent en effet, en droit français, des dispositions relatives au droit moral et notamment au droit au respect de l’œuvre . La jurisprudence se montre traditionnellement stricte avec les entités faisant usage d’une image en sanctionnant toute modification ou réduction non voulue par l’auteur . La réduction d’une image modifiant l’esprit de l’œuvre sans le consentement de son auteur – et donc la création d’une ancre – viole le droit à l’intégrité de l’auteur. Toute réduction d’une œuvre graphique pour la constitution d’une ancre sera donc interdite en l’absence de l’autorisation de l’auteur. La jurisprudence française ne s’est pas expressément prononcée sur la réduction d’une œuvre pour la création d’une ancre mais les solutions traditionnelles plaident pour l’interdire. Les créateurs de liens devront par conséquent constituer des ancres sans réduire l’œuvre vers laquelle ils mènent ou solliciter l’autorisation de l’auteur afin de reproduire son œuvre. Le référencement perd ainsi en efficacité.

428. La solution française s’avère particulièrement rigide dans la mesure où – contrairement au droit américain – elle fait obstacle à la reproduction d’œuvres graphiques dans le but de créer des liens. Le référencement perd ainsi en qualité à cause du droit moral qui est pourtant censé assurer les intérêts culturels du public. La Commission européenne avait souligné que l’application stricte du droit moral sur l’Internet pouvait s’avérer brutale . Il est évident qu’en matière de création d’ancres, le droit à l’intégrité est source de blocage du développement de l’Internet. Le législateur français devrait donc porter une oreille plus attentive aux recommandations de la Commission et s’inspirer de la dichotomie de l’arrêt Kelly v. Arriba – qui ne s’appliquait cependant pas aux droits moraux – afin d’introduire une exception au droit moral d’intégrité pour le référencement sur papier ou sur Internet. La réduction ne constitue en effet qu’une modification de minimis ne causant pas de préjudice important aux auteurs. Dès lors que la modification est plus importante il pourra être nécessaire de l’interdire.

2) La modification des œuvres

429. La modification d’une œuvre par retrait d’une partie ou par adjonction d’un ou plusieurs éléments s’avère en revanche plus problématique pour l’accès à la culture du public. En effet, le retrait ou l’adjonction d’une partie du tableau de la Joconde changent radicalement le message véhiculé par l’œuvre. Le droit américain n’a cependant pas offert de protection aux auteurs d’arts graphiques comme l’a fait le droit français.

430. La séparation d’un extrait, ou l’adjonction d’un élément, seront condamnés en droit français dès lors que l’œuvre se trouve modifiée sans l’accord de l’auteur . Les créateurs de liens ne pourront donc ni tronquer une œuvre ni procéder à l’adjonction d’un élément. Il s’agit d’une solution juridique en harmonie avec le logos français où les œuvres sont considérées comme intouchables .

431. Les États-Unis sont en revanche habitués au détournement des œuvres et la modification d’un chef-d’œuvre n’y suscite pas la même émotion qu’en Europe. La modification d’une œuvre n’est donc pas perçue de la même façon aux États-Unis qu’en France.

432. En outre, le droit américain n’a pas interdit les modifications d’une œuvre dans le Copyright Act ni dans le Lanham Act. L’arrêt Morita v. Omni Publications Intern., Ltd. a en effet écarté l’application de la section 43(a) du Lanham Act lorsqu’une œuvre graphique est modifiée car un simple changement de l’œuvre ne constituait par une altération de celle-ci. Le seuil punissable de modification n’est atteint que si l’œuvre est tronquée de telle façon que les consommateurs sont trompés sur l’origine . Le recours au droit des marques fait obstacle à une protection plus élevée sur le modèle du droit d’intégrité français. Or, la séparation d’un extrait ou la réduction de la taille d’une œuvre ne constituent que rarement une altération de nature à tromper les consommateurs sur l’origine d’un produit. Ainsi, l’approche américaine autorise un seuil important de modification de l’œuvre que le droit français rejette. Comme pour les citations, le droit américain autorise des modifications substantielles ne permettant pas au public de prendre connaissance du message exact de l’œuvre originale.

433. Cette différence nous paraît irréconciliable. En effet, les États-Unis sont le berceau de la plupart des grandes sociétés de l’Internet et l’Europe est devenue une colonie numérique . La divergence qui était initialement seulement culturelle se trouve désormais renforcée par une divergence des intérêts économiques. Les États-Unis n’ont pas intérêt à reconnaître un droit moral fort afin de ne pas exposer les sociétés travaillant dans le numérique. Du côté européen, en l’absence de grandes réussites numériques, il y a plutôt intérêt à protéger les auteurs. Le conflit entre les deux systèmes ne peut être résolu car les différences culturelles, historiques et économiques font obstacle à toute possibilité de convergence. La divergence s’avère cependant moins importante pour les liens automatiques.

II) Les liens automatiques

434. Comme les créateurs manuels de liens, les créateurs automatiques de liens peuvent violer le droit moral en reproduisant une œuvre. Les États-Unis ne souhaitant pas introduire de réglementation qui pourrait ralentir le développement des sociétés numériques, ils n’ont pas intégré d’obligation de respecter les droits moraux. Le droit américain n’engagera pas la responsabilité des créateurs automatiques de liens s’ils violent des intérêts moraux des auteurs. En France en revanche une tension se crée entre la nécessité de respecter le régime de responsabilité limitée des créateurs automatiques de liens et la nécessité de respecter les intérêts moraux des auteurs.

435. Le droit à l’intégrité pourra être violé par la présentation des œuvres (A) ainsi que par les suggestions de recherches (B).

A) La constitution d’une ancre par un texte

436. Les moteurs de recherche fonctionnent en ayant recours à des algorithmes interagissant avec les éléments mis en ligne par les internautes. Les moteurs de recherche ne sont cependant pas en mesure de contrôler les présentations qu’ils proposent. Ce mélange de puissance et de capacité limitée de contrôle crée des situations dommageables pour les auteurs. Les moteurs de recherche doivent, selon des modalités particulières, respecter l’intégrité de l’œuvre en s’abstenant de la déformer (1) et en la présentant dans un contexte cohérent avec l’intention initiale de l’auteur (2).

1) L’interdiction de déformer l’œuvre

437. Certains moteurs de recherche référencent des œuvres graphiques sur Internet et les présentent sous forme de vignettes. Les images ainsi présentées constituent des ancres de liens permettant de se rendre vers les pages d’origines de ces œuvres. Ce mécanisme assure un référencement efficace des œuvres graphiques et permet aux internautes de trouver l’objet de leur recherche rapidement et sans avoir besoin de visiter un nombre considérable de sites. Si ce mécanisme renforce l’accès aux informations ainsi qu’à la culture sur Internet, il peut avoir pour résultat une réduction des œuvres que le droit français – à l’inverse du droit américain – interdit.

438. Étant donné que la réduction ne constitue pas une déformation en soi, la mutilation ou autre modification de l’œuvre, la convention de Berne ne la sanctionne pas. Il n’existe donc pas d’interdiction de principe de réduire des œuvres en droit international du droit d’auteur. Cette conception réductrice n’est pas en vigueur en France où la réduction de la taille d’une œuvre est considérée comme une violation du droit d’intégrité dès lors qu’elle modifie l’esprit de l’œuvre. Les reproductions ont généralement pour but d’améliorer le référencement lorsqu’elles sont utilisées pour constituer des ancres, mais il arrive parfois qu’elles se substituent aux œuvres originales. Les droits français et américain réglementent ces questions de façon différente. La jurisprudence française a eu l’occasion de trancher la question en appliquant les droits français et américain, offrant ainsi une comparaison des deux systèmes.

439. Les juges français ont été saisis de la question du respect de l’intégrité d’une œuvre utilisée pour créer une vignette en droit américain. Cependant, dans un jugement du 20 mai 2008 , le Tribunal de Grande Instance de Paris a tranché uniquement sur le fondement du droit américain et n’a donc fait application que des droits patrimoniaux alors que l’œuvre litigieuse était réduite. Le raisonnement des juges est insatisfaisant car ils ont procédé à une application des arrêts américains comme s’il s’agissait de précédents alors que le test de fair use implique une analyse au cas par cas de chaque espèce . Le test de fair use constitue une règle flexible et équitable relevant du bon sens – tel que compris dans le bassin culturel américain pourrait-on ajouter – et ne résulte pas de l’application rigide de précédents. Cette solution présente le mérite de ne pas bloquer les innovations technologiques. Cette décision constitue un exemple concret de la suggestion de la Commission Européenne qui retenait qu’une application stricte du droit moral à l’Internet risque de bloquer l’innovation . Le raisonnement du TGI a cependant pour conséquence d’appliquer systématiquement le droit américain à une situation que les citoyens français rencontrent quotidiennement. Bien que le choix de la loi applicable soit cohérent avec les arrêts Sisro et Lamore , il débouche sur une perte de souveraineté et fait fi du caractère d’ordre public du droit moral . La Cour de cassation, saisie d’une autre affaire, a en revanche appliqué le droit français et a abouti à une solution très différente.

440. Dans un arrêt rendu le 12 juillet 2012 , la Cour de cassation française a en effet adopté la position traditionnelle du droit français. Les juges se sont montrés peu prolixes en se contentant de confirmer la position souveraine des juges du second degré. La Cour d’appel de Paris avait retenu – en application du droit français – que la réduction de l’image à la taille d’une vignette constituait une violation du droit à l’intégrité de l’œuvre. En outre, étant donné que le moteur de recherche avait connaissance des violations du droit d’auteur, les dispositions de la LCEN ne lui étaient pas applicables. Le moteur de recherche engageait donc sa responsabilité pour violation du droit à l’intégrité de l’œuvre à cause de la réduction des œuvres graphiques sous forme de vignette.

441. Les juridictions belges ont statué dans le même sens dans une affaire concernant un moteur de recherche. En effet, dans un arrêt en date du 16 octobre 1996 il a été retenu que l’extrait proposé par un moteur de recherche ampute l’œuvre et viole ainsi le droit au respect de l’œuvre. La position continentale s’oppose donc frontalement à l’approche américaine que le jugement du 20 mai 2008 avait mis en exergue.

442. Ainsi, à l’inverse du droit américain, le droit français établit un raisonnement en deux étapes. Dans un premier temps les moteurs de recherche n’engagent pas leur responsabilité grâce à l’application des dispositions de la LCEN . Cependant, s’ils ne réagissent pas promptement pour résoudre la violation des droits moraux à la suite de la réception d’une notification ils engagent leur responsabilité pour contrefaçon du droit d’intégrité. Le droit américain n’a pas opté pour un tel raisonnement en deux étapes car il écarte a priori toute violation d’un droit moral en dehors des cas spéciaux du Visual Artists Rights Act. Il n’y aura donc convergence des droits français et américain que dans le premier temps du raisonnement du droit français.

443. Néanmoins, malgré la forte prévision juridique dont jouissent les auteurs en la matière, force est de constater que très peu d’actions sont menées contre les moteurs de recherche pour violation du droit à l’intégrité. Ce faible nombre de recours garantit la pérennité de l’Internet mais il interroge surtout sur le bien fondé de l’application des droits moraux aux vignettes de référencement dès lors que les auteurs n’en réclament pas l’application. Cela est dû à l’intérêt que tirent les auteurs du référencement même si leurs œuvres sont réduites. Les moteurs de recherche ne devraient donc pas voir leurs modèles économiques s’effondrer. En dehors des hypothèses de référencement, il nous semble qu’il n’y a pas lieu d’écarter l’application du droit à l’intégrité.

2) Le contexte de présentation de l’œuvre

444. Les créateurs automatiques de liens présentent les œuvres sans considération pour la cohérence intellectuelle entre les différentes œuvres reproduites. Or, l’esprit d’une œuvre peut être violé par un moteur de recherche lorsqu’il la présente dans un contexte différent de celui imaginé par l’auteur.

445. Avec sa conception a minima du droit à l’intégrité limitée à l’honneur et à la réputation de l’auteur , la convention de Berne n’interdit pas la présentation d’une œuvre dans un contexte différent de celui imaginé initialement par l’auteur. Il en découle que la présentation d’une œuvre dans un contexte différent de celui imaginé par l’auteur n’est pas sanctionnée en droit d’auteur international. Les solutions des États ne sont donc pas harmonisées en la matière et la France et les États-Unis ont adopté des solutions radicalement opposées qui font chacune figure de modèle.

446. Les juges français et américains n’ont pas eu l’occasion de se prononcer sur la question de la violation de l’intégrité d’une œuvre utilisée pour constituer une ancre par sa présentation au milieu d’autres œuvres adoptant une ligne intellectuelle différente. Néanmoins la position traditionnelle de la jurisprudence française consiste à sanctionner la présentation d’une œuvre lorsqu’elle est, sans l’accord de l’auteur, montrée dans un contexte philosophique différent de celui qu’il avait imaginé . La création d’une ancre à partir d’une œuvre constituera une contrefaçon si le moteur de recherche la présente au milieu d’autres œuvres adoptant une approche intellectuelle différente . Il a en effet été retenu en droit français que la publication d’un article scientifique dans une revue gratuite et au milieu de publicités contrevenait au droit à l’intégrité de l’œuvre . Par analogie, la présentation d’une œuvre au milieu d’autres œuvres adoptant une approche intellectuelle différente pourra constituer une violation du droit à l’intégrité. En outre, la présentation de publicités autour d’une œuvre peut violer le droit à l’intégrité lorsque l’auteur rejette une telle présentation. Les murs d’images ainsi que les pages présentant des vidéos sont généralement exempts de publicités. Cependant, les pages de résultats par défaut montrent des publicités qui pourraient constituer des violations du droit à l’intégrité de l’œuvre si cette jurisprudence était appliquée. Les juges américains ne sanctionneront pas la présentation d’une œuvre dans un contexte différent de celui imaginé par l’auteur . Les créateurs automatiques de liens n’auront donc pas à se soucier du contexte de présentation d’une œuvre.

447. Les juges belges ont en revanche été saisis de cette question. Le Tribunal Civil de Bruxelles a ainsi retenu, dans un jugement dit Copiepresse, que la présentation d’articles de journaux par un moteur de recherche escamote les lignes éditoriales et philosophiques adoptées par les entreprises de presse. Ainsi, les auteurs ayant adhéré à une ligne éditoriale précise voient leurs œuvres présentées au milieu d’œuvres d’inspirations philosophiques différentes. Ils subissent par conséquent une violation du droit au respect de leurs œuvres. Il nous semble que ce raisonnement est parfaitement transposable en droit français car il est fondé sur une conception du droit à l’intégrité partagée par les deux systèmes juridiques. Cette solution va donc au-delà du seuil établi par l’article 6 bis de la convention de Berne et s’avère diamétralement opposée à l’approche américaine.

448. Les moteurs de recherche sont donc placés dans une situation relativement inconfortable dans les pays de tradition continentale. En effet, ils doivent agir promptement pour retirer une ancre reproduisant une œuvre protégée si l’ayant droit considère que son droit moral est violé. Cet équilibre nous paraît cependant acceptable et il n’y a pas lieu de favoriser plus que nécessaire les créateurs automatiques de liens. Le droit américain assure une plus grande sécurité pour les moteurs de recherche ainsi qu’un accès plus vaste aux œuvres pour les internautes car les œuvres ne pourront être retirées pour violation du droit moral. Il apparaît donc nécessaire d’étendre l’exception de référencement au droit à l’intégrité des œuvres afin d’assurer le plus large référencement possible d’œuvres. Il nous semble cependant que les intérêts des auteurs et du public commandent que cette exception ne s’étende pas aux présentations d’œuvres dans des contextes différents de l’esprit de l’œuvre. Cela ne constituerait pas un poids particulièrement lourd car il suffira pour les créateurs automatiques de liens de déréférencer les œuvres mentionnées dans les notifications lorsqu’elles sont présentées dans un contexte différent de leur esprit.

449. Enfin, les moteurs de recherche risquent d’encourir des condamnations civiles et pénales lorsqu’ils effectuent des suggestions erronées lors des recherches des internautes.

B) La violation de l’intégrité de l’œuvre par la suggestion de recherche

450. Certains moteurs de recherche proposent une fonctionnalité suggérant, lors du renseignement de la recherche, des résultats en fonction notamment des tendances de recherches des internautes . Ce système est fondé sur la popularité d’une recherche au moment où l’internaute utilise le moteur de recherche. Les suggestions peuvent donc évoluer en l’espace de quelques minutes en fonction d’éléments exogènes au moteur de recherche, ce qui rend particulièrement ardue toute tentative de contrôle. Une fois que l’internaute a cliqué sur la suggestion le moteur de recherche l’amène sur la page de résultats demandés. Les suggestions peuvent contenir le titre d’une œuvre ou une expression protégées par le droit d’auteur.

451. Ainsi une œuvre protégée peut se trouver accolée à des mentions opposées à son esprit . Cette situation est indifférente en droit américain, mais elle a pour conséquence de violer les dispositions de l’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle français. La fonctionnalité de suggestion peut donc violer le droit moral de l’auteur si la suggestion n’est pas conforme à l’esprit de l’œuvre ou si elle la tronque. Aux États-Unis, il a été retenu que la présentation d’une œuvre relative à l’explosion nucléaire à Hiroshima à côté d’un article favorable à l’énergie nucléaire ne pouvait être interdite par l’auteur . Une telle présentation aurait été interdite en France conformément au droit à l’intégrité de l’œuvre alors qu’elle participe du débat d’idée sur la question nucléaire. Le droit moral peut constituer une limite au débat qui est pourtant le fondement de toute démocratie, mais il permet également de fonder une discussion sur des appréciations conformes à l’esprit de l’œuvre au lieu de les présenter dans des contextes intellectuels trompeurs.

452. Les deux droits ont convergé vers un principe d’irresponsabilité des moteurs de recherche pour la fonctionnalité de suggestion de résultats. La Cour de cassation a adopté ce principe dans un arrêt du 19 juin 2013 . Elle a retenu que la suggestion du moteur de recherche Google, qui mentionnait que la société lyonnaise de garantie avait commis des escroqueries, était le « fruit d’un processus purement automatique dans son fonctionnement et aléatoire dans ses résultats » qui sont « exclusifs de toute volonté de l’exploitant du moteur de recherche ». Il a été retenu qu’un moteur de recherche n’engage pas sa responsabilité pour les suggestions opérées dès lors qu’il ne les contrôle pas. Le créateur automatique de liens n’engage donc pas sa responsabilité. L’arrêt concernait un acte d’injure public mais le raisonnement concernant la responsabilité du moteur de recherche peut être étendu aux droits moraux sur le fondement de la LCEN étant donné que la loi s’applique de façon transversale à toutes les branches du droit.

453. Le droit américain n’opposera pas un droit moral aux suggestions effectuées par les moteurs de recherche et n’aura donc pas besoin d’appliquer le DMCA. Cependant, la responsabilité des moteurs de recherche du fait de leur fonctionnalité de suggestion ne pourra être engagée à cause de l’absence de contrôle sur les résultats . La jurisprudence américaine n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur la question mais elle statuera sans nul doute dans le même sens que les juges français.

454. Néanmoins, si un moteur de recherche développait un algorithme lui permettant de mieux contrôler les suggestions, il n’y aurait plus lieu de l’exonérer de sa responsabilité en droit français. Le droit américain n’aurait pas besoin de prendre acte d’une telle évolution étant donné qu’il ne reconnaît pas de droit moral. Cette solution en droit français est plus souple que l’introduction d’une exception qui se trouvera tôt ou tard dépassée par les évolutions technologiques. Les juges auront donc le devoir de contrôler, au cas par cas, que le moteur de recherche n’a pas les moyens de contrôler les suggestions arguées de contrefaçon. La liberté de lier n’est donc pas remise en cause mais elle sera appelée à évoluer en fonction des améliorations technologiques. Les progrès techniques, et notamment numériques, ne sont donc pas tous les ennemis du droit d’auteur mais bien, dans cette hypothèse, des moyens d’améliorer la jouissance les prérogatives morales des auteurs qui doit s’harmoniser avec la liberté de lier.

Conclusion du Chapitre 2

455. Les créateurs de liens sont confrontés à deux régimes juridiques abordés de façons radicalement divergentes en France et aux États-Unis : le droit des bases de données et les droits moraux.

456. Les bases de données sont certes protégées dans les deux systèmes par le droit d’auteur et le copyright dès lors qu’elles sont originales, mais l’Union Européenne a en outre intégré une protection sui generis des bases de données dès lors qu’elles sont le résultat d’un investissement économique, humain ou financier substantiel. Or, le régime sui generis n’a pas fait ses preuves et n’a pas été à l’origine d’une augmentation de la création de bases de données. Il constituera un fardeau supplémentaire en Europe – à l’inverse des États-Unis – pour les créateurs de liens qui ne pourront procéder à des extractions substantielles des contenus des bases de données. La création d’ancres sera donc ralentie et plus limitée en Europe qu’outre-Atlantique.

457. Les droits moraux constituent un autre point de divergence entre les droits français et américain. En effet, les États-Unis n’appliqueront que le droit des marques ainsi que le droit de la responsabilité civile comme équivalent fonctionnel aux droits moraux. Le droit français permet donc le développement d’un Internet plus sûr intellectuellement étant donné que les noms des auteurs et l’intégrité des œuvres devront être respectés. Cependant, les droits moraux limitent la liberté de créer des ancres. Il y a donc lieu d’introduire une exception distinguant entre les nécessités – qui ne devraient pas se voir opposer le droit d’auteur – et les commodités qui devraient en revanche y être soumises. Cela permettrait de surcroît d’écarter l’application du droit à l’intégrité en cas de création de vignettes, ce qui correspondrait à la réalité judiciaire étant donné que peu d’auteurs poursuivent les moteurs de recherche en justice et trouvent par conséquent dans la situation actuelle un résultat satisfaisant.

458. L’Europe aime ses auteurs et cherche à les protéger. Cependant, le mythe européen selon lequel l’inflation législative est toujours synonyme d’amélioration de la protection doit être critiqué et repensé. L’augmentation de la protection des créateurs n’a eu aucun effet en matière de bases de données, et les auteurs ne veulent pas systématiquement d’une protection de leurs droits moraux. Le législateur européen devrait dès lors prendre en compte la réalité de la création et du marché afin d’assurer, comme a su le faire le législateur américain, un meilleur système d’incitation à la création respectueux des intérêts des internautes. Il serait urgent que le législateur européen s’empare de la question étant donné que le régime constitué autour de l’application des droits patrimoniaux et moraux aux pointeurs est assez incohérent.

Titre 2 : La liberté d’établir un lien face au droit d’auteur

459. Une fois l’ancre constituée, l’internaute aura besoin de la liberté d’établir un lien pour mener depuis son site vers une page cible. Le lien permettra à l’internaute de prendre connaissance d’une œuvre, ce qui pose la question de l’application des droits de reproduction et de représentation lors de l’établissement du lien (Chapitre 1).

460. Les droits américain et européen convergent globalement lorsque les droits patrimoniaux sont appliqués aux liens. Il n’en va pas de même en matière de droits moraux – qui sont quasiment inconnus aux États-Unis – et de droit sui generis sur les bases de données qui n’a pas été introduit. Pourtant, les droits moraux et le droit sui generis participent de l’accès à la culture des internautes. Ainsi, la divergence en matière d’établissement de liens face aux droits moraux et aux droits sui generis (Chapitre 2) a pour conséquence d’offrir des accès différents à la culture et aux informations.

Chapitre 1 : Les droits de reproduction et de représentation lors de l’établissement du lien

461. L’Internet a été initialement pensé comme un réseau sur lequel les créations étaient mises à disposition sans limitations de la part des auteurs. Les droits français et américain se sont donc appliqués dans un second temps à un espace qui n’a pas été pensé ni construit pour l’application de règles juridiques. Les droits de tous les États ayant accès à Internet étaient par conséquent confrontés à deux situations radicales. Ainsi, soit le droit d’auteur était appliqué à chaque lien et le développement de l’Internet s’en trouvait fortement ralenti, ou au contraire le droit d’auteur ne s’appliquait pas et dans ce cas les créateurs auraient fortement hésité à mettre des contenus en ligne. Les deux extrêmes n’étaient pas souhaitables et des solutions plus nuancées étaient requises.

462. Est ainsi émergé un conflit entre libertés fondamentales. D’un côté le droit d’auteur et de l’autre la liberté de lier et de communiquer des idées. Or, une partie substantielle de la doctrine et des juridictions françaises s’est bornée à adopter une approche classique fondée sur une application stricte du droit d’auteur comme s’il s’agissait d’une citadelle protégée de tout conflit avec les autres libertés fondamentales. Le droit américain était mieux préparé à ce conflit grâce à l’exception de fair use qui permet de prendre en considération les intérêts d’autres parties. La faiblesse initiale européenne a eu des effets néfastes sur le développement du régime juridique par la jurisprudence.

463. Lors de l’établissement du lien le créateur devra donc contrôler que celui-ci respecte les dispositions relatives au droit de reproduction (Section 1) et au droit de représentation (Section 2).

Section 1 : Le droit de reproduction

464. Lors du clic sur un lien l’internaute produit deux situations techniques sans même s’en rendre compte, impliquant une révolution copernicienne dans notre rapport à la reproduction et à la copie.

465. Tout d’abord, il sollicite la création de reproductions transitoires par son ordinateur et des prestataires techniques (Sous-section 1). Le paradigme de la reproduction a ainsi subi des modifications profondes depuis la loi de la Reine Anne et les premières lois américaines et françaises sur le copyright et le droit d’auteur.

466. Ensuite, une fois rendu sur le site lié, il peut se trouver face à une présentation qui soulève l’application du droit de reproduction (Sous-section 2).

Sous-section 1 : La reproduction par la mémoire transitoire

467. Deux types de mémoires transitoires sont utilisées lors de la consultation d’un site Internet. La reproduction par la mémoire cache de l’ordinateur a reçu une réponse juridique claire en France et aux États-Unis (Paragraphe 1), alors que la reproduction transitoire par les prestataires de services jouit d’un régime juridique en attente de confirmation jurisprudentielle (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La reproduction sur la mémoire cache d’un ordinateur

468. Le copyright puis le droit d’auteur sont en partie le fruit d’une réaction contre la reproduction des œuvres sans l’autorisation des auteurs . L’impression avait en effet pris son essor avec l’invention de la machine à imprimer. Il s’agissait d’une reproduction qui était le fruit d’un geste volontaire du copiste et qui pouvait être effectuée facilement sans l’accord de l’auteur.

469. L’invention de l’ordinateur a profondément changé le rapport que nous avons avec la reproduction. En effet, lorsqu’un ordinateur montre à l’écran une œuvre ou une information, il en effectue une reproduction temporaire . La mémoire, dite cache, permet à l’ordinateur de retrouver plus rapidement les informations qui sont stockées sur sa mémoire que s’il devait revenir systématiquement sur la page Internet. Ce système assure par conséquent une plus grande rapidité de traitement des commandes de l’utilisateur de l’ordinateur et correspond à la recherche de vitesse qui marque désormais les sociétés postmodernes. Les reproductions sont en général réalisées sans l’accord de l’auteur et souvent sans même que l’utilisateur ne le sache . Nous sommes ainsi passés d’un monde dans lequel la reproduction était forcément un acte volontaire requérant une certaine dose d’énergie et de temps, à un nouveau paradigme dans lequel la reproduction est effectuée sans volonté de l’internaute et quasi immédiatement. Bien que le droit d’auteur français et le copyright américain soient traditionnellement indifférents à la question de l’intentionnalité , il n’était pas possible de laisser les auteurs engager la responsabilité de tout utilisateur d’un ordinateur.

470. Ce problème est rapidement devenu mondial. En 1996 s’est tenue à Genève sous l’égide de l’Organisation Mondiale de la Propriété Intellectuelle une conférence visant à moderniser le droit d’auteur conventionnel afin de l’adapter au défi des nouvelles technologies. La question des copies caches a donc été évoquée. Dans la version originelle, le traité sur le droit d’auteur contenait un article 7 définissant le droit de reproduction comme toute reproduction directe ou indirecte, permanente ou transitoire et sous toute forme . La définition était classique dans la mesure où elle réputait indifférente la dimension volontaire de la reproduction. La mention a cependant été abandonnée avant son adoption. En effet, si l’article 7 avait été adopté en l’état, il aurait fait obstacle à la reconnaissance de la légalité des reproductions temporaires . Face aux problématiques que cela aurait posé, la conférence a préféré ne pas statuer et laisser les États légiférer en la matière . Le droit d’auteur international n’a donc pas adopté de position commune sur la question de la reproduction temporaire d’œuvres protégées par le droit d’auteur. Cette absence est fâcheuse car il s’agit d’une question que rencontrent tous les États membres et qu’ils auraient dû résoudre ensemble.

471. Les États membres ont néanmoins adopté des déclarations communes dans lesquelles ils affirment que le droit de reproduction s’applique « pleinement dans l’environnement numérique » et que le stockage « sous forme numérique sur un support électronique constitue une reproduction ». Les États ont donc visé un article du projet de traité mais qui n’existe pas dans le traité de l’OMPI de 1996 . Cette approche est surprenante, et montre la difficulté qu’ont rencontré les États à s’entendre. La convention de Vienne sur le droit des traités dispose à l’article 31-2(a) que « tout accord ayant rapport au traité et qui est intervenu entre toutes les parties à l’occasion de la conclusion du traité » constitue un moyen d’interprétation du traité. Ainsi, les déclarations communes doivent éclairer le traité. Or les positions communes de l’OMPI de 1996 n’éclairent aucun article mais affirment une règle nouvelle. Le procédé manque de rigueur juridique et n’a donc pas servi de base d’harmonisation des droits européen et américain.

472. Les droits français et américain appliquaient initialement le droit d’auteur et le copyright aux reproductions sur ordinateur. En effet, le Conseil d’État français avait relevé dans son rapport sur le Projet de loi relatif au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information que le Code de la propriété intellectuelle ne prévoyait aucune exception pour les reproductions techniques effectuées dans l’environnement numérique. Aux États-Unis, la section 106 du Copyright Act énonce que la reproduction induit une copie sur un tangible medium of expression, ce qui inclut les reproductions sur mémoire cache dans la mesure où elles peuvent être consultées . Une partie de la doctrine américaine avait cependant souligné que la violation du droit de reproduction par les copies temporaires ne correspondait ni à l’objectif du copyright, ni à la public policy , car cela permettrait aux auteurs de contrôler l’utilisation personnelle d’une œuvre et instaurerait par conséquent un droit sur la lecture d’une œuvre. Le Conseil d’État a emboîté le pas à la doctrine américaine en faisant remarquer qu’il existait « un relatif consensus sur la nécessité d’une telle exception pour permettre la circulation des œuvres sur les réseaux numériques ». Le rapport a ainsi proposé que l’exception de reproduction technique soit limitée à la copie volatile, définie comme faisant partie intégrante d’un procédé technique dont le seul but est de permettre l’utilisation en ligne d’une œuvre et dont l’existence ne dépasse pas la durée de transmission. Seule la voie de l’exception était possible dans la mesure où certains droits, et notamment le droit français, ne connaissent pas la notion de licence implicite . L’état des idées aux États-Unis et en France était donc similaire.

473. Lors de la révision de la loi sur le copyright en 1976, le rapport n° 94-1476 de la Chambre des Représentants a proposé de ne pas retenir la contrefaçon par la mémoire temporaire d’un ordinateur . Cependant, le chapitre 3 du rapport final de la Commission sur les utilisations des nouvelles technologies (CONTU) du 31 juillet 1978 a retenu que la copie d’une œuvre sur la mémoire d’un ordinateur constituerait une reproduction en opposition avec la doctrine majoritaire occidentale. L’arrêt MAI , suivi par d’autres arrêts , ont adopté la position de la commission CONTU en retenant que la reproduction sur la mémoire cache d’un ordinateur violait le copyright. Cette solution s’est imposée en droit américain et le gouvernement en a pris acte en l’introduisant dans l’accord de libre-échange avec le Chili . Le droit américain a par conséquent initialement retenu que la reproduction par la mémoire cache violait le monopole de l’auteur et convergeait par conséquent avec la solution traditionnelle du droit français. Cette solution surprenante ne pouvait pas être maintenue sans freiner le développement du secteur numérique.

474. Le Rapport américain dit « Copyright Issues in Colleges and Universities », rédigé par la American Association of University Professors (AAUP), a cherché à nuancer cette approche en rappelant que l’utilisateur crée de ce fait une copie non autorisée lors de chaque clic sur un hyperlien. Les rédacteurs affirment que la copie en question est temporaire, non voulue, et effectuée non pas par l’utilisateur mais par l’ordinateur qui est incapable de lire des informations qui ne circulent pas sur la mémoire cache. La copie temporaire ne devrait donc pas constituer une reproduction au sens de la section 106 du Copyrigt Act. Cependant, les appels de la doctrine sont restés inaudibles aux oreilles du législateur. Ce n’est qu’en réaction à l’arrêt MAI que le législateur américain a introduit la section 117(a) du Copyright Act relative aux « limitations on exclusive rights : Computer programs » en 1998 . La section énonce que la reproduction d’une œuvre sur un ordinateur ne constitue pas une violation du copyright si la copie est effectuée dans le cadre de l’utilisation du programme d’ordinateur en lien avec une machine, que la copie est effectuée dans un objectif d’archivage et que toutes les copies d’archivage sont détruites. La reproduction sur la mémoire cache d’un ordinateur a aussi été autorisée lorsqu’elle est effectuée dans le cadre d’un travail de maintenance par une personne extérieure. Cette dernière hypothèse correspondant point par point aux faits de l’arrêt MAI et marque ainsi la nécessité de résoudre la difficulté que rencontraient les techniciens.

475. Le législateur européen a marqué un temps de retard pour les mémoires caches des œuvres relevant du droit commun du droit d’auteur bien qu’il avait introduit dès 1991 l’exception en matière de programmes d’ordinateurs pour les copies nécessaires. Cette différence de traitement vient notamment du fait qu’aucune décision ne limitait l’utilisation d’ordinateur à cause de la mémoire cache, rendant ainsi la question moins urgente au sein de l’Union Européenne. L’article 5.1 de la directive 2001/29/CE énonce désormais que les mémoires temporaires sont autorisées si elles constituent une partie intégrante et essentielle d’un procédé technique, visant à une transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire ou une utilisation licite, d’une œuvre protégée. La reproduction transitoire doit en outre être dénuée de signification économique indépendante . L’exception a fait l’objet d’une application stricte par la CJUE . Cette exception est la seule obligatoire parmi la liste d’exceptions proposées par la directive et permet une application uniforme du droit de l’Union Européenne sur ce point. À défaut, le développement du secteur numérique européen aurait été compromis.

476. La Cour de Justice de l’Union Européenne a été saisie par la Cour Suprême du Royaume-Uni dans le cadre de l’affaire Public Relations Consultants Association c. Newspaper Licensing Agency d’une question préjudicielle portant sur l’application de l’exception de l’article 5.1 aux reproductions sur mémoire cache. La CJUE a retenu que la reproduction sur mémoire cache jouit des dispositions de l’article 5.1 dans la mesure où elle se trouve supprimée lorsque l’internaute quitte le site consulté et remplacée automatiquement par d’autres contenus après un certain laps de temps. Ce critère est donc partagé avec le droit américain qui impose la suppression des copies d’archivage pour octroyer le bénéfice de l’exception. En outre, les reproductions jouissent de l’exception lorsqu’elles font partie intégrante et essentielle d’un procédé technique , ce qui rejoint partiellement le critère américain de l’utilisation en lien avec une machine. La CJUE a par conséquent retenu que les copies sur mémoire cache satisfont aux critères de l’exception de l’article 5.1. Le législateur français a introduit cette exception à l’article L. 122-5 6° du Code de la propriété intellectuelle par la loi du 22 mai 2001 en des termes similaires .

477. Le droit européen ajoute cependant une complexité technique supplémentaire par rapport au droit américain. Il applique en effet un régime différent aux reproductions transitoires de bases de données. Elles sont autorisées dès lors que l’utilisateur a le droit d’utiliser la base. Les actes nécessaires à la consultation de la base de données sont ainsi autorisés. La logique recoupe celle adoptée pour le droit commun du droit d’auteur car le législateur autorise la reproduction d’un objet protégé lorsque l’acte est nécessaire et non pas une simple commodité. Partant, une base de données en accès libre sur Internet pourra être reproduite par tous alors qu’une base de données en accès limité ne pourra être reproduite que par les utilisateurs légitimes . Cette différence de fondement légal ajoute de la complexité à notre droit alors que l’Internet a besoin de règles simples.

478. Le droit américain est donc resté fidèle à sa méthode analytique alors que le législateur européen a pris plus de hauteur en suivant une méthode synthétique. Il s’agit d’un renversement des paradigmes traditionnels car le droit européen applique traditionnellement une méthode analytique pour les exceptions et le droit américain utilise généralement une méthode synthétique avec l’exception de fair use. L’approche américaine est restée centrée sur la résolution de la difficulté soulevée par la jurisprudence avec l’arrêt MAI alors que le droit européen a voulu non seulement ne pas conférer aux auteurs un droit sur la prise de connaissance de leurs œuvres, mais aussi encourager le développement des nouvelles technologies qui aurait été freiné si la solution inverse avait été adoptée. Indépendamment de ces considérations, les solutions européenne et américaine présentent le même intérêt pratique et ne bloquent pas l’utilisation d’ordinateurs. Cependant, si l’autorisation est claire pour les reproductions caches sur ordinateurs, la solution est moins évidente pour les reproductions caches sur Internet.

Paragraphe 2 : La reproduction transitoire par les prestataires de services

479. Le législateur américain avec le DMCA , puis le législateur européen avec la directive e-commerce, ont introduit des régimes de responsabilité limitée pour certains prestataires de services sur Internet afin d’introduire un équilibre entre le respect du droit d’auteur et le développement de l’Internet. Parmi les intermédiaires figurent les moteurs de recherche (I) ainsi que les serveurs mandataires (II) qui bénéficient d’un régime juridique ad hoc leur permettant d’effectuer plus facilement des copies. Ce régime est le résultat non pas d’une prise en compte des difficultés particulières des prestataires de services mais de l’influence de leurs lobbies. Il leur est en effet plus commode de procéder à des copies que de bâtir des infrastructures transcontinentales pour le développement de l’Internet. Pourtant, le DMCA ainsi que la directive e-commerce ont été votés afin d’encourager au développement du secteur économique de l’Internet. Il y a donc une contradiction initiale dans ce régime d’autant moins justifiable que les prestataires de service ne compensent pas ce régime de responsabilité ad hoc par une participation au financement de la culture sur le modèle de la rémunération pour copie privée. L’assiette de la rémunération pourrait dépendre du nombre d’octets stockés sur les serveurs mis à la disposition du public français et américain .

480. Le droit européen adopte une approche unitaire des reproductions transitoires qu’il réglemente à l’article 13 de la directive e-commerce alors que le droit américain distingue entre les deux types de reproductions à la section 512(a) et 512(b). Le moteur de recherche référence des contenus sur Internet et crée par conséquent des liens .

I) La reproduction par le moteur de recherche

481. Afin d’assurer un accès plus rapide et moins onéreux aux sites Internet en s’abstenant de les interroger systématiquement, les moteurs de recherche effectuent des copies caches. Les copies caches effectuées par les moteurs de recherche assurent donc un accès plus rapide aux contenus et permettent d’économiser de la bande passante. S’il devait être considéré que ces copies constituent des contrefaçons, le modèle technique et économique des moteurs de recherche serait remis en cause, l’accès à l’Internet serait fortement ralenti et le prix de son utilisation augmenterait fortement. Cela aurait pour conséquence de limiter le caractère universel de l’Internet.

482. Les droits français et américain ne peuvent donc pas rester indifférents face à ces reproductions. Malgré la convergence d’intérêts qui aurait pu amener les droits européen et américain à converger les approches apparaissaient plus uniformes jusqu’à la moitié des années 2010 qu’elles ne le sont désormais. En effet, les États-Unis se montrent de plus en plus protecteurs de leurs géants de l’Internet alors que l’Union Européenne n’a que des auteurs à protéger en l’absence d’une réussite européenne dans le domaine des moteurs de recherche.

483. Reflétant l’avance technologique américaine sur le reste du monde, la jurisprudence outre-Atlantique a été la première à connaître de l’hypothèse de la reproduction par un moteur de recherche. Dans l’arrêt RTD v. Netcom , le moteur de recherche était à l’origine d’une reproduction ayant duré 11 jours. Les juges ont considéré qu’une telle copie ne violait pas le monopole de l’auteur car il n’y avait pas d’élément de volition, c’est-à-dire de dimension volontaire dans la copie. Néanmoins, l’arrêt Perfect 10, Inc. Giganews, Inc. a retenu que le critère de volition devait se comprendre comme une définition du lien de causalité qui doit être proximate c’est-à-dire proche ou directe. Le critère de volition est par conséquent désormais compris comme un critère de causalité directe ce qui est sans doute plus cohérent étant donné que l’algorithme ne peut avoir de volonté. Le principe s’est imposé en droit américain et a été repris par la jurisprudence . Cette approche surprend dans la mesure où – comme le droit français – le droit américain applique le principe de la responsabilité de plein droit . Il aurait été plus judicieux d’introduire une division entre nécessité et simple commodité qui aurait permis d’écarter la responsabilité des personnes effectuant des copies lorsqu’il n’existe pas d’autre moyen technique d’arriver au résultat souhaité.

484. La jurisprudence américaine a donc accepté la légalité de la reproduction temporaire par les moteurs de recherche avant même que le législateur ne se saisisse de la question. La jurisprudence française aurait certainement retenu à l’époque une solution différente dans la mesure où il s’agissait de la fixation d’une œuvre protégée sans l’autorisation de l’auteur qui s’analyse en une reproduction. Les juges français auraient par conséquent condamné le moteur de recherche pour les reproductions effectuées sur mémoire cache.

485. Quelques années après l’arrêt RTD v. Netcom, les législateurs occidentaux se sont saisis de la question. Dans un premier temps les États-Unis ont introduit le Digital Millenium Copyright Act visant notamment à assurer un régime de responsabilité limitée pour les service providers, et donc les moteurs de recherche, afin d’encourager le développement de l’Internet en écartant le risque de poursuites judiciaires pour les activités automatiques . Le Digital Millenium Copyright Act définit la notion de service provider, au sens de moteur de recherche, à la section 512(a) comme une « entity offering the transmission, routing, or providing of connections for digital online communications, between or among points specified by a user, of material of the user’s choosing, without modification to the content of the material as sent or received ». Cette définition sert de filtre initial à l’application du safe harbor . Cette définition a été inspirée par celle de « telecommunication » retenue dans le Communication Act de 1934 . En effet, dans les deux cas, le législateur a voulu protéger les activités exerçant des fonctions de mere conduit . L’objectif était par conséquent de protéger les service providers se contentant de laisser transiter des tiers .

486. Le droit européen en revanche ne restreint pas l’application de l’article 13 de la directive e-commerce à un type de prestataire de service et s’affranchit donc de toute définition du prestataire technique. Le législateur européen a ainsi introduit une exception large, bien qu’analytique – c’est-à-dire devant être comprise de façon restrictive – au droit de reproduction qui s’applique à la copie de tout type d’œuvre . Les deux systèmes se rejoignent cependant sur le principe de la neutralité du prestataire de service. L’exception s’applique donc à toute reproduction relevant du caching et respectant les critères établis. Les droits américain et européen adoptent donc des exceptions fonctionnant de façons similaires.

487. La section 512(a) du Copyright Act, introduite à la suite de l’entrée en vigueur du Digital Millenium Copyright Act et visant les reproductions effectuées par les moteurs de recherche, est le résultat du travail de lobbying des service providers . Cette méthode est traditionnelle notamment en matière de copyright depuis la réforme de 1976. Le Digital Millenium Copyright Act vise par conséquent à offrir aux service providers un cadre juridique sécurisant afin de développer leurs activités.

488. Le recours aux lobbies est donc désormais très courant en droit américain, comme en droit européen , alors qu’il entre en parfaite contradiction avec les intentions des rédacteurs de la Constitution américaine. En effet, Madison estimait que la création de la norme légale ne pouvait être laissée à des factions ne représentant que les intérêts d’une partie de la population . Ce procédé s’avère donc contraire à l’esprit de la Constitution mais il a permis de renforcer l’Internet et avec lui l’accès aux informations du public. Cette entorse aux principes révolutionnaires a permis in fine de profiter à l’ensemble de la population américaine. La France n’a eu de cesse de casser les corporations pendant le siècle suivant la Révolution et les lobbies ne sont donc pas dans sa tradition. L’Union Européenne les a en revanche acceptés, ce qui acerbe les critiques quant au manque de représentativité et au vide démocratique des institutions bruxelloises . Ainsi, les deux ordres juridiques fonctionnent de façons similaires en violation de leurs principes fondamentaux.

489. Les législateurs ont souhaité soutenir l’innovation, tout en prenant acte d’une distinction proposée par la doctrine entre les reproductions délibérées et les reproductions accessoires . La reproduction doit ainsi être effectuée de façon neutre (A) et sans porter atteinte à ce que les législateurs ont estimé être les intérêts des auteurs (B).

A) La neutralité de la reproduction

490. La section 512(a) du Copyright Act énonce que les reproductions effectuées à l’initiative de tiers au service provider (1), et de façon automatique sur son réseau (2) jouissent de la limitation de responsabilité. La directive européenne e-commerce s’est inspirée des dispositions du DMCA, permettant ainsi un minimum d’harmonisation entre les deux systèmes.

1) Les reproductions à l’initiative de tiers

491. La transmission des contenus doit avoir été lancée à l’initiative ou sous la direction d’un tiers au prestataire de service ou au moteur de recherche. La section 512(a) dispose que le tiers en question est celui « anticipé » par le service provider. La directive e-commerce ne s’est pas embarrassée d’une qualification des tiers. Le législateur européen aurait pourtant sans doute dû suivre le soucis de précision de son homologue américain car cette définition permet d’appliquer le régime de responsabilité limitée même en cas de piratage informatique . S’il semble cohérent avec la ratio legis de la directive e-commerce d’adopter la même solution, il aurait été heureux de le préciser explicitement. Ils doivent donc se contenter d’un rôle passif et ils sont tenus de s’abstenir de choisir les destinataires.

492. Le rapport de la Chambre des Représentants américaine a en effet retenu que la notion de sélection doit s’entendre comme étant une fonction éditoriale visant à déterminer quel contenu envoyer. Le service provider doit donc s’abstenir d’adopter une fonction éditoriale afin de jouir du régime de responsabilité limitée. L’arrêt Ellison a retenu que le moteur de recherche respecte ces deux conditions de la section 512(a). La solution est identique en Europe dans la mesure où la jurisprudence a souvent appliqué le régime de l’hébergeur par défaut lorsque le prestataire technique ne procède pas à une activité éditoriale . En outre, le moteur de recherche doit communiquer le contenu demandé automatiquement via un procédé technique sans qu’il ne sélectionne le contenu. Le procédé technique et automatique correspond à la réponse à une requête par un tiers ou un appareil . Le prestataire est ainsi limité à un rôle purement passif. Les conditions posées visent ainsi à créer une exception limitée à la simple fonction de transit des moteurs de recherche . Ce nouveau raisonnement souligne l’erreur qui a été commise dans la définition traditionnelle du droit de reproduction qui avait été développée pour correspondre à l’imprimerie, c’est-à-dire à un procédé impliquant une copie directe et volontaire.

493. Cependant, les jurisprudences américaine et française ont introduit une précision. Les juges américains ont été saisis de la question de la légalité des murs d’images et ont appliqué le fair use qu’ils justifient par la facilitation de l’accès aux œuvres. L’application de l’exception a cependant été écartée lorsque le mur d’images permet aux internautes d’agrandir l’image. La Cour de cassation française a écarté l’application du régime dérogatoire de l’article 13 de la directive e-commerce relatif à la mémoire cache, pour les murs d’images, dans l’arrêt Auféminin.com . Elle a en effet retenu que les sociétés Google ont stocké les images et ont permis aux internautes d’effectuer des agrandissements de celles-ci « au-delà et indépendamment des strictes nécessités d’une transmission ». La Cour de cassation rappelle ainsi que les limites imposées au droit d’auteur par la technique sont acceptables mais qu’il n’en va pas de même des simples commodités. Les juges n’ont pas interdit les murs d’images mais imposent aux moteurs de recherche le recours à des liens cadres ne permettant pas le stockage ni l’agrandissement. En effet, l’utilisation de liens cadres constitue le procédé le moins intrusif afin de présenter les vignettes aux internautes. Cette méthode permet de respecter les prérogatives des auteurs tout en assurant l’accès et le développement des murs d’images qui facilitent l’accès à la culture. Les deux droits adoptent donc des solutions similaires, malgré le recours à des raisonnements très divergents, en retenant la légalité du mur d’image dès lors que la reproduction des œuvres est limitée à la stricte nécessité du procédé technique. L’intérêt pratique de cette solution réside dans la nécessité pour les internautes de se rendre sur le site lié et donc de voir les publicités qu’il contient. Les auteurs bénéficieront ainsi d’une meilleure rémunération.

494. En outre, les moteurs de recherche ne jouiront pas des régimes de responsabilité limitée s’ils choisissent les destinataires. Le rapport du Congrès américain a ainsi retenu que la notion de réponse automatique à la requête d’un tiers, c’est-à-dire sans discrimination entre les contenus et les utilisateurs, inclut la réponse d’un moteur de recherche aux requêtes par un utilisateur ou un autre réseau. L’arrêt Ellison a confirmé la position du rapport du Congrès. Il a été précisé que les accords passés avec certains utilisateurs ne remettent pas en cause le critère de l’absence de sélection des destinataires . Dès lors les moteurs de recherche respectent la condition leur interdisant de sélectionner le destinataire. Le droit européen, notamment par une lecture libérale de la jurisprudence, a retenu le même principe de passivité du prestataire technique . La directive n’avait pas adopté expressis verbis cette position et s’était contentée de se référer à la fourniture de service qui sous-tend la demande d’un tiers.

495. Malgré la validation complète du système des reproductions sur mémoires caches par l’arrêt américain dit Field – qui s’est fondé sur une théorie du contrat social basée sur une licence implicite (rejetée par le droit français) qui serait conférée par le titulaire des droits lorsqu’il ne recourt pas à son option de opt out – il a été fait remarquer que les internautes voient la reproduction du site telle que copiée sur la mémoire cache et non pas une copie envoyée automatiquement depuis le site original et transitant par le moteur de recherche . Il y a donc une appropriation de l’œuvre sans autorisation de son auteur. Le juge dans l’arrêt Field a justifié sa position en retenant que les liens permettent aux internautes de visualiser la page même si le site d’origine est indisponible. Il s’agit donc d’un argument d’opportunité qui, bien que recevable d’un point de vue pragmatique et technique, ne présente aucune valeur juridique. Il s’agit par conséquent d’un coup de force du juge qui a limité le champ d’application du monopole de l’auteur aux besoins techniques car la copie ne transite pas sur le système du service provider à partir du site d’origine mais du service provider à l’internaute . La jurisprudence américaine a ainsi privilégié le droit d’accès à la culture face au copyright. Cette approche est logique étant donné que la Constitution limite le copyright à un encouragement à la production intellectuelle dans le but de vulgariser les connaissances. Cette méthodologie prétorienne est moins répandue au sein de l’Union Européenne, et notamment en France, où les juges sont plus limités par leur rôle de bouche de la loi . Cette différence est en pratique plus nuancée car les juges créent régulièrement des normes juridiques en droit d’auteur . Ainsi, alors que le bien fondé de l’exception est explicite aux États-Unis, il est imposé sans justification au sein de l’Union Européenne. Or, il nous semble qu’une règle n’est acceptée que si elle est expliquée et comprise. Il aurait ainsi été judicieux de justifier l’exception dans un considérant de la directive e-commerce.

496. Les différences d’approches entre l’Union Européenne et les États-Unis apparaissent relativement minces. En effet, les deux droits ont adopté un principe de neutralité du moteur de recherche. L’objectif est donc de ne pas limiter la communication des idées ni l’innovation technologique tout en ménageant les intérêts des auteurs. Cette solution doit être soutenue bien qu’elle renverse le paradigme antérieur du contrôle quasi absolu de l’auteur sur ses œuvres. En effet, les droits américain et européen concèdent une autorisation de reproduction des œuvres mises en ligne légalement sur Internet qui peuvent être reproduites par un prestataire technique. L’autorisation de reproduction des contenus n’apparaît constituer qu’une limitation de responsabilité des prestataires techniques fondée sur l’idée qu’ils ne peuvent contrôler la légalité de chaque page référencée. Il s’agit donc d’une exception utilitariste permettant de préserver un domaine d’activité économique et d’améliorer l’accès à la culture. Cette approche est parfaitement assumée en droit américain conformément à la tradition anglaise dont il s’inspire . Elle s’éloigne de la conception jusnaturaliste qui prime désormais en droit français.

497. Le moteur de recherche ne doit pas sélectionner le destinataire des contenus à moins que cela ne soit le résultat d’une réponse automatique à la demande d’un tiers. Cette exigence a pour conséquence d’imposer le respect du principe de neutralité aux moteurs de recherche qui ne peuvent favoriser artificiellement certains résultats. Or, le respect de ce principe garantit aux internautes un égal accès aux contenus, ce qui favorise l’accès à la culture. La présentation des résultats, du moins avec les moteurs de recherche Google et Yahoo !, a pour conséquence de mélanger des liens commerciaux présentés en premier et, en dessous, des liens classés de façon naturelle. Il y a donc un mélange de résultats présentés artificiellement et naturellement qui risque de troubler les utilisateurs peu expérimentés. Le principe de neutralité du Net n’est donc de facto respecté que pour les internautes connaissant les us et coutumes de l’Internet, ce qui s’avère insatisfaisant pour un réseau à vocation universaliste et donc ouvert aux profanes. En outre, les algorithmes sont modifiés quasiment tous les jours et il s’avère donc particulièrement difficile pour les juristes de suivre les évolutions. Ce manque de transparence est en partie à l’origine de la défiance européenne à l’égard de la société Google, d’autant que l’étude du fonctionnement du moteur de recherche a montré qu’il existe au moins trois algorithmes différents pour l’Union Européenne, ce qui montre que le procédé n’est pas neutre. Or la neutralité est l’un des critères permettant l’application du régime dérogatoire de la directive e-commerce . En outre, l’algorithme de Google privilégie ses propres services en violation des règles relatives à l’abus de position dominante . La doctrine a demandé à ce que les moteurs de recherche communiquent leurs politiques en des termes clairs et qu’ils précisent le temps d’attente ainsi que les limitations possibles dans l’accès à certains contenus . Cette solution présente l’intérêt de ne pas obliger les sociétés gérant des moteurs de recherche à dévoiler leurs algorithmes mais elle subordonne le contrôle du respect de la neutralité à la bonne volonté des moteurs de recherche, en contradiction avec l’interdiction de se prévaloir de preuves constituées par soi-même. Il nous semble qu’il y aurait lieu d’instaurer des autorités administratives indépendantes ou d’étendre les prérogatives d’autorités déjà existantes afin de contrôler les algorithmes. Elles devraient être tenues au secret des détails des algorithmes afin que soit contrôlé le respect du principe de neutralité. Cette solution aurait le mérite d’inciter fortement les moteurs de recherche à respecter la neutralité de l’Internet car en cas de litige un juge pourrait être saisi et les détails de l’algorithme seraient alors dévoilés. Les moteurs de recherche auront ainsi tout intérêt à ne pas risquer une violation du principe. La neutralité des moteurs de recherche, et plus généralement de l’Internet, présente l’intérêt pour les internautes de ne pas devoir s’interroger sur la médiation technique lors de leurs recherches . La neutralité renforce par conséquent l’accès à la culture et aux informations.

2) Le caractère automatique des reproductions

498. La reproduction doit être effectuée automatiquement afin de respecter le principe de neutralité vis-à-vis des contenus. La reconnaissance de l’applicabilité de ce critère est surprenante dans la mesure où l’algorithme utilisé par les moteurs de recherche est créé par des ingénieurs qui lui imposent un mode de fonctionnement l’amenant à privilégier certains résultats. Il ne s’agit donc en aucun cas d’une créature de type Frankenstein échappant à ses créateurs. Néanmoins, une partie de leurs réactions échappe au contrôle des concepteurs. Le critère d’automaticité doit par conséquent être compris comme l’absence d’intervention humaine directe. Ce critère est central dans l’économie de la limitation de responsabilité et montre l’évolution vers une approche plus utilitariste du droit d’auteur qui de ce point de vue se rapproche du copyright . Il se divise en deux impératifs. Les prestataires techniques doivent en effet s’abstenir de modifier les œuvres (a) et doivent se contenter d’un rôle purement neutre (b).

a) L’absence de modification des œuvres

499. Les prestataires techniques cesseront de jouir du régime de responsabilité limitée dès lors qu’ils modifieront les œuvres qu’ils stockent . Cependant, les droits américain et français ont des conceptions différentes de ce que signifie l’absence de modification.

500. Aux États-Unis l’arrêt Ellison a retenu que le moteur de recherche ne modifie pas les contenus, ce qui autorise à considérer que les modalités de fonctionnement des moteurs de recherche permettent de satisfaire à la condition de l’absence de modification des œuvres. Les moteurs de recherche jouissent ainsi du régime favorable de la section 512(a). Le rapport du Congrès américain a néanmoins précisé que l’absence de modification ne s’applique qu’au fond et non pas au format . Cela signifie que l’œuvre ne doit pas être modifiée sur le fond mais que la présentation peut être modifiée conformément à l’adage de minimis non curat lex . Cette solution est pragmatique dans la mesure où la présentation d’une œuvre varie fortement en fonction de facteurs indépendants de la volonté des moteurs de recherche, comme la taille de l’écran ou certains paramétrages de l’internaute. Elle est d’autant plus facile à introduire en droit américain que les droits moraux y sont très réduits. La directive européenne n’a pas pris position sur ce point mais le droit français pourrait sanctionner une telle modification sur le fondement du droit moral si l’esprit de l’œuvre se trouve modifié . Le rôle neutre du prestataire technique est donc plus strict en droit français qu’en droit américain où le pragmatisme associé à l’absence d’une culture forte du droit moral a amené le législateur à adopter une approche plus libérale.

501. Néanmoins, en pratique, cette différence n’a pas d’incidence pour les moteurs de recherche qui se contentent de reproduire de façon mécanique, c’est-à-dire sans intervention humaine directe, les contenus. Le droit américain laisse donc une marge de manœuvre plus importante que le droit français mais il est fort probable que cette possibilité reste inutilisée.

502. En outre, le principe de neutralité des moteurs de recherche implique qu’ils ne sélectionnent pas eux-mêmes les contenus que consultent les internautes.

b) La neutralité des prestataires intermédiaires quant à la sélection du contenu

503. Le principe de neutralité des moteurs de recherche, qui constitue le corollaire du principe général de la neutralité de l’Internet, fait obstacle au choix par les prestataires de service des contenus visualisés par les internautes. Les droits américain puis français ont convergé sur ce principe.

504. La limitation de responsabilité requiert un fonctionnement neutre dans le cadre de la communication des contenus. Ainsi, aux États-Unis, la reproduction doit être effectuée par une procédure technique automatisée sans que le service provider ne sélectionne le contenu . Le service provider doit donc se contenter de reproduire de façon servile les contenus lorsqu’un tiers le sollicite. Il s’agit du critère d’absence de sélection discrétionnaire de la part du service provider qui permet une sélection transparente des contenus .

505. Au sein de l’Union Européenne, le principe du caractère automatique de la reproduction est affirmé à l’article 13 de la directive e-commerce qui dispose que le prestataire intermédiaire jouit de la limitation de responsabilité lorsqu’il effectue une mémoire cache dès lors qu’il opère un « stockage automatique » et « intermédiaire ». Le droit européen reste donc silencieux sur l’obligation de ne pas sélectionner les contenus, qui apparaît néanmoins implicite à cause du caractère automatique et intermédiaire du stockage qui fait obstacle à tout choix quant au contenu. Les deux systèmes semblent donc converger sur le principe de neutralité des moteurs de recherche.

506. Bien que les méthodes divergent, les droits américain et européen s’harmonisent car ils visent tous deux à limiter la responsabilité des prestataires techniques. Les approches américaine et européenne consistant à modifier le droit en fonction de la technique ne jouissent d’aucune légitimité et représentent un danger pour la démocratie. En effet, la soumission d’un système juridique à une technique risque de finir par retirer toute possibilité de libre arbitre et de débat démocratique car elle n’est constituée que de lignes de codes binaires empreintes de déterminisme. Les législateurs auraient plutôt dû établir le critère du seuil maximum de jouissance pour les utilisateurs, ce qui permet de laisser les êtres humains comme seuls référents de la construction de la norme juridique et autorise le débat et l’évolution démocratique. En outre, ce critère aurait permis de façonner le droit d’auteur et le copyright à la lumière du droit à la culture du public et non pas en fonction d’intérêts principalement économiques. Cette approche n’aurait sans doute pas changé le résultat juridique mais elle aurait évité d’initier la voie « techniciste » qui nous paraît dangereuse.

507. Les droits européen et américain adoptent par conséquent une approche restrictive de la légalité de la reproduction transitoire qui doit être effectuée dans le cadre d’un procédé technique neutre. Cette approche permet de limiter au minimum le droit d’auteur. Elle permet en outre d’assurer un référencement efficace qui renforce le droit d’accès à la culture. Néanmoins, les prérogatives des auteurs n’ont pas été complètement écartées par les législateurs européens et américains.

B) Les conditions raisonnables de la reproduction

508. La reproduction raisonnable doit respecter un critère de conditions d’accès (1). En outre, les auteurs sont protégés par la limitation de la durée d’accès aux reproductions ainsi que par le respect de leurs intérêts patrimoniaux (2).

1) Les conditions d’accès à la copie

509. Les conditions d’accès aux copies peuvent limiter indûment le champ d’application du droit d’auteur. Les législateurs américain et européen ont par conséquent décidé d’en limiter l’accès.

510. En droit américain, les service providers n’engagent pas leur responsabilité pour reproduction dès lors que la copie reste ordinairement inaccessible à des personnes autres que le destinataire des contenus . Partant, les reproductions sont légales tant qu’elles ne peuvent être consultées par des personnes ne les requérant pas. Au sein de l’Union Européenne, en revanche, la directive 2000/31/CE n’a pas précisé que les copies doivent être rendues accessibles aux seuls internautes requérant la page Internet d’un site en accès libre. Elle a simplement précisé que le « prestataire se conforme aux conditions d’accès à l’information ». Il en résulte que le prestataire ne peut permettre, dans les deux systèmes, à des internautes n’ayant pas accès au site protégé par des mesures techniques de consulter ses reproductions caches. Cette solution permet de respecter les modalités de gestion que les ayants droit font de leurs œuvres.

511. La condition de neutralité des copies renforce donc globalement le principe de neutralité de l’Internet et l’accès du public aux contenus et renforce dans une mesure limitée les intérêts des auteurs. Afin de rééquilibrer la balance en faveur des auteurs, des conditions relatives à la durée de la copie ainsi qu’à sa valeur économique ont été ajoutées.

2) La durée d’accès à la copie et leur valeur économique

512. Les auteurs sont protégés par la durée limitée de la copie (a). La valeur économique ne bénéficie pas du même traitement dans les deux pays (b).

a) La durée d’accès à la copie

513. Les droits européen et américain justifient l’application de l’exception et de la limitation de responsabilité par une approche utilitariste. Certains auteurs y voient – sans doute avec raison – une « déjuridicisation » du droit d’auteur français . Cependant, le droit d’auteur et le copyright ne peuvent subir de limitations dès lors qu’elles s’avèrent nécessaires pour atteindre un objectif escompté. Ainsi, des deux côtés de l’Atlantique, la durée de la reproduction est encadrée selon des critères technicistes.

514. Aux États-Unis, le paragraphe introductif de la section 512(a) énonce que le service provider doit effectuer une reproduction intermediate et transient afin de jouir de la limitation de responsabilité. Les contours de ce critère sont relativement flous dans la mesure où il a été retenu dans l’arrêt Netcom , dont les motifs ont été codifiés à la section 512(a) , qu’une reproduction d’une durée de 11 jours constituait une copie intermediate et transient. En outre, l’arrêt Ellison v. Robertson a adopté la même position pour une copie ayant duré 14 jours. Or de telles durées n’apparaissent pas intuitivement comme des périodes courtes auxquelles les termes intermediate et transient semblent faire allusion. Le standard de légalité de la durée n’est donc pas le temps chronologique. La durée doit donc être comprise comme celle requise par un processus technique. Il est ainsi précisé, à la section 512(a)(4), que la reproduction ne doit pas être conservée sur le système ou le réseau pendant une période supérieure à ce qui est raisonnablement nécessaire pour la communication du contenu. Cette durée raisonnable constitue une codification de l’arrêt Religious Technology Center v. Netcom On-Line Communications Services, Inc. . La reproduction devra donc être supprimée lorsqu’elle n’est plus d’actualité car le site original a changé le contenu. On ne saurait imaginer conception plus libérale de la durée. Cette limite au droit d’auteur doit néanmoins être soutenue car elle est nécessaire au fonctionnement de la mémoire cache.

515. Le droit européen a introduit une solution similaire à l’article 13 de la directive e-commerce. La copie doit ainsi être temporaire sans que la durée ne soit précisée. Cette imprécision est jugulée par l’obligation pour le prestataire de se conformer « aux règles concernant la mise à jour de l’information, indiquées d’une manière largement reconnue et utilisée par les entreprises ». Il est ainsi fait référence à un mécanisme d’effacement des données par mise à jour. Le droit européen permet donc à des reproductions d’être maintenues pendant une longue période lorsque le site ne fera pas l’objet de mise à jour par son propriétaire. L’approche utilitariste est ici parfaitement assumée car la directive dispose que la limitation de responsabilité aura vocation à s’appliquer lorsque l’utilisation du contenu est effectuée « dans le seul but de rendre plus efficace la transmission ultérieure de l’information ». Le droit fait ainsi preuve de suivisme vis-à-vis de la technique.

516. Les droits européen et américain adoptent donc des approches similaires en établissant un critère flou de durée limitée par l’effacement automatique lorsque le site original aura changé de contenu. Le critère est donc le même que pour l’article 5.1 de la directive 2001/29/CE . Il se peut donc que la reproduction dure éternellement lorsque le site original n’est pas modifié et par conséquent l’utilisation du terme « temporaire » est malheureuse. Il aurait donc été plus cohérent – quoi que sans doute de peu de portée pratique – d’imposer l’effacement des données au bout d’un délai raisonnable.

517. Malgré les faiblesses de rédaction, les régimes des limitations de responsabilité américaine et européenne permettent de ne pas tomber dans une situation ubuesque où les internautes devraient solliciter jusqu’à 43 autorisations des auteurs pour prendre connaissance de leurs œuvres sur Internet . Cette approche utilitariste renforce le droit à l’accès à la culture car il permet de faciliter l’accès aux contenus présents sur l’Internet.

b) La valeur économique de la copie

518. Le droit d’auteur et le copyright sont largement construits sur la notion de jouissance des fruits d’une œuvre. Le copyright américain ainsi que le droit d’auteur français ont en effet été instaurés afin d’assurer des revenus aux auteurs. Cependant le traitement des moyens de rémunération sur Internet divergent sur la question des mémoires.

519. Aux États-Unis la section 512(a) ne fait aucunement référence à un quelconque intérêt économique des auteurs alors que l’article 13 de la directive e-commerce dispose que « le prestataire n’entrave pas l’utilisation licite de la technologie […] dans le but d’obtenir des données sur l’utilisation de l’information ». Le droit européen permet ainsi aux auteurs de recevoir communication des visites des reproductions caches de leurs sites. Étant donné qu’une partie des revenus des auteurs provient de la publicité la communication de ces informations permet d’avoir connaissance du nombre exacte d’internautes se rendant sur le site et par conséquent des enseignes publicitaires. La charge pour les prestataires intermédiaires est encadrée car l’auteur doit utiliser une technologie « largement reconnue et utilisée par l’industrie ». La solution européenne a ainsi atteint un point d’équilibre entre les intérêts des auteurs, qui relèvent principalement de la rémunération, et celui du public qui vise à avoir un accès permanent aux œuvres. Le droit américain devrait introduire une solution similaire afin de renforcer les revenus publicitaires des auteurs.

520. La légalité des reproductions sur les mémoires caches des moteurs de recherche est donc largement admise en droit américain et européen. Cette autorisation permet d’améliorer l’accès à l’Internet en assurant de faibles coûts d’utilisation qui permettent aux internautes d’accéder à la toile gratuitement. L’accès à la culture en ressort renforcé dans la mesure où la gratuité de l’accès est une condition de son universalité. Ainsi, l’assouplissement du droit d’auteur dans le but utilitariste d’assurer un meilleur accès à la culture marque la montée en puissance de la figure du public et de la prise en compte de la liberté du commerce et de l’industrie d’autres agents économiques.

521. Outre les moteurs de recherche, les serveurs mandataires jouent un rôle de premier plan dans l’efficacité et la gratuité de l’accès à Internet.

II) La reproduction transitoire par les serveurs mandataires

522. Les pages les plus utilisées du réseau, et donc a priori les sites attirant le plus de liens, sont mises en mémoire par un serveur mandataire . Cette opération a pour but de communiquer plus facilement des contenus en évitant la saturation des sites. Les contenus des sites populaires s’ouvrent ainsi plus rapidement et ont moins de risque de demeurer inaccessibles car une reproduction sur un serveur peut compenser un problème rencontré par un autre serveur. Ainsi, une distinction est effectuée entre les sites populaires et les sites moins connus, ce qui va à l’encontre du principe de neutralité de l’Internet .

523. Malgré l’importance de cette difficulté, aucun accord international n’a été trouvé sur cette problématique et les États ont ainsi la charge de répondre individuellement à cette question. Il en résulte un éclatement des approches entre les différents systèmes juridiques. Ainsi, si certains États ont retenu que les serveurs mandataires soulèvent l’application du droit de représentation , les États-Unis et l’Union Européenne ont préféré appliquer le droit de reproduction.

524. Si la méthode analytique traditionnelle des pays de copyright s’adapte a priori mal aux évolutions technologiques, force est de constater qu’elle assure une meilleure sécurité juridique. Ainsi, aux États-Unis, la section 512(b) établit le régime de la limitation de responsabilité des serveurs mandataires . En revanche en France, en l’absence de saisine d’un juge, il ne peut être affirmé avec la même assurance que le régime juridique actuel a vocation à s’appliquer aux serveurs mandataires. Le droit américain présente l’intérêt de distinguer juridiquement les moteurs de recherche et les serveurs mandataires, ce qui permet de souligner qu’il s’agit de procédés techniques et de modèles économiques différents. Il nous semble moins justifiable d’appliquer un régime de responsabilité ad hoc pour les serveurs mandataires que pour les moteurs de recherche car ils peuvent reproduire des sites a priori rémunérateurs sans effectuer d’investissements particuliers. Ce régime est encore incohérent avec l’objectif du DMCA et de la directive e-commerce qui visent à encourager le développement du secteur économique de l’Internet. Nous appelons donc à l’introduction d’un système de rémunération pour copie, qui pourrait s’inspirer du régime de la copie privée, afin de financer la création intellectuelle.

525. La définition des service providers étudiée précédemment pour les moteurs de recherche constitue la définition restrictive des service providers. Ainsi, la section 512(k) du Copyright Act adopte une définition plus large en énonçant que la notion de service provider au sens des autres paragraphes de la section 512 s’étend aux « provider of online services or network access, or the operator of facilities therefor ». La notion de service provider de la section 512(b) bénéficie donc d’une double définition. Les serveurs mandataires fournissant un service en ligne entrent dans la définition du service provider applicable à la section 512(b).

526. L’approche éclatée américaine a été partiellement suivie dans la directive 2000/30/CE qui s’est cependant abstenue de définir le prestataire intermédiaire, laissant ainsi les juges adapter leur compréhension de la notion aux évolutions technologiques. Cette approche a le mérite de la souplesse mais elle présente l’inconvénient de laisser perdurer des doutes sur l’applicabilité à certains prestataires techniques tant que la jurisprudence ne s’est pas prononcée. Il s’agit là d’une faiblesse de la méthodologie de la directive e-commerce face au DMCA américain qui, s’il assure une meilleure adaptation et s’avère plus accessible pour les profanes, crée des incertitudes que les juges doivent lever alors qu’en tant qu’autorités non élues ils ne disposent d’aucune légitimité démocratique . Le DMCA américain risque en revanche de vieillir plus rapidement.

527. La légalité de la reproduction par les serveurs mandataires est l’objet d’un équilibre entre l’intervention des serveurs (A) et la protection des intérêts des auteurs (B).

A) Le rôle des prestataires de serveurs mandataires

528. Les serveurs mandataires ne jouiront des limitations de responsabilité du DMCA et de la directive e-commerce que s’ils se contentent d’adopter une approche neutre du stockage. Les droits américain et européen se rejoignent sur ce point mais adoptent des approches différentes.

529. En droit américain, la section 512(b)(1) énonce que le serveur mandataire n’engage pas sa responsabilité si le contenu reproduit est mis en ligne par un tiers et s’il est transmis de cette personne à un autre tiers via le réseau du service provider de façon automatique. Le critère de l’ordre de la reproduction établi par la section 512(a) est donc écarté et celui de la mise en ligne par autrui lui est privilégié. Il s’agit là d’une adaptation à la spécificité de fonctionnement des serveurs mandataires par rapport aux moteurs de recherche. Cette différence est le fruit de l’approche technique du législateur américain qui a créé des limitations de responsabilité en fonction de techniques précises.

530. Or, en matière de reproduction par un serveur mandataire, l’internaute ne donne pas l’ordre de reproduction qui relève de l’initiative du serveur mandataire. Dès lors, il n’est pas sûr que le critère du tiers – qui est sans doute l’internaute dans l’esprit du législateur – soit pertinent. La jurisprudence américaine a procédé à une lecture large de cette disposition en appliquant le safe harbor aux transmissions de copies d’un tiers au serveur mandataire du moteur de recherche par lequel les informations étaient passées. Il n’y a donc plus trois mais seulement deux participants à l’opération. Si la jurisprudence n’avait pas adopté cette solution l’Internet aurait été moins performant sans que les auteurs ne tirent parti de cette situation.

531. En droit européen l’article 13 de la directive e-commerce instaure également un critère de neutralité. Les serveurs mandataires devront ainsi, comme tout prestataire intermédiaire effectuant des reproductions caches, se contenter de stocker automatiquement et de façon intermédiaire des contenus dans le but de les communiquer à autrui. Le critère de la mise en ligne des contenus par autrui n’a donc pas été repris par le législateur européen qui a corrigé l’erreur du DMCA avant que la jurisprudence américaine ne le fasse. En revanche les exigences d’automaticité et d’externalité ont été reprises par la directive.

532. Ce critère de neutralité présente l’intérêt de prendre en compte les spécificités des prestataires intermédiaires et notamment des serveurs mandataires tout en évitant de procéder à des discriminations en fonction des contenus. Partant, le critère de neutralité permet d’assurer aux internautes l’accès aux informations et aux œuvres présentes sur Internet, renforçant ainsi l’accès à la culture.

B) La protection des intérêts des auteurs

533. Alors que la section 512(a) du Copyright Act établit un régime cherchant à équilibrer les intérêts des auteurs et des prestataires, la section 512(b) ainsi que l’article 13 de la directive e-commerce établissent un cadre penchant plutôt en faveur des auteurs. Les prestataires intermédiaires devront ainsi se contenter d’un rôle neutre vis-à-vis des œuvres (1) et devront respecter les intérêts économiques des auteurs (2).

1) La neutralité garantissant les intérêts des auteurs

534. Les prestataires devront transmettre les œuvres sans modification (a) et seront tenus de mettre à jour les contenus (b).

a) L’absence de modification des œuvres

535. À la différence du droit français et, désormais, de la majorité des États, le droit américain ne reconnaît qu’un droit moral a minima. Partant, les auteurs ne sont pas protégés contre les modifications de leurs œuvres.

536. Le législateur américain a néanmoins introduit une obligation pour les service providers de ne pas modifier les contenus qu’ils stockent . Ce critère est le même que celui retenu par la section 512(a) et recevra par conséquent la même interprétation . Le rapport de la Chambre des Représentants a retenu que ni le fond de l’œuvre ni les publicités qui l’entourent ne devaient être modifiés . Le rapport n’autorise qu’une modification de la présentation afin d’assurer une adaptation satisfaisante notamment à l’écran utilisé pour la consultation du site. Cette tolérance ne devrait pas permettre des modifications substantielles de la présentation de l’œuvre. En effet, la taille de l’écran et certains paramétrages des internautes ont plus d’influence sur la présentation d’un contenu que les modalités de reproduction par un serveur mandataire. La tolérance du législateur américain doit par conséquent être approuvée dans la mesure où elle s’avère limitée et permet de faciliter le stockage des œuvres par les serveurs mandataires.

537. La directive e-commerce – qui comme le droit américain se montre indifférente à la question des droits moraux – a également précisé que les prestataires intermédiaires ne peuvent modifier les informations qu’ils stockent. Les deux systèmes convergent donc sur le principe de neutralité. Cela s’avère néanmoins inutile en France où le droit moral est protégé contre les modifications de l’esprit de l’œuvre. Ainsi, en application du droit commun, les serveurs mandataires auraient engagé leur responsabilité s’ils avaient modifié des œuvres protégées .

538. Le critère de l’absence de modification de l’œuvre permet aux auteurs de ne pas subir de trahison de leurs créations et aux internautes d’accéder à la culture sans altération des œuvres. Les serveurs mandataires ne subiront pas une charge disproportionnée dans la mesure où ils stockent sous forme binaire des informations et peuvent par conséquent conserver des informations précises et complexes sans que cela ne requiert d’investissements particulièrement importants. L’équilibre entre les différents intérêts semble donc satisfaisant. Il le sera également en ce qui concerne l’exigence de la mise à jour des contenus.

b) La mise à jour des contenus

539. Les auteurs peuvent modifier le contenu de leurs sites afin de refléter l’évolution de leurs œuvres ou d’en tirer des bénéfices économiques. Le stockage d’œuvres anciennes aura pour conséquence de ne pas assurer l’accès aux mêmes œuvres aux internautes en fonction de leur consultation directe du site ou par l’intermédiaire d’un serveur mandataire. L’auteur et les internautes se trouveraient lésés par cette situation. Les législateurs américain et européen ont par conséquent instauré une obligation de mise à jour des mémoires caches.

540. La section 512(b)(2)(B) du Copyright Act établit ainsi une condition d’effacement des reproductions. Le service provider sera tenu de rafraîchir, recharger ou mettre à jour les reproductions dès lors que la personne à l’origine de la mise en ligne l’aura requis, conformément à un standard industriel généralement accepté en matière de protocole de communication de données. Le droit européen a adopté une position similaire en requérant des prestataires intermédiaires de mettre à jour les informations sur leurs serveurs selon un processus « largement reconnu et utilisé par les entreprises » qui fait écho au standard industriel américain. Les droits américain et européen établissent ainsi la condition de mise à jour conformément à des standards industriels qu’ils s’abstiennent de définir.

541. Aux États-Unis, les comités de la Chambre des Représentants et du Sénat ont simplement retenu que les technologies en question sont encore à un stade initial de développement, faisant ainsi l’impasse sur une définition des standards . La définition est ainsi laissée aux organismes de régulation de l’Internet tels que l’Internet Engineering Task Force ainsi que le World Wide Web Consortium qui établissent des standards techniques. Ceux-ci n’ont pas encore précisé les standards, laissant les internautes face à une situation d’incertitude juridique freinant la prise d’initiative et le développement de l’Internet. Le législateur américain est entré dans la même impasse que son homologue européen et le législateur français n’a pas clarifié la solution. Les juges américains et européens qui devront faire application de ce critère sont donc confrontés à un flou juridique. Cette solution est cependant préférable car elle assure la souplesse nécessaire pour la prise en compte des évolutions technologiques.

542. Le professeur Peguera souligne que l’arrêt Field et le DMCA, et par voie de conséquence la directive e-commerce qui s’en inspire, se sont égarés en la matière. En effet, si un site a adopté une politique de rafraîchissement régulier de ses pages, le service provider ne peut suivre les modifications et présentera une version dépassée du site Internet. Se produit dès lors un décalage entre le contenu de la copie cache et le contenu du site Internet qui aura pour conséquence de présenter des contenus différents aux internautes. Il a néanmoins été souligné que ce décalage constituait l’un des intérêts des copies caches dans la mesure où il permet de prendre connaissance des modifications apportées au site , ce qui plaide en faveur de la reconnaissance de sa légalité. Cette possibilité offerte aux internautes pourra renforcer l’accès aux données et à la culture.

543. Il y a donc lieu de soutenir cette obligation dans les limites raisonnables qui sont les siennes car elle incite les serveurs mandataires à se mettre à jour régulièrement et contribue à l’unité d’Internet. À défaut, les internautes n’auraient pas accès aux mêmes contenus en fonction de leur emplacement dans le monde. Le lecteur d’un journal français lirait ainsi les derniers articles lorsqu’il se trouve à Paris alors que l’internaute new-yorkais ne pourrait prendre connaissance que d’articles anciens.

544. Le critère de la durée de la reproduction, établi dans les deux droits , nous semble dès lors mal choisi et il aurait mieux valu introduire explicitement celui du rafraîchissement automatique des copies. Une telle solution aurait évité toute ambiguïté sur la notion de durée et aurait permis d’exprimer plus clairement le caractère accessoire de l’effacement des reproductions. Ce critère aurait également permis de respecter l’objectif des deux réglementations qui vise à ce que les prestataires techniques ne sélectionnent pas, même indirectement, les contenus qu’ils présentent .

545. Les prestataires de services ont ainsi l’obligation de rester neutres, du moins dans une mesure techniquement possible, vis-à-vis du contenu du site reproduit. Cela favorise l’accès aux œuvres et renforce par conséquent l’accès à la culture. Outre la protection des intérêts des internautes par la neutralité des prestataires intermédiaires, le DMCA ainsi que la directive e-commerce prévoient des dispositions visant à protéger les intérêts des auteurs.

2) Les intérêts économiques des auteurs

546. Les auteurs disposent de deux grands moyens d’obtenir une rémunération en mettant leurs œuvres sur l’Internet. La première consiste à facturer les espaces publicitaires sur leurs sites (a). La seconde réside dans l’instauration d’un contrôle sur l’accès aux œuvres (b). Les législations américaine et européenne ont obligé les serveurs mandataires à aider les auteurs à obtenir une rémunération.

a) La communication des informations relatives à la fréquentation du site reproduit

547. La communication des informations relatives à la fréquentation du site reproduit est de la plus haute importance pour les auteurs. En effet, cela leur permet de connaître précisément le nombre de visite de leurs sites et ainsi d’obtenir une rémunération publicitaire proportionnelle à la fréquentation effective de leurs sites. Étant donné que les revenus publicitaires constituent l’une des principales sources de revenus de certains sites, il est nécessaire pour les auteurs d’obtenir ces informations. Les législateurs américain et européen ont pris conscience de cette exigence et ont imposé un devoir de transparence aux prestataires.

548. En droit américain, le service provider ne doit pas bloquer la communication des informations que le propriétaire aurait eues si les internautes avaient visité son site directement au lieu de visualiser une copie se trouvant sur le serveur mandataire . Le Congrès souhaitait ainsi permettre aux hit counts de renvoyer les informations relatives au nombre de visites du site . Cette solution est heureuse dans la mesure où le système de hit counts permet de prendre en compte toutes les visites sur la reproduction d’un site et notamment sur la reproduction effectuée par un serveur mandataire. L’article 13.2(d) de la directive européenne 2000/30/CE établit une obligation similaire pour les prestataires intermédiaires. Cette harmonisation des solutions permet d’améliorer la rémunération des auteurs et s’avère particulièrement utile dans la mesure où l’Internet a renforcé le caractère international de la circulation des œuvres.

549. Cependant, le droit américain, à la différence du droit européen, limite cette obligation par trois éléments. Tout d’abord, la technologie requise pour satisfaire cette exigence ne doit pas « interférer de façon significative avec la prestation du système ou du réseau du service provider ou avec le stockage intermédiaire des contenus ». Elle doit en outre respecter « les protocoles standards de communication acceptés dans l’industrie ». Enfin, elle ne doit pas extraire d’informations issues du réseau ou du système du service provider accessible sur un site à accès limité. Le droit américain apporte donc une limitation à la rémunération conformément aux nécessités des prestataires. Cette solution limite la rémunération des auteurs, ce qui risque de peser à long terme sur le dynamisme de la production culturelle car les créateurs n’obtiendront pas de rémunération pour l’utilisation de leurs œuvres. Il n’y a cependant pas lieu d’exagérer cette limitation qui s’avère fortement circonscrite par le caractère cumulatif des trois conditions.

550. Outre la rémunération par des annonces publicitaires, les auteurs peuvent aussi facturer l’accès à leurs sites.

b) La limitation de l’accès au site

551. Le droit d’auteur français, comme le copyright américain, reposent sur le principe de monopole artificiel des auteurs. Or, les supports numériques posent le problème de la fin de la fusion entre l’œuvre immatérielle et son support. Les ayants droit peuvent donc établir des mesures techniques afin de rétablir un contrôle sur l’accès aux œuvres.

552. Ainsi, lorsque la personne à l’origine de la mise en ligne des œuvres a instauré des conditions à l’accès aux contenus, telles que le paiement d’un prix, le renseignement d’un mot de passe ou d’autres informations, le service provider américain ne peut permettre l’accès à des éléments substantiels du site qu’aux seuls utilisateurs du système ou du réseau qui remplissent les conditions établies afin de jouir de la limitation de responsabilité. Le droit européen apparaît plus sévère car il impose aux prestataires techniques de respecter les « conditions d’accès à l’information ». Ainsi, alors que le droit américain autorise l’accès à des parties non substantielles, le droit européen l’interdit par principe. Il y a lieu d’y voir les différences d’approches entre le copyright américain tourné vers la production pour le public et le droit d’auteur européen qui vise à assurer le strict respect des prérogatives des auteurs. Les droits américain et européen obligent les serveurs mandataires à limiter l’accès aux reproductions conformément aux conditions d’accès des sites reproduits.

553. Le rapport à la reproduction a donc profondément changé dans nos sociétés depuis l’arrêt Netcom , dont la solution a été reprise par le DMCA et la directive e-commerce qui s’en est inspirée, car il établit une distinction entre la copie effectuée volontairement et la reproduction accessoire à une activité dans laquelle la reproduction serait involontaire. La dichotomie est cependant hasardeuse, dans la mesure où certains internautes ont parfaitement conscience des procédés techniques utilisés, et il semble plutôt qu’il vaille mieux distinguer entre la reproduction en tant que fin et celle effectuée en tant que moyen. La première serait réservée au monopole de l’auteur car elle ne constitue qu’une commodité, et nécessiterait le paiement de royalties à l’auteur ou à une société de gestion, alors que la seconde se trouve autorisée sans accord de l’auteur car elle s’avère nécessaire. Enfin, le fait d’engager la responsabilité d’une entité qui, sans contrôle, commet une reproduction, n’assure la protection d’aucun objectif du copyright.

554. Or, la légalisation des reproductions transitoires n’est pas qu’une simple commodité évitant de solliciter de nombreuses autorisations afin de prendre connaissance d’une œuvre, elle constitue un véritable choix de société. Les auteurs auraient pu de facto jouir du droit de contrôler l’utilisation de leurs œuvres et d’un droit de lecture de celles-ci , ce qui aurait fortement réduit l’accès à la culture en le privatisant. Une telle situation aurait fortement limité le droit à l’accès à la culture français et ne correspondrait pas à l’objectif du copyright américain qui vise la dissémination des œuvres. Cela aurait eu pour conséquence de conférer aux auteurs une emprise inédite sur l’expression des idées qui se serait sans doute avérée plus dangereuse que la censure étatique.

555. Cependant, le régime de responsabilité des serveurs mandataires est particulièrement favorable et ne se justifie pas par une approche maïeutique. Il était en effet possible de procéder autrement afin d’assurer des liaisons transcontinentales de qualité mais cela aurait été plus onéreux. Les serveurs mandataires bénéficient donc d’un régime favorable au détriment des auteurs sans que cela ne soit parfaitement justifié. Il nous semble dès lors nécessaire de rétablir l’équilibre avec les auteurs. Nous proposons dès lors la réforme suivante :

L. 311-4-2 du Code de la propriété intellectuelle

La rémunération prévue à l’article L. 311-3 est également versée par le propriétaire d’un serveur mandataire ou d’un système de mémoire cache destiné à la consultation en ligne.
Le montant de la rémunération est fonction de la durée ainsi que de la capacité d’enregistrement qu’il permet.

556. En autorisant les reproductions temporaires et, par conséquent, l’utilisation des supports numériques, les législateurs ont ouvert la porte à la plus grande révolution culturelle de l’histoire. En effet, le numérique associe une révolution de la modalité de reproduction des textes, comme l’invention de l’imprimerie, avec le support de lecture, comme le codex, ainsi qu’avec l’usage et la perception des discours . Cette combinaison de révolutions ne manquera pas, espérons-le, de donner naissance à une Renaissance numérique. Il sera pour cela nécessaire que le droit de reproduction soit également appliqué à bon escient pour assurer les intérêts des auteurs, du public et des prestataires de service lorsque les juges prendront en considération la perception par l’internaute.

Sous-section 2 : La reproduction par le lien et la perception par l’internaute

557. Les liens fournissent les informations relatives à l’emplacement de la page Internet requise. La jurisprudence pénale a retenu que le placement d’un lien a pour effet de reproduire le contenu auquel il mène directement . Il ne s’agit cependant que d’informations incapables de constituer une œuvre de l’esprit (Paragraphe 1). Néanmoins, les liens peuvent adopter une présentation particulière ayant pour effet d’intégrer l’œuvre cible dans le site source, ce qui équivaut pour l’internaute à une reproduction sur le site (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L’absence de création d’une œuvre par un lien

558. Les liens permettent une division de l’auctorialité entre les auteurs de l’œuvre et les internautes. En effet, loin de précipiter la mort de l’auteur , les hyperliens autorisent la constitution d’un discours collectif incluant l’auteur initial, les créateurs de liens ainsi que les internautes . Le droit n’a cependant pas vocation à attribuer des droits aux lectures particulières des œuvres que permet cette explosion de l’auctorialité car il ne s’agit que d’idées de libres parcours. Il n’en reste pas moins que l’interaction avec la structure du réseau ainsi qu’avec les internautes soulève la question de la création d’œuvres protégeables par le droit d’auteur et le copyright. Le chemin établi par le lien, bien qu’il emprunte les réseaux établis par autrui, ne constitue pas une œuvre protégée (I). En outre, le lien ne constitue pas en soi une activité créatrice susceptible de donner lieu à la création d’une œuvre composite (II).

I) L’absence de protection du chemin établi par le lien

559. Les liens contiennent les informations nécessaires permettant d’effectuer le chemin entre le site source et le site cible en empruntant des liaisons entre serveurs. Les informations peuvent par conséquent être assimilées à un plan. Or, la convention de Berne protège les cartes originales . Il y a donc lieu de penser que le droit d’auteur international assurera une protection à toute œuvre présentant une carte et, qu’à ce titre, le chemin tracé par un hyperlien pourra être protégé. La convention ne tranche pas la question de savoir si le raisonnement a vocation à s’appliquer aux chemins établis par les liens et laisse par conséquent les États membres résoudre cette question.

560. Conformément à la convention de Berne, les droits français et américain protègent les plans. Il n’y a cependant pas lieu de considérer que les juges reconnaîtront la protection des chemins de liens en procédant à une analogie avec les cartes. En effet, la Cour d’appel de Grenoble a eu l’occasion de rejeter la protection par le droit d’auteur d’un itinéraire de randonnée. En l’espèce, les 10 parcours conseillaient des chemins sans originalité et donc ne montraient pas l’empreinte de la personnalité de leur auteur. Le chemin peut être protégé s’il permet de rejoindre un point de départ à un point d’arrivée selon un tracé original. A contrario, un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 30 juin 1998 a retenu que l’établissement d’un parcours traduisant l’empreinte personnelle de l’auteur jouit de la protection du droit d’auteur . Or les chemins établis par les liens se contentent d’atteindre une cible sans que le créateur ne puisse définir un parcours reflétant l’empreinte de sa personnalité. Partant, le critère de l’empreinte de la personnalité de l’auteur fait obstacle à la reconnaissance d’un droit d’auteur sur ces chemins. Le critère d’originalité du copyright américain aurait pu être invoqué mais la jurisprudence a adopté une position encore plus stricte que le droit français. En effet, dans l’arrêt Kern River Gas Transmission Co. v. Coastal Corp. , il a été retenu que les parcours de pipelines dessinés sur une carte ne bénéficient pas du copyright, à cause de la théorie du merger – qui permet d’écarter l’application du copyright lorsque l’idée ne peut être exprimée que d’une seule manière – car les tracés sur la carte n’avaient rien d’arbitraires dans la mesure où ils reproduisaient les parcours des tuyaux.

561. Le même raisonnement sera appliqué par analogie aux hyperliens. En effet, le chemin qu’ils empruntent n’est pas contingent et ne peut donc être représenté que d’une seule manière. La théorie de merger s’oppose donc à la protection des chemins de liens. À la différence du droit français, le droit américain ne placera donc pas le débat sur l’absence d’originalité du chemin du lien mais sur l’impossibilité de le représenter d’une façon différente.

562. Cette solution est heureuse pour l’accès à l’Internet dans la mesure où elle interdit la privatisation d’un accès à une œuvre. Une approche inverse aurait constitué en outre un changement de paradigme par rapport à l’idéal des Pères Fondateurs de l’Internet qui avaient imaginé un réseau sur lequel les internautes pouvaient circuler librement. Il y a donc lieu de conclure que les internautes jouissent d’une liberté de circulation sur les liens en droit français et américain.

563. Certains internautes peuvent créer des liens cadres qui éviteront aux internautes d’emprunter les chemins dessinés par les liens. Cependant, les créateurs de liens ne pourront pas opposer de droit car la présentation de l’œuvre liée sur le site de l’ancre ne sera pas considérée comme constituant une œuvre dérivée.
II) L’absence de création d’œuvre composite par le lien

564. Les technologies numériques, et donc l’Internet, ont permis le développement d’œuvres composites dans une proportion jusqu’alors inconnue. Les hyperliens participent de ce mouvement de brouillage de la frontière entre l’auteur et le public en introduisant une hyper-textualité permettant à l’internaute de donner un sens à l’œuvre et d’y apporter sa contribution . L’hyperlien permettrait ainsi l’avènement d’un « auteur collectif sui generis des réseaux ».

565. La convention de Berne ne propose pas de définition conceptuelle de l’œuvre dérivée. L’article 2.3 propose simplement une liste non-exhaustive d’œuvres composites incluant « les traductions, adaptations, arrangements de musique et autres transformations d’une œuvre littéraire ou artistique » qui jouissent de la même protection que les œuvres originales sans préjudice des droits de l’œuvre originale. La liste laisse une large marge d’interprétation aux États en s’abstenant de définir des critères et en ne proposant que des exemples. Le texte de la convention écarte a priori la possibilité de création d’œuvres composites par un lien. En effet, les liens ne permettent pas de traduire, ni adapter ni de transformer une œuvre. Il n’est donc pas opportun d’opter pour une analogie avec l’un des types d’œuvres mentionnés. Cette absence de protection par la convention de Berne ne constitue pas une interdiction pour les droits français et américain d’opter pour une application du droit d’auteur et du copyright, étant donné que le texte international n’établit qu’un seuil minimum de protection que les États membres peuvent dépasser.

566. Conformément à la convention de Berne, le droit français connaît la notion d’œuvre dérivée – qu’elle appelle œuvre composite – à laquelle elle a en revanche donné une définition. L’œuvre composite doit être nouvelle et se trouver incorporée à une « œuvre préexistante sans la collaboration de l’auteur » de l’œuvre première. Certains auteurs distinguent entre les œuvres composites dans lesquelles les créations individuelles sont identifiables, et les œuvres dérivées, qui présentent une fusion empêchant leur individualisation . Néanmoins cette distinction terminologique n’a aucune conséquence sur le plan pratique dans la mesure où le droit français a adopté le même régime juridique pour les deux types d’œuvres . Les œuvres composites peuvent relever de la dérivation par transformation ainsi que la dérivation par rassemblement. Dans le cas des liens hypertextes, la première catégorie doit être écartée a priori au profit de la seconde qui inclut les « anthologies » et « recueils d’œuvres ou de données diverses, tels que les bases de données, qui, par le choix ou la disposition des matières, constituent des créations intellectuelles ».

567. Le droit américain connaît également la notion d’œuvres dérivées dites « derivative works ». La section 101 du Copyright Act définit la « derivative work » comme celle basée sur une ou plusieurs œuvres préexistantes et propose une liste non exhaustive de derivatives works plus prolixe que le Code de la propriété intellectuelle français. La section 101 propose une summa divisio différente de l’approche française. En effet, la première phrase de la définition se réfère aux transformations qui ont pour objet de « recast, transform or adapt », alors que la seconde phrase mentionne les modifications apportées à la présentation de l’œuvre telles que les révisions éditoriales, les annotations, élaborations ou autres modifications. Le droit américain retient ainsi qu’il existe des derivative works qui transforment l’œuvre initiale, et d’autres qui ne proposent que des modifications à la marge de l’œuvre initiale et s’écarte donc de la dichotomie française. Les deux types d’œuvres sont protégés au même titre dès lors qu’elles sont originales. La seconde définition permet d’inclure dans les derivative works des modifications apportées à la marge de l’œuvre et ouvre donc la porte à la possibilité pour les liens cadres de constituer des œuvres composites.

568. La jurisprudence américaine a eu l’occasion de s’interroger sur la possibilité pour un lien hypertexte de créer une derivative work. Dans un premier temps, l’arrêt américain Futuredontics v. Applied Anagramics , qui concernait des liens cadres vers des images protégées, a retenu que le demandeur n’apportait pas la preuve que l’hyperlien avait pour conséquence la création d’une derivative work. Puis, dans l’arrêt Perfect 10 v. Google , qui concernait également des liens cadres, la jurisprudence n’a pas tranché expressis verbis la question de la création d’une derivative work par un lien mais a apporté un début de réponse. L’arrêt a rejeté le incorporation test, qui proposait de retenir la qualification de display au sens de la section 106 du Copyright Act dès lors que l’œuvre apparaît visuellement comme incluse dans une page, au profit du server test, qui retient une approche technique et s’intéresse à l’origine de la mise en ligne des œuvres. Le choix de l’incorporation test et de son approche visuelle aurait ainsi permis de retenir que lorsque l’œuvre apparaît sur le site source dans un cadre original, le lien peut constituer une derivative work. Certains auteurs ont donc retenu que le rejet du server test a pour conséquence de faire obstacle à la création d’œuvres dérivées par le lien car l’œuvre sera toujours mise en ligne par le site cible et ne sera pas reproduite par le site source, condition pourtant indispensable à la qualification de derivative work. Dès lors, un lien même cadre vers une œuvre ne permettra pas la constitution d’une derivative work. Un lien ne permet pas la création d’une œuvre composite car il n’adapte pas dans la mesure où il ne permet pas le passage d’une œuvre littéraire à un autre type d’œuvre . En effet, il ne change pas la nature de l’œuvre et ne donne pas de nouvelle qualité ni une forme différente à l’œuvre liée . Enfin, les travaux préparatoires à la réforme de 1976 ont précisé que la condition d’inclusion de l’œuvre première signifie que l’œuvre seconde doit incorporer la première, ce qui n’est pas le cas conformément au server test .

569. La jurisprudence française n’a en revanche pas eu l’occasion de se prononcer sur la question de la création d’une œuvre composite par un hyperlien. Néanmoins, nous estimons que les juges ne retiendront pas la création d’une œuvre composite à cause de l’absence de reproduction de l’œuvre liée. La jurisprudence française suivra donc le même chemin que les juges américains en considérant que le mécanisme technique utilisé ne permet pas de reproduire l’œuvre première. Cette solution est en outre dictée par le principe d’absence d’autorisation préalable à la création du lien qui serait remis en cause si un hyperlien créait une œuvre composite. En effet, l’auteur de l’œuvre composite doit demander l’autorisation à l’auteur de l’œuvre première avant son exploitation . Partant, si le fournisseur de lien créait une œuvre composite, il serait tenu de demander l’autorisation à l’auteur de l’œuvre première avant toute exploitation et par conséquent avant même la création du lien. Le rejet de l’application de la notion d’œuvre composite aux liens permet ainsi d’assurer la liberté de lier.

570. Le droit français ouvre néanmoins la porte à une exception de création d’œuvre composite par un lien qui aura peu de chance de se vérifier en pratique. En effet, lorsqu’un lien aura pour effet de présenter une œuvre se trouvant sur le site cible dans le cadre d’une fonction active – c’est-à-dire qui fera plus que référencer l’œuvre – avec l’accord de son auteur, il y aura lieu de considérer qu’une œuvre composite sera créée. Or, l’activité créatrice du fournisseur de lien se limite à la création du lien qui consiste à fournir une adresse . Le créateur du lien devra donc faire preuve d’originalité sur son site. À l’inverse du droit américain, le droit français ne requiert pas la création d’un type d’œuvre différent car il inclut les traductions dans la catégorie des œuvres composites et, par conséquent, la création d’une œuvre composite à partir d’une œuvre du même type ne présente pas de difficulté juridique. L’exception apparaît fortement limitée et n’est pas de nature à limiter l’accès à l’Internet ni son développement. Elle amènera plutôt les internautes à collaborer, ce qui ne peut que soutenir le réseau qui a été pensé comme un espace d’échanges. Le droit américain rejettera cette possibilité conformément au server test. Les liens ne permettent donc généralement pas de créer des œuvres dérivées.

571. La solution nous paraît relever du bon sens et permet d’établir un équilibre entre le droit d’auteur et l’accès à l’Internet. Elle agit également comme un révélateur du droit d’auteur et du copyright. Ces deux droits ne protègent pas l’auteur intellectuel d’une œuvre. Ce n’est donc pas l’auteur d’une œuvre qui est protégé – ce qui aurait eu pour conséquence de protéger toute lecture d’une œuvre – mais l’individu à l’origine d’une création de forme pour autrui. La solution est conforme à la ratio legis des premières lois anglaise, américaine et française sur le droit d’auteur qui visaient à inciter à la création d’œuvres. La production d’œuvres créées par de multiples internautes sans liens entre eux ne seraient sans doute stimulé mais plutôt freinée par l’application d’un monopole dans les mains de la multitude d’auteurs qui en seraient titulaires. Cette distinction permet d’assurer la circulation des idées et de ne pas imposer de régimes de surprotection qui risquent de limiter indûment l’accès à la culture.

Paragraphe 2 : La reproduction par l’intégration du contenu sur le site ancre

572. Par principe, les hyperliens ne permettent pas de reproduire l’œuvre se trouvant sur le site cible . Cependant, dans certains cas, les liens peuvent permettre l’accaparement d’une œuvre, ce qui pèse sur la rémunération de l’auteur (I). Le droit de reproduction peut aussi être opposé aux créateurs de liens lorsqu’ils sont complices d’une contrefaçon, mais cela sera rare en matière d’hyperliens (II).

I) L’accaparement du site cible par le site source

573. Le droit d’auteur ainsi que le copyright sont apparus à l’ère analogique et ont par conséquent conçu la reproduction comme un processus physique. La doctrine française s’est tout d’abord gardée de définir conceptuellement le droit de reproduction et s’est contentée d’établir des listes de situations relevant de ce monopole . Aux États-Unis, la première loi fédérale relative au copyright avait également adopté une approche manquant de définition conceptuelle en se contentant de donner des exemples de reproductions . Quant à la convention de Berne elle reste muette sur la définition de ce droit.

574. Les définitions conceptuelles ont vu le jour en France avec l’article 28§1 de la loi de 1957 , devenu l’article L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle , et aux États-Unis avec l’article 101 de la loi de 1976 . Ces définitions étaient limitées au monde analogique alors même que le numérique faisait ses premiers pas. Les législateurs n’ont pas pris en compte l’émergence de la dématérialisation et ont établi des définitions déjà datées à l’époque.

575. La doctrine s’est donc emparée de la question de la définition du droit de reproduction dans l’univers numérique. Tim Berners-Lee, l’inventeur des hyperliens, a affirmé que les embedding links, qu’il opposait aux liens normaux, avaient pour conséquence que le contenu lié devient une partie du site source , ce qui est à l’origine d’une reproduction de l’œuvre. Tim Berners-Lee a donc proposé une distinction entre les liens qui mènent simplement vers un contenu, et ceux qui ont pour résultat d’intégrer l’œuvre liée dans le site source. Malgré ces indications du créateur des liens et le fait que les juristes du monde entier ont été confrontés aux mêmes questions, des divergences sont apparues. Certains auteurs français ont fait remarquer que dans certains cas le lien a pour effet de proposer une présentation similaire à une reproduction alors qu’aux États-Unis cette position sera rejetée conformément au server test. Deux conceptions de la reproduction s’opposent. La première, intellectualisée, est favorable aux auteurs alors que la seconde, technique, est favorable au développement de l’Internet.

576. La jurisprudence française a logiquement adopté la première approche conformément aux propositions d’une partie de la doctrine qui proposait de distinguer entre les sites d’impulsion – ayant pour effet de propulser le visiteur vers le site ciblé en quittant le site d’origine – et les liens d’extraction insérant dans le site d’origine des éléments extraits du site ciblé sans nécessairement faire état de façon apparente de leur provenance. Cette distinction reflète la summa divisio introduite par le traité OMPI qui distinguait entre les technologies d’extraction (pull technologies et les technologies d’expulsion (push technologies) en n’engageant la responsabilité que de l’utilisateur des secondes . L’outil technologique est en soit, conformément au principe de neutralité, indifférent dans la rédaction de l’article 8 du traité OMPI qui se distingue en cela de la convention de Berne . En effet, le Tribunal de Grande Instance de Paris a retenu, dans un jugement du 25 juin 2009 , que le lien cadre reproduisait le contenu lié. En l’espèce, une fenêtre à partir du site du défendeur était composée d’un cadre haut mentionnant le site source et d’un cadre bas présentant le contenu du site cible. Les juges n’ont pas sanctionné l’établissement du lien en soi mais la présentation de l’œuvre liée qui laissait penser qu’il s’agissait d’une partie du site source. Partant, dès qu’une œuvre est présentée comme faisant partie intégrante du site contenant l’ancre, la jurisprudence retient qu’il n’y a pas lieu de distinguer avec un acte de reproduction. La Cour de cassation française est allée dans le sens des juges du fond en retenant dans deux arrêts que, dans certains cas, un lien peut reproduire le contenu lié. En l’espèce, la société Google avait instauré une fonction considérée comme étant « active » et permettant l’accaparement du contenu stocké sur des sites tiers. En effet, les internautes pouvaient regarder l’intégralité des films liés dans le cadre proposé par le moteur de recherche sans se rendre sur la page cible. Le contenu se trouvait ainsi complètement incorporé dans la page source. La fonction active fait donc obstacle à l’application du régime de responsabilité limitée des moteurs de recherche conformément à la jurisprudence de la CJUE et, étant le fruit d’un acte volontaire de la société, elle permet d’engager, outre la responsabilité civile, la responsabilité pénale . Il faut donc comprendre que le lien est à l’origine d’une contrefaçon par reproduction lorsque, par sa fonction active, il permet à son créateur de s’accaparer le contenu du site d’un tiers sur son propre site à l’intention de ses propres clients .

577. Les juges français ont ainsi fait preuve d’adaptabilité en retenant que la reproduction ne pouvait plus être considérée comme purement matérielle sur un support numérique, conformément à une jurisprudence désormais établie , mais qu’elle était constituée dès lors qu’intellectuellement le résultat est similaire à une copie matérielle. Ce forçage de la définition de l’article L. 122-1 du Code de la propriété intellectuelle est permis grâce à l’expression « par tous procédés » qui ouvre la voie à de nouvelles techniques. Cette adaptation est heureuse car elle permet au droit français d’être cohérent avec la logique initiale du droit d’auteur qui consiste à établir un état de rareté artificiel en faveur de l’auteur, lui permettant d’opposer un prix pour l’accès à son œuvre. Or, si un site tiers offre une œuvre protégée au public en laissant penser que l’œuvre se trouve sur le site hébergeant l’ancre, l’auteur verra son état de rareté artificiel s’amenuiser. Cela est d’autant plus grave que le créateur du lien pourra en outre percevoir des revenus publicitaires grâce à l’œuvre sans les partager avec l’auteur.

578. Trois semaines après que la Cour de cassation a statué sur la question de la violation du droit de reproduction par les liens, la Cour d’appel fédérale américaine pour le septième Circuit retenait une position contraire dans l’arrêt Flava Works, Inc. v. Marques Rondale Gunter . La situation était visuellement similaire à celle des arrêts français du 12 juillet 2012 car les internautes avaient l’impression que les films étaient visualisés sur le site du défendeur. Dans les deux cas l’œuvre était présente uniquement sur le site cible . Dans l’arrêt Flava la Cour d’appel fédérale pour le Septième Circuit a conclu que le défendeur se contente de fournir une liste de noms et d’adresses de vidéos qui se trouvent sur le site de l’hébergeur et s’abstient d’encourager ou d’assister les internautes à visionner les vidéos. Les juges ont ainsi effectué une transposition de la logique du server test applicable au droit de distribution. La jurisprudence américaine confirme ainsi la solution de l’arrêt Futuredontics v. Applied Anagramics et rejette toute appréciation visuelle et intellectuelle de la reproduction. Cette approche est conforme à la définition de la copie proposée par le Copyright Act qui requiert un support matériel. Les juges étasuniens ont ainsi procédé à une lecture littérale du Copyright Act dans le sillage de l’arrêt Wheaton v. Peters , alors que leurs homologues français ont pris une liberté importante vis à vis du texte et ce, alors que la tradition française est héritière du rôle purement technique du juge tel que décrit par Montesquieu . Partant, l’application du Digital Millenium Copyright Act n’est pas nécessaire dans la mesure où le défendeur n’a pas commis de violation du copyright. La solution de l’arrêt Flava a donc vocation à s’appliquer aux liens automatiques ainsi qu’aux liens manuels.

579. La jurisprudence américaine s’est donc contentée d’une lecture littérale des dispositions du Copyright Act et a rejeté une interprétation originaliste qu’a fait sienne le juge français, et qui aurait pu aujourd’hui se fondre dans la théorie Law & Economics. Il n’y a en outre pas lieu de se contenter d’une analyse de la technique lors de l’application du droit d’auteur sans considération des effets de présentation qu’elle pourrait avoir. À défaut, les ingénieurs auront tôt fait d’inventer des moyens techniques de contourner les définitions américaine et française du droit de reproduction, tout en proposant à l’utilisateur une visualisation d’une œuvre dans les mêmes conditions que si elle avait été copiée. Il n’est pas tolérable que le droit puisse être contourné par de tels artifices. La solution française peut ne pas plaire aux juristes américains, mais elle présente l’intérêt de la conformité à la ratio legis du droit d’auteur initial tout en affirmant la prééminence du droit sur la technique.

580. Outre la reproduction directe par le contrefacteur, les droits français et américain peuvent engager la responsabilité d’un défendeur pour complicité de reproduction.

II) La complicité de contrefaçon

581. La convention de Berne ne mentionne pas la notion de complicité mais elle n’interdit pas aux États membres d’établir des régimes de responsabilité pour complicité de contrefaçon. Le droit français a retenu que la complicité est applicable aux infractions au droit d’auteur . Aux États-Unis, la jurisprudence a tiré parti de l’absence de mention de la complicité dans le Copyright Act pour considérer qu’elle s’applique par défaut. Cette approche surprend de la part des juges américains car les auteurs se trouvent protégés au-delà de ce que prévoit le Copyright Act. Il faut certainement y voir le résultat de la montée en puissance des droits des auteurs aux États-Unis depuis la réforme de 1909 . Les droits français et américain appliquent donc la notion de complicité.

582. En droit français, la complicité requiert une infraction principale et un acte volontaire du complice. L’acte peut être constitué par une action relevant de l’aide ou de l’assistance ou par un acte dit d’instigation . En droit américain, la contributory infringement aura vocation à s’appliquer lorsqu’une personne aura, en connaissance du caractère illégal de l’acte initial , encouragé, causé ou contribué matériellement à l’activité illégale . Le droit français a donc adopté une approche bipartite là où le droit américain a privilégié une conception tripartite sans que ces classements n’importent sur l’application de la notion de complicité aux hyperliens. En effet, la notion de complicité par aide ou assistance recouvre la contribution américaine et l’instigation correspond à l’encouragement ou au fait d’avoir causé l’infraction. Les deux droits sont donc en mesure d’apporter des réponses similaires.

583. Aux États-Unis, la doctrine avait retenu qu’un lien pouvait être à l’origine d’un acte de complicité. Les juges ont été saisis de la question et un district court a retenu dans l’arrêt Utah lighthouse que la fourniture des adresses URL de pages contenant des contrefaçons constitue une contributory infringement. En effet, la page du défendeur fournissait les adresses, ce qui constitue selon les juges l’élément matériel de l’infraction, et le défendeur savait que le contenu de la page référencée était contrefaisant, ce qui constitue l’élément moral de l’infraction. La même solution a été appliquée en matière de droit des marques , établissant ainsi une interdiction de créer des liens lorsque cela a pour conséquence de permettre de contourner une décision judiciaire. En France, la Cour d’appel d’Aix en Provence s’est inscrite dans le sillage de l’arrêt Utah. Il a en effet été retenu que les liens vers des jeux contrefaisants constituent une complicité par fourniture de moyens. Cette solution était logique dans la mesure où l’établissement du lien constitue une aide à la diffusion des contrefaçons. L’harmonie initiale entre les droits français et américain a été remise en cause par la doctrine étasunienne et par la Cour de cassation française.

584. En effet, la portée de l’arrêt Utah doit être relativisée dans la mesure où le lien visait à contourner les dispositions d’une décision judiciaire. La solution est par conséquent d’application restrictive et ne s’applique que dans les cas où la création d’un lien vise à contourner une interdiction judiciaire . En outre, l’arrêt Utah avait retenu que le créateur d’un lien était complice de l’internaute qui clique sur le lien alors même que le créateur et l’internaute ne se connaissent pas , ce qui est pour le moins peu convaincant étant donné que l’on imagine mal une complicité où les contrefacteurs ne se connaissent pas. Le créateur de lien ne pouvait donc pas être impliqué dans un acte de complicité de contrefaçon . En revanche, si le créateur de liens avait établi les hyperliens en accord avec le propriétaire de la page cible, il aurait été retenu que le créateur de lien encourait une contributory infringement car le direct infringement était constitué par la mise en ligne des contrefaçons et la relation directe avec le direct infringer aurait été établie. Le droit américain considère donc que la complicité peut s’appliquer lors de la création d’un lien en cas d’accord avec le propriétaire du site cible. La solution s’avère donc plus nuancée que ce que pouvaient laisser comprendre l’arrêt Utah Lighthouse ainsi que l’arrêt de la Cour d’appel d’Aix en Provence.

585. La Cour de cassation est venue mettre fin à cette unité des deux droits en rejetant le pourvoi visant à casser l’arrêt de la Cour d’appel de Paris qui avait condamné le créateur d’un lien pour complicité de contrefaçon. Les juges ont retenu que la création d’un lien vers une contrefaçon constitue une infraction principale. Ainsi, alors que le droit américain applique la notion de complicité – en recourant à la doctrine de contributory infringement – lorsque les liens sont créés vers une contrefaçon en accord avec le propriétaire du site, le droit français écarte simplement la possibilité qu’un lien puisse constituer un acte de complicité et considère qu’il s’agit d’une infraction per se.

586. Ce rejet de la qualification de complicité n’a pas d’incidence sur le caractère dissuasif des peines dans la mesure où le complice emprunte la responsabilité de l’auteur de l’infraction principale et encourt la même peine que lui . Les méthodes varient donc entre le droit français et le droit américain, mais ils se retrouvent sur les résultats lorsque le droit américain applique la notion de complicité. Le droit américain arrive ainsi à compenser la faiblesse du raisonnement techniciste en appliquant la doctrine de contributory infringement qui permet d’arrimer la responsabilité du créateur de lien à celle du contrefacteur initial, permettant ainsi de protéger l’état de rareté artificiel des œuvres.

587. La création d’un lien ne soulève donc que rarement le droit de reproduction. Cependant, lors de la création d’un lien, l’internaute devra en outre contrôler qu’il n’enfreint pas le droit de représentation.

Section 2 : La liberté de lier et le droit de représentation

588. Le copyright est né comme un mécanisme de réservation des œuvres afin de leur conférer une valeur économique sur le marché. À l’époque du statut de la Reine Anne en Grande Bretagne, l’objectif était d’assurer aux éditeurs un droit sur les œuvres dans le but de contrôler, et censurer, la diffusion des œuvres . Le mécanisme s’est en fin de compte développé comme un monopole économique pour les auteurs leur permettant d’écarter les copies illicites. Le droit d’auteur est ainsi fondé sur une logique d’exclusion. Les deux droits opèrent donc une distinction entre la licéité des expositions autorisées par l’auteur, qui sont légales, et l’illicéité de celles non autorisées par l’auteur. En imposant le principe de l’illégalité des copies non autorisées, le droit d’auteur et le copyright visent à les écarter du marché.

589. Or, les liens ont la capacité de porter à la connaissance du public aussi bien des œuvres licites que des copies contrefaisantes. Ils permettent ainsi aux internautes de consulter des œuvres sans les reproduire. Les liens posent par conséquent le problème de l’existence d’un droit d’accès aux œuvres. Le traité OMPI n’a pas réglé cette question – malgré l’introduction du droit de mise à disposition du public qui devait moderniser le droit de représentation – alors qu’il devait conférer les moyens d’affronter les défis numériques. Les États membres se sont en effet entendus sur une proposition a minima ne nécessitant ni de l’Union Européenne , ni des États-Unis, qu’ils modifient leurs législations . Les définitions pour le moins large laissent transparaître la volonté de reconnaître un droit étendu en faveur des auteurs – que l’arrêt SGAE de la CJUE a encore étendu en adoptant une définition fonctionnelle de la notion de communication au public. La notion s’impose uniformément au sein de l’Union Européenne étant donné que la communication au public constitue une notion autonome du droit européen . Le principe du droit d’accès à l’œuvre au sens du traité OMPI permet de prendre en compte non pas une reproduction matérielle, mais le simple fait de rendre l’œuvre accessible , ce qui permet d’inclure le droit de représentation français ainsi que les droits de performance et de display américains. Le droit de mise à disposition de l’œuvre au sens du traité OMPI, intégré au droit européen à l’article 3-1 de la directive 2001/29/CE , n’a pas d’équivalent exact en droit américain et en droit français. Les législateurs nationaux ont considéré que ce droit existait déjà sous la forme des différentes prérogatives que les systèmes offrent aux ayants droit. Le droit de mise à disposition inclut l’offre de communication au public de façon individualisée , ce qui inclut les hyperliens . Cette interprétation semblait être corroborée par les jurisprudences européenne et américaine .

590. Cependant, les droits européen et américain ont pris acte de la dangerosité que constituerait l’opposabilité d’un droit à tous les liens et ont nuancé l’application du droit de mise à disposition. Ils ont par conséquent convergé sur le principe de la liberté de lier (Sous-section 1) tout en posant des limites à ce principe (Sous-section 2).

Sous-Section 1 : Le principe de la liberté de lier face au droit de représentation

591. Le principe de la liberté de lier se fonde sur l’absence d’obligation de requérir une autorisation préalable à la création d’un lien (Paragraphe 1), ainsi que sur la liberté des modalités de création des liens (Paragraphe 2) car ils ne violent pas le droit de représentation français ni les droits de display ou de performance américain.

Paragraphe 1 : L’absence d’autorisation préalable à la création d’un lien

592. Tim Berners-Lee, l’inventeur de l’hyperlien, avait imaginé un Internet sur lequel il serait possible de lier sans autorisation préalable des auteurs des pages cibles . La doctrine est allée en ce sens en retenant « qu’il faut considérer que le simple fait de rendre disponible un contenu sur un site Web et de participer ainsi à cet immense forum qu’est l’Internet suppose que l’on accepte le principe que les autres s’y réfèrent. Il y a, en quelque sorte, à travers la participation au processus de communication en ligne, une autorisation tacite de se référer au contenu mis sur un site du réseau ».

593. Cette conception est fondée sur l’idée que l’Internet constitue un espace partiellement à part de nos sociétés. Cependant, avec le mouvement de commercialisation de la toile ainsi que l’appropriation du medium par le public, l’Internet ne pouvait plus constituer un espace séparé mais plutôt une extension du monde analogique. Les règles de droit ont par conséquent vocation à s’appliquer à l’Internet. Les contours de la liberté de lier ne sont donc pas évidents et la jurisprudence a marqué une hésitation (I). Néanmoins, les deux droits ont in fine convergé pour reconnaître le principe de l’absence d’autorisation préalable de lier (II).

I) L’hésitation initiale

594. L’Internet était initialement autorégulé par les pratiques des utilisateurs ainsi que par les chartes de bonnes conduites comme la Nétiquette. Il s’agit d’une règle dite de soft law applicable sur l’Internet . La valeur de la Nétiquette est donc limitée, en France et aux États-Unis , à sa force de conviction . Or la force de conviction de la Nétiquette est fortement limitée par son absence de légitimité – étant donné qu’elle n’est pas une norme créée par un accord de tous les internautes ou de leurs représentants – et la difficulté d’en définir le contenu . Ainsi, alors que le droit français a pu ponctuellement appliquer la Nétiquette – ce qui était favorable à la création de liens car elle suggère aux internautes de solliciter l’autorisation de l’auteur de l’œuvre vers laquelle ils lient – le droit américain n’a pas eu recours à ce type de réglementation.

595. Les juges américains et français ont appliqué leurs droits internes dès les premiers arrêts concernant les liens. La jurisprudence française postérieure a néanmoins laissé penser qu’elle allait se référer aux principes des Pères Fondateurs de l’Internet et recourir à la Netiquette. En effet, le Tribunal de commerce de Paris a retenu dans un jugement en date du 26 décembre 2000 que « le bon usage des possibilités offertes par le réseau Internet commanderait, pour le moins, de prévenir le propriétaire du site cible ». Le jugement propose donc d’appliquer les règles de la Nétiquette suggérant de solliciter l’autorisation préalablement à la création du lien. Cependant, l’utilisation du conditionnel marque l’absence d’obligation juridique à la charge des créateurs de liens. Il s’agit d’une décision étrange dans laquelle le juge informe les parties du comportement qu’elles devraient adopter sans considération pour les règles légales. Le juge contrôle donc l’Internet et les relations sociales qui s’y déroulent alors qu’il lui est uniquement demandé de trancher les questions de droit positif. La solution du Tribunal de commerce s’avère peu convaincante pour les Tribunaux de Grande Instance en charge des questions relevant du droit d’auteur, et n’a pas été suivie en Europe. En effet, sur un fondement autre que la Nétiquette, la décision belge dite copiepresse a retenu que le moteur de recherche Google devait demander l’autorisation de lier aux titulaires de droits sur les articles de journaux. Les juges belges ont ainsi retenu que la création d’un lien nécessite l’autorisation de l’auteur de l’œuvre liée en application du droit national. L’arrêt du Tribunal de commerce de Paris s’avère donc isolé et le droit national a vocation à s’appliquer à l’Internet qu’il soit accessible en Europe ou aux États-Unis.

596. Le principe de l’application des droits nationaux sans adaptation qui se dégageait risquait de fortement limiter le droit de créer des liens. Concrètement, cela aurait permis aux auteurs d’interdire toute liaison entre un site critique de leurs travaux et leurs pages. Le référencement aurait pâti d’une telle situation en se trouvant limité aux liens consensuels alors que la liberté d’expression doit pouvoir être contestatrice et subversive . Ces discours sont pourtant protégés aussi bien en Europe qu’aux États-Unis . La nécessité de solliciter l’autorisation de l’auteur de l’œuvre liée avant de créer le lien aurait pour conséquence d’introduire une capacité de censure en faveur des auteurs critiqués. Les droits français et américain ont par conséquent écarté le principe de l’autorisation préalable à la création d’un lien sur le fondement de la liberté d’expression. Néanmoins, si les deux systèmes ont fondé la liberté de lier sur le fondement de la liberté d’expression, les méthodes employées ont divergé.

II) L’absence d’autorisation préalable de lier

597. Le créateur de l’hyperlien, Tim Berner-Lee , a expressément affirmé qu’il ne s’opposerait pas à l’établissement de liens vers son site Internet, considérant que l’Internet doit constituer un canal d’accès libre et gratuit à l’information. Cette conception a marqué notre approche libertaire de l’accessibilité des contenus sur l’Internet .

598. Le droit américain a été le premier à prendre position sur la question de l’absence d’autorisation préalable à la création d’un lien. L’arrêt Miller s’est inscrit dans le sillage de l’arrêt United States v. Washington Post et a retenu que la législation de l’État de Géorgie, interdisant la création de liens sans autorisation préalable du propriétaire de la page liée, était contraire aux dispositions du premier Amendement de la Constitution relatif à la liberté d’expression. En effet, l’arrêt Washington Post retient que « peu d’expressions sont aussi solidement ancrées dans notre doctrine constitutionnelle que la maxime selon laquelle ‘tout système de contrôle a priori se présente devant le juge avec une présomption forte d’inconstitutionnalité ». Or, les liens constituent des moyens d’expressions et, à ce titre, ils bénéficient de la protection du premier Amendement de la Constitution américaine relatif à la liberté d’expression . La reconnaissance de ce principe a été plus tardive et plus lente en droit français. Ainsi, alors que le droit français a montré des hésitations entre l’application du droit national et la Nétiquette, le droit américain a opté à la première occasion pour une approche libertaire en application du droit national.

599. La Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique a néanmoins établi à l’article 1er le principe de la liberté de communication par voie électronique et a ainsi convergé vers la solution du droit américain. La loi a donc ouvert la porte à l’affirmation de la liberté de lier. La jurisprudence a explicitement retenu cette solution dans un jugement rendu par le Tribunal de Grande Instance de Nanterre le 25 mars 2010 en affirmant que « l’existence d’un lien, à titre informatif, [n’est pas] soumis à une autorisation préalable » lorsque le lien n’implique pas le droit d’auteur. La liberté de créer des liens à visée informative se trouve par conséquent constitutionnellement protégée – au visa de l’article 1er de la loi du 21 juin 2004 pour la confiance dans l’économie numérique – par l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789. L’approche s’avère néanmoins particulièrement restrictive à cause du recours à deux critères cumulatifs que sont la visée informative du lien et la liaison entre deux sites informatifs. Étant donné que cette distinction n’a jamais été reprise, il y a lieu de retenir qu’il s’agit là d’un errement de la jurisprudence et que la liberté de lier s’étend à tous les liens indépendamment de leur objectif. Le droit français s’est donc montré plus frileux et plus lent que le droit américain à reconnaître le principe de l’absence d’autorisation préalable à la création de liens. Il a fallu attendre la Cour de Justice de l’Union Européenne pour trancher.

600. La Cour de Justice de l’Union Européenne a dégagé un autre fondement afin de justifier l’absence d’autorisation préalable à la création d’un lien dans l’arrêt Svensson . Le raisonnement se divise en deux temps. Dans le premier, les juges reconnaissent que les liens communiquent les œuvres aux internautes en se fondant sur les arrêts Football Association Premier League – retenant que l’acte de communication doit être entendu de façon large afin de garantir un niveau élevé de protection des titulaires de droit d’auteur – et SGAE – qui avait retenu, en se fondant sur les articles 3 paragraphe 1 de la directive 2001/29 ainsi que sur l’article 8 du traité de l’OMPI sur le droit d’auteur, qu’il suffit que « l’œuvre soit mise à disposition du public de sorte que les personnes qui composent celui-ci puissent y avoir accès » pour qu’il y ait communication au public. Cette solution a été confirmé par l’arrêt Sichting Brein c. Jack Frederik Wullems qui a retenu que la technique n’avait pas d’importance et que seule comptait l’acte de communication d’une œuvre protégée au public . Le public a été défini comme un ensemble composé d’un nombre indéterminé de personnes – reprenant ainsi la conception adoptée par l’ancien guide de la Convention de Berne publié en 1978 à l’article 11.4 – dès lors qu’il dépasse le seuil de minimis . Cependant, les contours de la notion restent flous et force est de constater que le critère reste « imprévisible, potentiellement arbitraire, et réducteur ».

601. Outre la rigueur de l’analyse juridique, la solution des juges s’avère cohérente avec les doctrines française et américaine défendant l’intérêt des hyperliens pour la liberté d’expression. Il nous semble donc que l’analyse européenne est plus rigoureuse sur cette question que celle adaptée aux États-Unis dans le server test de l’arrêt Perfect 10 qui avait retenu que seul le site cible, et en aucun cas le lien, communique les œuvres au public. Les juges de Luxembourg ont réaffirmé leur solution par la suite . Le droit européen oppose donc un raisonnement fondé uniquement sur le droit d’auteur à une approche fondamentaliste tirant ses racines de la liberté d’expression ainsi que sur une conception erronée de la technique des liens aux États-Unis et à une conception jusnaturaliste en France.

449. Cependant, dans un second temps, les juges européens ont retenu qu’il n’y a pas de communication au public dans la mesure où l’œuvre n’est pas communiquée à un public nouveau . Le public est entendu, dans les deux systèmes , de façon large car il inclut le public potentiel et non pas seulement effectif. Le public est constitué d’une pluralité de personnes, par opposition aux cercles des intimes ou le cercle de famille, et distinct de la notion de clientèle . L’arrêt GS Media adopte une approche différente de celle admise de façon classique en droit français, en ce qu’il épouse une conception plus quantitative . La référence de l’arrêt GS Media à l’arrêt Svensson et à l’ordonnance Bestwater permet avant tout de s’écarter du raisonnement proposé par l’avocat général Wathelet bien que la place de ce critère diffère de ce qui était attendu . L’avocat général retenait en effet qu’il n’y avait pas d’acte de contrefaçon lorsqu’un lien mène vers une contrefaçon étant donné que l’œuvre avait été rendue accessible. Cette solution aurait eu pour effet de faire disparaître de facto le droit d’auteur de l’Internet . Ainsi, les spécificités techniques des hyperliens, à savoir notamment l’absence de copie, la facilitation de la navigation en ligne et la dépendance du lien au site originel .

602. Cependant, les juges européens ont opéré une distinction inconnue aux États-Unis mais traditionnelle en France consistant à diviser le public. La création d’un lien sera par conséquent légale sans autorisation préalable lorsqu’elle vise le même public que celui ciblé par l’auteur. Cette solution ne constituait qu’une surprise partielle car la CJUE avait déjà défini le public nouveau comme celui qui « n’était pas pris en compte par les auteurs des œuvres protégées dans le cadre d’une autorisation donnée à une autre personne ». Le recours à ce critère étonne néanmoins dans la mesure où il avait été écarté par la Conférence de rédaction de la convention de Berne . Il en découle logiquement que le public non visé initialement par l’ayant droit est un public nouveau lorsque l’œuvre lui est communiquée. Il est donc nécessaire que la reproduction de l’œuvre ait été autorisée par l’auteur pour bénéficier du régime de l’arrêt Svensson . Il en résulte que lorsque deux opérateurs ont recours à un même moyen technique, le second ne violera le droit d’auteur que s’il vise un public nouveau . L’exigence de public nouveau ne s’effacera que lorsque le medium utilisé diffère . En revanche, lorsque l’auteur a mis en ligne son œuvre sans restriction les juges considèrent qu’il a exprimé sa volonté d’adresser son œuvre à l’ensemble des internautes potentiels . L’arrêt Svensson précise simplement cette position en retenant que l’œuvre n’est pas communiquée à un nouveau public dès lors que la communication est effectuée grâce au même medium technique et devant le même public . Or, la communication d’une œuvre par un lien s’effectue par le même medium que la communication initiale car il s’agit d’Internet dans les deux cas. Les auteurs ne peuvent donc pas limiter la communication de leur œuvre sur l’Internet ouvert. En outre, l’arrêt Del Corso , concernant les droits voisins, avait retenu que sans public nouveau, il n’y avait pas de communication au public. L’arrêt Svensson constitue donc une adaptation de la solution Del Corso au droit d’auteur. La nouveauté réside néanmoins dans la transformation de cette notion du « statut de justification de la qualification de [la] communication en droit d’auteur » à la « justification en limitation du champ du droit ». Le résultat de la solution de l’arrêt Svensson correspond non seulement à la jurisprudence en formation au sein des États membres de l’Union Européenne , mais également à la pratique des acteurs de l’Internet. En effet, le Groupement des Éditeurs de Services en Ligne notamment a conclu une charte d’édition électronique autorisant l’établissement de lien sans autorisation préalable opposable uniquement aux signataires. Cette solution rejoint les recommandations de Philippe Gaudrat qui affirmait que le fait d’interroger un site en accès libre ne peut constituer un acte interdit – bien qu’il suggérait l’idée de la création d’une licence implicite de pointage en s’inspirant de la jurisprudence allemande . La charte a par conséquent anticipé la position de la jurisprudence.

603. Le raisonnement adopté par la Cour est juridiquement critiquable en ce qu’il introduit un double critère cumulatif de communication de l’œuvre et de public nouveau pour retenir qu’une œuvre est communiquée au public. Ce critère du public nouveau est contraire à la convention de Berne . En effet, ce critère n’existe pas dans la convention car il a été rejeté lors des discussions relatives à la réforme de 1948 . La solution de l’arrêt Svensson, confirmée par l’ordonnance Bestwater , s’avère par conséquent contra legem. Elle reflète une approche techniciste – donc par essence marquée dans le temps – excluant l’impératif du respect des engagements internationaux de l’Union Européenne . En effet, le traité OMPI sur le droit d’auteur introduit à l’article 6-2 lu avec la déclaration commune n° 5 une limitation de l’épuisement du droit de distribution . Le droit européen est donc obligé d’adopter une solution contra legem pour ne pas bloquer la création de lien alors que le droit américain, en retenant de façon artificielle que les liens ne communiquent pas les œuvres, respecte les engagements internationaux des États-Unis. Le risque de poursuite de l’Union Européenne devant le panel de l’OMC est cependant faible étant donné que le résultat de la solution de l’arrêt Svensson n’a qu’un impacte limité dans les relations commerciales des États membres. La CJUE a pris acte de cette absence de risque – ou a persevéré dans sa prise de risque – en confirmant cette solution dans les arrêts Stichting Brein c. Ziggo BV et Stichting Brein c. Jack Frederik Wullems .

604. La deuxième critique majeure qui peut être faite à l’arrêt Svensson réside dans la définition du public nouveau. Il ne correspond pas à la définition donnée par la jurisprudence en droit international privé qui distingue entre les différents publics selon la théorie de la focalisation en analysant des critères tels que la langue, l’extension du nom de domaine ou encore le public visé . Cette conception ne correspond en outre pas à la réalité sociologique de l’Internet. En effet, le réseau est de facto divisé en plusieurs groupes culturels et linguistiques . De surcroît, une partie de la doctrine a suggéré – sans doute à raison – que chaque site internet a son propre public .

450. Enfin, le critère du public nouveau implique un épuisement du droit d’auteur – alors que cette théorie était initialement réservée aux supports matériels afin d’assurer le bon fonctionnement du marché unique – dès lors qu’une œuvre est téléchargée sur l’Internet , que l’arrêt GS Media a nuancé en limitant ce principe aux reproductions licites. La CJUE avait déjà semblé amorcer une telle approche lorsqu’elle a appliqué le principe de l’épuisement des droits aux copies immatérielles d’un programme d’ordinateur . Les auteurs n’auront donc comme choix, s’ils veulent maintenir le contrôle sur leurs œuvres, que de placer des mesures techniques efficaces. Il leur est dès lors nécessaire de procéder à une formalité pour protéger leurs droits en violation des dispositions de l’article 5.2 de la convention de Berne. La CJUE a ainsi introduit une logique d’opt out que le droit européen avait toujours rejeté. Cela risque de déboucher sur un Internet en grande partie cloisonné étant donné que les auteurs chercheront à obtenir une rémunération pour l’établissement de liens et imposeront de ce fait des limites à l’accès à leurs œuvres. Il est donc impératif de conférer aux propriétaires de site un droit à rémunération pour l’établissement de liens.

605. La CJUE a donc initialement abordé la question de manière semble-t-il maladroite eu égard aux canons classiques du droit d’auteur. Cette approche, bien que critiquable, constitue le résultat d’une prise en considération implicite – Pierre Sirinelli la qualifie de souterraine – d’un équilibre entre les droits fondamentaux et la liberté d’accès à Internet que les juges n’ont pas su développer de façon rigoureuse. L’erreur initiale a donc rendu tout l’édifice chancelant.

606. Outre cette difficulté relevant de la technique juridique, le principal reproche que les titulaires de droit opposeront consistera à souligner l’absence d’harmonisation vers le haut qui devrait pourtant guider la lecture que la CJUE effectue de la directive. En effet, la directive 2001/29/CE dispose que l’harmonisation du droit d’auteur s’effectue autour d’un niveau de protection élevé et non pas à la lumière du « juste équilibre » alors que cette notion a été suggérée plus tard par les avocats généraux dans les arrêts Ziggo et Wullems – dont les avis ont été soutenus par l’ALAI . Cela permet d’éviter de déboucher sur l’établissement de solutions qui deviendraient rapidement obsolètes au gré de l’évolution technologique . Les critiques ont également soulevé que la protection d’un lien menant vers une photo de charme dans l’affaire GS Medias ne relève pas du cœur de la liberté d’expression impliquant qu’une protection par degrés devrait être appliquée. En outre, l’absence d’application du droit d’auteur fondée sur l’idée que les contenus doivent être accessibles en ligne résulte d’une confusion entre œuvre et information.

607. Malgré les critiques, la solution semble désormais établie au sein de l’Union Européenne. La Cour d’appel de Paris a en effet appliqué le raisonnement de la CJUE qui a elle-même confirmé la solution de l’arrêt GS Media dans deux arrêts . Seule la Cour Suprême allemande semble opposer une résistance à la CJUE en retenant que l’importance particulière du service de la société Google au regard du fonctionnement de l’Internet a pour effet d’écarter la présomption de responsabilité . Elle a écarté l’application de la solution de l’arrêt GS Média – qu’elle a par ailleurs rappelé – pour lui appliquer un régime de responsabilité limité tel que prévu par la directive e-commerce. L’arrêt pourrait se voir reprocher son manque de clarté en ce qu’il n’a pas fait référence explicitement à la directive et lui a privilégié une approche fondamentaliste. Étant donné que les décisions allemandes peuvent être révisées par la CJUE cette décision doit être considérée comme une résistance des juges allemands n’ayant pas vocation à perdurer. Néanmoins, la méthode des juges allemands est symptomatique d’une montée en puissance des libertés fondamentale en droit d’auteur européen.

608. De lege lata les solutions des deux droits se rejoignent donc sur le principe de la liberté de lier grâce à l’absence d’obligation de solliciter une autorisation préalablement à l’établissement d’un lien. Cette liberté jouit néanmoins d’une assise juridique plus forte en droit américain et français dans la mesure où elle est fondée sur des dispositions constitutionnelles, alors que la CJUE a retenu que les liens ne représentaient a priori pas l’œuvre. Le principe de la liberté de lier ne pourra donc être remis en cause que par une modification de la Constitution – ce qui s’avère particulièrement difficile aux États-Unis – alors qu’en Europe une simple modification législative permettrait une réduction du champ d’application de cette liberté. Il est peu probable qu’une modification en ce sens intervienne en Europe, mais la différence de niveau de norme souligne la divergence dans l’importance conférée à la liberté de lier dans les deux systèmes. Cette différence d’importance a des conséquences dans les limites apportées à la liberté de lier.

Paragraphe 2 : La liberté des modalités d’établissement d’un lien

609. Le copyright et le droit d’auteur constituent des moyens de réservations de créations intellectuelles par la création d’un état de rareté artificielle. Or, les différents types de liens (I) peuvent permettre aux internautes de visualiser des œuvres selon des modalités auxquelles l’auteur n’a pas consenti. Cela ne devrait généralement pas enfreindre le droit d’auteur dès lors que le lien mène vers une reproduction licite (II).

I) L’indifférence de la nature du lien

610. Les doctrines française et américaine s’étaient initialement interrogées sur la nécessité de distinguer entre les différents types de liens. Il avait notamment été suggéré qu’il est nécessaire de distinguer entre la légalité des liens de surface (dits aussi simples) – qui mènent vers la page d’accueil d’un site – et les autres types de liens qui étaient censés être illicites en soi. Cette distinction était fondée sur l’idée que certains types de liens permettent à l’internaute de prendre connaissance de l’œuvre dans des conditions similaires à la visualisation sur le site Internet d’origine, alors que par un lien de surface l’internaute prendra connaissance de l’œuvre sur le site original. La distinction proposée reprenait la division qu’avait opérée le demandeur dans l’arrêt Shetland News . Celui-ci ne soulevait l’illégalité que des liens profonds – c’est-à-dire de liens menant vers une page interne du site cible – considérant que les liens de surface étaient légaux . L’arrêt n’a cependant pas expressément accepté ni rejeté cette position. Aux premiers temps des hyperliens une tendance générale consistant à distinguer entre la légalité des liens de surface et l’illégalité des autres liens se développait dans le monde. Elle a par la suite été nuancée.

611. Aux États-Unis tout d’abord, la proposition de distinguer entre les différents types de liens n’a jamais – contrairement à la doctrine française – créé de consensus parmi les auteurs. De nombreux auteurs ont en effet suggéré de retenir le principe de l’indifférence de la nature des liens dès les prémisses de la démocratisation de l’Internet. La doctrine française – par la voix du Forum des Droits sur l’Internet – a quant à elle commencé à nuancer sa position en adoptant un critère objectif. Il continuait néanmoins à suggérer, dans sa recommandation relative aux liens hypertextes , qu’il était nécessaire de distinguer entre les différents types de liens, mais le critère de la légalité était le respect de la stricte fonctionnalité technique de référencement. Les liens n’étaient donc pas considérés comme illégaux per se mais selon leur capacité à faire « plus que permettre de naviguer de site en site ». Cette solution ne constituait qu’une convergence limitée vers la solution américaine dans la mesure où certains liens continueraient d’être considérés illicites car leur utilisation permet plus qu’une simple navigation. Cette divergence des doctrines a eu des conséquences sur la jurisprudence.

612. La jurisprudence américaine a été la première à être saisie de la question. Elle a retenu que les liens – sans distinction – sont capables de d’utilisation substantiellement non contrefaisantes sur le fondement de l’arrêt Sony . Cet arrêt avait retenu qu’une technologie peut être utilisée et commercialisée dès lors qu’elle peut faire l’objet d’une utilisation licite substantielle. Le recours à l’arrêt Sony souligne donc le fait que la nature des liens est indifférente dès lors qu’ils sont tous susceptibles de faire l’objet d’une utilisation licite substantielle . Les juges ont par conséquent suivi la doctrine majoritaire qui épouse une conception libertaire. Les hésitations de la jurisprudence française peuvent, en revanche, être considérées comme le reflet des doutes de la doctrine.

613. La jurisprudence française a tout d’abord retenu, dans un jugement du 26 décembre 2000 , que « s’il est admis que l’établissement de liens hypertextes simples est censé avoir été implicitement autorisé par tout opérateur de site Web, il n’en va pas de même pour ce qui concerne les liens dits profonds et qui renvoient directement aux pages secondaires d’un site cible, sans passer par la page d’accueil ». Les juges français opéraient donc une distinction entre la légalité des liens simples et l’illégalité des autres liens à l’instar d’autres jurisprudences européennes . Il apparaissait donc qu’un mouvement liberticide se développait en France et menait vers une divergence avec le droit américain. La jurisprudence française a par la suite introduit une solution plus libertaire.

614. Le TGI de Nanterre , puis le TGI de Nancy , ont en effet retenu que les liens profonds et les liens cadres sont légaux. L’arrêt Ticketmaster v. Ticket.com avait également retenu le principe de la licéité des liens profonds, et l’arrêt Futuredontics v. Applied Anagramics avait retenu la même solution pour les liens cadres . Cette évolution a ainsi mis fin à la distinction en droit français entre les différents types de liens et a permis une convergence avec le droit américain . Il est ainsi interdit de distinguer entre les différents types de liens dans les deux pays. La Cour de cassation a confirmé cette solution en retenant que la fonction active des liens cadres permettant au moteur de recherche de s’accaparer l’œuvre constitue une contrefaçon dès lors qu’elle dépasse la stricte fonctionnalité de référencement. La fonction active était en l’espèce constituée par la possibilité offerte par la société défenderesse de visionner l’œuvre liée sur son propre site. Les liens cadres peuvent cependant ne pas donner connaissance de l’intégralité de l’œuvre liée dès lors qu’ils ne montrent que des extraits des œuvres. L’arrêt ne retient donc pas l’illicéité per se de certains liens mais adopte le critère de la stricte proportionnalité. Le droit français ne distingue donc pas entre les types de liens mais entre le respect de la stricte fonction de référencement et son dépassement. Malgré un choix lexical peu heureux, la solution de la Cour de cassation présente l’intérêt de réfléchir en termes économiques. En effet, derrière le critère de l’appropriation se dissimule la question de l’appropriation de la valeur économique de l’œuvre. Cependant, le raisonnement ne va pas assez loin car il permet de sanctionner les entités retirant des bénéfices de l’utilisation d’une œuvre sans prendre en considération toutes les hypothèses pouvant diminuer les contours du monopole artificiel d’une œuvre. La solution française était en outre partagée par d’autres États membres de l’Union Européenne comme les Pays-Bas . La Cour de Justice de l’Union Européenne s’est placée dans le sillage de ces jurisprudences libérales et a retenu, dans l’arrêt Svensson ainsi que dans l’ordonnance Bestwater , que la nature des liens est indifférente, assurant ainsi une convergence avec le droit américain sur le principe de la neutralité des liens.

615. Le droit de créer des liens se trouve par conséquent grandement renforcé par les solutions française, européenne et américaine car il est possible d’utiliser tous les types de liens. Les auteurs doivent par conséquent anticiper la création de liens vers leurs œuvres dès lors qu’ils les mettent en ligne . Les internautes jouissent ainsi d’une autorisation implicite de lier indépendamment de la nature du lien.

616. Le standard de l’autorisation implicite constituerait ainsi, dans une perspective Rawlsienne, un élément de justice procédurale en matière de copyright visant à une répartition plus juste des ressources. Étant donné que les droits d’auteur français et européen ont adopté la même solution, il y a lieu de conclure qu’ils assurent eux aussi une répartition plus juste des ressources. En effet, l’autorisation implicite permet de répartir de façon égalitaire l’accès aux œuvres sans discrimination sociale ou géographique grâce à la facilitation de l’accès aux œuvres . Cette approche est conforme à l’idéal libertaire de l’Internet qui ne connaît pas le principe de la propriété et qui promeut les échanges entre les internautes. Cependant, si les deux droits se sont accordés sur le principe de la neutralité de la technique de liens, ils divergent sur la question de la légalité d’un lien menant vers un contenu illicite.

II) La légalité des liens vers des contenus légaux

617. Les doctrines française et américaine ont proposé une distinction entre les liens menant vers des contenus légaux et les liens menant vers des contrefaçons. Cette solution est conforme à l’objectif de création d’un état de rareté artificielle des œuvres. En effet, en promouvant l’interdiction du référencement de contrefaçons les doctrines ostracisent les copies non autorisées et empêchent ainsi l’instauration d’un état d’abondance de l’œuvre qui ferait perdre l’essentiel de sa valeur économique. Les jurisprudences ont néanmoins divergé sur cette question. Le droit français a ainsi adopté la solution la plus protectrice des auteurs alors que le droit américain a privilégié la sécurité des créateurs de liens. Les deux systèmes se rejoignent néanmoins sur l’autorisation de créer des liens vers des œuvres licites.

618. En effet, en matière de liens manuels, les juges français et américain n’ont jamais condamné l’établissement d’un lien vers un contenu licite. La CJUE a pris acte de cette solution . Une utilisation licite des liens – c’est-à-dire autorisée par le titulaire du droit ou bénéficiant d’une exception – ne sera donc pas sanctionnée . Ainsi, le simple fait de mener le public vers une œuvre licite ne limite pas l’état de rareté artificielle dont bénéficie l’auteur. Le lien n’a pas naturellement la capacité de la reproduire ni de la représenter . La solution est identique pour les liens automatiques. Cependant, la réponse n’est pas venue de la jurisprudence mais des législateurs américain puis européen. En effet, la légalité des liens automatiques vers les contenus licites se déduit a contrario des régimes ad hoc de responsabilité dont jouissent les créateurs de liens. Le Digital Millenium Copyright Act américain a ainsi été le premier à exonérer les créateurs automatiques de liens lorsqu’ils mènent vers des contenus illicites dès lors qu’ils respectent une série de critères. La directive e-commerce a par la suite emboîté le pas au législateur américain pour introduire un régime de responsabilité limitée relativement similaire. Le législateur européen n’ayant pas pris position sur le régime applicable aux créateurs automatiques de liens, la CJUE a étendu le régime applicable aux hébergeurs aux créateurs automatiques de liens. Cette possibilité restait effectivement ouverte en l’absence d’interdiction de créer une limitation de responsabilité pour les créateurs automatiques de liens . L’interdiction de stocker des contenus illicites implique que les hébergeurs peuvent stocker des contenus licites, et que par une extension forcée par la jurisprudence, les créateurs automatiques de liens peuvent référencer les contenus licites. Ainsi, les droits américain et européen ne sanctionnent pas les liens menant vers des contenus licites. L’existence d’un régime de responsabilité ad hoc semble justifiée étant donné que les algorithmes ne sont pas encore en mesure de procéder à des contrôles aussi précis que les humains. Cependant, ces régimes de responsabilité limitée seront sans doute appelés à disparaître à mesure que les algorithmes seront capables de procéder à des contrôles d’une qualité au moins aussi bonne que les humains.

619. La solution européenne peut surprendre étant donné qu’il existe des différences techniques importantes entre un hébergeur et un créateur automatique de liens. Elle semble s’inspirer de la solution américaine qui a établi des régimes très similaires pour les hébergeurs et les créateurs automatiques de liens. Il est probable que cette similarité n’ait pas échappé à Poiares Maduro qui était l’avocat général dans l’arrêt Google c. Vuitton. Or, Monsieur Maduro a une connaissance assez précise du droit américain car il a été visiting scholar à l’Université de Harvard. Il est donc fort probable qu’il se soit inspiré de la similitude américaine entre les deux régimes pour proposer une analogie pour l’Union Européenne.

620. L’autorisation d’établir des liens vers des contenus licites est donc fondée sur des logiques différentes en fonction de l’origine de la création. Pour les liens manuels il s’agit d’un droit fondé sur l’idée que les hyperliens ne violent pas le droit d’auteur ni le copyright et que les internautes jouissent d’un droit d’utilisation des œuvres échappant au monopole de l’auteur à l’instar du droit de revente . La liberté d’établir des liens vers des contenus licites pour les créateurs automatiques vient en revanche de la volonté du législateur d’encourager le développement des intermédiaires techniques de l’Internet.

621. La liberté de lier est donc le fruit de la licéité du système ainsi que du besoin d’encourager le développement des créateurs automatiques de liens. Ces solutions doivent être approuvées car elles ne remettent pas en cause le monopole des auteurs. Il n’en va pas de même pour les liens menant vers des contenus illicites.

Sous-section 2 : Les limites au principe de la liberté de lier

622. L’optimiste des pionniers du Web a été dénaturé par l’arrivée d’une logique commerciale sur le réseau. Certains auteurs considèrent désormais que tout ne peut être autorisé sur l’Internet. La jurisprudence a confirmé cette approche . Ce constat a débouché sur l’établissement d’une distinction entre la responsabilité des créateurs manuels de liens (Paragraphe 1) et celle des créateurs automatiques (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La responsabilité des créateurs manuels de liens

623. L’établissement d’un lien vers un contenu illicite permet d’améliorer la diffusion de copies illicites non voulues par l’auteur. Le recours à l’œuvre originale perd donc son intérêt car une copie – souvent exacte grâce à la capacité des systèmes numérique de reproduire un contenu à l’identique – permet de prendre connaissance de l’œuvre. L’auteur perdra ainsi les revenus censés lui permettre de créer de façon indépendante. Les liens risquent par conséquent, s’ils mènent vers des contrefaçons, de limiter l’incitation à la création qui constitue la justification de l’existence du copyright américain et qui a largement contribué à l’introduction du droit d’auteur en France.

624. La doctrine s’est donc interrogée sur le régime de légalité des liens sur le fondement de l’incitation à la création. Cette approche se place dans le sillage de la recherche de création artificielle de rareté qui est à la base du copyright et du droit d’auteur. Il a ainsi été suggéré que, dans le cadre de l’examen de la légalité d’un lien, les juges établissent un équilibre entre l’incitation et l’interdiction afin d’enrichir culturellement le public. La jurisprudence européenne , à l’inverse de celle américaine, a adopté cette approche. Il y a donc lieu d’établir un équilibre entre l’intérêt des internautes – résidant dans la circonscription de l’illégalité des liens en ce qu’elle permet d’inciter à la création de liens – et le respect des droits des auteurs afin de stimuler la création. Les jurisprudences française et américaine ont divergé sur la question de l’interdiction de lier vers des contenus illicites (I). Les nuances apportées ont globalement convergé sur le principe de la responsabilité personnelle des créateurs de liens (II).

I) Les liaisons interdites

625. L’établissement d’un lien entre deux sites peut être interdit lorsqu’il perturbe le monopole des ayants droit (A). Les créateurs manuels de liens sont par conséquent tenus de contrôler le contenu de la page liée (B).

A) Les limites à la licéité du lien

626. Le monopole des auteurs est traditionnellement protégé et la violation de l’état de rareté artificielle est interdite (1). Outre cette protection juridique, les législateurs américain et français ont introduit une protection par les mesures techniques efficaces visant à assurer de facto le maintien du monopole de l’auteur (2).

1) L’illicéité d’un lien vers un contenu illicite

627. En matière de liens manuels, les deux droits ont clairement divergé sur la question de la liberté de créer des liens vers des copies illicites. En effet, alors que le droit français a dans un premier temps interdit l’établissement de liens vers des contrefaçons et que la jurisprudence a introduit un principe général d’interdiction de lier des contenus illicites que la jurisprudence européenne a nuancé, les juges américains autorisent l’établissement de liens vers des contrefaçons car ce n’est pas le lien en soi qui engage la responsabilité de son créateur mais la présentation de l’ancre .

628. Les juges français ont été les premiers à être saisis de la question en 1999. Ils ont retenu que l’établissement de liens vers des contrefaçons est illicite. Aux États-Unis, l’arrêt Utah Lighthouse a retenu la même solution l’année suivante. En l’espèce le défendeur avait fourni l’adresse URL d’une page – qu’il n’y a pas lieu de distinguer d’un hyperlien car dans les deux cas les internautes reçoivent communication de l’emplacement d’une page sur Internet – où un livre était publié. Or, l’église mormone, qui en était l’auteur, avait retiré l’œuvre de la toile qui avait réapparu sur d’autres sites. Le défendeur a établi des liens vers ces sites mettant en ligne les œuvres contrefaites. Il a été retenu que le lien était illicite car, lorsque les internautes cliquent dessus, ils effectuent une reproduction de l’œuvre sur la mémoire cache. Néanmoins, les raisonnements divergeaient. En effet, le droit français retient que le lien est illégal per se alors que les juges américains ont retenu que le créateur du lien est contributorily liable – c’est-à-dire que le créateur de lien donne les moyens de commettre la contrefaçon en connaissance de cause. La théorie de la contributory liability s’approche de celle de la complicité en France – bien que la première s’applique en matière civile alors que la seconde est uniquement une notion pénale. Or, le droit français a parfois considéré que les liens constituent des actes de complicité et semble donc s’être rapproché du droit américain. Il s’agit cependant d’une décision isolée symptomatique d’une confusion assez courante en droit français entre les délinquants primaires et les complices. Il y aura donc lieu d’appliquer la théorie de la contributory liability aux États-Unis – notamment lorsque le créateur de liens référence des contrefaçons afin d’aider les internautes à y avoir accès – voire de la vicarious liability, ainsi que le régime de contrefaçon directe en France.

629. Cependant, la solution de l’arrêt Utah Lighthouse n’est plus applicable aujourd’hui étant donné que les reproductions temporaires sont autorisées car elles ne sont pas sujettes au Copyright Act . L’arrêt Pearson v. Ishayev a tiré les conséquences de ce changement et a expressément retenu que la fourniture d’un lien menant vers un site permettant d’obtenir des contrefaçons n’enfreint pas le Copyright Act car il ne reproduit pas l’œuvre. Cela n’écarte pas a priori la responsabilité des créateurs de liens. Cependant, leur secondary liability ne sera plus fonction de la contrefaçon commise par l’internaute cliquant sur le lien, mais de la contrefaçon commise par le propriétaire du site lié. Le droit américain ne tolérera donc pas tous les liens menant vers des contrefaçons. En effet, l’arrêt Arista a retenu que le créateur de lien engage sa responsabilité lorsqu’il a un « overall course of conduct which materially contributed to copyright infringement ». Il en va ainsi lorsque les liens présentent des noms évocateurs laissant comprendre aux internautes qu’ils menaient vers des contrefaçons. Ainsi, le défendeur n’engagera sa responsabilité que s’il « possess either actual or constructive knowledge of the infringing activity to be found contributorily liable ». Il faut donc que la participation à la contrefaçon soit substantielle et qu’elle présente une relation directe avec la contrefaçon. Le droit américain sanctionne donc uniquement les modalités de présentation du lien alors que le droit français sanctionne le lien en soi.

630. La jurisprudence américaine a néanmoins établi une exception à ce principe lui permettant de converger partiellement avec le droit français. L’arrêt Universal City Studios v. Reimerdes rendu par la Cour d’appel fédérale pour le Deuxième Circuit a en effet interdit la création de liens vers des logiciels permettant de contourner les mesures techniques de protection conformément à la section 1201(A)(2) du Copyright Act interdisant l’offre au public de logiciels de contournement des mesures techniques de protection. Cette section a été introduite conformément au traité de l’OMPI sur le droit d’auteur imposant aux États membres d’assurer aux auteurs une protection légale adéquate contre le contournement des mesures techniques utilisées par les auteurs afin de protéger leurs droits. L’interdiction de lier vers des sites contenant des logiciels de contournement apparaît néanmoins limitée dans l’arrêt Reimerdes étant donné que la page cible permettait le téléchargement direct du logiciel dès lors que l’internaute s’y trouvait . L’arrêt précise néanmoins qu’il en irait de même si la page ne cible rien d’autre que le logiciel. En revanche, le lien ne serait pas illicite s’il menait vers un site contenant d’autres contenus. L’interdiction de lier vers une contrefaçon est donc limitée dans l’esprit de l’arrêt Sony car, dès lors qu’un site sera substantiellement non contrefaisant, le lien ne sera pas interdit. Cette solution a été réaffirmée par l’arrêt Columbia Pictures Industries, Inc. v. Fung en se référant à la théorie de inducement, c’est-à-dire de l’incitation à commettre des contrefaçons lorsque l’utilisation prédominante du site a pour objet la contrefaçon.

631. La jurisprudence américaine a en outre encadré cette interdiction. L’arrêt Universal City Studios v. Corley a en effet souligné les dangers qu’un régime de responsabilité de plein droit pourrait avoir en se fondant sur l’arrêt Reimerdes qui avait interdit la distribution d’un logiciel de contournement de mesures techniques. Les créateurs de liens seraient dissuadés de lier et cela ferait obstacle à l’accès aux contenus en ligne. L’arrêt a par conséquent établi un test en trois étapes reprenant partiellement l’arrêt Sullivan relatif à la liberté d’expression pour établir la responsabilité du créateur de lien vers un logiciel permettant le contournement de mesures techniques efficaces. Le créateur de lien doit savoir (1) au moment opportun que le site lié comportait des contenus contrefaits, (2) que la technique permettant le contournement ne peut être légalement proposée, (3) crée ou maintient le site dans l’objectif de disséminer cette technologie. L’arrêt a donc intégré dans le test l’exigence que le créateur de lien avait connaissance de la présence du contenu contrefait au moment de la création du lien. Le test américain s’avère néanmoins plus protecteur des créateurs de liens que le droit français. En effet, le créateur de lien doit contrôler le site au moment de la création du lien dans les deux systèmes, mais il est plus facile de déterminer si une page contient un logiciel permettant le contournement de mesures techniques que de savoir si une œuvre est protégée par le droit d’auteur ou le copyright et si l’ayant droit a cédé ses droits au propriétaire du site.

632. Le droit français est allé encore plus loin en étendant le principe de l’interdiction de lier vers des contenus illicites à d’autres branches du droit jusqu’à constituer un principe général d’interdiction d’établir des liens vers des contenus illicites. Ce type d’illicéité par contamination n’est pas isolé en droit français. En effet, l’arrêt rendu par la deuxième chambre civile de la Cour de cassation le 29 octobre 2014 a retenu que le contrat d’assurance de l’exposition our body était illicite à cause de la contrariété à l’ordre public de l’exposition. Cet arrêt confirmait la jurisprudence en matière de contrats de travail des maisons de tolérance. La solution dégagée n’est donc pas entièrement nouvelle mais elle étend le champ d’application de la notion de contamination au droit d’auteur et le fait sortir de son champ d’application initial qui était la cause des contrats. Contrairement au droit français, la jurisprudence américaine n’a pas étendu le principe de l’interdiction de lier vers des contenus illicites à d’autres branches du droit .

633. Les solutions française et américaine manquent de nuance. En effet, il ne semble pas que la création d’un lien par un journaliste afin d’illustrer son article, la fourniture d’un lien par un activiste agissant contre le droit d’auteur par conviction, ou encore l’établissement d’un lien par une société afin de tirer des bénéfices constituent des situations similaires pouvant être traitées de la même façon . En introduisant le critère de la overall course of conduct le droit américain a permis de distinguer entre les liens établis afin de commettre une contrefaçon et les autres, ce qui pourra permettre de distinguer entre ces différentes situations. Il nous semble cependant que pour plus de prévisibilité les deux droits devraient introduire une exception journalistique pour la fourniture de liens afin que les journalistes ne tombent pas dans l’autocensure. La seconde hypothèse – celle concernant les activistes – ne semble pas devoir profiter d’une exception dans la mesure où un combat idéologique ou politique ne donne a priori pas le droit de violer le droit d’auteur ni le copyright. Enfin, la troisième hypothèse étant assimilable à un acte parasitaire il n’y a pas lieu de l’autoriser.

634. Cependant, afin d’assurer la plus grande liberté de lier, la jurisprudence française a strictement circonscrit son interdiction. Elle se trouve en effet strictement limitée à la page contenant des contrefaçons. Les juges ont retenu que le lien est illicite non pas lorsqu’il mène simplement vers le site de stockage de la contrefaçon, mais directement vers la copie illicite. Ce principe pourra souffrir une exception. Des juges ont en effet pu retenir que des liens menant vers des sites de téléchargements illégaux constituaient des contrefaçons seulement si le site en lui-même est illégal . Il nous semble que cette solution manque de précision. En effet, si en l’espèce le lien menait vers le site de peer to peer appelé Jiggle qui était effectivement substantiellement contrefaisant, le jugement ne se prononce pas sur le seuil à atteindre afin que le site soit considéré comme illicite et que l’établissement de liens soit interdit. Le droit américain a apporté une réponse à cette problématique. En effet, dans l’arrêt Napster , les juges ont relevé que lorsque la majorité des contenus est illicite le site doit être considéré comme illégal à moins qu’il ne passe un test de fair use. Le seuil introduit par l’arrêt Napster est particulièrement favorable aux contrefacteurs car il laisse une importante marge de tolérance en matière de contrefaçon qui va bien au-delà de l’exception de minimis. Néanmoins, lorsque le site de peer to peer ne présente qu’une partie non substantielle de contrefaçons, il nous semble que la liberté de lier vers le site ne devrait pas être brimée, surtout lorsque les contrefaçons sont mises en ligne par des tiers au propriétaire du site.

635. La solution française est en outre largement partagée en Europe bien que les approches diffèrent. Seuls la Suède et les Pays-Bas – qui ont adopté des systèmes mixtes entre le droit d’auteur et le copyright – ne condamnent pas la création de liens vers des contrefaçons. La solution pourrait être amenée à changer car la CEDH a retenu dans l’arrêt Magyar Jeti ZRT c. Hongrie le même raisonnement que l’arrêt GS Médias. Il existe donc globalement un clivage entre l’Union Européenne et les États-Unis sur cette question, que l’arrêt Svensson et l’ordonnance Bestwater ont réaffirmé en retenant qu’un lien représente une œuvre s’il la communique à un public nouveau – reprenant ainsi la position suggérée par le Forum des droits sur l’Internet .

636. Or, étant donné qu’une contrefaçon est communiquée à un public n’ayant pas eu accès à l’œuvre licite et que l’auteur n’a pas pu vouloir viser ce public, il y a lieu de considérer qu’un lien menant vers une contrefaçon la communique à un public nouveau et constitue par conséquent une contrefaçon. Il en ira ainsi notamment lorsque le lien permet de contourner les mesures techniques d’un site.

2) Le contournement de mesures techniques par les liens

637. Nous assistons désormais à un mouvement de privatisation de l’Internet surnommée la deuxième enclosure , en référence à la séparation des terres agricoles en Angleterre à la fin du XVIIIe siècle , marqué par la parcellisation de l’Internet. Cette tension reflète le conflit entre le droit d’auteur et le droit d’accès à Internet.

638. Les mesures techniques de protection sont le résultat du constat que le droit n’assure pas, à lui seul, une protection efficace des auteurs. A donc émergé l’idée – matérialisée à l’article 11 du traité OMPI sur le droit d’auteur de 1996 – qu’un triple niveau de protection devait être assuré. Tout d’abord, le droit doit poser une interdiction. Dans un second temps, une mesure technique vient empêcher l’utilisation contraire à la volonté de l’auteur. Enfin, le droit interdit le contournement des mesures techniques . En limitant l’accès aux œuvres, les mesures techniques efficaces limitent l’accès à la culture en violation de l’article 27 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme – ratifié par la France et les États-Unis mais n’y ayant aucune force obligatoire – ainsi que l’accès à l’Internet dans le but de protéger le premier volet du droit à la culture que constitue le droit d’auteur.

639. L’article 11 du traité de l’OMPI interdit le contournement des mesures techniques efficaces. Or, les liens peuvent contourner les mesures techniques efficaces s’ils sont dotés des éléments techniques nécessaires. Dès lors, la création d’un lien vers une page contenant une mesure technique efficace et permettant son contournement devra être considérée illégale conformément à l’article 11 du traité de l’OMPI dès lors qu’elle contient des œuvres protégées. Les traités OMPI ont donc conféré un droit de mise à disposition qui, s’il ne constitue pas un droit d’accès absolu , autorise une restriction de l’accès sur Internet . Cela permet certes aux auteurs de maintenir l’état de rareté artificielle de leurs œuvres, mais ce faisant, ils participent de l’enclosure de l’Internet. Les juges européens ont eu l’occasion, à l’inverse des juges américains, de statuer sur la question.

640. La CJUE s’est conformée à la ratio legis de l’article 11 du traité OMPI en retenant explicitement dans l’arrêt Svensson que les hyperliens peuvent contourner les mesures techniques efficaces et, ce faisant, ils communiqueront l’œuvre à un public non visé initialement qui sera donc considéré comme nouveau . Le second critère de la représentation, à savoir le nouveau public, peut ainsi être opposé dès lors qu’un lien contourne une mesure technique efficace. L’arrêt Svensson rejoint ainsi une position largement partagée par la doctrine qui considérait que l’établissement du lien est libre tant que l’auteur n’a pas eu recours à des systèmes de limitation de l’accès à ses œuvres .

641. La jurisprudence américaine n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur ce point. Elle se fonderait sur la section 1201(a)(1) du Copyright Act interdisant le contournement des mesures techniques efficaces. Le DMCA n’introduit pas expressis verbis un droit d’accès, c’est-à-dire la possibilité pour l’auteur de contrôler la lecture ou le visionnage de son œuvre. Cependant, les dispositions de la section 1201 ont amené une partie de la jurisprudence à l’admettre. Il a ainsi été retenu que les mesures permettant de limiter un accès constituent des mesures techniques de protection qui ne peuvent être contournées. Cette solution ouvre la voie, par analogie, à l’interdiction de créer des liens vers des sites protégés par des mesures techniques efficaces . Il y a donc lieu de penser que les juges interdiront, comme au sein de l’Union Européenne, les liens contournant les mesures techniques installées sur un site. La difficulté réside dans l’incapacité des mesures techniques de protection de distinguer entre les usages interdits et ceux autorisés sur le fondement des exceptions , ce qui remet en cause l’équilibre du droit d’auteur entre les intérêts en présence.

642. Le mouvement de la seconde enclosure est le résultat d’une déficience du marché. En effet, les ayants droit ne perçoivent pas de revenus des moteurs de recherche lorsque les œuvres sont placées sur l’Internet libre. Dès lors, afin non seulement de conserver l’état de rareté artificielle sur leurs œuvres et d’obtenir des revenus, l’installation de mesures techniques devient nécessaire. Il est donc urgent d’imposer aux moteurs de recherche de partager leurs revenus avec les créateurs afin de conserver le caractère ouvert de l’Internet et ce, même si l’importance des coûts et la faible rémunération des ayants droit nuancent l’intérêt de recourir aux mesures techniques de protection . Nous recommandons a minima d’introduire l’obligation pour les moteurs de recherche de proposer une option permettant aux propriétaires de sites Internet d’obliger à la visualisation d’une publicité à la suite du clic sur un lien menant vers l’œuvre. Les auteurs obtiendraient ainsi la rémunération qu’ils attendent en limitant l’accès à leur site et les internautes bénéficieraient de l’accès gratuit aux œuvres.

643. Les interdictions de lier vers certains contenus impliquent que les créateurs de liens devront contrôler le contenu de la page liée.

B) L’obligation de contrôle

644. Les droits américain, européen et français ont placé un devoir de contrôle de la page liée sur les créateurs de lien. Le seuil de contrôle n’a pas été précisé mais il semble relativement bas aux États-Unis étant donné qu’il suffira, lorsqu’un site contient un logiciel de contournement des mesures techniques, qu’il soit substantiellement non contrefaisant pour que le lien puisse être créé, ce qui ne nécessite pas un contrôle important. La jurisprudence française retient traditionnellement que les utilisateurs s’exonèrent de leur responsabilité s’ils n’avaient pas les moyens de suspecter l’erreur de fait ou de droit . Ce fondement a rarement l’occasion d’exonérer les créateurs de liens. L’obligation faite aux créateurs de liens est le fruit d’une application à l’Internet de solutions déjà connues en droit français. Les utilisateurs d’une œuvre ont en effet traditionnellement un devoir de contrôle des œuvres très stricte. Le seuil s’avère ainsi élevé et participe à la création d’une infraction matérielle du droit d’auteur , certes classique, mais qui n’est pas souhaitable pour les créateurs de liens n’agissant pas en qualité de professionnel. Le droit américain n’imposant pas un tel contrôle s’avère beaucoup plus libertaire que le droit européen.

645. La CJUE a pris la mesure de cette difficulté dans l’arrêt GS Media BV c. Sanoma . Les juges européens ont souligné la nécessité d’établir un équilibre entre « l’intérêt des titulaires des droits d’auteur » et la « protection des intérêts et des droits fondamentaux des utilisateurs d’objets protégés, en particulier de leur liberté d’expression et d’information ». Cet équilibre est d’autant plus important que les ayants droit engagent la responsabilité des créateurs de liens dans le souci stratégique de limiter une course infinie à la fermeture des sites contenant des contrefaçons. Les demandeurs avaient eu recours à cette stratégie dans l’arrêt GS Media . Les intérêts des utilisateurs étaient menacés en amont dès lors que la responsabilité du créateur du lien se trouve engagée même si aucun internaute ne l’utilise . La jurisprudence européenne adopte ainsi un raisonnement déjà connu aux États-Unis. En effet, dans l’arrêt Diebold , les juges ont retenu que la liberté d’expression pouvait justifier l’établissement d’un lien vers une contrefaçon en se fondant sur l’exception de fair use et ce, alors que les jurisprudences des deux côtés de l’Atlantique refusent traditionnellement de confronter le droit d’auteur ou le copyright à la liberté d’expression. En l’espèce, des internautes avaient mis en ligne des e-mails relatifs au manque de fiabilité de machines de votes et des liens ont été créés vers ces e-mails. La société d’où provenaient les e-mails litigieux affirmait qu’ils étaient mis en ligne en contravention du copyright et que les liens qui y mènent sont par conséquent illégaux. L’arrêt Diebold a retenu que le copyright ne peut être interprété comme un moyen de bloquer la liberté d’expression dans la mesure où il constitue, au contraire, un droit visant à inciter à la création d’œuvres et donc à l’expression. Partant, la création de liens vers des œuvres protégées mises en ligne sans autorisation sera légale dès lors qu’elle est soutenue par la liberté d’expression. En évitant que le copyright ne devienne un instrument de censure, la jurisprudence américaine assure l’accès aux informations et par conséquent à la culture. La jurisprudence européenne n’a pas eu l’occasion de trancher une question aussi extrême mais elle adopte une perspective similaire en acceptant d’établir un équilibre entre les intérêts divergents dont le droit d’auteur. L’approche européenne s’avère cependant plus économique et moins fondamentaliste que celle adoptée aux États-Unis. Elle tranche avec le système traditionnel des exceptions qui introduit la prise en compte d’intérêts divergents dans une seconde étape du raisonnement du droit d’auteur. Désormais, la prise en compte des libertés fondamentales dans le cadre d’un test de proportionnalité des intérêts antagonistes dessinant le contenu du droit d’auteur. Cette nouvelle approche perturbe la prévisibilité ainsi que la cohérence du système .

646. L’arrêt GS Media BV c. Sanoma a ainsi redéfini l’équilibre entre les intérêts des ayants droit et celui des internautes en se fondant sur la conscience du caractère contrefaisant de la copie liée . La CJUE interdit ainsi aux États membres de déroger à cette approche , qui devrait constituer le critère central de la définition de l’acte de communication au public comme l’a retenu l’avocat général dans l’affaire Wullem en se fondant sur les arrêts GS Média et Phonographic Performance (Ireland) . La jurisprudence ayant confirmé cette solution, la critique de l’imprévisibilité du régime juridique doit donc être écartée. La sécurité juridique semble donc assurée conformément à l’objectif de la directive 2001/29/CE. Le rôle du créateur du lien doit être incontournable pour que sa responsabilité puisse être engagée . C’est ainsi le rôle de facilitateur de l’accès à la contrefaçon qui se voit sanctionné . Ce qui est ainsi visé c’est la volonté de communiquer une œuvre à autrui . Le critère ne surprendra pas complètement l’observateur averti qui aura remarqué que la CJUE vise l’élément intentionnel dans la moitié de ses arrêts portant sur le droit de communication . Cet équilibre penche plus en faveur de la liberté de communication que du droit d’auteur. La solution pourra s’avérer regrettable dès lors que les juges ont élaboré cette règle en ayant à l’esprit une photo de charme – qu’ils ont assimilé à une information – et non pas une œuvre exprimant une opinion . Les créateurs de liens agissant à but non lucratif sont supposés ne pas avoir connaissance du caractère contrefaisant de la copie liée . Néanmoins, si l’internaute agissant à but non lucratif « savait ou devait savoir » que le lien mène vers une contrefaçon, il aurait pour effet de communiquer l’œuvre au public et enfreindrait par conséquent les dispositions de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2001/29/CE . Le critère de connaissance devient donc constitutif de la contrefaçon et rapproche par conséquent le régime de responsabilité des créateurs manuels de liens de celui des hébergeurs . L’arrêt GS Media étend ainsi la solution que les arrêts Del Corso , ITV et surtout Premier League avaient retenue. Dès lors, bien qu’il s’agisse de régimes de responsabilité directe, le droit européen a introduit un ersatz de responsabilité secondaire relativement similaire à celui en vigueur aux États-Unis . En recourant à des formulations différentes laissant planer un doute sur la cohérence de la construction, les juges ont retenu que le caractère lucratif figure parmi les éléments les plus pertinents à prendre en considération afin de déterminer s’il existe un acte de communication . L’arrêt ITV – puis l’ordonnance du 14 juillet 2014 dans l’affaire Sociedade Potugesa de Autores – avaient pourtant retenu que le critère était « non dénué de pertinence ».

647. La présomption fonctionne en sens inverse pour les créateurs de liens agissant à but lucratif. En effet, il leur est demandé d’effectuer les « vérifications nécessaires pour s’assurer que l’œuvre concernée n’est pas illégalement publiée sur le site auquel mènent […] les liens hypertexte ». Dès lors, les juges de Luxembourg ont établi une présomption « que le placement est intervenu en pleine connaissance de la nature protégée de ladite œuvre et de l’absence éventuelle d’autorisation de publication sur Internet par le titulaire du droit d’auteur ». Il s’agit néanmoins d’une présomption réfragable qu’il sera particulièrement difficile de renverser. Cette approche est sans doute conforme à une dichotomie entre l’Internet à titre non-lucratif qui bénéficie d’un régime juridique plus favorable que l’Internet lucratif . Elle soulève néanmoins la difficulté de la définition de la gratuité sur l’Internet .

648. Ce critère pourra donc avoir sa cohérence – bien que la CJUE l’a sorti de son chapeau – étant donné qu’il s’avère conforme à l’objectif de protection élevée du droit d’auteur . Néanmoins, il ne constitue pas traditionnellement un critère de responsabilité mais tout au plus d’exonération . Une autre complexité réside dans le fait qu’il présente la difficulté principale de ne pas être défini et de laisser une place importante à la casuistique judiciaire d’autant plus délicate à résoudre que les modèles de rémunérations sur internet sont parfois indirects . Il sera sans doute nécessaire d’opérer la même distinction que celle opérée entre les associations à but non lucratif et les sociétés à but lucratif. Il s’agirait alors d’un usage professionnel . Dès lors, un intérêt économique ne suffira pas à lui seul pour écarter le bénéfice de la présomption d’ignorance tant que les bénéfices se limitent à la couverture des frais de fonctionnement du site et notamment du paiement de l’hébergement. La définition du caractère lucratif fera peut-être l’objet d’une nouvelle question préjudicielle à la Cour de Justice de l’Union Européenne qui pourra s’inspirer de l’arrêt Wikimedia de la Cour Surpême suédoise . Dans cette affaire, il a été retenu que le site Wikimedia – qui affirmait agir dans un but non lucratif – ne bénéficiait pas de l’exception de panorama dès lors que sa base de données pouvait présenter une valeur commerciale même si elle n’était pas importante. Cette solution risque d’être influente mais nous appelons à l’écarter étant donné qu’elle place le seuil de qualification de l’activité lucrative à un niveau trop bas dès lors que les tiers – et non pas les propriétaires des sites – peuvent mener une activité lucrative. Il nous semble que le contrôle de l’activité lucrative devrait être limité au seul site et non pas aux activités des tiers.

649. En outre, les droits d’auteur français et européen ne retiennent traditionnellement pas que la connaissance est constitutive de la contrefaçon. Le droit d’auteur est en effet un régime de responsabilité de plein droit . La connaissance – et donc la mauvaise foi – n’interviennent traditionnellement qu’au stade de la détermination du régime de responsabilité pénale et non pas de celui de l’existence de la violation du droit, comme cela est traditionnellement le cas en copyright américain pour la contrefaçon directe . Cette confusion est déjà partiellement connue en droit américain étant donné que les copyright management informations ne sont violés que si le défendeur a l’intention d’aider à commettre une contrefaçon . Il ne s’agit cependant pas d’un raisonnement complètement nouveau en France où le droit reconnaît, avec l’usucapion , le principe de la titularité du droit de propriété par la bonne foi. En outre, la bonne foi intervient dans la titularité du simili-droit d’auteur des œuvres posthumes . L’intervention de la bonne foi, qui était jusqu’alors largement périphérique, intervient désormais en droit d’auteur européen. Pour ajouter à la confusion, la bonne foi n’intervient que lorsque le droit d’auteur est appliqué à un hyperlien. Si le résultat peut apparaître satisfaisant, le raisonnement est pour le moins confus. L’Avocat Général dans les arrêts Filmspeler et Ziggo a ouvert la porte à la « prise en compte de la connaissance de la contrefaçon uniquement au regard de la responsabilité de la personne qui facilite la contrefaçon, et non comme critère pour déterminer si cet acte est en soi une communication au public ». Il n’est donc pas requis que l’intervention de l’intermédiaire soit nécessaire à la communication de l’œuvre. Le simple rôle de facilitateur suffira pour sanctionner le contrefacteur . L’Avocat Général dans l’affaire Filmspeler estime – avec raison selon l’ALAI – que le critère de connaissance s’avère pertinent pour les communications secondaires uniquement. L’ALAI recommande ainsi à la jurisprudence de se focaliser sur le caractère « délibéré de la contrefaçon » – critère repris par l’arrêt GS Média – reconnaissant ainsi l’importance du critère de connaissance.

650. La CJUE n’écarte pas le principe de l’illicéité de l’établissement d’un lien vers une copie contrefaisante. Cependant, en se fondant sur la charge de la preuve, elle permet d’assouplir la rigidité du droit d’auteur en faveur des créateurs de liens agissant à titre non lucratif. Cette distinction entre internautes agissant soit à titre onéreux soit sans but lucratif est le fruit d’une prise en compte des idéaux de l’Internet. Le réseau a en effet été pensé comme un espace libéré du droit et du marché. Les logiques lucratives n’ont donc pas vocation à s’y appliquer. Dès lors, la CJUE distingue entre les utilisations non lucratives de l’Internet auxquelles le droit ne sera pas opposé – sauf si le créateur de lien avait connaissance du caractère illicite de la copie – et les utilisations lucratives s’excluant d’elles-mêmes des idéaux de l’Internet et auxquelles il est cohérent d’appliquer le droit dans toute sa dureté.

651. Cette prise en compte de la dimension lucrative permet au droit européen de converger partiellement vers le droit américain. En effet, les créateurs de liens substantiellement contrefaisants pourront voir leur responsabilité engagée en droit américain s’ils tirent des bénéfices de cette activité . Cette approche est cohérente avec la réticence américaine à condamner sévèrement les contrefaçons sans but commercial car les reproductions à but non lucratif pourront bénéficier plus facilement de l’exception de fair use. Dans l’arrêt Columbia Pictures Industries, Inc. v. Fung , le moteur de recherche avait créé des liens qui menaient vers des contrefaçons dans au moins 90 % des cas. La proportion de 90 % semble constituer un seuil inacceptable des deux côtés de l’Atlantique comme l’a retenu l’Avocat Général de la CJUE dans l’affaire ZIGGO, mais chaque État membre reste souverain pour préciser le niveau à partir duquel l’illicéité du site sera retenue . Le site source était contrefaisant et maintenait des liens vers des contrefaçons attirant des publicitaires. Le critère des revenus issus de la contrefaçon était par conséquent opposable au créateur automatique de liens et il ne pouvait être argué qu’il n’avait pas connaissance de la présence de contenus illicites. La prise en compte de la dimension économique d’une contrefaçon est donc au cœur de l’établissement de la responsabilité des droits européen et américain.

652. Le droit européen, plus que le droit américain, introduit par conséquent un mécanisme juridique afin d’amener les internautes à exclure les sites présentant des contenus illégaux. Il s’agit d’un mécanisme d’autorégulation de type Webring. Le Webring consiste en effet à exclure les offres ou les acteurs d’une place de marché lorsqu’ils ne respectent pas ses règles . Le régime juridique des liens manuels diverge donc entre les systèmes français et américain, mais il converge largement en matière de liens automatiques.

II) Le principe de la responsabilité personnelle des créateurs de liens

653. Les principes de l’absence de surveillance du site (A), ainsi que l’absence de responsabilité pour autrui (B), ont permis aux deux systèmes de converger partiellement sur la question de la légalité des liens menant vers des contenus illicites.

A) L’absence de contrôle à la suite de la création du lien

654. Les jurisprudences française et américaine n’ont jamais retenu que le créateur manuel de liens a une obligation de surveillance du contenu lié, mais seulement de contrôle au moment de la création du lien. L’obligation de surveillance n’a ainsi pas été appliquée aux liens manuels et n’a pas vocation à l’être.

655. En effet, l’obligation de surveillance ne peut logiquement être imposée que sur une personne ou une chose sur laquelle un agent a la garde. Or, même si les jurisprudences française et américaine ont pu se montrer accueillantes dans l’appréciation de la garde, le créateur de lien n’est pas le gardien de la page liée dans la mesure où il n’a aucun contrôle sur elle. Le créateur de lien ne peut donc pas engager sa responsabilité pour un acte commis par autrui.

656. Cette solution est confortée par un rapport européen de 2007 qui retient que les créateurs manuels de liens ne peuvent engager leur responsabilité pour les changements intervenus sur la page liée à la suite de la création du lien dans la mesure où ils n’en sont pas informés. Le rapport nuance toutefois cette affirmation en affirmant que dans les cas où la procédure de notice and takedown est initiée, les créateurs de liens ont connaissance des modifications et peuvent donc engager leur responsabilité. Le critère utilisé est le même que celui auquel ont eu recours les législateurs américain et européen pour les créateurs automatiques de liens. En effet, les créateurs automatiques de liens n’engagent leur responsabilité pour les liens menant vers des contrefaçons que s’ils ont connaissance du caractère illicite du contenu. La convergence des deux régimes autour d’un principe unique permet une meilleure lecture du droit par tous les créateurs de liens. Les jurisprudences française et américaine n’ont pas eu l’occasion de trancher cette question mais il y a lieu de penser qu’elles écarteraient la responsabilité du créateur de lien lorsque le contenu de la page liée est modifié postérieurement à la création du lien.

657. Cette approche est corroborée par la solution en vigueur en Allemagne. La jurisprudence allemande a en effet eu l’occasion de se prononcer sur cette question dans une affaire concernant la responsabilité pour le changement d’un contenu postérieur à l’établissement d’un lien. Dans l’arrêt Radikal le parquet allemand, qui considérait que la création du lien était assimilée à un acte de distribution de textes illicites, poursuivait Madame Marquardt pour avoir établi un lien vers un site d’éco-terrorisme qui était interdit. L’action publique n’a pas abouti parce que la prévenue avait installé le lien avant que ne paraisse l’article incriminé. Le tribunal a retenu que l’on ne pouvait condamner la prévenue pour son absence de contrôle périodique du contenu du site lié. La solution inverse aurait abouti à mettre à charge de celui qui place le lien une obligation de surveillance très lourde sans régler la question de la périodicité des contrôles. Bien que cette affaire ne concerne pas le droit d’auteur, elle est riche d’enseignement dans la mesure où le raisonnement est tout à fait applicable au domaine de la propriété littéraire et artistique. En effet, le créateur de lien n’engage pas sa responsabilité pour les modifications qui peuvent être apportées postérieurement à la création d’un lien et ce, même si le contenu concerne des activités terroristes. A fortiori le créateur de lien n’aura pas d’obligation de surveillance des contenus liés afin de s’assurer qu’ils ne violent pas le droit d’auteur , car il n’y a pas lieu de penser que les droits européens et américain placent une obligation de surveillance du respect du droit d’auteur là où il n’existe aucune mesure en matière de lutte contre le terrorisme.

658. Le raisonnement de la juridiction allemande apparaît transposable en droit français et américain, renforçant ainsi la liberté de lier. Cependant, les créateurs de liens supporteront la charge de la preuve du contenu du site au moment de la création du lien. Ils auront ainsi tout intérêt à se créer des preuves du contenu des pages liées, ce qui constitue un formalisme supplémentaire pesant sur la liberté de lier. Il sera néanmoins facile de constituer une preuve par une capture d’écran ou par une impression de la page cible. Les créateurs de liens ne sont donc pas responsables des changements opérés sur la page qu’ils lient à leur insu, ni des liens présents sur la page cible. Il n’y a donc pas lieu de surveiller une chose, à savoir la page, ni autrui.

B) L’absence de responsabilité pour autrui

659. Sur l’Internet une page ne serait jamais à plus de 19 clics d’une autre page . Cette estimation est imparfaite étant donné que tous les sites ne bénéficient pas de la même intégration au sein du réseau Internet. Néanmoins, se pose la question de savoir si un créateur de lien engage sa responsabilité par contamination si un lien se trouvant sur la page cible mène vers un contenu illicite. Étant donné que les sites ne sont jamais très distants les uns des autres, cela imposerait une obligation de contrôle particulièrement lourde.

660. L’Association Littéraire et Artistique Internationale a suggéré que la création d’un lien vers un site proposant des liens vers d’autres sites n’engage pas la responsabilité du créateur du premier lien. Cette suggestion n’a aucune valeur obligatoire mais propose une synthèse de la réflexion d’experts internationaux du droit d’auteur relevant de traditions juridiques différentes. La doctrine française avait adopté la même solution en suggérant que la responsabilité du premier site renvoyant vers un second site menant lui-même vers un troisième site ne puisse être engagée du fait du second lien . Ce principe a été affirmé par la jurisprudence américaine.

661. Elle a en effet été saisie de la question dans l’arrêt Bernstein v. Penney . En l’espèce, la publicité d’un parfum se trouvait sur un site lié par un site de base de données cinématographique lui-même lié à un site universitaire suédois contenant des contrefaçons des photos du demandeur. Les sites étaient ainsi liés entre eux selon le schéma suivant :

662. Les juges ont retenu que le copyright n’était pas violé par le lien du défendeur qui menait vers la base de données cinématographiques. Il n’existe donc pas d’obligation de contrôle des liens se trouvant sur la page cible. La jurisprudence française n’a en revanche pas encore eu l’occasion de se prononcer sur la question. Cependant, les décisions concernant la responsabilité pour l’établissement des liens se réfèrent au contenu contrefaisant de la page liée et ne mentionnent jamais l’accessibilité de contrefaçons à partir de la page liée. L’obligation de contrôle est limitée à la page liée et ne s’étend pas aux sites liés par le site cible. Les juges français ne se sont pas prononcés sur la question mais étant donné que le principe de la responsabilité pour autrui doit être entendu de la façon la plus restrictive dans un souci d’égalité entre les citoyens, il n’y a pas lieu de penser que les juges étendraient l’obligation de surveillance aux sites liés par le site cible. En outre, l’arrêt GS Media BV c. Sanoma adopte une conception restrictive de l’obligation de surveillance. Il n’y a donc pas lieu de penser que les juges emprunteront le chemin inverse et augmenteront l’obligation de surveillance pesant sur les créateurs de liens.

663. Cette solution est heureuse dans la mesure où elle assure une sécurité juridique satisfaisante pour les créateurs de liens qui n’ont l’obligation de contrôler que les contenus présents sur la page liée et non pas les liens qui s’y trouvent. À défaut, les internautes auraient fortement diminué la création de liens . En outre, cette position renforce la liberté d’entreprendre ainsi que l’accès à Internet en permettant aux acteurs d’augmenter le nombre de liens sans engager trop facilement leur responsabilité.

664. Les créateurs de liens manuels ont donc une obligation circonscrite de contrôler le contenu de la page liée. Ce devoir ne peut s’analyser en une obligation de surveillance d’autrui. Eu égard à tous ces constats nous proposons la réforme suivante – qui rejoint les propositions du Conseil Supérieur de la propriété littéraire et artistique – qui s’inspire en substance les développements que nous venons de présenter (les propositions de modification sont en italique et en gras) :

L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle

10°) La constitution d’un ou de plusieurs hyperliens manuels, dans un but non lucratif, vers une œuvre accessible sans restriction, est libre, sous réserve de respecter les droits moraux des auteurs et que la mise à disposition ne se substitue pas à l’œuvre originale.

La constitution d’un ou de plusieurs hyperliens manuels créés dans un but lucratif sera licite, sous réserve de respecter les droits moraux, lorsqu’une rémunération sera versée au propriétaire de la page liée. Les modalités de rémunération sont libres.

L’établissement d’un hyperlien vers une contrefaçon est toujours interdit. La responsabilité du créateur de lien ne sera engagée qu’en cas d’établissement volontaire du lien.

665. En effet, il y a lieu d’ajouter à l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle – relatif aux exceptions au droit d’auteur – un 10° relatif à la constitution d’un hyperlien manuel. L’exception codifierait la distintion opérée par l’arrêt GS Media c. Sanoma dans la mesure où elle permettrait aux internautes établissant un hyperlien sans but lucratif de ne pas rémunérer le propriétaire de la page liée. En revanche, les créateurs d’hyperliens à but lucratif seraient tenus de rémunérer le propriétaire de la page ciblée. Les modalités de rémunération seraient libres. Cela impliquerait que les créateurs de liens pourraient rémunérer les propriétaires de sites Internet par le paiement d’une somme forfaitaire ou proportionnelle au nombre de clics sur le lien, ou par la présentation d’une publicité à la suite du clic sur le lien. Il nous semble que, dans ce dernier cas, il devrait être permis au créateur de lien de répartir la rémunération publicitaire de façon raisonnable entre le propriétaire de la page cible et lui-même étant donné qu’il aura effectué un travail en créant le lien. Cela permet de résoudre le conflit entre les ayants droit et les créateurs de liens en faisant intervenir la figure de tiers – l’internaute et le publicitaire – qui rémunéreront les deux parties. Il nous semble que leur intervention permet d’inclure toutes les parties prenantes dans l’établissement d’un régime de financement culturel qui ne mettrait pas en danger le développement de l’Internet. Il y a sans doute lieu de laisser le marché réguler la question de la répartition des revenus. Cependant, s’il s’avérait que les rémunérations étaient trop favorables aux créateurs de liens, il pourrait être nécessaire de procéder à des accords entre les auteurs et des représentants des internautes.

666. Les liens à but gratuit ou lucratif devraient respecter les droits moraux des auteurs. Cette proposition nécessiterait une intervention du législateur européen étant donné que les exceptions de l’article 5 de la directive 2001/29/CE sont limitatives. L’Union Européenne n’est cependant peut-être pas compétente pour légiférer en matière de droits moraux étant donné qu’ils n’ont pas d’impact direct sur le marché commun. Enfin, les liens ne pourront pas se substituer à l’œuvre et ne pourront servir qu’à les référencer. Il nous semble que le raisonnement de l’arrêt Microfor qui avait retenu que la reproduction d’œuvres protégées était licite dès lors qu’elle se limitait à leur référencement a vocation à être réutilisé pour les hyperliens. Il y a lieu de lui conférer le statut d’exception obligatoire car l’Internet constitue un espace unique sur lequel il est de bonne justice d’appliquer une réglementation unique en Europe.

667. Le régime de la création des liens automatiques s’avère encore plus favorable au développement de l’Internet.

Paragraphe 2 : La responsabilité des créateurs automatiques de liens

668. En ce qui concerne les liens automatiques vers des contenus illicites, les deux droits ont largement convergé. En effet, ils s’accordent à les interdire tout en faisant bénéficier les prestataires techniques d’un régime de responsabilité limitée leur permettant de n’engager leur responsabilité que s’ils ne réagissent pas promptement lorsqu’ils ont connaissance de la présence d’un contenu illicite sur une page liée . Le principe est donc l’interdiction de lier vers des contrefaçons. Les législateurs ont cependant pris en compte les spécificités des créateurs automatiques de liens qui ont recours à des machines sans contrôle humain direct. Il n’est en effet pas possible de leur appliquer le même régime juridique que pour des liens créés par des personnes humaines. Le temps de réaction laissé aux créateurs automatiques de liens ne remet donc pas en cause le principe de l’interdiction de lier vers des contenus illicites mais l’adapte aux spécificités des intermédiaires techniques.

669. Les États-Unis ont été les précurseurs en la matière en introduisant le Digital Millenium Copyright Act. L’exemple américain a inspiré l’Union Européenne. Cette dernière a en effet été influencée par les dispositions du DMCA pour rédiger la directive e-commerce. L’Union Européenne a cependant largement simplifié les dispositions américaines tout en poursuivant le même objectif de la stimulation de la création de prestataires de services sur Internet . Ainsi, l’Union Européenne et les États-Unis visent à soutenir le développement du secteur économique de l’Internet en établissant des régimes juridiques favorables aux intermédiaires techniques.

670. Si le DMCA américain brille par sa complexité , la directive européenne souffre sans doute d’une trop grande simplification. La directive européenne n’a en effet pas abordé le régime juridique applicable aux moteurs de recherche alors même que la section 512(d) du Copyright Act le prévoyait expressément. L’Union Européenne avait donc une solution dont elle pouvait s’inspirer en la matière. Face à cette faiblesse de la réglementation européenne, les juges de Luxembourg ont été saisis afin de déterminer le régime juridique applicable aux moteurs de recherche. Dans l’arrêt du 23 mars 2010, la CJUE a ainsi convergé vers les dispositions de la section 512(d) du Copyright Act en retenant que les moteurs de recherche jouissent du régime de responsabilité limité applicable aux hébergeurs . Par conséquent, dans les deux systèmes, les créateurs automatiques de liens que sont les moteurs de recherche bénéficient de régimes de responsabilité limitée.

671. Le régime de responsabilité allégée ne signifie pas que l’établissement de liens vers des contenus illicites par les prestataires techniques devient légal, mais que les moteurs de recherche n’engagent pas automatiquement leur responsabilité lorsqu’ils créent des liens vers des contenus illégaux. Le régime est donc plus favorable que pour les créateurs manuels de liens qui engagent automatiquement leur responsabilité – du moins en droit français – lorsqu’ils mènent vers des contrefaçons et selon les modalités de l’arrêt GS Media pour le droit de communication au public. Les contenus illégaux ont été définis dans le rapport du Département du Commerce comme « the wrongful activity that is occurring at the location to which the user is linked or referred by the information location tool, without regard to whether copyright infringement is technically deemed to have occurred at that location or at the location where the material is received ». La jurisprudence française adopte une solution similaire en retenant qu’est illicite la page présentant un contenu illégal.

672. Les régimes de responsabilité des deux systèmes sont largement fondés sur la notion d’ignorance des prestataires techniques. Leur responsabilité n’est en effet pas engagée automatiquement parce que les législateurs considèrent que les logiciels utilisés ne sont pas en mesure d’alerter les propriétaires sur la présence de contenus contrefaisants. Néanmoins, si les créateurs automatiques de liens ont connaissance de l’illégalité du contenu vers lequel ils mènent, ils s’exonèrent de leur responsabilité dès lors qu’ils agissent promptement pour déréférencer la page.

673. C’est sur ces deux exceptions au régime de responsabilité de droit commun que réside la sécurité juridique des moteurs de recherche. Il y a donc une séparation de l’acte illégal et de la responsabilité de l’entité qui en est à l’origine en droit américain et européen. Cette solution est cependant logique dans la mesure où une machine ne peut en effet s’ériger en juge des activités humaines et ne peut engager la responsabilité d’une personne. Les régimes de responsabilité des créateurs de liens sont donc intimement liés à la connaissance de la présence d’une contrefaçon sur la page liée. Les créateurs automatiques de liens bénéficient donc d’un régime similaire à celui en vigueur au sein de l’Union Européenne pour les internautes créant des liens sans but lucratif dans la mesure où ils bénéficient d’une présomption d’ignorance de la présence d’un contenu illicite sur la page cible.

674. Les régimes de responsabilité des créateurs de liens sont donc le fruit d’un équilibre entre leurs intérêts et ceux des auteurs. Si les solutions des droits français et américain convergent assez largement en ce qui concerne les droits patrimoniaux, il n’en va pas de même pour les droits moraux ainsi que pour le droit sui generis.

Conclusion du Chapitre 1

675. Les droits français, européen et américain convergent donc globalement sur le principe de la liberté de lier.

676. Il aura pourtant fallu redoubler d’innovation pour aborder toutes les questions impliquées par les terminaux numériques. Ainsi, alors que le droit d’auteur français et le copyright américain s’appliquent aux reproductions temporaires sur mémoire RAM ou mémoire cache, les différents systèmes juridiques ont créé des exceptions pour les autoriser. En effet, les auteurs ne détiennent pas de droit sur la prise de connaissance de leurs œuvres. Cette solution présente en outre la vertu d’encourager le développement de nouvelles technologies. Cependant, les approches sont trop techniques et risque d’être rapidement dépassées. Ainsi, les législateurs n’ont pas réalisé que les critères utilisés étaient erronés, et que le caractère de la durée de la copie par exemple était en fait celui du remplacement technique et automatique.

677. Outre les reproductions techniques, les deux droits se sont interrogés sur la possibilité pour un lien de reproduire une œuvre. Le droit français l’admet lorsque le lien a un rôle actif dans la présentation de l’œuvre. Le droit américain a en revanche adopté la solution contraire en retenant conformément au server test que l’œuvre était reproduite et représentée par le propriétaire du site ciblé.

678. Outre le droit de reproduction, le droit de représentation et ses équivalents fonctionnels aux États-Unis risquent de limiter la liberté de lier. En effet, le droit américain oppose la contributory liability lorsque le créateur de lien présente l’ancre dans un contexte contrefaisant. En France le régime est plus insécurisant pour le créateur de lien car il engage sa responsabilité non pas pour la présentation du site qu’il maîtrise mais en fonction du contenu du site lié. Un lien vers une contrefaçon est donc illicite. La CJUE avec les arrêts Svensson et GS Media a nuancé cette approche. Ainsi, le lien vers une contrefaçon sera illicite dès lors que le créateur de lien a connaissance de la présence d’une contrefaçon car l’œuvre se trouve communiquée à un public nouveau. Cependant, la présomption pèse uniquement sur le créateur de lien à but lucratif. La présomption sera en revanche inverse pour le créateur de lien à but non lucratif. Les observateurs s’étonneront du recours au critère de la volonté et de lucre constituent des éléments constitutifs de la contrefaçon.

679. Cependant, passée cette étape risquée pour le créateur de lien, il n’engagera plus sa responsabilité étant donné qu’il n’est pas soumis à une obligation de surveillance de la page liée. Il ne sera en outre pas tenu d’une responsabilité du fait d’autrui. Les liens présents sur la page liée peuvent donc être illicites sans engager la responsabilité du créateur de lien.

680. Eu égard à ces différentes remarques, nous proposons les réformes suivantes :

L. 311-4-2 du Code de la propriété intellectuelle

La rémunération prévue à l’article L. 311-3 est également versée par le propriétaire d’un serveur mandataire ou d’un système de mémoire cache destiné à la consultation en ligne.

Le montant de la rémunération est fonction de la durée ainsi que de la capacité d’enregistrement qu’il permet.

***

L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle

10°) La constitution d’un ou de plusieurs hyperliens manuels, dans un but non lucratif, est libre, sous réserve de respecter les droits moraux des auteurs et que la mise à disposition ne se substitue pas à l’œuvre originale.
La constitution d’un ou de plusieurs hyperliens manuels créés dans un but lucratif sera licite, sous réserve de respecter les droits moraux, lorsqu’une rémunération sera versée au propriétaire de la page liée. Les modalités de rémunération sont libres.
L’établissement d’un hyperlien vers une contrefaçon est toujours interdit.

681. En outre, eu égard à l’intérêt que représente la secondary liability américaine comme les développements précédents ont tenté de le démontrer, nous proposons d’introduire un régime similaire comme suit :

Chapitre VII Prévention de la contrefaçon indirecte du Code de la propriété intellectuelle
L. 337-1

L’établissement d’un modèle économique fondé sur
1° le contrôle d’un contrefacteur direct et,
2° la perception de revenus provenant de contrefaçons,
constitue une contrefaçon.

***

L. 337-2 du Code de la propriété intellectuelle

La fourniture de moyens permettant de commettre une contrefaçon est punie civilement comme un acte de contrefaçon.

***

L. 337-3 du Code de la propriété intellectuelle

L’incitation à commettre une contrefaçon est punie civilement comme un acte de contrefaçon.
La responsabilité pour contrefaçon ne sera pas opposable lorsqu’elle aura un objectif informatif, politique ou d’actualité.

Chapitre 2 : Les divergences en matière d’établissement de liens face aux droits moraux et aux droits sui generis

555. Les différences initiales entres les systèmes de droit d’auteur et de copyright se sont amplifiées à partir du XIXe siècle – où le droit français a reconnu l’existence de droits moraux aux auteurs – et à la fin du XXe siècle – où une conception utilitariste a poussé l’Union Européenne à intégrer une protection sui generis des bases de données.

556. Le droit américain s’est ainsi montré plus stable que le droit français qui, parti d’une approche utilitariste commune au droit américain – à savoir l’incitation à la création – a intégré une conception jus naturaliste au XIXe siècle avec les droits moraux jusqu’à la fin du XXe siècle. À cette époque, l’Union Européenne a adopté une approche utilitariste. Cependant, alors que les États-Unis sont restés attachés à une approche utilitariste centrée sur l’auteur et la création, l’Union Européenne a rédigé sa réglementation sui generis des bases de données à la lumière d’un état de la technique qui est intrinsèquement marqué dans le temps. En outre, la réglementation sui generis relève plus d’une volonté de puissance de l’Union Européenne – qui se voyait déjà à la fin du XXe siècle en économie la plus compétitive du monde dès le début des années 2010 – et qui souhaitait encourager et inciter la création de bases de données en Europe. Le changement d’approche ne relève donc pas tant d’un changement idéologique que d’une volonté de puissance économique pensée selon des conjectures économiques qui se sont révélées fausses. Comme nous le verrons par la suite, il nous semble que l’Union Européenne devrait prendre de la hauteur intellectuelle – comme le font les États-Unis – plutôt que de courir après un fantasme de grandeur économique fondé sur des conjectures économiques qu’elle n’arrive de toute évidence pas à comprendre.

557. Ainsi, le droit français assure une protection du droit moral (Section 1) qui nous semble protectrice de la sécurité culturelle des internautes, et des bases de données (Section 2) qui constituent en revanche un fardeau critiquable de la liberté de lier, alors que le droit américain est réfractaire à l’idée d’assurer une protection de ces deux prérogatives.

Section 1 : L’établissement des liens face aux droits moraux

556. Le droit moral s’est développé en France, au cours du XIXe siècle, dans le but de protéger les intérêts intellectuels de l’auteur. À cette époque, le droit d’auteur français se recentrait sur la figure de l’auteur et le public se trouvait petit à petit écarté du centre de gravitation du système de protection. Les États-Unis ont en revanche maintenu le statu quo et n’ont pas pris en considération les intérêts intellectuels des auteurs. Cette différence est non seulement le fruit des différences de mouvements artistiques – l’Europe connaissait à cette époque le mouvement romantique qui a exalté la figure de l’auteur alors que les États-Unis avaient adopté le mouvement naturaliste – mais aussi des types de productions culturelles de chaque pays . La France jouissait en effet d’un contexte plus propice au développement des beaux-arts alors que les États-Unis étaient encore un pays en construction et en expansion nécessitant des œuvres utilitaires où la littérature romanesque et les beaux-arts étaient perçus comme une perte de temps . Les œuvres utilitaires ou civiques qui se sont développées aux États-Unis présentent une dimension moins marquée d’intuitu personae que les œuvres des beaux-arts qui se sont développées en France et de manière générale en Europe. Il était donc cohérent que le droit français développe les droits moraux afin de protéger la dimension personnaliste des œuvres et que les États-Unis la rejettent.

557. Bien que les droits moraux soient apparus à une époque d’exaltation de la figure de l’auteur, ils assurent de façon accessoire l’intérêt du public. La jurisprudence française les a en effet introduit afin de protéger l’auteur dans le but « de faire respecter les choix culturels qu’il [lui] incombe de prendre dans l’intérêt général ». En effet, le droit moral vise à assurer la protection de la « personnalité intellectuelle » de l’auteur qui permet aux tiers d’identifier la « pensée créatrice » d’une œuvre. Or, et malgré la protection qu’il accorde au public, le droit moral n’a été introduit que limitativement en droit américain et le droit européen, qui assure pourtant un haut niveau de protection aux auteurs, n’a pas harmonisé cette prérogative .

558. Le droit américain n’a en effet pas adopté de réglementation ad hoc protégeant les prérogatives morales des auteurs avant le Visual Artists Rights Act (VARA) de 1990. Le droit américain rejette traditionnellement la notion de droit moral à cause notamment d’une mauvaise traduction. En effet, le terme « moral » en anglais se réfère à la morale et laisse dubitatif les juristes nés dans un système juridique sacralisant la liberté d’expression. Ils y voient un moyen d’interdire certains discours . Les juristes américains ont ainsi généralement mal interprété la notion de droit moral qu’ils comprennent à la lumière de son étymologie. Le droit français fait en effet fi de l’origine du terme « moral » qui vient du latin moralis signifiant « relatif aux mœurs ». Ce droit se réfère par conséquent à l’état d’esprit d’une société . Or un droit relatif aux mœurs risque effectivement d’introduire une censure des tiers à l’auteur. Le droit allemand utilise le terme de Urheberpersönlichkeitsrecht qui signifie la sensibilité de la personnalité de l’auteur. Si le terme présente l’inconvénient de ne centrer le droit moral que sur l’auteur en écartant les intérêts du public – qui ne sont que sous-entendus – il a l’avantage de souligner le fait que ce droit vise à protéger la conception que l’auteur se fait de son œuvre sans connotation moraliste. Ainsi, si l’Allemand avait été la langue de rédaction de la convention de Berne, les États-Unis auraient peut-être abordé différemment la question des droits moraux. Le droit américain n’assure qu’une protection a minima afin de respecter les dispositions de l’article 6bis de la convention de Berne mais n’a pas de véritable fondement intellectuel pour cette protection.

559. Le Visual Artists Rights Act (VARA) n’a pas vocation à s’appliquer à une reproduction d’une œuvre mais seulement aux originaux. Le champ d’application du Visual Artists Rights Act sur l’Internet sera donc limité aux œuvres créées numériquement. Le champ d’application du Visual Artists Rights Act est ainsi beaucoup plus circonscrit que celui du droit moral français qui s’applique à toutes les œuvres originales ainsi qu’à leurs reproductions et représentations. Les auteurs des œuvres protégées par le Visual Artists Rights Act jouissent néanmoins du droit de paternité et du droit au respect de l’œuvre. La jurisprudence n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur le respect des dispositions du Visual Artists Rights Act par un hyperlien et aucun arrêt n’a encore eu l’occasion de se prononcer sur son applicabilité à l’Internet. Les travaux préparatoires du Visual Artists Rights Act n’ont pas précisé les modalités selon lesquelles le nom de l’auteur devait être mentionné et par conséquent aucune indication n’a été donnée sur une possible application aux œuvres liées. Le Visual Artists Rights Act aura vocation à s’appliquer aux œuvres liées bénéficiant de mesures techniques de protection empêchant leur reproduction , dès lors qu’il s’agira d’une œuvre créée indépendamment en dehors de tout contrat de work made for hire et mentionnée dans la liste de la section 101 . Le Visual Artists Rights Act ne sera que d’un faible recours car il n’introduit que le droit de paternité et interdit la destruction d’une œuvre de recognized stature ainsi que la dégradation d’une œuvre qui aurait pour conséquence de causer un préjudice à l’honneur ou à la réputation de l’auteur . Le législateur américain a donc lié, conformément aux dispositions de l’article 6bis de la convention de Berne, la protection du droit à l’intégrité à l’honneur de l’auteur. La réglementation américaine a ainsi adopté une solution se situant dans le sillage de la convention de Berne qui ne prend pas en considération les intérêts du public et qui se trouve difficile à appliquer aux liens.

560. Néanmoins, les auteurs jouissent d’une forme de protection de leurs prérogatives morales en ayant recours au Lanham Act qui introduit une forme de protection contre le parasitisme pour les marques non enregistrées. Le droit moral des auteurs sera donc protégé dès lors que la modification de l’œuvre a pour conséquence de tromper le consommateur sur l’origine d’un produit. Cette compréhension du droit des marques est le fruit d’une évolution commune des droits américain et européen. En effet, alors que le droit des marques était initialement pensé comme un moyen de protéger son propriétaire, nos droits modernes y voient un moyen de protéger le consommateur . Le public ayant récemment émergé en Europe et aux États-Unis dans sa dimension consommatrice, le bénéficiaire de la protection du droit moral et du droit des marques est similaire dans les deux systèmes. Cependant, en limitant le respect du droit moral à l’erreur commise par un consommateur moyen, le droit américain n’assure pas la protection de tous les consommateurs contre un risque de confusion mais seulement de ceux correspondant au standard. Le droit français, en obligeant à respecter le droit moral de l’auteur, permet à tous les publics de ne pas être trompés quant à l’origine intellectuelle de l’œuvre. Les approches diffèrent dans la mesure où la France permet de protéger les intérêts culturels du public avec le droit moral alors que les États-Unis ont adopté une approche mercantile en recourant au droit des marques.

561. Le droit moral et les liens s’avèrent ainsi complémentaires dans la protection de l’accès à la culture. En effet, les liens permettent d’accéder à des contenus et le droit moral assure que ces contenus soient fiables. Il sera en effet interdit de mentionner une paternité erronée ou de présenter les œuvres dans un contexte différent de celui imaginé par l’auteur, ce qui permet aux internautes de prendre connaissance de l’œuvre dans un contexte conforme à la conception de l’auteur. La complémentarité n’est cependant pas absolue car le conflit peut déboucher sur une limitation de l’accès à la culture (Sous-Section 1). Il n’en reste pas moins que les droits moraux peuvent constituer un atout pour l’accès à la culture (Sous-Section 2).

Sous-Section 1 : Le droit moral en tant que limite à l’accès à la culture

562. Le droit moral a initialement été pensé comme une prérogative des auteurs dans leur seul intérêt. Il présente néanmoins un intérêt social car il assure au public un accès non biaisé aux œuvres. Il arrive ainsi que les droits moraux entrent en contradiction avec le droit du public à l’accès à la culture, notamment lorsque le droit de divulgation (Paragraphe 1) et le droit de retrait et de repentir (Paragraphe 2) sont opposés au public.

Paragraphe 1 : Le droit de divulgation

563. Nous avons vu que le droit à la culture est bicéphale en ce qu’il est composé du droit d’auteur et du droit d’accès à la culture, et qu’il est nécessaire d’assurer un équilibre entre ces deux droits. Le droit à la divulgation assure les intérêts de l’auteur contre ceux du public qui pâtit de l’absence de communication d’une œuvre en l’autorisant à décider de la manière dont l’œuvre sera communiquée au public. Desbois affirmait en effet qu’il s’agit d’une « aspiration naturelle » de l’auteur de ne communiquer son œuvre au public que lorsqu’elle répond à ses attentes, ce qui retarde – voire exclut – la divulgation de l’œuvre et donc la communication d’idées à la société. Le droit de divulgation permet néanmoins d’assurer à l’auteur que seule une pensée mûrie sera communiquée au public. Cette prérogative constitue sans doute un gage de qualité intellectuelle des œuvres. Le droit de divulgation relève donc d’une logique jusnaturaliste très présente en droit français mais étrangère au droit américain .

564. À la suite de la reconnaissance des droits moraux en Europe continentale ils ont été intégrés au droit international lors de la révision de Rome en 1928 . Cependant, le caractère hautement culturel et contingent de ce droit a fait obstacle à sa reconnaissance en droit international. Le droit de divulgation n’est donc pas visé par la convention de Berne. Elle ne se réfère qu’à la notion de publication relevant des droits patrimoniaux. La définition de la publication peut cependant s’avérer pertinente pour dessiner les contours du droit de divulgation. La convention définit les œuvres publiées comme celles « éditées avec le consentement de leurs auteurs, quel que soit le mode de fabrication des exemplaires, pourvu que la mise à la disposition du public ait été telle qu’elle satisfasse les besoins raisonnables du public, compte tenu de la nature de l’œuvre ». En pratique, les droits de publication et de divulgation se recouvrent en partie. Desbois avait en effet souligné qu’en droit français les droits de divulgation et de publication n’étaient séparés que par un « trait de temps », car la divulgation précède le contrat. La divulgation est donc le premier temps, alors que la publication est le second temps de l’acte de communication d’une œuvre au public. Le droit américain n’assure donc pas une protection beaucoup plus tardive que le droit français. Cette approche reflète la conception dualiste que le droit d’auteur français véhicule, par opposition avec la frilosité à reconnaître les droits moraux par le droit d’auteur international. Il ne s’agit donc pas d’un droit harmonisé parmi les États membres de la convention. Il existe par conséquent de fortes disparités entre les États membres de la convention de Berne, et notamment entre la France et les États-Unis.

565. Traditionnellement, les pays de droit civil – dont le droit français – reconnaissent le droit de divulgation. En revanche, les pays de common law ne l’ont pas introduit . Cependant, il ne s’agit là que d’une tendance. En effet, la conception patrimoniale du droit de divulgation, par opposition à l’approche française relevant du droit moral, n’est pas étrangère à certaines législations continentales. Ainsi, la loi italienne dispose à l’article 12 , qui se trouve dans la section relative à la protection de l’utilisation économique de l’œuvre, que l’auteur a le droit exclusif de publier son œuvre. Le législateur italien n’a dons pas intégré la distinction proposée par Desbois . Le droit américain n’a pas introduit le droit de divulgation dans sa législation mais adopte une interprétation restrictive du test de fair use lorsqu’une œuvre non publiée a été utilisée et se place ainsi dans une perspective encore plus patrimoniale que le droit italien. Une œuvre non publiée par le titulaire du copyright peut être reproduite dans le cadre de l’exception de fair use mais le safe harbor sera compris de façon restrictive . L’approche diverge donc du droit français car les exceptions au droit d’auteur de l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle ne sont pas opposables aux droits moraux alors que le fair use est opposable aux droits patrimoniaux américains. Un équivalent fonctionnel limité du droit de divulgation est donc protégé aux États-Unis dans la mesure où le titulaire du copyright peut opposer ses droits patrimoniaux .

566. Les approches diffèrent donc profondément, du moins d’un point de vue philosophique, entre le droit français, qui interdit toute divulgation d’une œuvre sans l’autorisation de l’auteur, et le droit américain, qui réduit le champ d’application d’une exception au copyright.

567. Étant donné que l’établissement d’un lien vers une œuvre protégée ne constitue une violation du droit de copyright que dans de rares hypothèses, les auteurs se trouveront largement démunis face à la création de liens vers des œuvres divulguées sans autorisation. L’analyse de la situation s’avère différente pour les États qui, comme la France, retiennent que le droit de divulgation est un droit moral, et que les liens vers une contrefaçon sont illicites.

568. La jurisprudence française n’a pas été amenée à se prononcer sur la question de la divulgation d’une œuvre par un lien. En outre, la jurisprudence européenne est inexistante sur la question étant donné que la directive 2001/29/CE n’assure aucune protection des droits moraux et se contente d’un renvoi à la convention de Berne. Il y a donc lieu d’appliquer les solutions françaises en vigueur jusqu’aux arrêts Svensson et GS Media . Ainsi, avant que la CJUE ne se prononce, la jurisprudence française avait établi un principe général d’interdiction de lier vers des contenus illicites . Il y a lieu de continuer à appliquer ce principe en matière de droit moral étant donné que le principe de subsidiarité n’a pas retiré cette compétence au droit français qui reste souverain en la matière. Dès lors, l’établissement d’un lien vers une page contenant une œuvre en violation du droit de divulgation de son auteur sera illicite. La situation est différente en droit américain – non seulement parce que le droit de divulgation est inconnu – mais aussi parce que l’arrêt Perfect 10 v. Google a retenu que, conformément au server test, un hyperlien ne communique pas les œuvres au public. Dès lors, le droit de display et de performance n’ont pas vocation à s’appliquer et il ne sera donc pas possible de trouver un équivalent fonctionnel, même partiel, au droit de divulgation en droit américain.

569. Le droit des marques américain a momentanément et partiellement convergé vers le droit français entre 1969 et 2003. Il a en effet interdit l’apposition des noms des auteurs sur une publication non autorisée . Une telle publication constituait une fausse publicité car il ne s’agissait pas d’un produit que l’auteur a voulu mettre sur le marché. La publication trompait donc sur la réelle implication de l’auteur dans la création. L’objectif de cette règle divergeait profondément du droit français. Il ne s’agissait pas de protéger l’auteur contre la divulgation de ses œuvres mais d’assurer aux consommateurs qu’aucun produit ne serait mis sur le marché sans l’accord du producteur. Ainsi, alors que le droit français confère à l’auteur ou à ses ayants droit les droits moraux, le droit américain en a confié un ersatz au producteur. Les bénéficiaires des règles n’étaient pas les mêmes car le producteur est celui qui crée matériellement un produit. Il peut donc être différent de l’auteur qui conçoit intellectuellement une œuvre. Malgré la faible protection accordée aux intérêts moraux des auteurs, l’arrêt Dastar a marqué un retour à une conception plus rigoureuse du Lanham Act. L’arrêt a en effet retenu que la loi sur les marques ne s’applique qu’en cas de risque de confusion sur l’origine matérielle du produit. Le droit américain ne protège donc pas l’origine intellectuelle d’une œuvre comme le fait le droit moral français.

570. Le droit de divulgation français limite l’accès à la culture et permet aux auteurs de circonscrire l’idéal libertaire des Pères Fondateurs de l’Internet. Les auteurs peuvent donc bénéficier du medium de l’Internet sans en accepter le fonctionnement. L’approche française constitue néanmoins un mal nécessaire car toute œuvre non divulguée par l’auteur risque de ne pas être achevée. Or, la divulgation d’une œuvre incomplète risque de tromper le public sur la philosophie et l’intention de l’auteur. Le public gagne donc à avoir la patience d’attendre que l’auteur daigne divulguer son œuvre. La distinction entre les droits français et américain risque cependant d’avoir une portée pratique limitée à cause de la culture de la rapidité que véhicule l’Internet. Les auteurs sont en effet encouragés à communiquer le plus rapidement possible des œuvres afin de satisfaire la voracité informationnelle du public. Il n’y a pas lieu de le regretter a priori, bien que cette tendance ait pour conséquence d’amener les auteurs à publier des œuvres parfois incomplètes intellectuellement. Ainsi, cette culture de la rapidité videra souvent le droit de divulgation de son sens en ce qu’il permet à l’auteur de conserver l’œuvre dans son giron jusqu’à ce qu’il la considère présentable. L’effectivité du droit de divulgation ne relève donc plus du pouvoir du législateur mais de la demande du public de l’Internet qui pourrait également réduire quasiment à néant l’effectivité du droit de retrait et de repentir. Il n’y a là rien de nouveau car l’entrée en masse du public dans un type de création artistique a, depuis l’Antiquité , tendance à façonner ses contours par des conceptions autres qu’intellectuelles.

Paragraphe 2 : Le droit de retrait et de repentir

571. Le droit de retrait et de repentir offre la possibilité, à l’auteur, de retirer un ou plusieurs droits d’exploitation accordés lorsque la communication de l’œuvre ne lui paraît plus opportune . Ce droit constitue le pendant du droit de divulgation car il permet d’y mettre un terme. L’objectif du droit de retrait ou de repentir est en effet de limiter les effets pour le futur de la publication de l’œuvre .

572. Ce droit n’est pas mentionné à l’article 6bis de la convention de Berne. Cette absence a fait obstacle à une harmonisation internationale qui se justifie sans doute par son manque d’universalité. En effet, seuls certains pays de droits continentaux l’ont adopté . Parmi eux, le droit français s’avère particulièrement protecteur des auteurs dans la mesure où le droit de retrait ou de repentir est large car son champ d’application n’est limité que par la théorie de l’abus de droit . La France se place ainsi dans le groupe des États les plus respectueux des intérêts intellectuels des auteurs . À l’opposé de ce groupe certains pays ne reconnaissent aucun droit de retrait ou de repentir. Il s’agit notamment des droits américain , indien et belge . La Cour Suprême américaine estimerait sans nul doute, conformément à sa jurisprudence , que le droit de retrait ou de repentir est inconstitutionnel car il limite la liberté d’expression des tiers non pas de façon neutre , mais bien à cause du message exprimé. L’approche du droit de retrait et de repentir est donc hétérogène à cause des difficultés qu’ils soulèvent, notamment en ce qui concerne l’économie des contrats et l’accès à la culture.

573. En effet, en imposant le retrait des œuvres du marché, il met un terme à la critique et à l’accès aux informations. Il peut même aboutir à un appauvrissement culturel dans la mesure où les auteurs ne pourraient s’inspirer d’œuvres retirées du marché. Lorsque le droit de repentir ou de retrait est appliqué aux liens, il a effectivement pour conséquence de bloquer l’accès à l’œuvre en tant que forme protégée, mais aussi à l’idée que l’œuvre véhicule. Le droit français, en application du principe général d’interdiction de lier vers des contenus illicites, et à l’inverse du droit américain, permet donc de bloquer de facto l’accès à une idée qui circulait avant que l’auteur n’exerce sa prérogative. Il s’agit d’une faiblesse du droit de retrait qui n’a abordé que la question du préjudice du cessionnaire, en obligeant l’auteur à l’indemniser du préjudice subi, sans prendre en compte le dommage subi par le public car ce dernier n’a pas de mandataire. Cette absence nous semble critiquable étant donné que la question de l’accès à l’information est devenue une demande primordiale de la société.

574. Les droits de retrait et de repentir semblent de prime abord impossible à exercer sur l’Internet. Le réseau est en effet doté d’une « mémoire gigantesque qui repousse l’oubli ». Cependant, malgré les difficultés techniques que le droit de retrait affronte, il aura vocation à s’appliquer car l’Internet ne constitue pas un espace de non-droit. Les ayants droit auront simplement plus de difficulté à obtenir un retrait total que dans le monde analogique.

575. La conception romantique du droit français nous semble incomplète. En effet, certains droits, dont le droit irlandais , assurent une forme de protection des droits moraux par le « right to privacy ». Les droits moraux français pêchent donc par l’absence de prise en compte du droit à la vie privé alors que les deux droits se complètent. Appliquée aux hyperliens, la possibilité de retirer des œuvres sur l’Internet pose la question plus générale du droit à l’oubli sur le réseau. Il s’agit d’un droit uniquement européen et inconnu aux États-Unis . Les auteurs peuvent ainsi solliciter des moteurs de recherche la suppression de liens vers des contenus les concernant sur le fondement du droit à l’oubli conformément à la directive 95/46 relative aux libertés et droits fondamentaux des personnes physiques. Cette directive vise à assurer le respect de la vie privée des personnes physiques uniquement. Les juges de Luxembourg l’ont interprétée comme le fondement du droit à l’oubli d’un fait révolu n’étant plus d’actualité. Le droit américain se contente d’un droit à la vérité qui s’avère bien différent dans la mesure où il ne permet pas de retirer des contenus qui s’avèrent dépassés, mais uniquement ceux contraires à la vérité. La différence d’approche reflète les divergences traditionnelles en matière de respect de la vie privée et de liberté d’expression. Dès lors, le droit américain n’offre pas d’outil juridique équivalent au droit de retrait ou de repentir français, et n’assure pas la même protection de la vie privée que le droit européen. Il en résulte que, de facto, les œuvres mises en ligne ne peuvent être supprimées si l’auteur change d’opinion.

576. Les auteurs risquent cependant de rencontrer des difficultés lors de l’exercice du droit au retrait. En effet, la société Google ne fait pas preuve de transparence sur la procédure suivie. Face au grondement des critiques, elle a dévoilé quelques informations sur la méthodologie suivie sans ouvrir les archives des décisions. Le système reste néanmoins largement opaque. Les auteurs auront toutefois la possibilité de saisir un tribunal de grande instance afin que soit ordonné le déréférencement d’une page. Cependant, les juges effectuent un examen de la demande de suppression du lien à la lumière de la liberté d’information et rejettent ainsi la désindexation lorsque l’intérêt du public à obtenir l’information est fort. Cette approche risque de limiter le droit au retrait d’un auteur. En effet, lorsque le contenu d’une œuvre sera relatif à une information représentant un intérêt public les auteurs risquent de se voir dépossédés de leurs œuvres. Dans une telle hypothèse, la seule solution sera de créer une autre œuvre contenant les mêmes informations afin de remplacer celle qu’ils voulaient retirer. Cela implique un devoir d’offrir une œuvre au public dès lors qu’elle contient un intérêt public. Nous sommes donc loin de la conception personnaliste du droit d’auteur du XIXe siècle et nous penchons – peut-être déraisonnablement – en faveur du public. Il ne semble pas en effet que les auteurs aient une telle dette envers la société.

577. En outre, la directive n’a vocation à s’appliquer que sur le territoire de l’Union Européenne et, par extension, sur l’Internet qui y est accessible. Les moteurs de recherche accessibles depuis le territoire européen sont ainsi tenus d’appliquer le droit à l’oubli. Cependant, le droit à l’oubli ne s’étend pas aux moteurs de recherche accessibles aux États-Unis régis par le droit américain. Il s’en suit que les informations ne sont que partiellement oubliées sur l’Internet. Les auteurs n’auront donc aucun outil, en dehors du tort law, afin de solliciter la suppression de liens menant vers leurs œuvres depuis les moteurs de recherche à destination des internautes extra-communautaires. Or, la logique du tort law est différente car elle sanctionne un préjudice causé à un individu à la suite d’une faute et ne permet pas à l’auteur d’exercer un droit dans une mesure proportionnée aux intérêts de la société. Les auteurs devront ainsi prouver qu’ils ont subi un tort de diffamation – qui consiste en la publication d’un discours visant à porter atteinte à la réputation d’une personne – notamment afin de solliciter le retrait du lien. Il sera par conséquent plus difficile d’obtenir le retrait d’un lien aux États-Unis qu’en Europe et en France.

578. L’application du droit de retrait et de repentir se trouve donc limitée sur l’Internet à cause de la fondamentalisation des droits européens qui oblige à une mise en balance de droits fondamentaux et de la rencontre avec les systèmes juridiques étrangers et notamment américain. L’accès à la culture ne sera donc que partiellement limité par le droit au retrait car l’œuvre échappe toujours en partie à l’auteur lorsqu’elle se trouve sur Internet. La réintroduction du temps court et de l’oubli par la CJUE n’est donc que partielle et ne permet pas aux auteurs de jouir pleinement du droit de retrait et de repentir.

579. Le droit moral ne constitue donc qu’un frein limité à l’accès à la culture à cause de ses difficultés d’application et de son manque de reconnaissance aux États-Unis. Outre les prérogatives relatives au contrôle de la circulation de l’œuvre, les droits moraux recouvrent des fonctions de soutien à l’accès à la culture.

Sous-Section 2 : Le droit moral comme soutien à l’accès à la culture

580. Le droit moral, en ce qu’il assure une présentation de l’œuvre conforme à son environnement intellectuel, améliore l’accès à la culture du public. Les obligations que les droits moraux mettent à la charge des tiers permettent d’éviter des situations telle que celle qui s’est produite aux États-Unis lorsque Bruce Springsteen a écrit sa chanson « Born in the USA » critiquant le mauvais accueil réservé aux vétérans de la guerre du Vietnam, mais qui a été reprise par des groupes nationalistes. À cause de cette utilisation de l’œuvre dans un contexte différent de celui imaginé par l’auteur, Bruce Springsteen véhicule une image nationaliste éloignée de l’objectif de sa chanson. Or, en l’absence de protection des droits moraux sur Internet, le chanteur n’a eu aucun recours .

581. Le droit moral facilite l’accès au nom de l’auteur (Paragraphe 1), dont la connaissance influe sur la compréhension de l’œuvre. En outre, il permet de visualiser l’œuvre dans un contexte permettant de comprendre son esprit (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le droit de paternité face aux liens

582. Le droit à la paternité est le résultat d’une lente évolution de la place de l’auteur en Europe. La tradition religieuse juive a acté l’importance de l’individualité de l’auteur. Le droit juif antique avait en effet imposé aux lecteurs du Tamuld de prendre connaissance du nom de l’auteur à l’origine des mentions ajoutées. Les auteurs avaient donc l’obligation de mentionner leur nom près de leurs écrits afin que les lecteurs comprennent l’origine des principes. Le droit de paternité a donc une dimension informative et contextualisante. Le reste du monde antique méconnait souvent le nom de l’auteur. Les œuvres étaient ainsi reprises par plusieurs orateurs comme pour « l’Iliade » et « l’Odyssé ». L’auteur commence à apparaître en tant qu’individualité à la fin du Moyen-Âge . Ainsi, Dante se fait nommer par sa femme au chant XXX du « Purgatoire ». La place de l’auteur s’est faite de plus en plus pressante jusqu’à notamment l’affirmation de l’individualité de Rousseau puis du mouvement romantique. L’établissement d’une liaison entre l’auteur et son œuvre permet d’informer le public quant à son origine intellectuelle. Cela permet de contextualiser l’approche intellectuelle de l’auteur et assure par conséquent une meilleure compréhension de l’œuvre.

583. Cette nécessité intellectuelle a été prise en compte par le droit international. En effet, la convention de Berne énonce à l’article 6bis que les auteurs jouissent du droit de paternité. Cette prérogative consiste à pouvoir établir la liaison entre l’auteur et son œuvre. Le droit de paternité fait donc partie du dénominateur commun des législations des États ayant adhéré à la convention de Berne. Cependant, tous les États n’ont pas adopté la même législation en la matière.

584. Le droit français reconnaît, outre le droit de paternité tel que conçu dans la convention de Berne dans sa dimension positive, le droit de garder l’anonymat ou d’utiliser un pseudonyme qui en constitue le versant négatif. Ces droits pourront dans certains cas renforcer sa liberté d’expression . Le droit américain adopte en revanche une logique duale en appliquant le droit des marques ainsi que le Visual Artists Rights Act (VARA). Le droit des marques fait obstacle à l’introduction d’un droit à l’anonymat aux États-Unis étant donné que cela empêcherait la connaissance de l’origine du produit. En revanche, aucune distinction n’est effectuée entre l’utilisation du nom patronymique ou d’un pseudonyme dès lors que cela n’a pas pour effet de tromper le consommateur sur l’origine de l’œuvre. Le VARA a bien introduit un droit de paternité pour les auteurs d’œuvres des beaux-arts, mais son champ d’application est limité aux originaux. Les reproductions sur Internet se trouvent par conséquent exclues du VARA et seules peuvent être incluses les œuvres numériques, c’est-à-dire les œuvres créées sur ordinateur. Cependant, en l’absence de confirmation jurisprudentielle cette affirmation relève d’une simple conjecture. Le champ d’application du VARA sur Internet est donc fortement réduit. Il pourra néanmoins être opposé lorsque les œuvres liées sont originales.

585. Une partie de la doctrine américaine soutient néanmoins l’extension du périmètre d’application du droit d’attribution. Il est notamment demandé la reconnaissance du recours aux outils numériques, dont les hyperliens, afin de satisfaire le droit d’attribution. Malgré cet appel, la position du droit américain ne devrait pas changer en la matière, et le gouffre avec le droit français n’est pas prêt de se resserrer. À défaut d’application de la loi spéciale qu’est le VARA, il y aura donc lieu d’appliquer la loi générale qu’est le Lanham Act.

586. Les liens constituent donc d’excellents outils de liaisons entre des idées, des personnes ou encore des œuvres. Ils sont donc en mesure de renforcer l’effectivité du droit à la paternité car ils offrent la possibilité de renvoyer vers une page complète présentant l’auteur avec précision. Une œuvre pourra donc être liée à une fiche bibliographique, ce qui permettra à l’auteur d’être mieux connu de son public. Cependant, si les liens peuvent effectuer une liaison correcte entre l’auteur et son œuvre (I), certaines liaisons peuvent s’avérer erronées (II).

I) La liaison correcte entre l’auteur et son œuvre

587. L’établissement d’une liaison correcte entre l’auteur et son œuvre est globalement protégé en droit français et américain. Cependant, les approches des deux droits s’opposent fortement. Le droit français impose en effet un principe de proximité (A) et de précision (B) qui n’est que très partiellement suivi par le droit américain.

A) Le principe de proximité

588. L’obligation de proximité entre le nom de l’auteur et son œuvre se limite à l’internaute à l’origine de la reproduction ou de la représentation de l’œuvre (1), et ne s’étend pas aux créateurs de liens vers une œuvre dont ils ne sont pas cessionnaires (2).

1) Le respect du lien de paternité par l’établissement d’un lien

589. L’obligation de mentionner le nom de l’auteur à proximité de son œuvre est traditionnelle en droit français. Cette obligation faite aux cessionnaires les amène à mentionner le nom de l’auteur ou son pseudonyme, lorsque cela ne peut être fait sur l’œuvre elle-même, dans son espace de présentation au public . Le nom de l’auteur d’une pièce de théâtre n’a donc pas à être mentionné au-dessus de la scène dès lors que son nom est visible dans le théâtre. Cette obligation n’est opposable aux États-Unis que pour les œuvres protégées par le VARA qui présente un très faible intérêt sur l’Internet. Cependant, à la différence du droit français, le droit américain n’accepte pas que le nom de l’auteur soit simplement mentionné dans l’espace de présentation de l’œuvre puisqu’elle doit être signée. Le manque de souplesse du droit américain se justifie par la volonté de limiter le champ d’application du VARA en établissant un nombre relativement important de conditions cumulatives. Le VARA ne permet donc pas d’assurer le respect du droit de paternité par les liens. Seul le Lanham Act, avec une ratio legis commerciale, aura vocation à s’appliquer au lien entre le producteur et l’œuvre. Les jurisprudences des deux pays, faisant application de leurs solutions traditionnelles, ont donc adopté des solutions divergentes.

590. En France, le TGI de Paris a explicitement rejeté la légalité d’un lien externe – c’est-à-dire d’un lien menant vers une page Internet se trouvant sur un site tiers – menant vers le nom de l’auteur. Il a été retenu que le lien « ne permet pas à la défenderesse de respecter le droit à la paternité des auteurs dès lors qu’il oblige l’internaute à se diriger vers le site d’un tiers ». Si cette solution est suivie, les juges devraient retenir que la création d’un lien interne au site satisfait le droit de paternité. La solution aurait été tout à fait différente si les juges américains avaient été saisis. En effet, le caractère interne ou externe d’un lien n’induit pas en soi de risque de confusion pour les consommateurs au sens de la section 43(a) du Lanham Act. Ce ne sera que lorsque la liaison établie constitue une publicité trompeuse que le lien sera considéré comme illégal, mais cela reste indépendant du caractère interne ou externe du lien.

591. Les solutions sont classiques. En effet, la jurisprudence française accepte que le nom de l’auteur ne soit pas mentionné sur l’œuvre, ce qui serait techniquement impossible pour certaines œuvres notamment théâtrales, mais elle impose qu’il apparaisse dans le périmètre physique de reproduction ou de représentation de l’œuvre. Ainsi, la mention du nom de l’auteur dans un livre ou au sein d’un théâtre où la pièce se joue satisfait au respect du droit à la paternité. Pour la jurisprudence française, le site Internet correspond au cadre de représentation d’une œuvre et doit par conséquent être considéré comme l’équivalent d’un théâtre ou d’un livre. La jurisprudence traditionnelle postule donc la légalité de la mention du nom de l’auteur sur le site sans que celle-ci apparaisse sur la page où se trouve l’œuvre.

592. Ce raisonnement est fondé sur une analogie à laquelle il n’est sans doute pas pertinent de recourir. En effet, il n’y a aucune raison de limiter l’espace sur lequel doit être mentionné le nom de l’auteur au site où elle est reproduite. Il aurait en revanche été cohérent, conformément à l’arrêt Svensson , de retenir que les Internets ouverts et fermés constituent des espaces différents et que le nom de l’auteur doit apparaître sur le même espace que l’œuvre. Tout au plus le principe de proximité aurait dû s’appliquer dans cette mesure. Le droit américain est de ce point de vue plus cohérent car il ne distingue pas entre les liens internes et externes. Les juges français ont voulu transposer les principes du monde analogique au monde numérique sans réaliser, à l’inverse du juge européen, que l’Internet n’est constitué que de deux types d’espaces : l’Internet ouvert et l’Internet fermé.

593. Le droit français a donc introduit un critère de proximité en imposant au créateur de lien de mener vers une page interne du site, alors que le véritable critère devrait être celui de l’accessibilité du nom de l’auteur par rapport à l’œuvre. La jurisprudence effectue ainsi une analogie hasardeuse entre un théâtre et un site Internet alors que la dimension physique fait défaut pour le site Internet. Or, peu importe que le nom de l’auteur se situe à proximité de l’œuvre ou sur un serveur qui se situe à l’autre bout du monde, ce qui importe pour l’auteur et son public est de respecter la liaison intellectuelle entre le nom de l’auteur et son œuvre. Le droit français ne tire donc pas les conséquences de son raisonnement et devrait aller au bout du principe de l’accessibilité du nom sur les supports numériques, en imposant aux internautes de mentionner le nom de l’auteur sur la page où se trouve l’œuvre. En outre, si la page Internet contient plusieurs œuvres, la paternité de l’œuvre devrait être facilement accessible et non ambiguë. Toute solution contraire pèserait indûment sur les intérêts des auteurs étant donné que la présentation du nom de l’auteur sur une autre page constitue une simple facilité et non pas une nécessité technique pour les internautes. Le droit américain évite cette difficulté dans la compréhension du droit de paternité quitte à ne pas assurer de protection du droit de paternité des auteurs.

594. La jurisprudence américaine est cependant arrivée à un constat relativement similaire à la solution française en retenant que les liens ne permettent pas de respecter le formalisme des copyright management informations (CMI) qui sont composées du nom et autres informations permettant d’identifier le titulaire du copyright d’une œuvre . Les CMI doivent donc être mentionnées à proximité immédiate de l’œuvre sur la page la représentant. Cependant, les copyright management informations n’identifient pas forcément le créateur de l’œuvre mais le titulaire des droits. Lesdites informations peuvent par conséquent viser le cessionnaire et non pas l’auteur. Les bénéficiaires des protections ne sont donc pas toujours les mêmes. En outre, alors que le droit moral français protège les intérêts intellectuels du public, les copyright management informations visent à protéger les intérêts des consommateurs . Le White Paper relatif aux copyright management informations a néanmoins souligné qu’elles pouvaient permettre au public de connaître l’auteur à l’origine de la création. La dimension sociale des droits moraux apparaît donc au grand jour aux États-Unis mais la réticence au droit moral fait obstacle à la prise en compte des intérêts du public. L’écart entre les deux systèmes reste important.

2) L’indifférence du respect du droit de paternité par le créateur d’un lien

595. Le droit de paternité ne pourra en revanche être opposé au créateur d’un lien vers un site tiers – à l’inverse du créateur d’un lien vers une page du même site – en droit français. En effet, dès lors que le créateur du lien ne reproduit ni ne représente l’œuvre, il n’a pas l’obligation d’établir la filiation entre l’auteur et son œuvre.

596. Il risque cependant d’en aller différemment lorsqu’un créateur de lien crée un cadre. Dans une telle hypothèse, l’œuvre apparaît sur la page contenant l’ancre sans que l’internaute n’ait besoin de cliquer pour se rendre sur la page cible. Dès lors, le principe d’accessibilité du nom de l’auteur commande au créateur de lien de mentionner le nom près du cadre ou du moins à un emplacement directement accessible. Il nous semble qu’il en ira ainsi lorsque le lien présente une fonction active. En effet, la Cour de cassation a considéré que dans une telle situation le créateur de lien appliquait le droit de reproduction. Dès lors que les juges appliquent le droit de reproduction à un tel système, il y a lieu de penser qu’ils appliqueront également les droits moraux. La solution est moins certaine lorsque le lien ne présentera pas une fonction active, mais que l’œuvre pourra être visualisée depuis le site source. Il est possible que la jurisprudence française appliquera le droit de paternité dans une telle situation car elle se montre protectrice des droits moraux des auteurs, mais l’incertitude demeurera tant que les juges n’auront pas été saisis de la question.

597. Le droit français converge donc en grande partie vers le droit américain en ce qu’il n’impose pas aux créateurs de liens de respecter le droit de paternité, sauf lorsque l’œuvre pourra être visualisée sur le site source. Il n’y a cependant pas lieu d’y voir une discrimination envers ce type de lien mais une prise en considération des spécificités de la présentation qu’il implique.

598. L’intérêt de ces solutions réside dans le renversement de paradigme rendant désormais l’auteur actif dans la protection de son lien de filiation avec son œuvre. En effet, si le site cible a une présentation originale ou que le nom de l’auteur est présent régulièrement sur chaque page, il n’y aura pas de risque d’erreur sur la paternité ou de confusion. Certains sites, dont celui de la chaîne CNN, encouragent par ailleurs à la création de liens vers leurs pages car leur présentation fait obstacle à tout risque de confusion .

599. En outre, l’Internet étant un dédale, il est nécessaire que la liaison entre le nom de l’auteur et son œuvre soit précise.

B) L’obligation de précision

600. Les cessionnaires ont l’obligation de mentionner clairement, c’est-à-dire avec précision, la paternité d’une œuvre. La doctrine s’interroge particulièrement sur le risque d’absence de précision lors de l’utilisation de liens cadres . En effet, l’utilisation de ce type de lien permet d’incorporer des éléments du site lié sur le site source, créant ainsi une confusion entre les deux sites. Les éléments autour du contenu lié peuvent notamment constituer un facteur de confusion entre les deux sites. Ainsi, si ces éléments du site source entourent le contenu du site cible, le risque de confusion entre les deux sites est important. Le respect de la paternité de l’œuvre passe donc par une obligation de précision de la part du créateur de lien. Les créateurs de liens devront ainsi mentionner le nom de l’auteur sans équivoque.

601. Les droits français et américain ont suivi des trajectoires différentes. Le droit français a adopté une lecture stricte des dispositions de l’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle en imposant une mention précise du nom de l’auteur. La jurisprudence française a ainsi sanctionné le fait de mentionner le nom du directeur de collection de manière équivoque laissant penser qu’il est l’auteur du livre . Il sanctionne en effet les absences ainsi que les approximations dans la mention de la paternité de l’œuvre par les tiers. Il est donc nécessaire que les cessionnaires des droits d’auteur soient précis dans l’établissement du lien entre l’auteur et son œuvre. Le droit américain en revanche a modifié sa position. Malgré l’indifférence de principe face au droit moral qui prévalait initialement, le droit américain a pendant un temps sanctionné l’absence des noms de certains auteurs ayant participé à la réalisation d’une œuvre . L’origine du produit était comprise comme intellectuelle et non pas matérielle. Elle s’inscrivait donc dans une logique de droit moral en des termes par ailleurs relativement similaires à ceux de l’article 38 de la loi polonaise du 29 mars 1926 . Le droit américain intégrait donc une approche d’inspiration continentale du droit moral. En outre, les juges avaient rendu obligatoire la mention du nom de l’auteur de l’œuvre alors que la section 43(a) du Lanham Act – qui introduit une forme de protection contre le parasitisme pour les marques non enregistrées – ne connaît pas une telle obligation et se contente d’interdire de mentionner des liaisons provoquant une confusion dans l’esprit du consommateur quant à l’origine du produit. La jurisprudence , en effectuant un forçage de la lettre du Lanham Act, permettait ainsi au droit américain de rejoindre la solution adoptée en droit français, alors que les États-Unis n’avaient pas ratifié la convention de Berne . À cette époque, le droit américain présentait, par rapport au droit français, l’intérêt de placer le public comme titulaire d’un droit de vérité quant à l’origine intellectuelle de l’œuvre. Il introduisait ainsi un droit à l’information et à la culture, alors que le droit français se limitait à la protection des intérêts de l’auteur. La protection du droit à l’information et à la culture ne constituaient que des corollaires au droit moral. La jurisprudence américaine n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur l’établissement de liens vers le nom de l’auteur. Cependant, par mimétisme, elle aurait sans doute retenu la même solution que celle en vigueur pour les mentions de copyright. Elle aurait par conséquent certainement décidé que les liens sont insuffisants pour respecter la mention du titulaire des droits. Le droit américain adoptait donc une approche plus protectrice des auteurs que le droit français car le nom de l’auteur devait apparaître près de l’œuvre.

602. Cependant, l’arrêt Dastar de la Cour Suprême américaine a mis fin à cette jurisprudence en limitant l’application de la section 43(a) du Lanham Act à la confusion sur l’origine du produit. La Cour a retenu que ne sera sanctionnée la mention relative à un produit que si elle a pour conséquence de tromper le consommateur. Ce dernier ne doit pas être trompé quant à son origine entendue comme le lieu de fabrication du produit et non plus comme l’origine intellectuelle de l’œuvre. Les droits français et américain sont donc revenus à leurs différences initiales.

603. La Cour Suprême a ainsi mis un terme au processus d’harmonisation du droit américain avec les droits de tradition civiliste qu’avaient initié les Circuits fédéraux. Le raisonnement actuel de la Cour Suprême est juridiquement irréprochable. Nous regrettons simplement que les juges aient mis fin au mouvement naissant qui aurait permis au droit américain de mieux protéger les auteurs en leur conférant des prérogatives dont la majorité des auteurs jouissent à l’étranger . Il relève cependant de la compétence du législateur, et non pas du pouvoir judiciaire, d’introduire le droit moral.

604. Cette situation est dommageable pour l’accès à la culture aux États-Unis. En effet, de nombreux auteurs sont obligés de faire appel à des tiers afin que soient fabriquées leurs œuvres. Ces auteurs ne bénéficieront donc pas de la protection du Lanham Act qui interdit simplement d’induire les consommateurs en erreur sur le fabriquant de l’objet sans considération pour la personne l’ayant élaboré intellectuellement. Néanmoins, certains auteurs d’œuvres des beaux-arts cumulent les qualités d’auteur et de fabricant de leurs œuvres et devraient à ce titre bénéficier des dispositions du Lanham Act. La section 43(a) – qui introduit une forme de protection contre le parasitisme pour les marques non enregistrées – ne permettra donc de protéger l’attribution des œuvres qu’aux auteurs fabricants contre les confusions quant à l’origine. Le respect de la section 43(a) par un lien sera donc loin de satisfaire le droit de paternité tel que conçu en France où ce sont les auteurs intellectuels – et non pas les techniciens – qui sont protégés.

605. Les exigences quant à la précision seront donc profondément différentes. Il est ainsi interdit d’indiquer, en droit français, un lien de paternité imprécis ou erroné . Cette interdiction est d’autant plus large qu’elle s’applique aussi bien aux erreurs involontaires qu’aux fausses attributions volontaires car le droit d’auteur est un régime de responsabilité de plein droit. Néanmoins, dans le premier cas, seule la responsabilité civile sera engagée à cause de l’absence d’élément moral faisant obstacle à l’établissement de la responsabilité pénale. Dans le second cas en revanche, les responsabilités civiles et pénales seront opposables au contrefacteur . Le droit français interdit donc d’établir un lien, même interne, vers une page présentant une paternité erronée ou imprécise. Le droit américain étant revenu à sa position initiale, l’établissement d’une paternité erronée est sans conséquence pour peu qu’elle ne constitue pas un tort de false light ou de misappropriation . Il n’en ira autrement que s’il existe un risque de confusion. Le droit américain ne sanctionne en revanche la violation de la section 43(a) du Lanham Act qu’en imposant des sanctions civiles alors que le droit français opposera des sanctions civiles mais également pénales .

606. La différence de nature des sanctions met en exergue la divergence quant à l’importance des intérêts à protéger. Ainsi, Pouillet écrivait que la substitution du nom de l’auteur par un autre représente l’une « des atteintes les plus graves que sa propriété puisse recevoir ». Il affirmait qu’un tel acte était puni par la loi du 28 juillet 1824 relative au délit d’usurpation d’identité. Désormais le délit d’usurpation d’identité n’aura pas vocation à s’appliquer conformément à l’adage specialia generalibus derogant qui ne permettra d’appliquer que le droit de paternité . Le fondement de l’usurpation d’identité n’est donc plus valable. Il permet cependant de comprendre l’origine du droit de paternité dont les racines plongent dans la protection de la personnalité. La violation du droit de paternité constitue donc une atteinte grave aux valeurs du système juridique français. C’est pour cette raison que le droit pénal s’applique en cas de violation volontaire . Le droit français considère donc que la protection des droits moraux, et notamment de paternité, de l’auteur relève de l’ordre public alors que le droit américain n’y voit qu’un intérêt limité. Pourtant, il existe effectivement un intérêt public à avoir des liaisons exactes entre les auteurs et leurs œuvres.

607. Le droit français accepte néanmoins une légère entorse au principe de précision. En effet, lorsqu’un tiers à l’auteur exprime un doute quant à la paternité d’une œuvre, le droit de paternité n’est pas violé . Cette position est fondée sur l’idée que l’expression d’un doute relève de la liberté d’expression. Une indication d’un doute quant à l’exactitude du nom de l’auteur pourra être effectuée près du lien de façon non ambiguë, ou encore dans un cadre apparaissant à l’écran à la suite de la sélection du lien et avant d’arriver sur la page cible afin de ne pas violer le droit moral. Cependant cette position nous semble dangereuse pour les auteurs car il suffirait de mentionner qu’il existe un doute sur le nom de l’auteur afin de mentionner n’importe quelle paternité. Cette approche est contraire à l’esprit du droit d’auteur français . Il semble peu cohérent d’assurer une protection par une autre branche du droit simplement parce que la personne à l’origine de la mention erronée a mentionné une erreur sur sa véracité.

608. La question du droit de paternité ne constitue pas seulement une problématique centrée sur les auteurs. L’Internet est devenu un forum mondial où les internautes expriment une identité notamment par la création de contenus. Le droit à la paternité participe à la constitution d’une identité numérique pour tous. En effet, chaque internaute devient auteur en postant des photos, des textes ou toute création originale sur un site Web, un forum ou encore un réseau social. Priver l’auteur de son droit au nom revient à lui retirer une partie de son identité numérique et de ses droits de personnalité . Cette solution avait été dégagée par la Cour de cassation dans le monde analogique et elle a vocation à s’étendre à l’Internet. Le droit américain ne participe donc pas de la protection de l’identité numérique alors que les Américains sont très présents sur l’Internet. Cette solution portera particulièrement atteinte aux auteurs lorsque la liaison effectuée par le lien entre une œuvre et un auteur s’avèrera erronée.

II) La liaison incorrecte

609. Une liaison incorrecte sera établie lorsque le lien mène vers une page relative à une personne autre que l’auteur de l’œuvre à laquelle il était fait référence sur la page source lorsque l’internaute est amené à penser qu’il s’agit du véritable auteur. La liaison entre l’auteur et son œuvre sera donc rompue en violation de l’article 6bis de la convention de Berne. La France et les États-Unis ont cependant divergé sur la question.

611. En France, l’article L. 121-1 du Code de la propriété intellectuelle protège les auteurs contre les liaisons incorrectes. Il a ainsi été retenu que l’appropriation de la paternité d’une œuvre constitue une faute . Le Visual Artists Rights Act sanctionnera a priori une telle liaison pour les œuvres des beaux-arts créées numériquement. Les auteurs dont les œuvres ne bénéficient pas de la protection du Visual Artists Rights Act ne pourront attaquer le créateur d’un hyperlien pour avoir créé une liaison erronée entre leurs noms et leurs œuvres – à moins que la liaison ne trompe sur l’origine matérielle du produit .

612. Les juges français et américains n’ont pas encore été saisis de cette question. Cependant, en application des solutions de droit commun, nous pouvons déduire que les deux systèmes divergeront. En effet, le droit français sanctionnera l’établissement d’un lien entre une œuvre et une personne autre que l’auteur, alors que cela sera autorisé dès lors que l’internaute n’est pas trompé sur l’origine matérielle du bien . Le droit français protège l’auteur alors que le droit américain protège le technicien. Les deux droits adoptent ainsi deux approches opposées.

613. La solution américaine est critiquable car elle ne prend pas en compte le fait que l’absence de mention du nom ne constitue qu’une commodité et non pas une nécessité pour les tiers. L’abence de difficulté à mentionner le vrai nom de l’auteur sur l’Internet rend peu aisée la justification de cette solution pour des raisons autres qu’idéologiques. Le public souffre en effet de l’absence d’obligation de respecter le droit de paternité.

614. Les droits moraux sont donc laissés aux États-Unis à la capacité de négociation des auteurs et donc, en partie, aux règles du marché. Dès lors, les protections française et américaine ne varient pas pour les auteurs les plus célèbres – qui pourront imposer le respect de leurs droits moraux dans leurs contrats – mais pour la masse des petits auteurs en quête de reconnaissance. Ces derniers ne pourront imposer la mention de leur nom sur leurs œuvres au moment de leur carrière où ils ont le plus besoin de reconnaissance. En outre, étant donné que l’établissement de liens n’implique pas systématiquement une autorisation des ayants droit, ils ne pourront pas souvent imposer la protection de leurs prérogatives morales. La protection américaine sera donc particulièrement limitée. Le droit français présente par conséquent l’intérêt de traiter tous les auteurs de façon égalitaire sans considération de leur célébrité et de leur force de négociation.

615. Les droits français et américain se divisent sur la question du droit de paternité, comme nous venons de le voir, mais également sur le droit à l’intégrité de l’œuvre.

Paragraphe 2 : Le droit à l’intégrité face aux liens

616. Le droit à l’honneur et à la réputation constitue, avec le droit de paternité, l’un des deux droits protégés par l’article 6bis de la convention de Berne. Les notions d’honneur et de réputation n’y sont pas définies car les parties à la convention n’ont pas réussi à se mettre d’accord sur leur contenu. En effet, lors de sa rédaction, les pays appartenant à la tradition de copyright avaient objecté contre une lecture amenant à comprendre ces droits comme ceux de la personnalité humaine . Cette conception est contraire à la tradition civiliste et notamment française et allemande où les droits moraux relèvent des droits de la personnalité. Cette divergence de points de vue a eu pour conséquence de réduire l’étendue des droits moraux. Il faut donc y voir la protection de l’honneur et de la réputation artistique de l’auteur et non pas de l’esprit de l’œuvre. Les créateurs de liens auront donc l’obligation de respecter l’honneur et la réputation des auteurs lorsqu’ils créent des hyperliens vers leurs œuvres. La convention place le seuil de protection à un niveau plus élevé qu’en France en requérant que l’auteur apporte la preuve du préjudice subi.

617. Lors de la ratification de la Convention de Berne par les États-Unis, il a été relevé que le droit américain respecte les dispositions relatives au droit moral et notamment au droit à l’intégrité de l’œuvre. Cette affirmation nous apparaît largement exagérée. Il est cependant vrai que le droit américain se place dans la même veine peu protectrice des intérêts moraux des auteurs que celle adoptée dans la convention de Berne. Les États-Unis limitent en effet la protection par le VARA aux distorsions, mutilations, ou toute modification qui pourrait porter atteinte à l’honneur ou à la réputation de l’auteur. Les droits fédérés des torts pourront également assurer la protection de la réputation de l’auteur . Cependant, l’approche est profondément différente de celle adoptée par le droit à l’intégrité français. Enfin, le Lanham Act ne sera que d’un faible secours car il pourra sanctionner les modifications ayant pour conséquence de tromper le consommateur sur l’origine d’une œuvre. Cette dernière approche est indépendante de la question de l’honneur et de la réputation de l’auteur.

618. Le droit français a adopté une approche plus protectrice des auteurs que le dénominateur commun de la convention de Berne. En effet, il ne protège pas que les atteintes à la réputation ou à l’honneur de l’auteur mais également celles allant « à l’encontre de [sa] conception », c’est-à-dire de l’esprit de l’œuvre. Le droit français protège donc la conception intellectuelle de l’auteur. La jurisprudence puis le législateur ont créé un régime centré sur l’auteur mais il apparaît que le public profite, de façon accessoire, du respect de l’esprit de l’œuvre. Le droit à l’intégrité de l’œuvre a deux pendants en droit français. Le premier consiste en l’interdiction de modifier ou de détruire l’œuvre sans l’assentiment de l’auteur ou de ses héritiers. Le second impose de respecter le cadre idéologique et philosophique correspondant aux aspirations de l’auteur. Le premier versant n’a pas lieu d’être opposé dans le cadre de l’établissement de liens car les hyperliens ne peuvent modifier ni détruire une œuvre. Le second aura plus de probabilité d’être soulevé par les auteurs. En effet, un lien établit une liaison intellectuelle entre le site source et le site cible. Le droit à l’intégrité de l’œuvre permet de communiquer l’œuvre au public conformément à la philosophie de l’auteur et dans un cadre conforme à sa conception de l’œuvre.

619. Cette approche n’est plus désormais limitée au droit français. En effet, l’article 5 de la Charte Européenne de l’Audiovisuel dispose que le droit au respect de l’œuvre a comme corollaire le droit du public à « voir l’œuvre telle qu’elle a été créée ». L’Union Européenne commence donc à intégrer l’idée que le droit moral est un droit contrôlé par l’auteur ou ses ayants droit dans leur intérêt ainsi que dans celui du public. Néanmoins, la directive 2001/29/CE se contente d’une simple référence aux dispositions de la convention de Berne et le projet de réforme ne prévoit pas de l’intégrer. La division avec le droit américain ne relève donc plus d’un clivage uniquement avec la France mais de plus en plus entre l’Union Européenne et les États-Unis.

620. Alors que l’accès à des sources fiables constitue un défi de plus en plus pressant sur l’Internet, la position française s’avère particulièrement pertinente. Elle permettra notamment d’éviter que des erreurs trompent sur l’intention de l’auteur et donc sur le message véhiculé par l’œuvre. Par exemple, la présentation du célèbre texte de Montesquieu s’opposant à l’esclavage au sein d’une revue faisant l’apologie du racisme risque d’amener à une incompréhension du texte. En effet, le génie de Montesquieu réside dans le fait que l’ironie de sa présentation se trouve dans le simple « si » initial qui permet de comprendre que l’auteur exprime une pensée absurde contraire à la sienne. Si ce texte est présenté par un lien créé notamment par le Ku Klux Klan, le caractère ironique risque de ne pas être saisi par le lecteur . Les auteurs seront donc attentifs aux liens établis vers et à partir de leurs œuvres.

621. Les auteurs auront donc tout intérêt à veiller aux liaisons intellectuelles établies par les hyperliens. Ils seront aidés dans cette tâche par les sites spécialisés permettant de connaître la liste des liens menant vers leurs œuvres. Les liens pourront s’avérer illicites lorsqu’ils mènent vers des sites intellectuellement différents ou contenant des contrefaçons du droit moral (I). Il en ira de même lorsqu’ils auront pour effet de découper les œuvres (II).
I) La liaison entre deux sites différents

622. Le droit à l’intégrité constitue le corollaire du droit de divulgation en droit français . En effet, l’auteur ne peut avoir accepté de divulguer son œuvre modifiée par autrui. Aux États-Unis, l’ersatz de droit à l’intégrité est intellectuellement indépendant dans la mesure où le droit américain ne reconnaît pas le droit moral de divulgation. Cette différence d’approche n’est pas critiquable à la lumière du droit international car la convention de Berne ne connaît pas le droit de divulgation.

623. Le droit à l’intégrité peut être enfreint lorsqu’un lien mène vers un site dont le contenu présente une approche intellectuelle différente de celle imaginée par l’auteur de l’œuvre servant d’ancre (A) ou lorsque le lien mène vers une contrefaçon au droit moral (B).

A) La liaison et la présentation différentes de l’intention de l’auteur

624. Les droits moraux des auteurs peuvent être violés lorsqu’un lien établit une liaison entre une œuvre et un contenu adoptant une approche intellectuelle différente de celle de l’auteur (1) et lorsque la présentation de l’œuvre diffère de celle souhaitée par l’auteur (2).

1) La liaison différente de l’intention de l’auteur

625. Il s’agit de l’hypothèse, déjà mentionnée à propos de Bruce Springsteen , où une œuvre est présentée dans un environnement intellectuel différent de celui imaginé par l’auteur. Nous avons vu que les droits français et américain divergent profondément à ce sujet. En effet, le droit français interdit la reproduction ou représentation d’une œuvre dans un contexte autre que celui imaginé par l’auteur , alors que le droit américain reste complètement indifférent à ce problème. Ainsi, à la différence du droit français, un auteur n’a en droit américain aucun recours si son œuvre est présentée dans un contexte qui ne correspond pas à l’idée qu’il se fait de son œuvre .

626. L’affaire Shostakovitch est exemplaire des différences d’approches entre les deux droits. La musique d’un auteur soviétique avait été utilisée dans un film américain anti-russe. L’auteur n’a eu aucun recours aux États-Unis pour l’utilisation de son œuvre car il ne s’agissait ni d’un libel ni d’un slander . Le demandeur a par la suite porté son affaire devant les juges français qui ont en revanche retenu que l’utilisation de l’œuvre violait le droit à l’intégrité. Il ne s’agissait pas de la première fois où un auteur avait recours aux dispositions protectrices des droits moraux français car Beethoven avait déjà cherché refuge dans la réglementation française pour protéger ses intérêts moraux . Cette opposition entre les deux systèmes en matière de droit au respect s’applique également en matière d’hyperliens. Un lien entre une œuvre et d’autres œuvres ou des informations véhiculant une philosophie différente pourrait constituer une violation du droit au respect de l’œuvre . Les auteurs pourraient donc opposer le droit à l’intégrité de leurs œuvres en France lorsqu’un lien la relie à un contexte intellectuel différent de celui imaginé par l’auteur, alors que le juge américain resterait impassible face à une telle situation.

627. La différence entre les droits français et américain sera néanmoins nuancée par l’absence d’absolutisme du droit français à l’intégrité. Il est en effet traditionnellement accepté que le droit à l’intégrité se trouve modulé en fonction des circonstances . Il existe donc une forme d’exception de minimis non curat praetor. Il n’y a pas de raison de refuser d’appliquer ce principe aux hyperliens. Les auteurs devront donc accepter que des liens soient créés à partir de sites ne reflétant pas entièrement leur approche intellectuelle conformément à la jurisprudence traditionnelle. Tout sera question de mesure dès lors que l’œuvre n’est pas « déformée dans son esprit » par le contexte. Le seuil de tolérance sera a priori relativement bas en France, ce qui risque de poser une limite à la liberté d’expression que le droit américain n’opposera pas. Les droits français et américain ne convergent donc que sur l’absence de sanction des liaisons avec des contextes intellectuels ne dénaturant pas l’esprit de l’œuvre. La convergence est par conséquent très limitée.

628. La jurisprudence française n’a pas eu l’occasion de se prononcer sur la question d’un lien menant depuis une œuvre vers un contenu idéologiquement ou philosophiquement différent. Il serait néanmoins conforme à l’état du droit français de retenir qu’un lien menant vers un contenu idéologique, artistique, politique ou culturel différent de celui pensé par l’auteur viole le droit à l’intégrité de l’œuvre . Le droit américain appliquera la même solution que dans l’arrêt Shostakovitch et retiendra qu’aucun droit du titulaire du copyright n’est violé. L’accès à une information fiable est ainsi, aux États-Unis, sacrifié sur l’autel de la liberté d’expression.

2) La présentation différente de l’intention de l’auteur

629. Le cadre de présentation d’une œuvre influe sur la compréhension de celle-ci. Le droit à l’intégrité s’avère donc d’une grande importance dans le cadre du respect de la liaison intellectuelle entre l’auteur et son œuvre afin d’assurer un accès objectif à la culture et aux informations. Les droits français et américain divergent sur la question du droit à l’intégrité (a). Ils convergent en revanche lorsque l’image de l’auteur est blessée par un contenu pornographique (b).

a) Les divergences des droits français et américain en matière de présentation de l’œuvre

630. Un lien cadre présentera plus de risque de violer le droit à l’intégrité que les autres liens dans la mesure où il présentera l’œuvre dans le contexte de la page source . En effet, un lien cadre permet de visualiser une œuvre tout en restant sur la page où se trouve l’ancre. L’œuvre liée peut par conséquent être présentée au milieu d’un contexte profondément différent de celui imaginé initialement par l’auteur.

631. La jurisprudence française a déjà été saisie d’une question similaire. Il a en effet été retenu que la présentation d’un article « savant et documenté », dans un journal gratuit et au milieu de nombreuses publicités, viole le droit à l’intégrité de l’œuvre . Par analogie, la création d’un lien vers une œuvre savante à partir d’une page en accès libre contenant de nombreuses publicités devrait violer le droit à l’intégrité de l’œuvre. Il en ira de même dès lors qu’un tiers donne une idée inexacte de l’œuvre qu’il reproduit ou représente, ou qu’il déforme la « pensée générale » de l’auteur. Dès lors, les créateurs de liens devront être attentifs à la cohérence entre le site source et le site cible. Il en ira de même si l’internaute propose une série de liens vers différentes œuvres qui devront être intellectuellement compatibles entre elles .

632. En s’abstenant de reconnaître un droit moral aux auteurs, le droit américain autorise donc la présentation d’œuvres dans un contexte différent de celui imaginé par l’auteur et ce, même s’il s’avère trompeur sur son intention intellectuelle. Cette solution n’est pas satisfaisante eu égard au fondement de la Copyright clause de la Constitution qui justifie le copyright par la nécessité de divulguer des connaissances. En effet, nous ne pensons pas que les Pères Fondateurs auraient soutenu un système autorisant les communications à dessein d’informations erronées, d’autant plus que la première loi sur le copyright protégeait notamment les cartes qui se devaient d’être précises. La circulation des œuvres ainsi que l’incitation à créer ne suffisent pas à assurer le dynamisme culturel d’un pays qui requière le respect des œuvres déjà créées. Il est donc regrettable que les rédacteurs de la Constitution n’aient pas adopté une approche plus large des créations intellectuelles. La section 43(a) du Lanham Act pourra néanmoins venir en aide aux producteurs des œuvres lorsque le cadre de présentation aura pour effet de tromper les consommateurs quant à leur origine . Le substitut est bien faible car il ne prend pas en compte la dimension intellectuelle des œuvres.

633. Les droits français et américain maintiennent donc une divergence irréductible qui trouve son fondement dans des conceptions radicalement différentes de la création intellectuelle. Il s’avère donc que le droit français est plus protecteur du droit à l’accès à la culture du public que le droit américain. Cette différence de principe doit néanmoins être nuancée dès lors qu’un lien est établi entre une œuvre et un contenu pornographique.

b) La convergence limitée des droits français et américain en matière de présentation de l’œuvre

634. Les droits français et américain convergent en effet lorsque la présentation d’une œuvre est effectuée dans un contexte pornographique. En effet, une telle présentation d’une œuvre sera sanctionnée en droit américain sur le fondement de la section 43(a) du Lanham Act et en droit français en tant que violation du droit moral à l’intégrité. Le dénominateur commun des deux droits, en matière de droit à l’intégrité, se trouve donc limité à la présentation d’une œuvre dans un contexte pornographique. Il ne s’agit cependant pas que d’un cas d’école étant donné que l’Internet regorge de contenus pornographiques et que le risque de liaison entre un tel contenu et une œuvre est grand.

635. L’Internet joue ainsi le rôle d’une marée descendante découvrant les défauts initialement cachés par l’océan. En effet, dans de nombreux cas, l’absence de droit à l’intégrité était compensée, en droit américain, par le droit de reproduction qui permet aux titulaires du copyright d’interdire toute modification de leurs œuvres étant donné que cela nécessitait une copie . Cependant, avec l’invention des hyperliens, l’intérêt des droits moraux se trouve renforcé. Ainsi, loin de constituer des reliquats d’un passé qu’il faudrait jeter aux oubliettes, les droits moraux se montrent plus modernes que jamais. L’avènement du numérique nous place face aux limites des raisonnements élaborés à l’époque analogique. Les difficultés soulevées par l’absence de droit moral aux États-Unis se font ressentir encore plus fortement sur l’Internet, et notamment lorsque le lien mène vers une contrefaçon du droit moral.
B) Le lien vers une contrefaçon du droit moral

636. Les droits français et américain s’opposent quant à l’interdiction des liens vers des contenus illicites. Le droit français les prohibe a priori en matière de droits moraux conformément au principe de l’interdiction de mener vers des contenus illicites . En effet, le raisonnement de l’arrêt GS Media BV c. Sanoma n’est applicable qu’au droit de communication au public. Il ne s’étend donc pas aux droits moraux, d’autant plus que la directive 2001/29/CE ne contient aucune disposition concernant les droits moraux et se contente de renvoyer à la convention de Berne . En revanche, le droit américain les interdit uniquement s’ils constituent des actes de secondary infringement qui n’aura de toute façon vocation à s’appliquer qu’en matière de droits patrimoniaux.

637. L’auteur bénéficie donc d’un droit d’isolement d’une contrefaçon en droit français s’inscrivant dans une logique de Webring, c’est-à-dire d’exclusion des contenus illicites. Ce droit constitue un remède au caractère international de l’Internet. En effet, il est possible qu’une contrefaçon soit mise en ligne à partir d’un serveur se trouvant dans un paradis numérique ou dans un pays qui, comme les États-Unis, ne reconnaît pas le droit moral. Les juges français ne pourront ordonner le retrait de l’œuvre sur le serveur mais ils pourront empêcher son référencement à partir de l’Internet français en demandant la suppression du lien. Les auteurs jouiront donc de l’absence de référencement sur l’Internet français , mais ils ne pourront empêcher l’accès aux contrefaçons par des internautes assez expérimentés pour utiliser des serveurs étrangers. La solution n’est évidemment que partiellement satisfaisante pour les auteurs mais, en l’absence de juridictions à compétence universelle, il est impossible pour les juges de prendre des décisions concernant l’intégralité du réseau. Il y a par conséquent un décalage entre les règles de fond qui sont pensées dans le cadre universaliste de l’Internet et les règles de compétences qui ne se sont pas émancipées de leur dimension territoriale originelle.

638. Cette solution est somme toute classique en droit français – qui reconnaît le principe général d’interdiction de créer des liens vers des contenus illicites – ainsi qu’en droit américain – qui n’interdit que les liens vers des logiciels permettant le contournement de mesures techniques efficaces . En outre, en dehors des hypothèses où les liens se contentent de tracer des chemins vers les contrefaçons, il arrive qu’ils soient des outils permettant la contrefaçon lorsqu’ils permettent le découpage des œuvres.

II) Le découpage des œuvres

639. La compréhension erronée d’une œuvre peut également être due à son découpage. Il est dans l’intérêt du public de voir l’œuvre présentée dans l’ordre que l’auteur a voulu. Il s’agit de l’hypothèse dans laquelle une œuvre est présentée sur plusieurs pages Internet et que les liens ne respectent pas l’ordre pensé par l’auteur. Certaines œuvres, et notamment certains livres, sont présentées sur plusieurs pages Internet. Une présentation erronée de l’ordre des chapitres ou des pages peut amener à modifier l’intention de l’auteur, à moins qu’il ne s’agisse d’œuvres pouvant être lues dans plusieurs sens telle que « Cent mille milliards de poèmes », mais un tel procédé reste assez inusité. Pour la majorité des œuvres, une modification de l’œuvre impliquera des erreurs sur le sens.

640. Prenant acte de cette difficulté, la jurisprudence française retient traditionnellement que la présentation d’œuvres dans un ordre non voulu par l’auteur constitue une violation du droit à l’intégrité , surtout lorsque l’œuvre originale et la présentation par le tiers visent des publics différents . Ces situations pourront se vérifier sur l’Internet lorsque les œuvres sont accessibles à partir d’hyperliens. La jurisprudence devrait par conséquent sanctionner la création de liens amenant les internautes à une visualisation désordonnée des œuvres. Aux États-Unis il n’y a pas lieu d’appliquer le Visual Artists Rights Act aux liens dans la mesure où la loi n’a vocation à protéger l’intégrité des œuvres qu’en cas de destruction ou détérioration matérielle non réparable. La destruction est entendue de façon matérielle et non pas intellectuelle. Le découpage par des hyperliens ne sera donc pas considéré comme une violation du VARA. En outre, la section 43(a) du Lanham Act ne sera pas opposable tant qu’aucun risque de confusion sur l’origine du produit n’existe. Le Lanham Act n’offre aucune protection aux auteurs dont les œuvres se trouvent découpées. Les auteurs n’auront donc aucun recours en droit américain contre la présentation désordonnée d’une œuvre par les liens.

641. Le droit français protège par conséquent le public non pas contre sa propre lecture désordonnée d’une œuvre, mais contre la présentation modifiée par autrui. Cela empêche les créateurs de liens de présenter dans un premier temps les œuvres les plus attrayantes pour le public, puis celles les moins populaires, afin de capter son attention sans considération de la cohérence de l’œuvre. Cette situation s’était présentée pour la vente de l’Évangile de Judas dont l’ordre des pages avait été modifié afin de présenter les mieux conservées sur le dessus . Cette présentation permettait d’attirer l’attention d’investisseurs mais ne respectait en aucun cas la cohérence du manuscrit. Il a ainsi fallu une expertise afin de replacer les pages dans leur ordre original. Une telle situation est dommageable pour l’accès du public à la culture et il ne serait pas acceptable qu’elle se reproduise à cause des liens. La simple approche économique de la présentation des œuvres constitue par conséquent un danger pour la fiabilité des œuvres.

642. Le droit français assure donc une protection beaucoup plus large des droits moraux qui peuvent, comme nous l’avons vu, s’harmoniser avec un développement harmonieux et rapide de l’Internet. Cependant, le rejet des droits moraux est tel aux États-Unis qu’il semble très peu probable que le Congrès réforme le Copyright Act afin d’introduire un droit moral plus large et ce, d’autant plus que l’Internet a marqué une dilution de la notion d’auteur et que de nombreuses créations – notamment les articles sur Wikipedia – ne sont pas signées . Le contexte culturel de l’Internet ne devrait donc pas renforcer la nécessité d’introduire les droits moraux aux États-Unis. Le droit américain se trouve pourtant de plus en plus isolé sur cette question malgré la victoire des juristes américains qui ont réussi à écarter les droits moraux des accords de Marrakech créant l’OMC. La France protège donc mieux ses auteurs que les États-Unis en ce qui concerne leurs prérogatives morales. La protection sera également plus forte en ce qui concerne les bases de données.

Section 2 : Les liens face aux droits des bases de données et des compilations

643. L’Internet constitue désormais la plus grande base de données – au sens strict et non juridique du terme – du monde où la très grande majorité des connaissances actuelles est placée. Nos modes de vie ainsi que nos connaissances doivent beaucoup à l’Internet. Certains auteurs craignent d’ailleurs notre dépendance à Internet et prédisent un Moyen Âge en cas de fin de l’Internet à cause de la difficulté d’accès aux œuvres et aux informations. Le droit de lier constitue donc un atout dans l’accès aux informations puisqu’il permet de trouver des informations sur le réseau. Il constitue également un avantage culturel pour les sociétés du monde entier.

644. Les liens mènent toujours vers une partie d’une base de données, qu’il s’agisse de l’Internet dans son ensemble ou une base de données créée par des internautes. L’idéal libertaire de l’Internet ainsi que son fonctionnement amènent à penser que l’établissement de liens vers des sites contenant une base de données est libre. En outre, la liberté de créer des liens ainsi que l’accès à la culture nécessitent une absence de barrière à la création de liens vers des bases de données.

645. Cependant, les producteurs de bases de données européens pensent avoir besoin d’une réservation afin d’obtenir des revenus nécessaires au financement de leurs travaux de collecte et d’organisation des informations . Cette approche est philosophiquement placée dans le sillage de la conception lockéenne de la propriété. Le philosophe britannique avait en effet justifié l’appropriation des choses données en commun à l’humanité par le travail que requière l’obtention d’une chose . La propriété constituerait ainsi le meilleur moyen de retirer l’utilité des choses de la nature qui appartiennent en commun à l’espèce humaine . Au XVIIe siècle où Locke écrivait, la question de la propriété des choses immatérielles n’avait pas été abordée. Cependant, ces principes ont été étendus par le législateur européen de 1996 à la propriété des choses immatérielles. En effet, les producteurs de bases de données ont désormais le droit de s’approprier l’accès aux informations se trouvant sur leurs bases de données dès lors qu’ils développent des efforts substantiels. Le législateur considère ainsi que le droit de propriété constitue le meilleur moyen de retirer le maximum d’avantage des informations . Le seuil d’obtention du droit de propriété est néanmoins plus élevé dans la directive européenne qu’il ne peut l’être dans la conception lockéenne. Locke considère en effet qu’un simple effort de la part d’un individu suffit pour qu’il obtienne la propriété sur le fruit de son travail.

646. Le droit sui generis est ainsi un droit-fonction car il vise à inciter à la production de bases de données et non pas à rétablir une forme de justice au profit d’entités jouissant d’un droit naturel qui s’inscrirait dans une conception tommiste . La philosophie du droit sui generis tranche donc avec celle du droit d’auteur français telle qu’elle s’est imposée au XIXe siècle.

647. Afin d’assurer le développement des bases de données, le droit européen a donc introduit une réglementation sui generis qui se cumule avec le droit d’auteur . Le législateur européen a ainsi suivi une évolution diamétralement opposée à celle connue aux États-Unis. Le droit américain avait en effet tourné le dos à la théorie de la sweat of the brow avec l’arrêt Feist qui a introduit le critère de l’originalité pour l’application du copyright. Le droit sui generis n’est pas applicable au réseau Internet car il ne s’agit pas d’une base de données créée par un unique groupe de producteurs mais par un ensemble éclaté d’internautes . Un lien vers une page de la base de données qu’est l’Internet ne se verra donc opposé que le droit commun du droit d‘auteur. Le droit sui generis ne vient donc pas limiter le principe général de la liberté de lier.

648. Cependant, certaines parties de l’Internet peuvent satisfaire aux critères de protection de la directive 96/9/CE et constituent donc des bases de données. Dans ces hypothèses, le droit commun du droit d’auteur – par défaut – ainsi que le droit sui generis seront opposables au créateur du lien. Le droit américain adopte une approche plus simple en appliquant uniquement le droit commun du copyright aux bases de données. Les créateurs de bases de données ne pourront donc obtenir de protection que sur le fondement de la notion de compilation en droit américain.

649. La compilation est le résultat d’un procédé de sélection et d’organisation d’éléments protégés ou non . Cette définition est similaire aux dispositions de l’article 1.2 de la directive 96/9/CE disposant que constitue une base de données « un recueil d’œuvres, de données ou d’autres éléments indépendants, disposés de manière systématique ou méthodique » (nous soulignons). Les deux systèmes s’accordent donc sur le principe d’organisation raisonnée d’une base de données.

650. La différence entre les deux régimes réside cependant dans l’absence de prise en compte de l’investissement en droit américain alors que ce critère est au cœur de la protection accordée par la directive européenne . Ainsi, alors que l’Europe continentale est le berceau de la conception romantique du droit d’auteur, l’Union Européenne a introduit une conception économique avec la protection des bases de données par le droit sui generis alors qu’elle est rejetée en droit américain. En outre, malgré des projets visant à introduire un droit sui generis, les États-Unis ont refusé de suivre l’exemple européen. Les États-Unis ne protègent donc que l’œuvre et non pas la quantité d’efforts nécessaires pour la créer , alors que le droit européen assure la protection du droit sui generis lorsque des efforts humains, matériels ou financiers substantiels ont été apportés pour la création d’une base de données. Le droit américain campe donc sur ses positions romantiques alors que le droit européen intègre une dimension économique.

651. La question du droit de lier vers une base de données ne se pose donc pas aux États-Unis comme une problématique particulière dans la mesure où le droit commun du copyright aura vocation à s’appliquer. Le droit américain rejette donc le principe d’une réservation ad hoc permettant d’interdire l’établissement de liens. Cette solution avait été exprimée dans un projet de loi rejeté visant à introduire une réglementation sui generis. En effet, le projet de loi américain dit 3261 proposait expressément d’autoriser l’établissement de liens vers des bases de données .

652. La directive sur les bases de données devait également être dotée d’une disposition relative à la liberté d’indexation des œuvres d’autrui dans la mesure où elle ne constituerait pas une extraction substantielle. Ce projet a finalement été abandonné , montrant la volonté de l’Union Européenne de soumettre les liens au droit sui generis. L’Union Européenne se montre donc protectrice du monopole des producteurs de bases de données alors que le droit américain assure la liberté de lier.

653. Le cumul de réglementations risque de peser sur le droit d’établir des liens alors que ceux-ci sont nécessaires à la vulgarisation des connaissances. Un équilibre doit donc être trouvé entre les différents intérêts en cause. Les droits européen et américain ont largement reconnu le droit d’établir des liens tout en préservant les créateurs de bases de données contre l’utilisation du formulaire de recherche de la base de données (Sous-Section 1) et en circonscrivant les interdictions de lier (Sous-Section 2).

Sous-Section 1 : L’utilisation du formulaire de recherche d’une base de données protégée

654. Lorsque les internautes ouvrent la page d’un moteur de recherche ils accèdent à un formulaire de recherche, c’est-à-dire à une page permettant de renseigner des informations relatives à la recherche souhaitée.

655. La création de liens manuels vers des formulaires de moteurs de recherche (Paragraphe 1) ne fait pas obstacle au financement des moteurs de recherche. La situation est différente lorsqu’un moteur de recherche utilise les services d’un autre moteur de recherche. En effet, l’utilisation d’un moteur de recherche par un autre moteur risque de mettre en péril le modèle économique des créateurs de liens. Les droits français et américain interdisent ce type d’agissement (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Le lien manuel vers un formulaire de moteur de recherche

656. L’hypothèse du lien manuel vers un formulaire de moteur de recherche est celle où un internaute va mener depuis son site vers la page d’accueil d’un autre site fonctionnant comme un moteur de recherche. Il en ira ainsi par exemple si un internaute crée un lien vers les pages d’accueil de Trivago, Leboncoin, Craigslist etc…

657. La question de la légalité de la création d’un lien manuel vers le formulaire d’un moteur de recherche soulève tout d’abord une problématique identique à celle de la protection d’un formulaire par le droit d’auteur. Les droits européen et américain ont établi des critères similaires de protection par le droit d’auteur et le copyright. Le droit européen protège les œuvres constituant le fruit de l’empreinte de la personnalité de leur auteur – qui s’analyse en un apport intellectuel arbitraire et échappant aux contraintes de la technique – alors que le droit américain applique le copyright aux œuvres originales – c’est-à-dire aux œuvres dotées de original authorship qui sont le fruit d’une « étincelle créative ». Les approches européenne et américaine se recoupent donc largement car elles assurent toutes deux la protection des créations dès lors qu’elles se libèrent de la contrainte matérielle et constituent ainsi le fruit d’un libre arbitre. Le seuil de protection est donc peu élevé dans les deux systèmes juridiques. Il est donc concevable que le formulaire d’un moteur de recherche soit le fruit de l’empreinte de la personnalité de l’auteur ou de son originalité et qu’il soit protégé à ce titre par le droit d’auteur ou le copyright. Cette hypothèse sera néanmoins relativement rare car la majorité des formulaires de recherches se contente de présenter un simple onglet dans lequel l’internaute a la possibilité de renseigner sa recherche. La simplicité de la présentation de nombre de formulaires de moteurs de recherche fera souvent obstacle à la protection. La majorité des formulaires ne bénéficiera pas de protection et, dans les cas où le droit d’auteur et le copyright s’appliqueront, l’établissement d’un lien ne sera pas sanctionné lorsque le contenu ciblé sera licite .

658. Les deux droits autorisent, conformément au principe de la liberté de lier, l’établissement de liens vers des œuvres protégées licites. Les solutions convergent donc lorsque les liens mènent vers des formulaires insusceptibles de protection ou vers ceux mis en ligne avec l’autorisation du titulaire des droits.

659. Les deux droits divergent en revanche lorsque les liens mènent vers des contrefaçons. Le droit américain autorise la création de liens vers les formulaires des moteurs de recherche dès lors qu’il ne s’agit pas d’un secondary infringement, ce qui dépend de la présentation de la page contenant l’ancre. Le droit français en revanche n’autorise la création d’un lien vers un formulaire de recherche que s’il est licite dans les conditions de l’arrêt GS Media BV c. Sanoma qui établit une présomption de bonne foi lorsque le lien est créé sans but lucratif, et de mauvaise foi lorsqu’il est créé dans un but lucratif. Le droit français interdit donc la création de liens vers un formulaire qui constitue la copie contrefaisante d’une œuvre protégée. La distinction entre les deux droits s’avère classique et la situation ne soulève pas de difficulté particulière du point de vue du droit commun du droit d’auteur.

660. La création d’un lien vers le formulaire de recherche d’un créateur automatique de liens est donc légal en droit français et américain. Elle ne suscite pas de divergence entre les deux systèmes au sujet des droits sui generis des bases de données puisque le lien manuel menant vers un formulaire n’est à l’origine d’aucune extraction. La question se pose en des termes différents lorsqu’un créateur automatique de liens mène vers le formulaire d’un autre créateur automatique de liens car il risque d’attirer des revenus publicitaires qui auraient dû être versés au créateur du formulaire.

Paragraphe 2 : Le lien automatique vers un formulaire de moteur de recherche

661. La question s’est posée de savoir si un métamoteur de recherche – c’est-à-dire un moteur de recherche effectuant des recherches au travers d’autres moteurs de recherche – viole le monopole du producteur sur sa base de données. La question est abordée de façon différente par les droits européen et américain.

662. La jurisprudence américaine a été la première à être saisie de la question. Le district court du Nord de la Californie a ainsi retenu que l’utilisation d’un moteur de recherche par un autre moteur de recherche tiers constitue un tort de trespass to chattel . La CJUE a par la suite retenu, dans l’arrêt InnoWeb , qu’un métamoteur de recherche était illégal car il offrait « en substance les mêmes fonctionnalités que le formulaire de la base de données » d’un tiers et violait ainsi le droit sui generis des bases de données. Les juges de Luxembourg ont donc affirmé que les propriétaires de moteurs de recherche ont le droit d’interdire l’utilisation de leurs formulaires de recherche. Les producteurs de moteurs de recherche jouissent d’un droit de propriété sur leurs formulaires car ils bénéficient d’une « appropriation exclusive et opposable à tous ».

663. Malgré les similitudes dans les résultats, les logiques divergent profondément entre les deux systèmes. Le droit américain interdit les actes à l’origine de la perturbation d’une jouissance paisible alors que le droit européen sanctionne la violation d’un droit de propriété. L’interdiction européenne intervient a priori plus en amont qu’en droit américain.

664. Les solutions américaine et européenne présentent des inconvénients. En effet, dans un avis particulièrement convaincant des amici curiae – c’est-à-dire des « amis de la cour » présentés par les parties et qui aident les juges à comprendre les enjeux d’une affaire et dont les avis ne sont pas obligatoires – dans l’affaire Ebay, Inc. v. Bidder’s Edge et sollicités dans le cadre de l’appel du jugement de la district court, il a été souligné que cette solution va à l’encontre de l’intérêt public et limite l’échange d’information sur les prix. Le libre commerce s’en trouverait ainsi restreint. La libre jouissance du moteur de recherche peut donc être limitée dès lors qu’il en va de l’intérêt public. Les amici curiae ont notamment souligné le fait que les juges allaient mettre un terme à l’accès facilité et économique aux produits de consommation. Les amici curiae n’ont abordé la question que sous un angle purement économique mais cela a des conséquences en matière culturelle. En effet, en interdisant le référencement d’offres mises en ligne par des tiers les internautes n’ont pas accès à l’intégralité des offres culturelles existantes. Enfin, le trespass to chattel doit être actual , c’est-à-dire effectif et contemporain des faits. Or l’arrêt retient que le tort est constitué en imaginant quelle serait la situation du demandeur si un nombre plus élevé d’internautes utilisait le service. Il nous semble dès lors que la solution des amici curiae est fondée juridiquement car le préjudice n’est pas effectif.

665. Néanmoins, la Cour d’appel fédérale pour le Neuvième Circuit n’a pas rendu de décision dans cette affaire. L’avis des amici curiae est donc en attente de confirmation ou d’infirmation par un Circuit. Aucun autre juge n’a pris position sur cette question mais plusieurs arrêts ont confirmé la solution de l’arrêt eBay . Il avait été retenu que les crawlers de la société Bidder’s Edge utilisaient les ordinateurs de la société eBay – même si l’interférence n’était pas substantielle – et que cela avait pour conséquence de consommer une partie de la bande passante de la société eBay à cause des 80 000 demandes par jour. Une conception holiste relevant de l’impératif kantien s’est donc imposée car il a été affirmé que si un tel acte n’était pas interdit des tiers ne seraient pas dissuadés d’utiliser les moteurs de recherche de tiers. La souplesse de l’approche américaine est opposée à celle en vigueur en France où les juges tranchent a priori en fonction des faits de l’espèce et non pas de considérations extérieures.

666. L’arrêt InnoWeb adopte une position similaire mais en considération uniquement des intérêts des producteurs de bases de données et se place donc dans une approche lockéenne. Il leur confère ainsi un droit de contrôler l’accès aux informations sans distinction entre les œuvres protégées par le droit d’auteur, les œuvres tombées dans le domaine public et les informations brutes non protégées. Cette appropriation n’est pas limitée de façon satisfaisante par le critère de l’utilisation substantielle du formulaire qui autorise les utilisations limitées sans considération de leur intérêt pour le public, alors que le droit européen est familier des tests de proportionnalité.

667. Les juges de Luxembourg ont ainsi retenu que le propriétaire d’un moteur de recherche jouit d’un monopole sur le formulaire de son moteur de recherche parce que le contournement du formulaire peut avoir pour conséquence une baisse des revenus du producteur . Ainsi, à l’inverse de l’avis des amici curiae et dans le sillage de l’arrêt de la District Court, l’arrêt InnoWeb place le créateur du moteur de recherche au centre de son raisonnement sans considération pour les intérêts du public. Cette différence avec le copyright est logique étant donné que le droit de la responsabilité civile sert avant tout à protéger des intérêts privés.

668. En outre, plus qu’un raisonnement purement juridique, les juges européens adoptent une approche mêlant droit et économie afin de renforcer le monopole du producteur du moteur de recherche. Ils ont en effet souligné que le recours à un métamoteur de recherche risque de diminuer le trafic sur le site car les internautes se contentent du métamoteur de recherche sans recourir au moteur de recherche lié. De cette façon, le moteur de recherche lié engrange moins de bénéfices, ce qui fait obstacle, selon les juges de Luxembourg, à un retour sur investissement des producteurs de bases de données. L’argument nous paraît critiquable car il était tout à fait possible d’obliger les métamoteurs de recherche à présenter les publicités du moteur de recherche cible pendant quelques secondes à la suite du clic sur un lien menant vers ledit moteur. De cette façon, le moteur de recherche aurait perçu des bénéfices lui permettant d’amortir son investissement. La focalisation sur le dommage économique souligne le caractère confus de la protection du droit sui generis qui n’est pas un véritable droit de propriété et qui protège contre des actes relevant de la concurrence déloyale. Or la concurrence déloyale est fondée sur les articles 1240 et 1241 du Code civil réglementant la responsabilité extra-contractuelle . Le droit sui generis constitue désormais d’un fondement juridique particulier mais il constitue une excroissance de la responsabilité civile dans la mesure où il s’agit d’un « droit sur l’investissement dans la filiation directe des constructions jurisprudentielles faites sur le continent pour lutter contre le parasitisme ». Les approches américaine et française ne sont donc pas si éloignées.

669. L’approche européenne s’éloigne cependant de la logique irriguant le tort américain dans la mesure où il ne s’applique pas pour un préjudice économique mais uniquement pour une perte de jouissance d’un bien. En effet, le droit américain est traditionnellement réfractaire à l’indemnisation des préjudices purement économiques . Néanmoins, il nous semble que dans la très grande majorité des cas, il n’y aura pas qu’une pure perte économique mais également une diminution de la jouissance du bien. La notion de pure economic loss ne devrait donc pas constituer une barrière à l’établissement du tort. Le droit européen n’aura donc pas plus souvent vocation à interdire l’établissement de liens que le droit américain.

670. Les approches européenne et américaine confèrent aux moteurs de recherche un droit sur l’accès aux informations dont ils risquent d’abuser non pas dans le seul but d’assurer un retour sur investissement, mais pour limiter la libre concurrence et l’accès aux informations. Il y a donc un risque de monopolisation excessive des contenus qui risque de conduire à une perte de bien-être social des internautes par la monopolisation de l’accès à l’information.

671. Les droits européen et américain débouchent donc sur une surréservation en violation du principe de la libre circulation des idées, de la libre concurrence , et constituent une violation de l’idéal libertaire de l’Internet. Si un lien peut avoir pour conséquence de violer les droits du propriétaire d’un formulaire de recherche de base de données, la question se pose de savoir si un lien peut avoir pour conséquence de violer le monopole d’exploitation d’une base lorsqu’il mène vers ses contenus.

Sous-Section 2 : L’extraction des éléments de la base de données

672. Lorsque le lien mène vers une base de données ne jouissant pas de la protection du droit d’auteur et n’étant donc pas protégée par le droit sui generis, aucune barrière ne s’oppose à l’établissement d’un lien. La liberté de lier sera donc totale.

673. La question de la liberté de lier se pose en revanche pour les bases protégées par le droit d’auteur (Paragraphe 1) et par le droit sui generis (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les bases de données protégées par le droit d’auteur et le copyright

674. Le droit d’auteur et le copyright ont vocation à s’appliquer indifféremment à toutes les créations marquées par l’empreinte de la personnalité de l’auteur ou qui s’avèrent originales. Les droits communs du droit d’auteur et du copyright assurent une protection aux anthologies et plus généralement à toutes les formes qui sont le fruit de l’empreinte de la personnalité d’un auteur en droit français ainsi qu’aux compilations en droit américain dès lors qu’elles font l’objet d’un minimum d’originalité . L’anthologie , ainsi que la compilation , peuvent donc bénéficier de la protection du droit d’auteur et du copyright même si elles sont numériques.

675. Or, l’anthologie ainsi que la compilation peuvent constituer des bases de données. Les protections du droit d’auteur et du droit sui generis sont cumulatives dans la mesure où elles ne protègent pas les mêmes éléments. Ainsi, alors que le droit d’auteur protège l’architecture et l’agencement d’une base de données, le droit sui generis protège le contenu . Il n’existe pas de cumul aux États-Unis étant donné qu’il n’existe que le copyright. Les bases de données protégées exclusivement par le droit d’auteur sont celles n’étant pas le fruit d’un investissement substantiel humain, matériel ou financier mais présentant la marque de l’empreinte de la personnalité de leurs auteurs. Les bases de données respectant les critères d’investissements substantiels jouiront en revanche du cumul des deux protections.

676. Lorsque ces créations ne sont protégées que par le droit commun du droit d’auteur ou du copyright, les règles applicables sont celles vues précédemment en matière de liens vers des œuvres protégées. La création de liens sera donc par principe légale, sauf les exceptions soulevées dans les développements précédents, et notamment l’établissement d’un lien vers une contrefaçon en droit français et européen ou, en droit américain lorsque le créateur de lien se rend coupable de secondary infringement.

677. Le droit de lier est donc particulièrement étendu lorsqu’il s’agit d’établir des liens vers des bases de données protégées exclusivement par le droit d’auteur ou le copyright. Il se trouvera partiellement réduit lorsque la base de données est protégée par le droit sui generis.

Paragraphe 2 : Les bases de données protégées par le droit sui generis

678. En Europe, les travaux préparatoires de la directive 96/9/CE ainsi que les considérants ne mentionnent pas la question de son applicabilité aux liens. Cette absence est sans doute le fruit de l’état encore balbutiant de la démocratisation de l’Internet au moment du vote de la directive. Il est cependant regrettable que l’Union Européenne, dont les scientifiques ont inventé les hyperliens, ne les ait pas pris en compte. Cette absence de prise de position soulève des doutes quant à l’opposition des droits des producteurs de bases de données aux créateurs de liens. En effet, là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer.

679. Aux États-Unis en revanche, aucune réglementation relative aux droits sui generis n’a vu le jour. Cependant, le projet de loi dit 3261 , qui visait à introduire une protection équivalente, avait retenu à la section 4(c) que « nothing in this Act shall restrict the act of hyperlinking of one online location to another or the providing of a reference or pointer ». L’établissement de liens vers des bases de données n’avait donc pas vocation à être interdit. Ainsi, même dans l’hypothèse, peu probable car cela reviendrait à contourner les dispositions de la Copyright clause sur le fondement de la Commerce clause , où les États-Unis introduiraient une protection sui generis des bases de données, le législateur sera certainement attentif à ne pas interdire la création de liens afin d’assurer la libre circulation des idées. Une telle réglementation n’est de toute façon pas à l’ordre du jour. Le droit commun, libertaire pour les créateurs de liens, aura donc vocation à s’appliquer.

680. Cette différence entre les deux systèmes est le fruit des contextes de réflexion distincts. Le législateur européen de 1996 a voté la directive 96/9/CE alors que l’Internet était au début de sa démocratisation. Les députés n’avaient sans doute pas vraiment conscience des potentialités des liens. Le projet américain a été pensé 7 ans plus tard alors que l’Internet était déjà largement diffusé aux États-Unis. Il en résulte que le droit européen n’a pas été pensé pour les hyperliens, et que cela risque d’en entraver le développement.

681. Lorsqu’une base de données est protégée par le droit sui generis, le producteur a le droit d’interdire l’extraction de la totalité ou d’une partie substantielle de sa base de données . L’extraction est constituée par le « transfert [de données] sur un autre support ». Malgré sa similarité , l’extraction se distingue du droit de reproduction par son objectif . En effet, l’article L. 342-1 du Code de la propriété intellectuelle dispose que l’extraction est constituée par tout acte consistant […] à s’approprier […], sans le consentement de la personne qui a constitué la base de données, les résultats de son investissement, privant ainsi cette dernière de revenus censés lui permettre d’amortir le coût de cet investissement ». Ainsi, alors que le droit commun du droit d’auteur se limite à une conception technique du droit de reproduction, la notion d’extraction est empreinte d’une dimension économique limitant son champ d’application. Cette approche est cohérente dans la mesure où il s’agit d’un droit issu des conceptions continentales du parasitisme . En outre, l’extraction et la reproduction se distinguent par le fait que la première se limite à la fixation effectuée à partir de la base de données du demandeur, alors que le droit de reproduction s’applique à toute fixation de la forme indépendamment de l’origine du modèle de la copie . L’établissement de liens vers un contenu qui se trouverait autre part que sur la base de données du demandeur ne se verrait donc pas opposer le droit sui generis.

682. Une partie de la doctrine a retenu que l’établissement d’un lien hypertexte vers une base de données protégée par le droit sui generis ne constitue pas une extraction. Cette position prend acte de l’impossibilité pour les liens de reproduire le contenu lié et, par conséquent, de l’extraire. En effet, la reproduction effectuée par la copie cache étant licite le droit de reproduction n’a pas vocation à être opposé au créateur de lien. La liberté totale de lier vers des bases de données protégées par le droit sui generis est ainsi protégée.

683. Il a cependant été fait remarquer que si techniquement aucune reproduction n’était effectuée, il pouvait être argué que, sur le plan du but illicite et de l’équivalence des résultats, les liens sont à l’origine d’une extraction conformément à la théorie de l’emprunt de substance .

684. Le débat a donc porté, comme dans l’arrêt américain Perfect 10 v. Google , sur la question de savoir si la contrefaçon devait être comprise comme un acte matériel de reproduction ou comme une impression similaire à une reproduction. La jurisprudence américaine avait tranché dans l’arrêt Perfect 10 en retenant que la reproduction devait s’entendre au sens matériel et non pas intellectuel. Le droit américain postule donc la liberté de lier vers des bases de données car les liens ne reproduisent pas les pages vers lesquelles ils mènent et s’attache à une conception technique. Au sein de l’Union Européenne, la solution est moins évidente car la CJUE a accepté la notion d’extraction intellectuelle d’une base de données lorsqu’une série de poèmes avait été extraite pour être reproduite dans une seconde base de données. Or les liens peuvent permettre une extraction intellectuelle d’une base de données.

685. Malgré le précédent européen, la jurisprudence française a, nonobstant l’hésitation initiale , rejeté la théorie de l’emprunt de substance pour les hyperliens. Le TGI de Paris a en effet retenu que l’indexation de références immobilières en fonction de la situation des biens, du type, de la surface, du nombre de pièces et du prix ne constitue pas une extraction de la base de données. Les juges ont ainsi retenu que le caractère banal de ces informations fait obstacle à leur qualification d’éléments qualitativement substantiels de la base de données. Cette approche surprend car le critère de banalité n’a pas été mentionné par la directive relative aux bases de données qui confère une protection dès lors qu’un investissement substantiel a été effectué. Il fait en revanche référence à l’originalité qui relève du droit commun du droit d’auteur et qui a été exclue de la directive. Les juges auraient donc dû se contenter de mentionner le critère de l’extraction substantielle au lieu de tomber dans une confusion des genres. Ces solutions donnent l’impression que les juges tentent de trouver des raisonnements afin d’assurer la liberté de lier. Ils ne semblent trancher en droit qu’en apparence mais ils statuent plutôt en équité. Notre droit suit ainsi une évolution similaire à celle du droit anglais médiéval qui a introduit la notion d’équité lorsque le régime juridique introduit par les Normands s’est avéré inadapté aux besoins de la société . Il apparaît que le droit sui generis est inadapté aux hyperliens.

686. Malgré les limites de la solution de 2011 du TGI de Paris, elle doit être soutenue. Les critères choisis pour le moteur de recherche ne constituent pas des éléments qualitativement substantiels dans la mesure où leur obtention, leur vérification et leur présentation ne requièrent pas un investissement substantiel du producteur de la base de données au sens de l’arrêt British Horseracing Board c. W. Hill . En effet, l’obtention, la vérification et la présentation sont le fait des internautes qui renseignent dans un formulaire numérique les informations demandées. Les investissements relatifs à ces éléments ne relèvent donc pas de la vérification des données mais de leur obtention. Or la directive 96/9/CE ne protège pas l’obtention de données . Cela vise à assurer la libre circulation des informations et à limiter la protection à la seule présentation systématique. Même si un site s’adonne à un contrôle des données préalablement à leur mise en ligne les investissements nécessaires sont réputés constitués pour les créations de données et non pas pour l’organisation de la base de données . Cette solution s’inscrit dans le sillage de la jurisprudence rejetant toute protection pour les créations qui sont le résultat d’interventions non coordonnées d’individus .

687. De lege ferenda, il nous semble que l’équilibre entre les intérêts des producteurs et des internautes serait mieux respecté si une publicité du site lié était présentée aux internautes à la suite du clic sur l’ancre. En effet, la raison de la saisine du juge dans ce type d’affaire est que les liens ont pour conséquences d’amener des internautes directement du site source à la page cible sans montrer de publicité du site lié. Ce dernier perd ainsi des revenus publicitaires alors qu’il a investi dans la création de la base de données. Cette situation ne satisfait pas la théorie lockéenne de la propriété qui récompense les efforts. Une telle configuration parasitaire nous semble condamnable car elle récompense ceux qui n’investissent pas et ne prennent aucun risque .

688. En outre, les campagnes publicitaires pourront participer de la lutte contre la contrefaçon. En effet, la Charte des bonnes pratiques dans la publicité en ligne pour le respect du droit d’auteur et des droits voisins vise à assécher les modes de rémunération des sites contrefaisant en écartant tout bandeau publicitaire. Il ne s’agit cependant pas d’une obligation de résultat étant donné que les publicitaires ne s’engagent qu’à faire « leurs meilleurs efforts ». Étant donné que la présentation des publicités est souvent le résultat d’un choix opéré par un algorithme il apparaît difficile qu’il en aille autrement car ils ne sont pas encore capables de déterminer dans quelle mesure les contenus présents sur le site sont contrefaisants. Ainsi, en limitant les revenus des sites contrefaisants, cette mesure devrait diminuer leur intérêt. Il n’existe pas d’accord similaire aux États-Unis mais le gouvernement aurait tout intérêt à réunir les principaux publicitaires afin qu’ils se mettent d’accord, sur le modèle français, pour lutter contre la publicité sur les sites contrefaisants.

689. Ainsi, dès lors que les éléments ne sont pas originaux mais simplement banals l’établissement du lien restera libre. Cette convergence s’étend en matière de réutilisation des éléments d’une base de données par les liens.

Conclusion du Chapitre 2

690. La France et les États-Unis ont adopté des approches divergentes de la stimulation de la création. En effet, les États-Unis ont largement rejeté les droits moraux en retenant qu’ils constituaient un frein à la libre circulation des œuvres quitte à ce que cela pose des problèmes de sécurité intellectuelle – ainsi que la protection sui generis des bases de données.

691. Il sera dès lors interdit à un créateur de lien manuel de pointer vers une œuvre divulguée sur l’Internet sans l’autorisation de son auteur étant donné que l’établissement d’un lien vers une contrefaçon est illicite. Il en ira de même lorsque l’auteur décide de retirer son œuvre de l’Internet. En effet, toute copie d’une œuvre présente sur Internet à la suite de son retrait est illicite et ne peut être liée. Les droits de divulgation et de retrait constituent des limites à l’accès à la culture étant donné que l’auteur peut retenir son œuvre ou la retirer du public. Néanmoins, la structure de l’Internet rend de facto peut opérant le droit de retrait et de repentir étant donné qu’il est très compliqué d’y retirer des contenus.

692. En revanche, le droit de paternité et le droit à l’intégrité favorisent l’accès à la culture. En effet, le public, sans avoir de droit créance, bénéficie corollairement du droit à la paternité dans la mesure où il peut savoir qui est à l’origine de l’œuvre. Cela permet de placer l’œuvre dans un contexte intellectuel. Dès lors, l’établissement d’un lien vers le nom de l’auteur sera autorisé dès lors que la page cible se trouve sur le même site que la page contenant l’ancre. Il s’agit certes d’une analogie malheureuse avec la jurisprudence des théâtres, mais cela présente l’intérêt d’assurer a priori une meilleure liaison entre l’œuvre et le nom de l’auteur car le créateur du lien conserve le contrôle sur le contenu d’une page interne au site, ce qui ne sera pas systématiquement le cas pour un site externe. Le lien devra en outre pointer précisément le nom de l’auteur. Il ne s’agit pas de viser au hasard une page contenant le nom de l’auteur mais de mener directement au nom, quitte à devoir cibler une partie de la page.

693. Le respect du context intellectuel est renforcé par le droit à l’intégrité. Effectuant une analogie avec la jurisprudence traditionnelle, les juges français retiendront – à la différence des juges américains – que l’établissement d’un lien entre une œuvre et un contexte dénaturant ou différent de l’intention philosophique de l’auteur constituera une violation du droit à l’intégrité. Si les droits français et américain divergent sur cette question, ils convergent en revanche lorsqu’un lien est établi entre une œuvre et un contenu pornographique. Cependant, alors que le droit français opposera le droit moral, le droit américain se fondera sur la section 43(a) du Lanham Act relative à la protection du droit des marques non enregistrées. Il sera en outre interdit de lier vers une présentation violant le droit à l’intégrité de l’œuvre en droit français – étant donné qu’il s’agira d’une contrefaçon – ou encore de présenter une suite d’œuvre dans un ordre différent de celui pensé par l’auteur.

694. Le droit français assure donc globalement une meilleure sécurité intellectuelle aux internautes grâce aux droit moraux, bien que le corollaire négatif réside dans la limite supplémentaire mise à l’accès aux œuvres à cause des droits de divulgation et de retrait. Néanmoins, le droit américain présente un avantage indéniable sur le droit européen en matière d’accès à la culture dans la mesure où la réglementation des bases de données est plus limitée.

695. En effet, s’il est licite de mener vers le formulaire d’un moteur de recherche dans les deux systèmes – pour peu qu’il ne s’agisse pas d’une contrefaçon – ils convergent sur le principe de l’interdiction des métamoteurs de recherche. Il s’agit pourtant d’un mécanisme particulièrement utile dans la collecte d’informations sur Internet. La réglementation des bases de données limite par conséquent l’accès aux informations et à la culture.

696. En outre, les créateurs de liens devront être attentifs à ne pas extraire les contenus des bases de données. La jurisprudence n’a pas retenu d’extraction intellectuelle par les liens en Europe. En effet, les liens n’extraient pas les données sur Internet. Le droit américain adopte la même solution conformément au server test. Cela permettra de faciliter l’accès aux contenus des bases de données et renforcera le droit à la culture.

697. Les droits français et américain ont par conséquent établi des équilibres différents entre le droit d’accès à la culture et la liberté de lier. Nous plaidons pour une reconnaissance plus large des droits moraux aux États-Unis qui renforceraient l’accès à la culture tout en permettant au pays de respecter effectivement ses engagements internationaux conformément à la convention de Berne. Il n’y a en revanche pas lieu d’y intégrer une protection sui generis des bases de données.

Conclusion de la Première Partie

698. Les droits français, européen et américain convergent donc sur le principe de la liberté de lier qu’ils limitent dans certaines hypothèses afin d’établir un équilibre entre les intérêts des auteurs, du public, et des créateurs de liens. Cependant, cet équilibre est fondé sur des raisonnements parfois peu satisfaisants et peu rigoureux.

699. Il nous semble donc que les droits européen et américain devraient remettre en cause les droits conférés aux auteurs à la fin du XVIIIe siècle où les législateurs pouvaient confondre l’œuvre immatérielle et son support matériel. Il est désormais important de prendre acte de la limitation du monopole artificiel des auteurs par le numérique et de modifier les concepts utilisés.

700. Il convient néanmoins d’être cohérent avec les paradigmes des deux systèmes. Les droits européen et français ont adopté des systèmes synthétiques alors que le droit américain est analytique en matière de copyright. Dès lors, nous proposons de remplacer les droits de reproduction et de représentation du droit français par un droit plus large de monopole économique de l’auteur qui permettra aux ayants droit toute utilisation présentant un intérêt économique – à charge pour les défendeurs de prouver qu’ils bénéficient de l’une des exceptions de l’article 5 de la directive 2001/29/CE ou de l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle. Le droit américain pourrait en revanche introduire un droit « to make available » à la section 106 du Copyright Act afin de permettre aux ayants droit de mieux protéger leurs monopoles économiques.

701. En ce qui concerne les droits moraux nous appelons à une convergence du droit américain vers le droit français en matière de droit de paternité et de droit à l’intégrité de l’œuvre. Les droits de divulgation et de retrait sont sans doute trop sensibles et risquent d’être perçus comme des prérogatives permettant de limiter la liberté d’expression. Le droit français devrait à ce titre introduire une exception à ces deux droits lorsque l’œuvre présente un contenu présentant un intérêt public substantiel.

702. En revanche, le droit européen devrait prendre acte de l’échec de la réglementation sui generis des bases de données et mettre un terme à cette protection. Cela permettrait au droit européen de converger vers le droit américain qui a permis l’essort de nombreux producteurs de bases de données.

703. Les États-Unis et l’Union Européenne ont en revanche tous les deux eu raison d’introduire des régimes de responsabilité ad hoc pour les créateurs automatiques de liens. Ils ont en effet permis l’émergence d’un nouveau secteur économique qu’il est nécessaire d’encadrer afin d’assurer le respect des intérêts des tiers aux prestataires de services.

Seconde Partie : L’application du droit d’auteur au lien face à la liberté d’entreprendre

704. Droit d’auteur, copyright et liberté d’entreprendre sont intimement liés. La liberté d’entreprendre se définit comme « la liberté de choisir l’objet de l’utilisation de ses moyens de production, et la liberté d’en choisir la structure », c’est-à-dire la liberté d’utiliser les moyens de production . La liberté d’entreprendre est donc composée de deux piliers. Le premier est le droit de propriété, le second est le droit de choisir d’en disposer afin de produire une chose ou un service. Alors que le droit de propriété – et notamment le droit d’auteur et le copyright – seul se conçoit comme un droit d’exclusion d’autrui, la liberté d’entreprendre place l’individu au cœur de relations interpersonnelles facilitées par l’internet et les hyperliens. Il s’agit donc de droits intimement liés mais paradoxalement en profonde opposition.

705. L’avènement de la liberté d’entreprendre est pourtant l’une des raisons ayant mené à l’invention du copyright et du droit d’auteur. Il apparaît que la majorité des juristes exagère l’importance qu’a eu l’invention de l’imprimerie et sous-estiment la place du développement de la liberté d’entreprendre. Il est certes évident que, sans l’imprimerie, les intérêts des auteurs et des éditeurs auraient pu être protégés sans réglementation particulière. Il n’en reste pas moins que cette invention ne peut expliquer à elle seule le basculement qui s’est opéré au cours du XVIIIe siècle au Royaume-Uni puis aux États-Unis et en France – soit plus de deux siècles après l’invention de l’imprimerie en 1454 . En outre, la Chine a inventé des mécanismes de reproduction dès 868. Le Sûtra du Diamant a ainsi été imprimé en Chine afin de faire connaître le bouddhisme . Au tournant du XIe siècle Bi Sheng a inventé les caractères mobiles puis, au début du XVIe siècle, la xylographie a été utilisée dans l’Empire du Milieu. Il y a donc longtemps eu une nette avance technologique de la Chine par rapport à l’Europe en matière d’impression des écrits sans que cela n’ait pour conséquence une introduction du droit d’auteur. Le droit d’auteur n’est donc pas la réaction obligatoire à l’invention de l’impression mais le résultat d’un état des idées, et notamment à l’émergence de l’entrepreneuriat.

706. En outre, le succès naissant du libéralisme anglais à la suite du schisme avec l’Église de Rome est l’une des causes de l’invention du copyright en Angleterre. En effet, à la suite du schisme de l’Église d’Angleterre par le roi Henri VIII, les biens de l’Église ont été vendus. Cette vente a permis la constitution de patrimoines privés importants et a contribué à l’émergence d’une classe bourgeoise en mesure d’investir et de développer l’économie du pays. Couplée à l’émergence du système des enclosures qui ont permis la réservation de terres assurant de plus grands bénéfices que l’organisation collective antérieure , le développement économique anglais était lancé. Il a donc été le résultat de la privatisation des outils de production et de leurs fruits. L’idée selon laquelle le système d’exclusivité sur la tête du producteur – et donc de l’auteur – est le plus efficace a ainsi émergé. Cette conception s’est vérifiée récemment en Chine même où la diminution de la protection des œuvres de l’esprit – et donc la chute des revenus à cause de l’absence de privatisation du fruit du travail des auteurs – a eu pour effet une diminution de la production intellectuelle . Il n’est donc pas étonnant que la reconnaissance de droits aux auteurs soit contemporaine de ce mouvement en Angleterre – même si le législateur ne l’avait pas formellement théorisée.

707. Les États-Unis ont intégré cette protection d’inspiration libérale lorsqu’ils étaient encore des colonies britanniques et ils l’ont maintenue à l’indépendance . Le pouvoir constituant américain pensait donc encourager la production d’œuvres par la création d’un droit dont les auteurs peuvent faire commerce.

708. La France a pris plus de temps pour intégrer une véritable protection des auteurs. Le retard de la France dans la reconnaissance de droits aux auteurs est le résultat d’un système politique sclérosé qu’il était devenu impossible de réformer . Un mouvement libéral avait néanmoins été initié par Turgot dès la fin de l’Ancien Régime mais il n’a pas pu être concrétisé . Il a donc fallu attendre la fin du XVIIIe siècle pour introduire une protection des droits d’auteur avec les lois de 1791 et 1793 . Le lien entre la libéralisation de l’économie et le droit d’auteur est d’autant plus évident en France que Le Chapelier a été le rapporteur de la première loi sur le droit d’auteur en 1791 et le rédacteur de la loi éponyme de libéralisation de l’économie la même année . Le droit d’auteur est donc conçu depuis ses origines comme une prérogative permettant à l’auteur de proposer la cession d’un droit sur un marché afin d’obtenir des bénéfices lui permettant de créer librement, dans le but de vulgariser la connaissance. Les deux systèmes étaient également marqués par une recherche d’équilibre entre la liberté d’entreprendre des auteurs et celle des tiers. La liberté d’entreprendre fonde donc la dimension économique du droit d’auteur et implique un équilibre avec la liberté d’entreprendre d’autrui.

709. L’Angleterre, les États-Unis et la France ont donc vu émerger le copyright et le droit d’auteur dans un contexte de libéralisation de l’économie et d’émergence des thèses économiques dites classiques. Les trois systèmes juridiques ont ainsi adopté une logique d’appropriation permettant par la suite un investissement soutenant l’activité économique. Le copyright et le droit d’auteur ont donc été, bien qu’ils aient été peu étudiés par les économistes classiques, parmi les fers de lance du libéralisme au XVIIIe siècle.

710. Le lien entre liberté d’entreprendre et droit d’auteur a évolué de façon différente en France et aux États-Unis. En effet, alors que les États-Unis ont moins été traversés par des mouvements de contestation du droit de propriété que la France, les thèses socialistes critiquant la liberté d’entreprendre débridée en Europe se sont largement répandues . Ainsi, alors que les États-Unis ont sacralisé l’entrepreneuriat qui a participé de la construction du pays , l’Europe s’est divisée sur ses excès. Parallèlement, le droit d’auteur continental a été sacralisé par le mouvement romantique. Il y a donc eu au cours du XIXe siècle un détachement partiel de la liberté d’entreprendre pour une prise en compte des conceptions romantiques qui ont permis de renforcer le droit d’auteur en dépit des intérêts de la société dans son ensemble. Ce mouvement a été symbolisé par le combat de Zola qui a affirmé l’existence de droits naturels pour les auteurs tout en dénonçant les excès du libéralisme . Le droit d’auteur français a ainsi pris un tournant jusnaturaliste et s’est éloigné de la conception utilitariste américaine qui restait fidèle à la conception libérale initiale. Le mouvement romantique a ainsi permis l’émergence d’un droit d’auteur moins économique et plus personnaliste . Le lien entre la liberté d’entreprendre et le droit d’auteur est ainsi apparu plus distendu en France. Le mouvement d’émancipation du droit d’auteur de la liberté d’entreprendre a néanmoins permis de préserver le droit d’auteur en France en le tenant à l’écart des remous que connaissait la liberté d’entreprendre.

711. Malgré la confiance dans le système libéral, les États-Unis n’ont pas expressément reconnu la liberté d’entreprendre ni au moment de la rédaction de la Bill of Rights – car l’époque était encore au mercantilisme qui promeut une économie de marché visant à l’entrée d’importantes quantités de métaux précieux plus qu’elle ne promeut l’initiative économique individuelle – ni au cours du XXe et du XXe siècle. Les entrepreneurs américains se fondent donc sur le quatrième Amendement de la Constitution introduit le 9 juillet 1868 qui protège la propriété. La liberté d’échanger des biens et des services est en outre assurée par la liberté contractuelle qu’il y aura dès lors lieu d’étudier afin de déterminer dans quelle mesure les hyperliens peuvent faire l’objet de relations contractuelles favorables aux auteurs. Le droit français, bien qu’il soit plus marqué par la contestation de l’entreprenariat, a intégré la liberté d’entreprendre dans les années 1980. Le Conseil Constitutionnel français a en effet, dans sa décision du 16 janvier 1982 , reconnu la liberté d’entreprendre . Il a affirmé, de façon plus idéologique que juridique , le principe de la liberté d’entreprendre dans le contexte très particulier de l’alternance socialiste à laquelle il a voulu opposer la protection de la propriété et de l’initiative privée, en se fondant sur les articles 4 et 17 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui assurent le principe général de liberté et le droit de propriété . Le raisonnement utilisé est donc similaire à celui utilisé par le droit américain. Le droit français a par conséquent déclaré un droit que les États-Unis reconnaissent implicitement. L’évolution française – qui constitue un dépassement de la ratio legis de la loi de 1791 – s’est couplée d’un changement de la perspective de l’Union Européenne.

712. En effet, le passage d’une conception romantique de la culture à une approche économique est en partie le fruit d’une évolution effectuée par la Commission Européenne. Entre 1972 et 1992, la Commission a adopté cinq textes introduisant la notion de secteur culturel qui évoque une dimension économique de la culture. De plus, la liberté d’entreprendre a largement été renforcée et étendue avec les directives relatives aux bases de données et aux logiciels qui ont offert de nouvelles opportunités d’entreprendre. En outre, la stratégie de Lisbonne décidée par le Conseil Européen de mars 2000 ainsi que dans la stratégie Europe 2020 adoptée en 2010 proclament la liberté d’entreprendre. Le législateur a adopté un paradigme libéral que les juges ont embrassé. La CJUE a en effet opéré des contrôles de proportionnalité favorables à la liberté d’entreprendre. L’arrêt Magill a ainsi écarté l’application du droit d’auteur lorsque le monopole vise à empêcher d’autres acteurs économiques d’entrer sur le marché. Le droit d’auteur est donc passé du statut de droit sacré permettant aux auteurs de créer à un droit plus malléable et plus économique dont il est possible de réduire le champ d’application afin de permettre l’entrée sur le marché de nouveaux acteurs. L’Union Européenne s’est donc écartée des conceptions romantiques traditionnelles en France et en Allemagne qui protégeaient le droit d’auteur en ne le considérant pas comme une branche de la liberté d’entreprendre. L’Union Européenne adopte ainsi une démarche utilitariste et ne perçoit donc pas simplement le droit d’auteur comme une fin en soi mais comme un moyen d’encourager la création ainsi que l’incitation à l’innovation technologique. Le droit d’auteur, bien qu’il soit harmonisé vers le haut, est ainsi conçu philosophiquement comme un outil de stimulation du marché et donc comme une liberté d’entreprendre, se trouve soumis aux nécessités de cette liberté. La conception européenne du droit d’auteur n’est donc plus si éloignée du paradigme américain qui voit dans le copyright une branche de la liberté d’entreprendre. Il en limite en effet les frontières à ce qui est nécessaire pour créer et donc mener une activité sur le marché, et en réduit les contours via l’exception de fair use afin de permettre à des tiers d’entrer sur le marché de la création .

713. L’avènement d’une époque profondément libérale, couplée avec le développement de l’Internet qui a eu tendance à renforcer ces positions , a amené à un changement de paradigme avec le vote du Digital Millenium Copyright Act aux États-Unis de la directive 2001/29/CE en Europe. L’objectif de ces réglementations est d’établir un nouvel équilibre entre les intérêts des auteurs et la liberté d’entreprendre des prestataitres de service. Enfin, la dernière évolution – fondamentale – a consisté pour la Cour de Justice de l’Union Européenne à confronter le droit d’auteur à la liberté d’entreprendre dans l’arrêt SABAM puis dans l’arrêt GS Média.

714. Le droit d’auteur ne constitue donc plus une forteresse mais est en train de revenir à sa source intellectuelle en redevenant une branche de la liberté d’entreprendre. Dès lors, il y a lieu de préciser dans quelle mesure le droit d’auteur se trouve renforcé lorsqu’il est perçu comme une liberté d’entreprendre et dans quelle mesure la liberté d’entreprendre des tiers sur Internet se trouve renforcée. Cependant, l’Internet n’a pas impliqué une montée en puissance de la liberté d’entreprendre des auteurs et des prestataires de services. Nous verrons que l’internet est à l’origine de nouvelles opportunités aussi bien pour les auteurs que pour les créateurs de liens, mais que tous sont tenus de prendre des mesures afin de faire respecter le droit d’auteur sur internet dans l’intérêt de la partie adverse, ce qui limite de facto leur liberté d’entreprendre.

715. Nous verrons tout d’abord que les réglementations ad hoc américaine et européenne établissent ainsi un équilibre entre les intérêts en présence. Les auteurs continuent à bénéficier du droit des contrats – ce qui leur permettra de céder leurs droits à un créateur de lien – et militent pour obtenir des rémunérations spéciales lorsque les créateurs automatiques de liens pointent vers leurs œuvres. Un tel régime devrait se développer étant donné que le régime applicable aux créateurs automatiques de liens s’avère particulièrement favorable. Le lien se trouve ainsi au cœur de la liberté d’entreprendre des auteurs et des prestataires de services. Il existe donc un rapport étroit entre la liberté d’entreprendre et le lien établi par le législateur et la jurisprudence (Titre 1). Cependant, la structure des liens et de l’Internet implique des difficultés diminuant la liberté d’entreprendre.

716. Nous verrons ensuite que l’Internet a eu pour conséquence de placer les juridictions étatiques face à des difficultés techniques et juridiques nouvelles. Face à ces nouveaux défis, les créateurs de liens se sont vus attribuer la charge de faire appliquer le droit des États. Cette approche surprend étant donné que dans le monde analogique les individus ne sont – en dehors de la légitime défense – pas considérés comme les bras armés de l’État et de la justice. Cette solution, dans la mesure où elle place un fardeau supplémentaire sur les créateurs de liens, constitue une limite à leur liberté d’entreprendre car les créateurs de liens automatiques jouent le rôle de quasi-juges et peuvent être confrontés à une procédure judiciaire dont les résultats varient plus encore que les règles de fond. Néanmoins, cette limitation de la liberté d’entreprendre de l’un semble constituer une garantie de la liberté de l’autre. La liberté d’entreprendre de l’un pourrait donc s’arrêter là où commence celle de l’autre. Les droits américain, européen et français ont dont introduit des limites à la liberté d’entreprendre des créateurs de liens (Titre 2).

Titre 1 : La liberté d’entreprendre et le lien face au droit d’auteur

717. Les liens constituent des moyens et des objets de la liberté d’entreprendre. Ils permettent en effet aux auteurs de trouver un nouveau marché pour leurs droits dans la mesure où des internautes aux quatre coins du monde peuvent accéder à des œuvres se trouvant sur des serveurs éloignés. En outre, les liens peuvent assurer aux créateurs de liens des revenus. Le modèle économique est encore loin d’être arrivé à maturité mais il permet déjà aux auteurs de percevoir une rémunération. L’application du droit d’auteur aux hyperliens s’avère donc favorable à la liberté d’entreprendre des auteurs comme il a été vu précédemment.

718. Les liens ont en outre été particulièrement favorables à tout un secteur économique. Ainsi, la société Google est titulaire de l’une des plus importantes capitalisations du monde qu’elle doit en grande partie à son moteur de recherche et par conséquent à ses liens. Les hyperliens ont ainsi été à l’origine d’une incroyable création de richesse qui a elle-même été à l’origine d’un miracle économique à la fin des années 1990.

719. Les intérêts des ayants droit et des créateurs de liens ne sont cependant pas convergeants. En effet, des sociétés comme Google sont entravées dans leur développement par le droit d’auteur. Les auteurs reprochent aux moteurs de recherche de s’enrichir grâce à leurs œuvres sans pour autant les rémunérer. Il s’avère par conséquent nécessaire de trouver un équilibre entre les droits et intérêts de chacun en appliquant le principe de l’article 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et d’arrêter la liberté des uns là où commence celle des autres. Les droits français et américain ont par conséquent établi des régimes d’équilibre visant à assurer la meilleure liberté d’entreprendre des parties et, par voie de conséquence, une activité économique la plus dynamique et prospère possible.

720. La liberté d’entreprendre des auteurs est cependant limitée car dans de nombreuses situations le droit d’auteur et le copyright ne sont pas opposables aux créateurs de liens. Si les États-Unis semblent se satisfaire de la situation, la France cherche d’autres sources de financement des auteurs dont une partie des revenus proviendra de mécanismes hors marché. Il semble donc exister une convergence de principe sur la rémunération des auteurs dans le cas de l’établissement de certains liens et une divergence en ce qui concerne les mécanismes de rémunération hors marché. La rémunération des auteurs en cas d’établissement d’un lien constitue une condition de leur liberté d’entreprendre (Chapitre 1).

721. La liberté d’entreprendre des créateurs de liens se trouve renforcée par les difficultés du droit d’auteur et du copyright à s’appliquer à l’Internet. Néanmoins, afin d’encourager leur développement, les États-Unis puis l’Union Européenne ont offert des régimes de responsabilité ad hoc pour les créateurs automatiques de liens. Les deux espaces ont donc joint la liberté d’entreprendre et la liberté de lier (Chapitre 2).

Chapitre 1 : La rémunération des auteurs comme condition de leur liberté d’entreprendre

722. Les auteurs ont traditionnellement recours à l’outil contractuel afin d’obtenir une rémunération pour leurs œuvres. Cependant, les coûts de transaction – qui incluent tous les frais nécessaires à l’obtention des droits d’auteur ou de copyright dans le but de créer un lien – constituent un frein important à l’établissement d’hyperliens lorsque le droit d’auteur ou le copyright sont opposables. Étant donné que les gains espérés par la valorisation du site à la suite de la création d’un lien seront souvent faibles, il sera courant que les coûts de transactions dépassent les gains espérés par le créateur de liens qui sera ainsi découragé. Les coûts de transactions constituent donc un frein à l’entrée sur le marché et limitent l’accès aux œuvres a mais en assurant cette liberté de circulation, les liens remettent en cause le monopole artificiel sur lequel est fondé le droit d’auteur et par conséquent les bénéfices des auteurs qui ne peuvent céder leurs droits. Il s’agit donc d’une hypothèse où, dans une perspective relevant du mouvement Law & Economics, le droit peut être légitime à intervenir car le marché n’est pas efficace . Nous distingueront donc les cas où le marché régule librement les relations économiques de ceux où une intervention étatique est sollicitée.

723. Tout d’abord, le droit d’auteur et le copyright permettent aux ayants droit d’obtenir des revenus sur leurs œuvres selon un mécanisme de marché. Les droits français et américain, bien qu’ils partagent tous les deux un paradigme libéral, ont adopté des solutions divergentes sur la question de la marge de liberté contractuelle des parties (Section 1) qui influent sur leurs forces de négociation.

724. Cependant, le marché s’avère insuffisant à inciter à la création. Il y a donc lieu d’introduire un panachage des sources de rémunérations. Dès lors, un équilibre doit être trouvé entre les intérêts des auteurs et des créateurs de liens qui, bien qu’en conflit, forment un même écosystème économique et culturel (Section 2).
Section 1 : L’autorisation contractuelle de créer un hyperlien

725. Le projet Xanadu avait proposé que les créateurs de liens rémunèrent les éditeurs lorsqu’ils établissent un lien vers leurs contenus afin d’assurer un système de royalties directes pour les auteurs . Le projet a reçu un certain écho en Ireland où un projet de rémunération a été proposé pour l’établissement de liens. Les auteurs auraient ainsi pu négocier leurs droits et conclure des contrats pour l’établissement de liens vers des œuvres protégées. Cette suggestion n’a cependant pas été reprise par les législateurs américain et européen.

726. Il n’en reste pas moins que le recours à un contrat portant sur l’établissement de liens constitue une source de rémunération pour les auteurs d’autant plus précieuse que les sources de rémunération sur Internet sont rares. D’un point de vue pratique, les internautes n’auront intérêt à conclure des conventions portant sur la création de liens que lorsque leur établissement est interdit. À défaut, ils n’auront rien à demander à l’auteur et le contrat n’aurait aucun intérêt. Il serait même privé de cause sous l’empire du Code civil de 1804, de contenu certain conformément à l’ordonnance du 10 février 2016 en droit français et de consideration en droit américain. Ainsi, dès lors que le lien n’implique pas un droit de l’auteur, il n’est pas possible de solliciter la conclusion d’un contrat avec le créateur de lien.

727. Il en ira autrement lorsque le droit d’auteur interdit la création d’un lien ou lorsque la page liée est protégée par une mesure technique efficace. Dans ces hypothèses, les titulaires de droit ont un monopole sur la page liée qu’ils peuvent céder au créateur de lien. Il y aura en effet une cause pour le droit français et une consideration pour le droit américain. Les différences entre le droit d’auteur français et le copyright américain révèlent ici toute leur importance pour les auteurs. En effet, disposant de droits plus importants en droit français qu’en droit américain – notamment grâce aux droits moraux ou aux droits sui generis qui étendent le périmètre des interdictions opposables aux tiers – il leur sera plus souvent possible pour les auteurs français d’opposer un droit à des tiers qu’ils pourront céder afin d’obtenir une rémunération. La rémunération sera le prix de la convention passée entre le titulaire du site Internet et le créateur de liens.

728. Afin de fluidifier les cessions, et ainsi d’en augmenter le nombre, les deux pays n’ont introduit qu’un formalisme limité bien que le droit français s’avère plus protecteur des auteurs en limitant leur liberté contractuelle. Il sera dès lors possible pour les parties de s’accorder par un simple échange d’e-mails . Les auteurs pourront par conséquent négocier le droit d’établir un lien vers leurs œuvres et ainsi percevoir une rémunération. Le processus de conclusion de cessions se trouve malgré tout ralenti à cause des coûts de transactions et, avec lui, le développement de l’Internet. Le propriétaire du site Internet pourra donc introduire des conditions générales d’utilisation de son site introduisant un prix pour l’établissement de liens. Cela lui permettra d’obtenir une rémunération pour l’établissement de liens vers son site sans entrer en négociation avec le créateur de lien. Cela aura pour effet de diminuer fortement les frais de négociation. Dans les deux cas, les deux parties devront suivre les règles de droit des contrats.

729. La complexité de nos sociétés a poussé le législateur européen à introduire un régime ad hoc de droit des contrats applicable aux consommateurs à côté de celui de droit commun. Le droit américain ne connaît quant à lui qu’un régime de droit commun. Il y aura donc une divergence entre l’approche européenne et américaine lorsque le créateur de lien agit en qualité de consommateur au sens du droit européen – ou de non-professionnel en droit français. Lorsque le créateur de lien est un professionnel il y aura lieu d’appliquer les droits communs des contrats français et américains. En revanche, si le créateur de lien agit en tant que consommateur – ou de non professionnel – il y aura lieu de lui appliquer les dispositions du Code de la consommation. En outre, les auteurs ne gèrent pas toujours directement leurs droits. Il arrive donc souvent que le site lié contienne des œuvres d’auteurs qui ne sont pas les propriétaires du site. Lorsque le propriétaire du site est l’auteur des œuvres qui y sont reproduites les règles spécifiques des contrats d’auteur auront vocation à s’appliquer. En revanche, si les œuvres sont reproduites par un tiers à l’auteur les droits communs des contrats lui seront opposables.

730. Il sera par conséquent impératif de respecter des conditions précises afin que les contrats soient valides et partant opposables (Sous-Section 1). Une fois les contrats conclus, les juges pourront déclarer nulles certaines dispositions dès lors que l’ordre public se trouve violé (Sous-section 2). Cette dernière possibilité sera plus souvent invocable en droit français qu’en droit américain car le législateur a introduit des dispositions d’ordre public dans les contrats d’auteur.

Sous-section 1 : Les conditions de l’opposabilité des conditions générales d’utilisation

731. Aucune harmonisation des normes contractuelles n’a vu le jour à l’échelle internationale et l’accord TAFTA entre l’Union Européenne et les États-Unis ne prévoyait aucune convergence en la matière. Il n’y a donc aucune harmonisation des droits français et américain en matière contractuelle.

732. Au niveau régional les projets d’harmonisation n’ont eu qu’un impact limité. Ainsi, au sein de l’Union Européenne, le Cadre Commun de Référence n’a aucune valeur obligatoire. S’il a partiellement influé le projet de réforme de la chancellerie française , il n’a eu aucune incidence sur les règles contractuelles applicables aux contrats relevant de la cession de droit d’auteur . Aux États-Unis, un effort d’unification via le Restatement of Contrats a été effectué et a permis une certaine harmonisation, mais le droit des contrats reste une compétence des États fédérés. Il n’y a qu’une harmonisation a minima via ce projet qui ne reflète pas systématiquement les règles applicables dans chaque État fédéré . Ainsi, malgré une forte influence du droit français en Europe mais également aux États-Unis , le droit des contrats reste profondément éclaté.

733. En outre, les deux systèmes sont les fruits de modèles différents. En effet, le droit français est issu du droit romain alors que le droit anglais, dont provient le droit américain, a suivi une voie qui lui est propre . En outre, l’héritage britannique a été compris d’une façon originale dans les premières colonies américaines qui s’en sont partiellement émancipées. En effet, le droit des contrats a été perçu comme un moyen de sécuriser des titres de propriété plutôt que d’échange de biens et de services. Le droit des contrats a ainsi permis d’assurer le respect du premier pilier de la liberté d’entreprendre – à savoir la propriété – sans véritable prise en compte du second pilier que constitue la liberté du commerce. Cette approche était logique à l’époque où les colons étaient relativement isolés et vivaient en grande partie en autarcie . Ils n’avaient pas tant besoin de règles pour interagir avec des tiers mais plutôt pour sécuriser leur propriété. Cette approche parcellaire n’a cependant pas perduré.

734. Les logiques européenne et américaine se sont en effet rapprochées au cours du XIXe siècle sous la pression notamment des contingences de la révolution industrielle. Les droits des contrats des deux systèmes ont convergé autour de la notion de volonté afin de permettre aux parties de faire fructifier leurs patrimoines. La logique américaine, principalement axée sur la sécurisation de la propriété, a donc laissé place à un paradigme plus mercantile relativement similaire à la conception française.

735. Un contrat ne peut donc être conclu que si les parties consentent à la transaction (Paragraphe 1). Or, le consentement nécessite que les parties aient la capacité de contracter (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L’accord des parties

736. La détermination du consentement d’une partie se trouve donc au cœur de la notion de contrat dans les deux systèmes. Ce pilier des deux régimes est néanmoins nuancé de façons différentes dans les deux pays. Le droit français a en effet introduit, à l’inverse du droit américain, une distinction entre les contrats conclus entre professionnels – ce qui inclut les auteurs et les cessionnaires – et ceux conclus avec un consommateur ou un non-professionnel. La volonté des parties est donc encadrée lorsque l’une d’entre elles agit en qualité de consommateur – voire de non-professionnel – afin de mieux les protéger des professionnels qui se trouvent généralement en position de force.

737. Malgré l’absence de régime général de protection des consommateurs au niveau fédéral, des projets ont vu le jour aux États-Unis afin d’influer les décisions judiciaires pour mieux protéger les consommateurs. Ainsi, le Joint Working Group on Electronic Contracting Practices et le UCC Committe of the Business Law Section of the American Bar Association – dont les avis n’ont pas de valeur obligatoire – ont élaboré des critères permettant de déterminer si le consommateur a la volonté de contracter sur Internet. Des critères équivalents ont été dégagés par le droit français.

738. Il apparaît opportun d’analyser le régime applicable aux contrats conclus avec des consommateurs et les non-professionnels car l’Internet a été initialement pensé comme un espace non-marchand et démocratique où tout le monde pourrait interagir. Il n’est donc pas possible de penser que l’Internet sera utilisé uniquement par des personnes connaissant les tenants et les aboutissants du réseau.

739. Dès lors, l’internaute-consommateur ou non-professionnel doit recevoir une communication suffisante de l’existence des conditions générales d’utilisation et il doit avoir une possibilité sérieuse de prendre connaissance de ses dispositions. Il s’agit donc du critère de l’information des cocontractants qui permet aux volontés informées de se rencontrer (I).

740. L’accord sera formé dès lors que l’accord de l’expression du consentement est extériorisée et recueillie (II). Si ces conditions sont remplies l’accord de l’internaute sera présumé avoir été donné.

I) Le principe de la rencontre des volontés

741. Les deux droits retiennent qu’un contrat n’est formé que si les cocontractants s’accordent sur son contenu. La rencontre des volontés implique un échange d’informations. Dès lors, le droit français sanctionne l’absence d’information par la nullité du contrat – d’autant plus que l’ordonnance du 10 février 2016 a introduit un devoir d’information des cocontractants – tout comme le droit américain qui considère qu’il n’y a pas d’accord obligatoire lorsque les éléments constitutifs du contrat ne sont pas mentionnés. Il y a donc dans les deux cas une absence juridique de la naissance de l’obligation débouchant sur une annulation rétroactive des effets de la convention inexistante.

742. Cependant, les deux systèmes divergent dans la mesure où le droit américain adopte une approche uniforme – à l’exception de certains domaines limités au secteur financier – alors que le droit européen et le droit français ont adopté un système dual en intégrant une réglementation ad hoc applicable aux consommateurs. Le droit français s’est en outre partiellement émancipé du droit européen en élargissant la notion de consommateur aux non-professionnels . La distinction du droit européen impose plus de souplesse aux auteurs que le droit américain car ils pourront opposer des régimes différents en fonction de la qualité des internautes sollicitant la création d’un lien. Cependant, la distinction entre les deux qualités suppose la rédaction de deux régimes de conditions générales d’utilisation. Cette rédaction implique des dépenses qui risquent de rebuter les auteurs. En outre, il est difficile de distinguer selon la qualité des internautes étant donné que l’Internet repose sur le principe de l’anonymat de ses utilisateurs qui ne communiquent pas directement entre eux mais par l’intermédiaire d’adresses IP. Il convient par conséquent d’établir un seul régime unique de conditions générales d’utilisation basées sur la réglementation la plus protectrice, c’est-à-dire celle applicable aux consommateurs. En effet, la plus grande protection accordée au cocontractant agissant en qualité de consommateur ou de non-professionnel s’avérera également satisfaisante pour les internautes agissant à titre professionnel. Le droit européen impose donc de facto, sur Internet, un formalisme informatif plus important que le droit américain.

743. Les deux systèmes s’accordent sur l’obligation de communiquer les conditions d’utilisation d’un site. En effet, le droit français , ainsi que le droit américain , retiennent traditionnellement que les conditions générales doivent être communiquées au cocontractant. A contrario, les conditions qui ne sont pas communiquées au co-contractant ne lui sont pas opposables. Ce principe a été étendu au commerce électronique . L’ordonnance française du 10 février 2016 va plus loin en imposant aux rédacteurs de contrats conclus par voie électronique de préciser les étapes à suivre pour conclure le contrat par voie électronique . Le formalisme informatif est désormais plus important en France qu’aux États-Unis. Les auteurs sont donc obligés de communiquer au cocontractant toutes les informations dont il a besoin pour être en mesure d’exprimer un consentement éclairé.

744. Ainsi, les propriétaires de sites Internet qui voudraient opposer des conditions générales d’utilisation aux internautes sont assujettis à une obligation de communication de ces conditions. Cette obligation constitue le corollaire du critère de l’attente légitime à ce qu’une information entre dans le champ contractuel . Les droits français et américain ont ainsi imposé aux propriétaires de sites Internet un formalisme protecteur des internautes mais qui pèsera sur les propriétaires de sites Internet.

745. La prise de connaissance des conditions générales d’utilisation est assurée par leur communication aux internautes. Il s’agit donc d’une situation appréciable a priori (A). Cependant, tous les contrats ne sont pas signés dans le même contexte et certains sont conclus dans un contexte plus léger que d’autres. Le contexte in concreto de l’attention des internautes a par conséquent été pris en compte (B), ce qui a imposé des standards différents de l’obligation de communication.

A) La communication a priori des conditions générales d’utilisation

746. Ayant été confrontés à des situations historiques et philosophiques différentes, les droits français et américain n’ont pas abordé la question des modalités de la communication des informations de façons différentes. Le droit français – qui s’avère protecteur des consommateurs à cause notamment de l’influence qu’ont les thèses de gauche – reconnaît dans le monde analogique une obligation non pas de communication des conditions mais de proximité. La jurisprudence française rejette ainsi l’opposabilité de conditions générales opérant des renvois. La communication effective et directe des conditions générales constitue donc le critère d’opposabilité de celles-ci. Cette exclusion de l’opposabilité des documents annexes par la jurisprudence permet d’assurer la meilleure protection possible des internautes.

747. Les États-Unis ont abordé différemment la question notamment parce que les thèses socialistes sont assez largement rejetées. En outre, le droit américain a fait sienne la tradition protestante consistant à imposer une égalité stricte entre les cocontractants, alors que l’approche catholique cherche plutôt à gommer les différences de résultats entre les individus . Cette approche a fait obstacle à la reconnaissance d’un régime juridique large visant à protéger les consommateurs aux États-Unis et empêché une convergence vers le droit français.

748. La jurisprudence américaine a abordé la question des conditions générales d’utilisation par le biais des licences de logiciels. Ceux-ci étaient traditionnellement vendus dans le cadre de licences dites shrinkwrap qui ne donnent accès aux conditions générales d’utilisation qu’à la suite de l’ouverture de la boîte dans laquelle se trouve le logiciel. L’expression du consentement était ainsi censée être effectuée par l’ouverture de la boîte. Avant 1996 de nombreux accords de ce type étaient considérés comme invalides parce que les consommateurs ne pouvaient avoir connaissance des clauses de l’accord avant d’ouvrir le colis. Le droit américain adoptait donc, comme le droit français , un principe de proximité des conditions générales d’utilisation dans le monde analogique. Les conditions générales d’utilisation devaient en effet être proches de façon à ce que le consommateur puisse en prendre connaissance avant d’exprimer son consentement. En la matière il ne semble pas qu’une différence ait vu le jour entre les professionnels et les consommateurs, d’une part parce que cette summa divisio n’existe pas aux États-Unis, et d’autre part parce qu’il n’est pas possible de retenir qu’un professionnel ou un consommateur puisse exprimer son consentement lorsqu’il n’a pas connaissance du contenu d’un contrat en droit français.

749. Les solutions ont été étendues au monde numérique. En effet, les droits français et américain n’ont pas introduit de distinction entre le monde numérique et analogique dans leurs réglementations relatives à l’expression sur Internet. Or, là où la loi ne distingue pas, il n’y a pas lieu de distinguer . Les deux droits convergeaient donc sur l’obligation de proximité des conditions générales d’utilisation pour les acheteurs. Les conditions générales d’utilisation d’un site Internet se devaient donc d’être placées à proximité de la page cible afin d’être opposables à un créateur de lien.

750. Les supports numériques ont néanmoins permis d’adopter une présentation différente et plus transparente. Les vendeurs de logiciels ont en effet pu communiquer les conditions générales d’utilisation avant l’achat par l’internaute. La jurisprudence a pris acte de cette nouvelle possibilité. Aux États-Unis, dans l’arrêt ProCD, Inc. v. Zeidenberg, il a ainsi été retenu que les licences shrinkwrap engagent les consommateurs et constituent par conséquent des contrats car les conditions générales d’utilisations étaient visibles à l’écran de l’ordinateur et qu’il était nécessaire les accepter afin de pouvoir utiliser le logiciel. Le principe de proximité se trouve étendu au monde numérique et les conditions générales doivent par conséquent être présentes à côté du contrat afin d’être opposables. La même solution vaut également en France étant donné que les conditions générales d’utilisation doivent être accessibles à l’écran avant qu’il n’exprime son consentement. Les deux droits convergent par conséquent sur les solutions à apporter dans le monde analogique ainsi que dans le monde numérique.

751. Il s’en suit que les droits français et américain convergeaient sur le rejet de l’opposabilité de conditions générales d’utilisation accessibles par un lien au début des années 1990. En effet, cela ne permettait pas de présenter les conditions générales d’utilisation à proximité de la page liée ou de la page recueillant le consentement de l’internaute. Les arrêts américains Ticketmaster v. Tickets.com et Specht ont eu l’occasion de confirmer le rejet de l’opposabilité des conditions générales d’utilisation accessibles aux internautes uniquement via un hyperlien. Cette solution était marquée dans le temps car elle était le fruit de la nécessité de protéger les internautes contre les mécanismes de l’Internet qui leur étaient encore nouveaux.

752. Cependant, grâce à la familiarisation de la population avec les us et coutumes de l’Internet, la jurisprudence américaine a adopté une solution plus souple de la communication des conditions générales d’utilisation que la jurisprudence française. Elle a en effet retenu que les conditions générales d’utilisation peuvent être communiquées aux internautes via un hyperlien. L’arrêt a néanmoins posé des limites à la validité de ce type de communication. L’hyperlien doit ainsi apparaître clairement sur la page Internet, c’est-à-dire qu’il doit être visible sans avoir besoin de faire défiler la page Internet à moins que cela ne soit nécessaire pour procéder à la conclusion du contrat. À défaut, les conditions générales d’utilisation seront réputées ne pas avoir été communiquées à l’internaute. Le lien doit en outre être présenté de façon à ce qu’un utilisateur raisonnable puisse le remarquer . Les modalités de sa présentation ne sont pas fixées et pourront évoluer en fonction des us et coutumes de l’Internet. L’arrêt se place ainsi dans une perspective évolutive et proactive. Le droit américain se montre désormais en phase avec l’état moyen des connaissances des internautes qui savent comment fonctionne un site Internet et comment trouver les conditions générales d’utilisation.

753. À l’inverse, la jurisprudence française a retenu que des conditions générales à moitié dissimulées, et simplement référencées sous l’acronyme « conditions générales d’utilisation », qui s’avèrent « peu signifiantes pour un internaute de curiosité moyenne », ne peuvent être opposées à un internaute. Il s’avère donc nécessaire d’écrire la mention conditions générales d’utilisation en toutes lettres, ce qui s’avère être en décalage avec les pratiques culturelles contemporaines dans un pays où l’usage des abréviations est particulièrement répandu . La jurisprudence américaine aurait adopté la solution inverse si l’acronyme des conditions générales d’utilisation avait été mentionné en anglais étant donné qu’un utilisateur raisonnable peut le remarquer. La solution française ne surprend pas car elle constitue simplement l’adaptation à l’Internet de principes reconnus avant son avènement. La solution française a été précisée par la CJUE dans l’arrêt Content Services Ltd c. Bundesarbeitskammer . Il a ainsi été retenu que les liens ne permettent pas de communiquer les conditions générales aux internautes qui ne peuvent par conséquent pas les recevoir . La solution européenne prend de la hauteur par rapport aux raisonnements français qui étaient restés très factuels et pouvaient par conséquent laisser peser des doutes sur leurs portées. La solution européenne est cependant paradoxale car les juges retiennent qu’un hyperlien communique une œuvre au public au sens du droit d’auteur , mais qu’il ne communique pas les conditions générales d’utilisation.

754. Dès lors, les contenus des contrats en ligne au sein de l’Union Européenne devront – à l’inverse des États-Unis – être directement accessibles aux internautes sans renvoi possible par un hyperlien. Les propriétaires de sites sont par conséquent confrontés à une divergence entre l’Union Européenne et les États-Unis alors que l’Internet constitue un espace commun. En cas d’application concomitante des deux droits, il convient de suivre les règles européennes qui leur imposeront de suivre une architecture de présentation qui sera reconnue aux États-Unis.

755. La solution européenne ne prend cependant pas en compte les spécificités des hyperliens. Les liens fonctionnent en effet différemment d’un simple renvoi à un autre document dans la mesure où l’hyperlien le rend directement accessible sans que l’internaute n’ait à se déplacer ni à perdre de temps. L’hyperlien permet donc, à la différence du renvoi dans le monde matériel, une unité de lieu et quasiment de temps facilitant l’accès aux contenus. Cette solution permet de préciser une ambiguïté du droit français. Le critère de protection n’est pas celui de la facilité d’accès aux conditions mais bien leur proximité.

756. Les jurisprudences française et européenne n’ont donc pas joué le rôle d’adaptatrice du droit comme leur homologue américaine. Elles se sont ainsi cantonnées à un rôle protecteur des consommateurs sans prendre en considération l’empowerment des internautes qui sont passés d’un stade passif de consommateurs à celui d’internautes actifs . Étant donné que les jurisprudences française et européenne ont su montrer leurs adaptabilités et leur compréhension des évolutions sociales, cette constance dans sa solution laisse comprendre qu’il ne s’agit pas d’un retard par rapport à la position américaine, mais d’un parti pris. La solution européenne, même si elle peut apparaître paternaliste, doit être approuvée car elle assure une meilleure protection des internautes qui ne devraient pas avoir la charge de contrôler l’existence de conditions générales d’utilisation. Autrement, il est certain que des internautes, notamment les plus jeunes, ne se rendraient même pas compte de la présence d’un renvoi vers les conditions générales. Or, étant donné que l’Internet a vocation à être universel, il doit être compréhensible par tous. L’introduction d’une obligation d’information proche du mécanisme de réception du consentement qui pèse sur les propriétaires de sites assure par conséquent le développement d’un Internet fiable pour tous.

757. Les solutions européenne et américaine divergent a priori mais il n’est cependant pas sûr que cette différence implique des conséquences importantes. En effet, en l’absence d’obligation de s’assurer que l’internaute lise et comprenne effectivement les conditions générales d’utilisations, cette différence sera souvent sans conséquence. Les conditions générales d’utilisation sont souvent longues et nécessiteraient en moyenne 76 jours de lecture par an et par internaute – ce qui est a priori impossible à effectuer. Dès lors, les rares internautes voulant prendre connaissance des conditions générales d’utilisations ne seront pas rebutés par la nécessité de chercher l’hyperlien menant vers les conditions générales d’utilisation, comme cela pourra être le cas en droit américain, car ils savent qu’ils devront de toute façon effectuer un effort substantiel afin de prendre connaissance des conditions générales d’utilisation. En outre, il n’est pas sûr que la présentation des conditions générales d’utilisation sur l’écran contenant le mécanisme de réception du consentement constitue un garant de leur lecture par les internautes. Dès lors, la différence sera généralement sans conséquence importante pour la protection des internautes. Néanmoins, étant donné qu’il s’avère très facile de présenter les conditions générales d’utilisation d’un site sur la page recevant l’expression du consentement de l’internaute, nous ne voyons pas de raison de permettre aux propriétaires de sites Internet de présenter les conditions générales sur une autre page.

758. Il n’est néanmoins pas exclu que les positions européenne et américaine soient appelées à converger partiellement. En effet, l’arrêt Content Services Ltd c. Bundesarbeitskammer de la CJUE a ouvert la porte à une possible évolution en Europe. La possibilité de distinguer entre les sites ordinaires et les sites sophistiqués au sens du rapport rendu par le European Securities Markets Expert Group (ESME) , mentionné dans l’arrêt, n’a en effet pas été rejetée. Les juges ont ainsi souligné que les liens peuvent constituer des supports durables pouvant conserver les conditions générales d’utilisation. Il a ainsi été retenu qu’il était sans doute possible de reconnaître l’opposabilité de conditions générales d’utilisations présentes sur un site sophistiqué même si elles ne sont accessibles qu’à partir d’un hyperlien se trouvant sur la page réceptionnant le consentement de l’internaute. Les juges ont donc retenu que la communication de conditions générales d’utilisation via un hyperlien sera licite dès lors qu’elles pourront être « stockées, accessibles et reproduites par le consommateur pendant une durée appropriée ». Ces critères s’avèrent particulièrement protecteurs des internautes tout en assurant plus de souplesse pour les propriétaires de sites Internet. La notion de site sophistiqué n’est cependant pas clairement définie. Il n’en reste pas moins que cette summa divisio peut être clarifiée et étendue à des sites autres que ceux traitant de questions financières auxquels faisait référence le rapport. Il est ainsi possible de distinguer entre les sites professionnels et les sites à destination de consommateurs tels que les sites de divertissement. Cette summa divisio étant connue en droit européen les juges n’auront pas de difficulté particulière à l’appliquer. Cette solution permettrait aux professionnels de bénéficier de règles plus souples leur permettant d’adopter la solution qui leur paraît la plus pratique pour leurs activités. Il y aurait ainsi une convergence partielle du droit européen vers le droit américain qui a construit son raisonnement en considération de professionnels à l’inverse du droit européen qui a réfléchi à partir de l’exemple du consommateur.

759. Le problème de cette potentielle solution européenne par rapport au statu quo des deux systèmes est que l’Internet a une vocation universelle. Un internaute peut par conséquent surfer d’un site professionnel à un site de loisir en un bref laps de temps. Il n’est donc pas satisfaisant d’appliquer des régimes juridiques différents en fonction des sites car cela requerrait des internautes des efforts de qualifications juridiques particulièrement ardus avant de prendre connaissance du contenu du site. Le principe d’universalité de l’Internet doit tendre à la plus grande simplicité possible de la règle.

760. Les droits européen et américain assurent selon leurs paradigmes propres une obligation d’informer les internautes sur le contenu des conditions générales d’utilisation du site. Il sera néanmoins nécessaire de prendre en considération le contexte de visite du site par l’internaute.

B) La communication in concreto des conditions générales d’utilisation

761. Afin d’être effectuée in concreto, la communication du contenu du contrat doit être effectuée matériellement (1) et de façon effective (2). Étant donné que la constitution du consentement n’est pas fonction d’une intention subjective mais d’une extériorisation – seule possible à être prise en compte par un tiers analysant une relation interpersonnelle – le recours à ces deux critères permet de s’assurer que les parties ont bien eu l’opportunité de prendre connaissance du contenu du contrat.

1) La communication matérielle des conditions générales d’utilisation

762. La suggestion de la CJUE dans l’arrêt Content Services Ltd c. Bundesarbeitskammer présente l’intérêt de souligner le fait que l’attention des internautes n’est pas la même selon les sites consultés. En effet, un internaute procédera à une visite de façon beaucoup plus légère lorsqu’il se trouve sur un site de divertissement que s’il parcourt les pages d’un site officiel ou à visée professionnelle. Dès lors, les droits français et américain sont confrontés à deux solutions. Soit ils prennent en compte les spécificités des sites – il s’agit de la position française – soit ils appliquent un régime égal à tous les sites – il s’agit du modèle américain.

763. Les juges français ont ainsi établi un second critère d’attention de l’internaute en prenant en compte le contexte de sa visite du site. Il a en effet été retenu que l’intention d’un internaute ne sera pas particulièrement attirée par l’acronyme CGU qui s’avère « peu signifiant en lui-même pour un internaute de curiosité moyenne principalement intéressé par le but de sa recherche ». Cette dernière expression souligne la prise en compte par le juge du but de la recherche. Il s’agissait en l’espèce d’un site de divertissement. La solution aurait peut-être été différente pour un site Internet plus sérieux s’adressant notamment à des professionnels. Ainsi, en fonction du type de recherche qu’une page Internet implique, les juges seront plus ou moins exigeants quant à l’attention donnée aux acronymes.

764. La solution française fait peser un formalisme informatif plus lourd à l’industrie du divertissement qu’à celle « sérieuse », car la première devra être plus attentive à attirer l’attention des internautes que le second type de sites. Cette position est donc largement défavorable aux auteurs dont les créations se trouvent très souvent sur des sites de divertissement.

765. Ce critère n’a en revanche pas été retenu aux États-Unis à cause du principe égalitaire qui irrigue le droit américain provenant de l’héritage protestant . Les propriétaires de sites ont donc l’obligation de présenter clairement leurs conditions générales d’utilisation indépendamment du type de recherche effectué sur leur site et sans distinguer selon son objectif. Le principe égalitaire américain fait ainsi obstacle à la prise en compte de toute nuance. L’absence de distinction entre les différents seuils d’attention des internautes assure cependant une meilleure sécurité juridique des propriétaires de sites qui ne sont pas confrontés à l’incertitude que constitue la faible clarté de la distinction.

766. Il nous semble néanmoins que le modèle américain pêche par excès de confiance dans le principe d’égalité. En effet, en se focalisant sur une égalité juridique, il ne prend pas en compte les différences factuelles en fonction du niveau culturel ou de la connaissance des us et coutumes de l’Internet. Ces différences de patrimoines culturels se trouvent ainsi renforcées par l’égalitarisme juridique. En somme, l’égalité juridique crée des inégalités de facto. Il nous semble donc que le droit américain devrait renverser sa position afin d’adopter une position véritablement égalitaire et donc démocratique et ce, d’autant plus qu’il vise comme le droit européen à assurer la meilleure communication possible des conditions générales d’utilisation.

767. Il semble que la jurisprudence américaine ait acté cette différence entre les cocontractants. En effet, la différence de traitement de l’acceptation des conditions entre les arrêts Register v. Verio et Specht v. Netscape se justifie par la prise en compte de la différence existant entre les parties. Dans l’arrêt Specht les demandeurs étaient des consommateurs et les conditions générales d’utilisation du site ne leur ont pas été opposées car elles n’apparaissaient pas assez clairement. En revanche, dans l’arrêt Register, il s’agissait d’une société – donc d’un professionnel – à laquelle les conditions générales d’utilisation ont été opposées alors qu’elles n’apparaissaient pas plus clairement que dans l’arrêt Specht. Il y a donc une différence de traitement qui semble fondée sur la différence de qualité des parties.

768. Le droit américain confronte donc les propriétaires de sites Internet – et par conséquent les auteurs – à une véritable insécurité juridique à cause de l’absence d’affirmation explicite des critères fondant les décisions des juges. Certes ce type d’approche est étranger à la tradition protestante américaine qui se limite à placer les parties dans une situation d’égalité initiale et il n’est donc pas sûr que cette solution se pérennise. Cependant, si les juges choisissent de facto une approche différenciée selon la qualité des internautes, ils devraient l’affirmer explicitement. À défaut, la jurisprudence continuera à confronter les propriétaires de sites à une situation d’insécurité juridique.

769. Il nous semble que ces distinctions, explicites ou implicites, entre consommateurs et professionnels, n’ont de toute façon pas de raison d’être sur Internet. En effet, l’Internet est fondé sur le principe de l’anonymat car il a été bâti non pas afin de mettre en contact deux profils numériques mais deux adresses IP. L’Internet ne permet donc pas de prendre en compte des spécificités de chaque partie. Il nous semble par conséquent que les régimes devraient être unifiés sur le modèle le plus protecteur – car il renforce la confiance sans laquelle l’Internet ne peut se développer – c’est-à-dire celui appliqué aux consommateurs au sein de l’Union Européenne. L’adoption d’un régime unique impliquerait ainsi une charge moindre en terme de recherches et de rédaction pour les propriétaires de sites et par conséquent pour les auteurs. En effet, les auteurs n’auraient pas besoin de rédiger des conditions générales d’utilisations différentes pour chaque statut. Cela nécessite donc que les sites Internet ne puissent opposer de conditions générales d’utilisations sans mécanisme de réception de l’accord des internautes et sans que les internautes n’aient reçu une communication effective. Le droit européen sera cependant protecteur des propriétaires de sites Internet a posteriori – c’est-à-dire lorsque les identités derrière les adresses IP auront été révélées – car le régime ad hoc du droit des consommateurs pourra être écarté lorsque le créateur de lien sera un professionnel. La distinction entre la qualité d’auteur et de cessionnaire du propriétaire de site Internet n’aura pas d’incidence sur le régime applicable en ce qui concerne la communication des conditions générales d’utilisation.

2) La communication effective des conditions générales d’utilisation

770. Afin d’être effective, la communication doit être compréhensible par tous. Tout acte de communication est effectué par le truchement d’une langue. Il est par conséquent nécessaire d’utiliser une langue que le cocontractant comprend.

771. Ce principe est partagé en matière pénale en Europe et aux États-Unis . Le droit américain protège donc les justiciables maîtrisant peu ou pas l’anglais et impose une communication des droits dans la langue du défendeur. En Europe, la CEDH oblige les États membres à proposer un service de traduction aux personnes inculpées. Cette convergence en matière pénale ne se confirme pas en matière contractuelle.

772. En effet, la loi Toubon du 31 décembre 1975 ajoute une protection supplémentaire pour les contractants en droit français en leur imposant de mentionner les conditions générales d’utilisation en langue française. Cette obligation n’existe pas en droit américain. Cette différence est notamment le fruit de l’absence de langue officielle aux États-Unis au niveau fédéral , mais aussi de la prédominance des sociétés américaines de langue anglaise sur Internet. La majorité des grandes sociétés de l’Internet sont en effet américaines et rédigent des conditions générales d’utilisation en langue anglaise. Il en va parfois ainsi même si le public visé est étranger. Il apparaît donc logique que le législateur français ait voulu protéger les consommateurs français qui se voyaient opposer des conditions qu’ils ne pouvaient pas comprendre. Il n’apparaît en revanche pas véritablement nécessaire d’introduire de réglementation en sens inverse aux États-Unis pour le moment, étant donné qu’un nombre substantiel de page est rédigé dans la langue de Shakespeare. Cependant, la situation pourrait être amenée à évoluer à cause de facteurs internes et externes. Au sein des États-Unis l’augmentation du nombre de locuteurs en langue espagnole notamment est susceptible d’obliger de facto – et cela est déjà le cas dans les États frontaliers du Mexique comme la Californie – à prendre en considération le problème linguistique. En outre, le développement de l’Asie a pour conséquence une forte augmentation du nombre de pages dans des langues asiatiques. La fin de l’hégémonie américaine de l’Internet pourrait par conséquent amener les États fédérés à prendre en considération les difficultés linguistiques des internautes.

773. Cependant, la loi française nous semble non seulement ethnocentrée mais également dépassée car elle ne prend pas en considération l’amélioration des compétences linguistiques des internautes français qui sont souvent capables d’évoluer sur des pages écrites en langues étrangères. Ainsi, la solution de la loi Toubon semble inéquitable lorsqu’elle se trouve appliquée à un internaute polyglotte auquel les conditions générales d’utilisation ne sont pas opposables alors qu’elles sont rédigées dans une langue qu’il maîtrise. Il nous semble qu’une approche in concreto serait préférable et devrait permettre d’écarter par principe l’opposabilité des conditions générales d’utilisation aux internautes lorsqu’elles ne sont pas rédigées en langue française sauf si l’internaute comprend la langue. La solution actuelle constitue cependant la moins mauvaise solution dès lors que l’on souhaite maintenir le principe de l’anonymat sur Internet. Il est en effet cohérent avec ce principe de traiter tous les internautes de la même façon sans prise en considération de leurs particularités.

774. Les créateurs de sites Internet, qui sont généralement des auteurs étant donné que la majorité des sites Internet contient des éléments originaux, sont donc tenus d’obligations d’information divergentes en droit français et américain malgré les possibles convergences à venir. Il s’agit certes d’une charge pour les propriétaires de sites. Il nous semble néanmoins que toute activité requiert un minimum de diligences et qu’en l’occurrence elles ne s’avèrent pas disproportionnées. Ces diligences sont d’autant plus justifiées qu’elles participent de l’élaboration d’un Internet plus fiable pour les utilisateurs. La confiance ainsi acquise en l’Internet lui permet de croître dans l’intérêt même des propriétaires de site. La fiabilité de l’Internet repose également sur les modalités de réception des accords aux conventions.

II) Les modalités de la réception de l’accord

775. L’acceptation des conditions générales d’utilisations permet l’opposabilité des conditions générales d’utilisation. Ce n’est qu’à la suite de ce processus que l’internaute sera lié au propriétaire de site et qu’il sera obligé de rémunérer l’auteur. Néanmoins, à défaut de preuve de l’expression du consentement, il ne sera pas possible d’arguer devant une juridiction de l’existence d’un contrat. La preuve ne conditionne pas la naissance du droit mais son effectivité. Or, les droits français et américain font peser la charge de la preuve de l’expression du consentement du cocontractant sur celui qui a rédigé les conditions générales d’utilisation. Ce choix s’avère protecteur des internautes mais fait peser une charge supplémentaire pour les auteurs. Les logiques des deux systèmes semblent donc converger. Cependant, si les deux droits s’accordent sur les règles applicables aux contrats à titre gratuit (A), ils divergent sur le régime des contrats à titre onéreux (B).

A) Les contrats à titre gratuit

776. Les contrats à titre gratuit ne permettront évidemment pas aux auteurs d’obtenir une rémunération pour l’établissement de liens vers leurs sites. Ils obligeront cependant le créateur de liens à respecter les modalités souhaitées par l’auteur pour la création de liens. Ce mécanisme sera d’autant plus pertinent aux États-Unis que le droit moral du Visual Artists Rights Act n’a a priori pas vocation à s’appliquer sur l’Internet. L’outil contractuel permettra de compenser l’absence de droits moraux. En France, les conditions générales seront le moyen d’éviter des négociations entre l’auteur et l’internaute et par conséquent d’effectuer un gain de temps. Les conditions générales permettront de faire des économies sur les frais de négociations et libéreront du temps pour les auteurs afin qu’ils puissent créer.

777. En outre, si le droit d’auteur et le copyright constituent des régimes obligatoires pour les auteurs, ils peuvent choisir de donner leurs œuvres à titre gratuit au public. Ces deux régimes ne sont par conséquent applicables que par défaut et il n’y a pas lieu d’imposer aux auteurs des modalités d’utiliser de leurs œuvres contraires à leurs intentions culturelles ou politiques. La liberté contractuelle – qui inclut la liberté de contracter et de ne pas contracter – doit ainsi s’appliquer aux auteurs qui sont les meilleurs juges de l’utilisation de leurs droits.

778. Les droits européen et américain ont étendu les solutions du monde analogique au monde numérique. La cour de cassation française a refusé d’opposer les conditions générales d’utilisation lorsqu’aucun mécanisme de réception du consentement n’existe. Aux États-Unis, la solution dégagée en matière de contrat shrinkwrap a été étendue à l’Internet avec l’arrêt ProCD v. Zeindenberg et par conséquent l’opposabilité des conditions générales d’utilisation dépendra de l’existence d’un mécanisme de réception du consentement. Les modalités d’opposabilité des conditions générales d’utilisation sont par conséquent similaires dans les deux systèmes. Cela nécessite que les auteurs établissent un mécanisme de conservation de l’expression du consentement, ce qui peut constituer une charge économique et temporelle pesant sur leur création. Les juges imposent ainsi un minimum de formalisme dans l’acceptation des créateurs de liens.

779. Les droits français et américain adoptent une approche objective de l’expression du consentement. Les juges doivent en effet rechercher l’expression extérieure manifestant l’intention et non pas les secrets non exprimés . En effet, une convention est un outil social permettant de créer et de sécuriser les relations entre les individus. En outre, étant donné qu’un contrat sur Internet est le résultat de la mise en relation de deux adresses IP représentant des internautes, l’approche objective est la seule pertinente.

780. Les modalités de l’expression objective du consentement reste cependant libre dans les deux systèmes , c’est-à-dire que les droits français et américain n’ont pas établi de listes de modalités d’expression du consentement. Cela permet à l’offrant de déterminer les modalités de réception de l’accord les plus pertinentes. Le champ des possibles reste cependant limité. Les auteurs réceptionneront généralement le consentement des internautes par l’introduction d’une case du type « Je suis d’accord ».

781. Les droits français et américain abordent différemment cette question. Le droit américain se réfère aux standards industriels . La case « I accept the terms of service » a ainsi été considérée comme un standard industriel apte à réceptionner l’accord des internautes. La jurisprudence française n’a en revanche pas reconnu de valeur de standard industriel et reconnaît ainsi au cas par cas la validité d’un système de réception du consentement. Cette distinction montre la différence d’appréhension de l’Internet par les juges des deux pays. Il n’y a cependant pas de conséquence pratique de la divergence entre les deux approches. En effet, ce type de clause permet de retenir dans chaque hypothèse, pour peu qu’elle soit apparente , l’expression du consentement par l’internaute sans que la question de l’existence d’un standard industriel ne s’avère déterminante. La différence souligne cependant le fait que les juges américains sont plus enclins à prendre en considération la sociologie de l’Internet – comme nous l’avons vu en matière de validité des renvois aux conditions générales d’utilisation par des liens – afin d’établir leurs standards juridiques. Les juges français se cantonnent en revanche à une approche individualiste conforme à la philosophie du Code civil de 1804 reprise par l’ordonnance du 10 février 2016.

782. Le recours à des standards permet au droit américain de retenir l’acceptation des conditions générales d’utilisation dans des cas où le droit français la rejette. Ainsi, les arrêts Cairo, Inc. v. CrossMedia Servs., Inc. , et Southwest Airlines Co. v. BoardFirst, L.L.C. , ont retenu que le cocontractant avait exprimé son accord aux conditions générales d’utilisation en continuant à utiliser le site Internet à la suite de la réception d’une lettre l’informant du contenu des conditions générales d’utilisation. L’arrêt Register v. Verio a expliqué de façon imagée cette solution. Il a pris l’exemple d’un client qui entrerait dans un magasin afin de prendre une pomme. Le prix de la pomme n’est pas mentionné sur l’étalage mais à la sortie du magasin de sorte que, si à la première visite l’acheteur n’avait pas connaissance des conditions d’achat, il n’en allait pas de même à la deuxième visite. Les conditions d’achat de la pomme deviennent donc opposables dès lors que l’acheteur en a connaissance. Appliqué à l’Internet, ce raisonnement permet de retenir que l’établissement d’un lien n’est pas soumis aux conditions générales d’utilisation tant que le créateur n’a pas reçu communication des conditions générales d’utilisation. À la suite de leur communication les conditions générales d’utilisation deviennent en revanche opposables au créateur de lien. Le créateur d’un lien qui maintient un lien à la suite de la réception d’un e-mail mentionnant les conditions générales d’utilisation sera par conséquent lié par les conditions communiquées.

783. Le droit français rejette a priori une telle solution. En effet, l’arrêt M6 de la Cour d’appel de Paris a retenu que la réception d’une mise en demeure mentionnant les conditions générales d’utilisation d’un site Internet ne les rend pas opposables au créateur de liens. Pourtant, il s’agit d’une situation similaire à celle des arrêts Cairo, Inc. v. CrossMedia Servs., Inc. et Southwest Airlines Co. v. BoardFirst, L.L.C. car l’internaute a eu connaissance des conditions générales d’utilisation. L’information éloignée du mécanisme de réception du consentement ne suffit donc pas à former un contrat en droit français. Cette solution ne surprend pas. En effet, la jurisprudence française n’a pas reconnu d’hypothèse d’opposabilité d’une convention lorsque le cocontractant n’exprime pas positivement son accord en dehors d’une liste limitative incluant, notamment, la continuation des relations contractuelles entre deux professionnels ou la reconduction d’un contrat de bail . Il n’y a donc pas lieu d’opposer des conditions générales d’utilisation, même lorsqu’elles ne comportent pas de prix, aux internautes étant donné qu’elles ne sont pas incluses dans la liste limitative.

784. Ainsi, bien que les deux droits rejettent en principe l’idée qu’un contrat puisse être conclu par le silence d’une partie , le droit américain s’avère beaucoup plus ouvert que le droit français à l’idée de la formation tacite d’un contrat lorsque les prestations objets du contrat sont accomplies. Le droit américain applique en effet un paradigme plus tourné vers les affaires nécessitant une approche pragmatique et souple – ce qui s’avère favorable aux auteurs et leur permettra de mieux protéger leurs prérogatives morales – alors que les droits français et européen sont centrés sur la protection des individus et de plus en plus sur celle des consommateurs. Cette divergence sur les valeurs de liberté et de paternalisme n’a cependant que des conséquences limitées car l’hypothèse de l’arrêt Register v. Verio reste relativement rare.

785. En outre, étant donné que le droit français protège les droits moraux la différence entre les deux systèmes reste limitée. Les auteurs français bénéficieront généralement, grâce au droit commun, de la protection que la convention conférera aux auteurs américains. Dès lors, la souplesse américaine qui devrait faire gagner du temps et de l’argent aux auteurs est compensée en France par l’absence de nécessité d’introduire des clauses protégeant les droits moraux – ou alors à simple titre didactique pour les internautes.

786. Les droits français et américain ont donc des résultats en partie similaire en matière de conditions générales d’utilisation à titre gratuit. L’engagement des internautes dans des contrats à titre gratuit s’avère donc relativement simple et peu formel. Cette approche est cohérente avec le principe libertaire des Pères fondateurs de l’Internet qui ne souhaitaient pas qu’un système juridique s’applique à l’Internet afin de laisser les internautes gérer eux-mêmes leurs relations. La formation de conventions simples assure la bonne autogestion de l’Internet.

787. Cependant, dès lors qu’une dimension mercantile est introduite sur l’Internet, il y lieu d’écarter le principe libertaire qui l’irrigue. Les systèmes juridiques étatiques sont par conséquent pleinement légitimes à s’appliquer au réseau dans les hypothèses commerciales. Les droits européen et américain en ont tiré des conséquences différentes reflétant les divergences philosophiques en matière de droit des contrats.

B) Les contrats à titre onéreux

788. Les contrats à titre onéreux sont les conventions prévoyant une contrepartie . Elles permettront aux auteurs d’obtenir une rémunération pour l’établissement de liens vers leurs œuvres. Les droits français et américain connaissent des modalités différentes d’opposabilité des conditions générales d’utilisation à titre onéreux.

789. Le droit européen s’est ainsi montré plus protecteur des internautes que le droit américain en introduisant la théorie du double-clic. L’article 11 de la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 a introduit la formalité de la passation de commande qui a été transposée par la Loi pour la Confiance dans l’Économie Numérique en procédure du double-clic. Elle consiste à imposer un mécanisme obligeant les internautes à cliquer à deux reprises sur un onglet mentionnant qu’ils acceptent les conditions . Cela permet à l’internaute – indépendamment de sa qualité de consommateur ou de professionnel – de vérifier, corriger et confirmer son acceptation . L’obligation d’introduire une interface cognitive vise à permettre aux cocontractants de réfléchir à leur volonté de contracter et de contrôler les données de l’accord. Il s’agit d’un mécanisme de protection du consentement par la maîtrise de l’instrument informatique car le législateur craignait le clic erroné . Cette approche nous paraît avoir eu du sens au début du XXIe siècle alors que de nombreux Européens découvraient les ordinateurs et se familiarisaient avec l’usage de la souris et les codes de l’Internet, mais elle nous semble beaucoup moins pertinente à l’époque de la démocratisation des terminaux numériques et de l’enseignement de rudiments informatiques dès l’école primaire. La règle est sans doute bonne en ce qu’elle s’avère protectrice des consommateurs et des non-professionnels, bien qu’elle n’empêche pas de conclure des contrats qui s’avéreront dangereux pour leurs situations financières. Ainsi, ce n’est que lorsque l’internaute double clique pour exprimer son consentement à un contrat qu’il l’accepte. Cette solution s’applique aussi bien aux professionnels qu’aux consommateurs.

790. Le droit américain a en revanche adopté une démarche plus souple. En effet, il applique la solution de l’arrêt Ticketmaster v. Ticket.com – qui avait retenu que les conditions générales d’utilisation sont opposables dès lors que l’internaute en a connaissance – et ne distingue donc pas entre les contrats à titre gratuit et à titre onéreux. L’approche paternaliste européenne souligne d’une part que le droit européen ne prend toujours pas en considération l’amélioration des connaissances des us et coutumes par les internautes, mais aussi qu’il se focalise sur un paradigme plus centré sur la protection des consommateurs que sur le droit des affaires.

791. Les droits américain et français divergent donc en grande partie sur la question du consentement aux conditions générales d’utilisation. Cette question nécessite en outre de déterminer si les parties ont la capacité à accepter une convention. Les deux systèmes ont adopté sur ce point des solutions plutôt convergentes.

Paragraphe 2 : La capacité à conclure un contrat

792. La capacité réside dans « l’aptitude à acquérir un droit et à l’exercer ». Toute personne majeure est présumée capable tant qu’elle n’a pas été déclarée incapable depuis que la France et les États-Unis ont aboli l’esclavage. La question de la capacité a été initialement pensée pour les personnes physiques (I). Depuis cet état initial de la pensée la science-fiction semble avoir rattrapé la réalité. Le développement de l’informatique a en effet confronté les droits français et américain à la question de savoir si les algorithmes ont la capacité pour conclure des contrats (II). Cela pourra être utile pour les auteurs voulant déléguer à une intelligence artificielle la conclusion de contrat afin de limiter les coûts de transaction.

I) La capacité des personnes physiques

793. La notion de capacité est abordée de façon très différente dans les deux systèmes. Alors qu’il s’agit d’une condition de formation du contrat en France , la capacité constitue une excuse à la violation des obligations contractuelles pour les mineurs et une condition de validité du contrat pour les incapables majeurs . La capacité n’est donc pas conçue de façon aussi systématique en droit américain qu’en droit français. Cette différence n’a pas de grandes conséquences car les contrats sont présumés valides en droit français comme en droit américain. Le changement de perspective, consistant à retenir que la capacité est présumée jusqu’à preuve du contraire s’inscrit dans la même logique. Les différences méthodologiques n’ont pas de réelles importances pratiques.

794. En effet, dans les deux systèmes, la question de la capacité pose des problèmes de sécurité juridique pour les propriétaires de sites Internet et par voie de conséquence pour les auteurs. Ainsi, étant donné qu’ils n’ont pas de contact direct avec l’internaute et que seules deux adresses IP communiquent pour conclure le contrat, il leur est impossible de déterminer si le cocontractant a la capacité de conclure une convention. Cette situation est particulièrement insécurisante pour les auteurs d’œuvres pour enfants ou adolescents qui risquent de voir la conclusion de conventions annulées pour absence de capacité. Ils seront dès lors incités à ne pas opposer de conditions générales d’utilisation et auront donc des difficultés à obtenir une rémunération pour l’établissement de liens vers leurs sites. Il risque donc d’y avoir une fracture entre les situations des auteurs en fonction des publics qu’ils visent. Les droits français et américain sont ainsi confrontés à un dilemme les amenant à choisir entre deux solutions imparfaites. Il est possible d’opter pour une solution visant à assurer le respect des conventions formées – qui empêcherait l’annulation des conventions pour incapacité – ou une autre plus protectrice des intérêts des personnes incapables permettant d’annuler les conventions pour incapacité. Les droits français et américain ont divergé sur la question de la protection de l’intérêt commun ou de l’intérêt individuel.

795. Le droit américain s’est montré plus favorable aux propriétaires de sites et aux auteurs. Il appliquera en effet la théorie de l’estoppel qui consiste à retenir qu’un contrat a force obligatoire dès lors qu’une partie pouvait raisonnablement croire en l’apparence de la situation pour considérer que le contrat était formé . Le droit français adopte une solution opposée en retenant que les personnes incapables peuvent demander la nullité des conventions qu’elles ont conclues , plaçant ainsi les auteurs, que la France cherche traditionnellement à protéger, dans une situation de forte insécurité juridique. Le droit français se place encore du côté des parties qu’il considère être les plus faibles – en considérant que l’auteur en sa qualité de propriétaire de site Internet est plus fort que le consommateur – alors que le droit américain prend en considération l’intérêt global de la société qui serait mieux assuré par la sécurité des conventions, quitte à ce que certaines situations soient inopportunes. Il nous semble que la solution française tombe dans un gauchisme déresponsabilisant de ses citoyens et qu’elle pourrait en revanche, en s’abstenant de prononcer la nullité des conventions conclues par des incapables sur Internet, condamner indirectement les gardiens de ces personnes qui tiennent les cordons de la bourse. Les gardiens n’ont en effet pas de raison de laisser des moyens de paiement en ligne à des incapables et il nous semble plus juste de sanctionner leur négligence plutôt que de placer les auteurs dans une situation d’insécurité juridique. Le droit américain présente par conséquent l’avantage de la sécurité juridique et de la responsabilisation des gardiens. La solution américaine s’avère plus favorable à la liberté d’entreprendre, aux intérêts des auteurs ainsi qu’au développement de l’Internet.

796. Cette distinction ne devrait généralement pas avoir de conséquences pratiques pour les propriétaires de sites voulant facturer l’établissement de liens vers leurs sites. En effet, le prix demandé pour l’établissement de liens ne devrait pas être assez important pour que les représentants des personnes incapables décident de saisir un juge afin d’obtenir le remboursement. Le faible montant découragera nombre de parents, tuteurs et autres curateurs à saisir le juge et ce, surtout s’ils ressentent le besoin de se faire représenter par un avocat dont les honoraires seront bien supérieurs aux gains espérés. Il n’en ira autrement que si une action de groupe est menée mais cela nous paraît bien hypothétique. L’insécurité juridique française ne devrait donc pas avoir de conséquences importantes devant les tribunaux. Cela permet de sécuriser les auteurs mais soulève la question de l’effectivité de l’état de droit dans notre pays dès lors que les juridictions ne sont pas saisies pour les petits litiges.

797. Les droits français et américain divergent donc sur la question de l’opposabilité des conditions générales d’utilisation aux incapables. Ils convergent en revanche sur la question de la capacité d’un algorithme à conclure une convention qui présente une importance capitale pour les auteurs car la solution apportée modèlera le régime applicable aux conventions conclues par des créateurs automatiques de liens.

II) La capacité à contracter des algorithmes

798. De plus en plus de contrats sont conclus par des machines, notamment dans le domaine de la finance et du trading à haute fréquence. Ainsi, alors que les droits français et américain tenaient pour nécessaire la qualité d’être humain pour être sujet de droit – à l’issue d’une évolution européenne sur plusieurs siècles au cours de laquelle les animaux ont été considérés comme des justiciables et donc comme des sujets de droit – les deux systèmes juridiques commencent à considérer des machines comme des sujets de droit capables d’engager leurs mandants dans des relations contractuelles. Il y a donc eu une capacité uniquement des personnes humaines pendant l’époque romaine, partagée entre les êtres humains et les animaux au Moyen-Âge, des seuls êtres humains à l’époque moderne et partagée entre ces derniers et les machines à l’époque postmoderne.

799. Les algorithmes ont ainsi une capacité à contracter tout en étant eux-mêmes des biens meubles non fongibles et non consomptibles étant donné qu’ils peuvent faire l’objet de transactions . Un algorithme n’a pourtant pas la capacité de raisonner qui fonde la personnalité juridique et par conséquent la pleine capacité à contracter. Les droits européen et américain ont divergé sur le traitement juridique à apporter à cette question. Les États-Unis ont ainsi considéré que le procédé est légal parce qu’il n’est pas expressément interdit, alors que l’Union Européenne a dû explicitement reconnaître la légalité du trading à haute fréquence.

800. Le droit commun américain pouvait accueillir le trading à haute fréquence en appliquant la théorie de agency aux algorithmes – c’est-à-dire une relation de commettant à préposé – permettant de rendre le contrat obligatoire vis-à-vis des cocontractants . Face à l’importance de la question la National Conference of Commissioners on Uniform State Laws (“NCCUSL”) a rédigé le Uniform Computer Information Transaction Act (“UCITA”) afin d’affirmer la légalité des contrats conclus par des algorithmes. Il s’agit d’un modèle de loi n’ayant pas force obligatoire. Il dispose à la section 206(a) que les robots peuvent conclure des conventions. Le UCITA a donc réaffirmé, si besoin était, que la théorie de agency s’applique aux algorithmes et qu’ils peuvent par conséquent conclure des contrats avec des tiers. Il leur est par conséquent possible de conclure des contrats avec des auteurs ou des cessionnaires. Cette solution ouvre des possibilités pour les propriétaires de sites Internet qui peuvent opposer des conditions générales d’utilisation de leurs sites Internet aux créateurs automatiques de liens et, ainsi, obtenir une rémunération. Les droits français et européen ayant adopté un paradigme inverse ne reconnaissent pas cette possibilité.

801. La capacité constitue l’un des quatre piliers du droit des contrats français. La capacité n’étant donnée qu’aux personnes humaines majeures et n’étant pas sous le coup d’une mesure de protection, la définition s’avère plus exclusive qu’inclusive. Face à la nécessité de moderniser les marchés financiers la légalité du trading a haute fréquence a été reconnue dans des conditions strictes. Il faut tout d’abord un seuil minimum d’intelligence pour pouvoir conclure un contrat en Europe, ce que le droit américain n’impose pas aux algorithmes sans que cela ne porte réellement à conséquence étant donné que le marché exclurait un algorithme dysfonctionnel. La directive européenne dite MIF 2 a ainsi exclu les algorithmes n’étant pas capables de stratégie et les a définis comme étant ceux « visant à l’identification d’opportunités de transactions censées déboucher sur la décision d’acheter ou de vendre des instruments financiers en entrant un ordre dans le carnet d’ordres ». La directive ne prend pas position sur la capacité des algorithmes à donner des ordres – donc à conclure des conventions – mais une partie de la doctrine affirme qu’il ne s’agit pas là d’une difficulté particulière étant donné que derrière la machine il y a un être humain . La directive européenne a en fait conféré la capacité à un type d’algorithme, donc par exception, alors que le droit américain reconnaît le principe de la capacité des algorithmes. La directive européenne n’a donc pas étendu cette disposition aux autres types d’algorithmes et notamment à ceux créant des liens. Dès lors, les algorithmes créateurs de liens ne peuvent conclure des conventions et ne peuvent accepter les conditions générales d’utilisation des sites Internet.

802. Le droit américain se montre donc prêt à accueillir le principe de l’acceptation de conditions générales d’utilisation de sites Internet à titre onéreux par des algorithmes alors que le droit européen l’exclut sauf l’exception de la directive MIF 2. Le statu quo devrait cependant perdurer. En effet, il y a peu de chance que l’Union Européenne s’attelle à ce chantier alors qu’elle est confrontée au problème de la sortie du Royaume-Uni. Aux États-Unis en revanche la situation ne devrait pas évoluer car les intérêts financiers sont trop importants . Les solutions que nous venons de décrire ont donc vocation à perdurer.

803. Afin de faciliter la conclusion de contrats par des algorithmes, des éditeurs ont développé le « automated content access protocol » (ACAP) qui offre depuis 2007 un langage lisible par une machine et lui permettant de comprendre et de signer une convention sans recours à une interprétation humaine. Le projet reste cependant très peu utilisé par les moteurs de recherche qui n’y trouvent pas d’incitation à l’utiliser pouvant compenser la charge de la gestion et du stockage des données nécessaires à la prise en compte des conditions générales d’utilisation de chaque site. Il nous semble que l’Union Européenne et les États-Unis devraient s’intéresser plus à ces travaux afin d’imposer la prise en compte du protocole ACAP aux moteurs de recherche. Les auteurs – ou les cessionnaires au nom des auteurs – auraient ainsi un meilleur contrôle des liens et pourront imposer leurs conceptions morales des œuvres ainsi que demander une rémunération pour les liens. Il serait à ce titre pertinent que les moteurs de recherche ainsi que les principaux créateurs d’œuvres se mettent d’accord sur un calcul de la rémunération des liens afin que les propriétaires de sites n’imposent pas des conditions de rémunération déraisonnables.

804. La possibilité d’opposer des conditions générales d’utilisation aux créateurs automatiques de liens serait particulièrement favorable aux auteurs français. En effet, les intérêts de la société, exprimés par la notion d’ordre public, peuvent venir perturber les prévisions des parties dans les deux systèmes, mais le droit français a développé un ordre public ad hoc protecteur des auteurs.

Sous-Section 2 : L’application de l’ordre public aux conditions générales d’utilisation

805. La rencontre des volontés fonde donc les droits des contrats français et américain. Néanmoins, les deux systèmes limitent la liberté des cocontractants en leur imposant le respect de règles d’ordre public auxquelles ils ne peuvent déroger. L’ordre public est constitué par les règles qui s’imposent « avec une force particulière ». Il s’agit donc d’un ensemble de normes considérées comme de la plus haute importance dans un système juridique. Étant donné que les auteurs jouent des rôles différents dans l’imaginaire collectif en Europe et aux États-Unis, et que l’intervention de l’État pour leur protection a fortement varié entre les deux pays , l’appréhension de leurs situations par l’ordre public diverge.

806. L’ordre public ad hoc protecteur des auteurs n’est pas une particularité française car le droit allemand l’a également introduit. Dans les deux cas, il vise à compenser le déséquilibre entre les auteurs – considérés comme les parties faibles – et les exploitants. Ces derniers ont en effet généralement une force de négociation bien supérieure à celle des auteurs. Les droits français et allemand se placent ainsi dans une perspective paternaliste qui apparaît fondée, dans la logique continentale, eu égard au différentiel de force de négociation entre les auteurs et la majorité de leurs cocontractants. Le droit américain n’a en revanche pas introduit un ordre public ad hoc afin de protéger les auteurs, ce qui est conforme au paradigme égalitaire protestant consistant à placer tous les cocontractants dans une situation d’égalité initiale sans considération pour les résultats des négociations . Considérant que les États-Unis sont le pays d’origine des plus grandes majors mondiales du domaine de la culture et qu’ils sont le berceau d’une intense production intellectuelle, il y a lieu de considérer que le déséquilibre de pouvoir de négociation entre les parties a trouvé un équilibre assurant une floraison intellectuelle que la France, malgré son arsenal juridique, n’arrive pas à atteindre. Le secteur culturel américain étant bien financé les opportunités sont nombreuses et rééquilibrent en partie, par un mécanisme de marché et de recours à des capitaux privés , les relations entre les auteurs et les majors. La France finance très bien certains domaines culturels comme le cinéma qui connaît un dynamisme unique en Europe indépendamment de l’existence d’un ordre public protecteur. Les dispositions légales ne constituent donc que des béquilles n’offrant que des avantages limités aux auteurs. Nous n’appelons cependant pas à l’abandon du droit public applicable aux auteurs en France non seulement parce qu’il correspond aux idéaux nationaux. Nous appelons simplement à une meilleure organisation du financement de la culture qui constitue le meilleur moyen de stimuler le secteur plus que l’ordre public.

807. La division est importante en principe entres les deux systèmes mais, dans de nombreuses occasions, elle n’aura pas de conséquences pratiques. En effet, il est courant que les auteurs cèdent leurs œuvres à des cessionnaires n’ayant pas la qualité d’auteur. Les règles spécifiques relatives aux contrats d’auteur ne leur sont donc pas applicables. Dès lors, les solutions américaines et françaises convergent lorsque le propriétaire du site Internet est le cessionnaire des œuvres étant donné que les règles protectrices des auteurs ne lui sont pas applicables.

808. De plus, lorsqu’elles ont vocation à s’appliquer, les règles d’ordre public ne sont pas toujours jusitifiées. En effet, les normes françaises et américaines ont été élaborées à l’époque analogique et ne prennent donc pas en compte les changements profonds opérés par la révolution numérique et notamment sa capacité, comme nous venons de le voir, à renverser les hiérarchies traditionnelles entre les auteurs et les cocontractants. Le droit français permet donc aux auteurs de bénéficier, à l’inverse du droit américain, d’un ordre public des droits des auteurs (Paragraphe 1) ayant pour conséquence l’existence d’un ordre public relatif à la liberté des prix (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Ordre public et droits des auteurs

809. Les droits français et américain divergent sur la question des limites à imposer aux cessions des droits d’auteur et de copyright par l’ordre public. La question soulevée est celle de la protection des agents économiques par l’État. En effet, toute interdiction pour les parties de conclure un certain type d’accord dans le but de protéger l’une des parties encourt le grief de paternalisme. L’argument contraire consiste à souligner qu’en pratique l’une des parties dispose d’un tel pouvoir de négociation qu’il lui est possible d’imposer des clauses largement désavantageuses pour le cocontractant. Le droit français a introduit, à l’inverse du droit américain, deux moyens de protection des auteurs. L’ordre public français impose des modalités particulières d’interprétation des contrats favorables aux auteurs (I) et limite la liberté des parties de conclure des cessions sur des œuvres futures (II).

I) L’interprétation des contrats

810. Les contrats d’auteur sont souvent en pratique particulièrement longs et essayent de prévoir toutes les possibilités qui se présenteront aux parties. Il arrive cependant que certaines parties ne soient pas rompues à la rédaction de contrats ou que les parties aient omis une possibilité qui se présente à eux. Les droits français et américain ont par conséquent prévu des règles d’interprétation des contrats afin de palier à ces manquements. Cependant, alors que le droit américain applique les règles classiques d’interprétation des contrats d’auteur, le droit français a introduit des règles se voulant plus protectrices des auteurs. Les droits français et américain divergent par conséquent sur les méthodes d’interprétation des contrats (A). Cela a des conséquences sur la question, fondamentale même sur l’Internet, de l’étendue territoriale des cessions (B).

A) Les méthodes d’interprétation des cessions de droits d’auteur

811. Les juges seront confrontés à l’interprétation de deux grands types de cessions. Les droits français et américain ont en effet tous deux adopté la distinction entre les cessions exclusives et non-exclusives des droits. Cette distinction permet aux auteurs de limiter la cession de leurs droits à l’établissement de liens sans pour autant céder globalement leurs droits de reproduction ou de représentation. Ainsi, la cession du droit de reproduction pour la création d’une ancre n’autorisera pas le cessionnaire à reproduire l’œuvre dans un autre contexte dès lors qu’il n’aura signé qu’une licence non-exclusive. La méthode employée s’avère par conséquent similaire dans les deux systèmes. L’application diverge à cause des différences méthodologiques d’interprétation qui promeuvent des politiques différentes.

812. Il existe en effet deux principaux courants d’interprétation des contrats. Le premier se contente de lire les dispositions des contrats conformément au sens commun alors que le second amène à rechercher la volonté commune des parties . Les principes UNIDROIT ont opté pour cette dernière solution dans ses Principles of International Commercial Contracts tout comme les principes européens du droit des contrats .

813. Les deux droits convergent également vers l’application de la seconde doctrine. Le droit français s’est en effet inscrit dans cette approche depuis que le Code civil de 1804 a emporté la France dans l’ère du consensualisme, à l’instar du droit américain qui promeut la liberté contractuelle et favorise donc la prise en compte de la volonté commune des parties. Il existe a priori une convergence dans les méthodologies d’interprétation des contrats de droit commun.

814. Le droit français a néanmoins adopté, à l’inverse du droit américain, une solution différente en matière de contrat d’auteur. Il a ainsi introduit un système d’interprétation stricte des cessions de droit d’auteur non plus selon la volonté commune des parties, mais selon le principe in favorem auctoris permettant de procéder à une interprétation des contrats favorable aux auteurs. Cela signifie que les juges devront interpréter les contrats en faveur de l’auteur. Cela implique que la liste des autorisations de lier devra être comprise de façon limitative. L’interprétation stricte des contrats – permettant aux auteurs de limiter l’étendue des cessions et donc d’obtenir une rémunération la plus étendue possible – constitue le miroir de la conception synthétique des droits des auteurs en France qui assure aux auteurs un périmètre le plus large possible pour leurs droits. En effet, ces deux méthodes permettent d’assurer la meilleure protection des auteurs. Les États-Unis n’ont en revanche pas opté pour une méthodologie interprétative différente en matière de copyright par rapport au droit commun. Ils appliquent par conséquent les règles par défaut de l’interprétation des contrats. Le principe d’interprétation in favorem auctoris n’est donc pas suivi par la jurisprudence américaine. Les auteurs bénéficient par conséquent d’une moindre protection par les juges américains que par les juges français.

815. L’approche américaine s’avère sans doute plus cohérente lorsqu’elle s’applique aux conditions générales d’utilisation rédigées par les auteurs eux-mêmes. En effet, les juges outre-Atlantique appliquent le principe contra proferentem selon lequel les dispositions d’un contrat doivent être interprétées contre celui qui les a rédigées . Cette méthode est généralement utilisée pour l’interprétation des contrats d’adhésion comme les conditions générales d’utilisation. Ainsi, alors que le droit français interprétera les conditions générales d’utilisation écrites par un auteur – et non pas par son cessionnaire – selon le principe in favorem auctoris sans aucune considération pour les modalités de rédaction, les juges américain interpréteront contra proferentem dans la même situation. La divergence ne pouvait être plus grande car les juges américains interprètent un contrat rédigé par un auteur dans l’intérêt de son cocontractant.

816. Cette différence de principe devrait cependant être limitée par le recours à d’autres règles d’interprétation par les juges. En effet les juges des deux côtés de l’Atlantique interpréteront la liste de la cession de droits de façon restrictive, l’un conformément au principe in favorem auctori, et l’autre selon le principe expressio unius est exclusio alterius selon lequel une liste est forcément limitative et par conséquent exclusive . Dès lors, dans les deux cas, la liste des droits cédés par les auteurs aux créateurs de liens sera comprise de façon limitative. Les deux systèmes convergent donc sur le principe de l’interprétation limitative des cessions de droits dans les contrats. Cependant, les juges français interpréteront cette limitation en faveur de l’auteur alors que les juges américains les interpréteront en faveur des cocontractants de l’auteur. La différence d’approche initiale entre les deux systèmes se trouve néanmoins fortement réduite.

817. D’un point de vue méthodologique, il nous semble que l’approche américaine saisit mieux les rapports de forces existant lorsque l’auteur rédige lui-même les conditions générales d’utilisation. Il ne nous semble pas que le principe du droit français – qui postule que l’auteur est en permanence confronté à des contrats d’adhésion – soit pertinent dans toutes les situations et notamment lorsque le cocontractant n’est pas un professionnel dominant sur un marché comme peut l’être la société Google. En effet, l’Internet a modifié la pyramide sociale et tend vers une égalisation entre les internautes. L’auteur n’est donc plus confronté uniquement à des cocontractants puissants – en dehors des prestataires de service et de certaines majors – mais également à des internautes agissant à titre individuel et ainsi sans réelle force de négociation Dès lors, l’approche pragmatique du droit américain consistant à appliquer le principe contra proferentem et expressio unius est exclusio alterius apparaît mieux adapté à la complexité des relations contractuelles car elle permet de mieux saisir la réalité de chaque situation contractuelle.

818. Ces règles d’interprétation vont présenter une importance capitale lorsque les juges seront confrontés à des clauses relatives à la territorialité de la cession.

B) L’interprétation de la territorialité de la cession de droits d’auteur

819. La convention de Berne n’aborde pas la question de la territorialité de la cession des droits d’auteur. Les États n’ont donc pas harmonisé leurs réglementations. Il existe par conséquent des divergences importantes entre les États.

820. L’approche restrictive française de l’interprétation des contrats d’auteur a permis l’introduction d’un principe d’interprétation restrictive de la territorialité de la cession que le droit américain n’a pas introduit car il applique les règles d’interprétation par défaut. Il est ainsi possible pour un auteur, en France, de limiter la cession de ses droits à un territoire précis . Le droit américain n’oblige pas les auteurs à limiter leurs cessions à certains territoires mais il devrait atteindre un résultat relativement similaire. En effet, conformément à l’adage expressio unius est exclusio alterius, la liste des territoires établie par l’auteur devra être comprise de façon restrictive par les juges américains. Cela n’empêche pas l’auteur de céder, dans les deux systèmes, ses droits de façon globale pour le monde entier ou une partie substantielle de celui-ci. Les auteurs ont donc un droit de limiter la cession de leurs œuvres à des territoires limitativement énumérés. Le droit français rejoindra le raisonnement américain lorsque les droits seront cédés par des cessionnaires.

821. Cette approche territoriale est héritée de l’époque exclusivement analogique où un droit était forcément attaché à un territoire. Elle s’avère aujourd’hui largement dépassée à cause du caractère ubiquitaire de l’Internet. Le droit divise donc la toile sur une base territoriale alors qu’une base linguistique serait beaucoup plus pertinente. Il nous semble en effet que, d’un point de vue culturel, les pays bilingues et polyglottes sont composés de plusieurs publics et que chaque public peut avoir une culture plus commune avec d’autres pays. Il en va ainsi notamment dans les pays anglophones et francophones. Il est dès lors absurde de rendre une œuvre accessible aux États-Unis et non pas au Royaume-Uni alors que les deux pays ont une langue commune. En France, la règle interdisant la publication des résultats des élections avant 20 heures est régulièrement critiquée car les internautes français se rendent sur les sites belges et suisses afin d’avoir les informations avant l’heure . Il apparaît donc qu’il existe un unique public francophone européen. Cette solution présente le risque d’inciter à la contrefaçon afin d’obtenir accès aux œuvres accessibles au sein de la même zone linguistique. L’Internet impose ainsi une prise en compte de l’organisation culturelle mondiale afin de protéger au mieux les intérêts des auteurs.

822. Un projet de réforme de la Commission Européenne vise à résoudre – partiellement et de façon limitée – ce problème à l’échelle de l’Union Européenne. Il vise en effet à rendre accessible les contenus protégés partout en Europe. L’approche européenne reste cependant prisonnière d’une conception territoriale de la cession.

823. Les auteurs pourront par conséquent limiter l’autorisation de créer un lien vers leurs œuvres à certains territoires. Dès lors, si ce lien amène les internautes à la page liée depuis un territoire exclu par la cession le créateur de lien engagera sa responsabilité. Il sera donc nécessaire de bloquer le fonctionnement du lien depuis les territoires exclus par l’auteur. Cela pourra s’avérer pertinent notamment lorsque la divulgation d’une œuvre n’est pas effectuée à la même date dans tous les pays. Cette possibilité laissée aux auteurs leur permettra d’établir des stratégies de divulgation de leurs œuvres dans le monde afin d’obtenir des revenus les plus élevés possible. Il n’est pas sûr que tous les auteurs en profiteront, mais ce choix doit leur être laissé car chaque situation est différente et il s’avère donc impossible d’apporter une réponse uniforme satisfaisante. Il reviendra in fine au marché de régler cette question.

824. L’interprétation des contrats varie donc entre les systèmes juridiques français et américain mais les conséquences pratiques sont relativement limitées. Les divergences en matière d’ordre public des deux droits sont en revanche beaucoup plus importantes en matière de cession d’œuvres futures.

II) La cession des œuvres futures

825. Les droits communs des deux systèmes convergent sur le principe de l’autorisation de la vente des objets futurs. Il est donc possible de vendre, en France et aux États-Unis, une chose qui n’existe pas encore au moment de la signature du contrat. Dès lors, lorsqu’un site Internet contient des œuvres créées par autrui le cessionnaire pourra conclure des contrats relatifs à l’établissement de liens vers des œuvres non encore créées au moment de la signature.

826. Cependant, afin de protéger les auteurs contre des aliénations trop importantes, le droit français a introduit une exception à ce principe. En effet, l’article L. 131-1 du Code de la propriété intellectuelle introduit une exception en interdisant aux auteurs la « cession globale des œuvres futures ». Les auteurs ne peuvent donc pas céder à l’avance les droits sur des œuvres qu’ils n’ont pas créées sous peine de nullité de la convention. Cette protection vise à interdire aux cocontractants des auteurs de les spolier lorsqu’ils sont encore méconnus du public en pariant sur l’accroissement de leur notoriété. Cela aurait en effet pour conséquence de priver les auteurs du fruit de leur succès. Le droit américain n’a pas introduit un tel système de protection et laisse aux auteurs la liberté de céder leurs œuvres futures. Il faut voir dans cette divergence la confiance américaine dans le marché qui doit naturellement organiser de la façon la plus optimale les relations économiques entre les agents, et au contraire la frilosité française face au marché et la forte protection des auteurs.

827. Il est pourtant vrai que le marché a su s’adapter et que la limitation de facto du copyright a pu s’avérer bénéfique aussi bien pour les auteurs que pour les tiers qui bénéficiaient ainsi d’opportunités économiques. Ainsi, à la suite de l’arrêt Sony qui autorisait les reproductions privées, l’industrie de la location de vidéocassettes s’est développée jusqu’à atteindre dès 1986 un chiffre d’affaires assez important pour que les revenus des auteurs y soient plus importants qu’au cinéma . Cependant, il s’agit d’un autre contexte qui ne présentait pas les mêmes limites pour les ayants droit que le monde numérique actuel.

828. Appliqué aux hyperliens, ces principes obligent les internautes à renégocier avec les auteurs à chaque ajout d’une œuvre nouvelle sur la page cible. Le droit américain se montre plus souple en n’obligeant pas les internautes à effectuer de telles démarches, et converge donc vers le droit français uniquement lorsque le site cible est celui du cessionnaire des œuvres car le droit des contrats d’auteur n’a pas vocation à s’appliquer dans cette configuration. Le droit français impose donc la conclusion régulière de conditions générales d’utilisation qui constitue un formalisme relativement lourd pour les internautes et pour les auteurs. Cette solution présente également pour l’auteur du site de pouvoir augmenter le prix de l’établissement de liens corrélativement à l’accroissement de sa réputation.

829. Les auteurs disposent donc d’une protection contractuelle plus étoffée en droit français qu’en droit américain. Cela leur permet d’opposer une plus grande palette de droits à négocier et à céder. Il est par conséquent plus facile pour les auteurs en droit français qu’en droit américain d’obtenir une rémunération pour l’établissement de liens vers leurs sites qui soit proportionnelle à la réputation des œuvres présentes sur le site. La rémunération pourra donc être a priori plus importante en France qu’aux États-Unis – au prix de coûts de transactions plus élevés – d’autant plus que la négociation du prix est mieux encadrée en France et permettra sans doute une meilleure rémunération lors de l’établissement de liens qu’aux États-Unis.

Paragraphe 2 : Ordre public et liberté des prix

830. La liberté d’entreprendre implique en principe que les parties à une convention – et non pas le droit – fixent les prix. Les agents économiques jouissent donc d’une liberté des prix . L’idée en creux est que les parties sont mieux à même que l’État de déterminer le juste prix du contrat. Cependant, afin de protéger les auteurs, le droit français a encadré – à l’inverse du droit américain – la fixation du prix en deux étapes. Tout d’abord, le droit français fixe les modalités de fixation des prix par les parties (I). A posteriori, le juge français peut contrôler le prix de la cession (II).

I) Les modalités de fixation du prix

831. Les contractants sont par principe libres de déterminer le contenu de leurs contrats et notamment le prix. Cependant, et contrairement au principe général de la liberté des prix, le droit d’auteur français encadre – à l’inverse du droit américain qui campe sur une position libertarienne – leurs modalités de fixation. Le prix devra ainsi être proportionnel aux recettes du cessionnaire. Le droit américain restant fidèle au principe de la liberté des prix il n’impose pas de système de rémunération proportionnelle ou forfaitaire. Il y a par conséquent une fracture de principe entre les deux systèmes.

832. Le système par défaut du droit français est celui de la rémunération proportionnelle. La règle de droit commun dispose donc que l’assiette repose sur le prix hors taxe de la mise à disposition de l’œuvre au public dès lors que l’accès à la page contenant l’ancre du lien est payant. L’auteur pourra également décider que la rémunération sera proportionnelle au nombre de clics sur le lien . Cette règle prend acte de la structure du marché français de l’édition depuis la moitié du XIXe siècle qui a mis un terme à « l’état de guerre » entre les auteurs et les éditeurs qui était en vigueur lorsque le système de rémunération forfaitaire était privilégié. Il s’agit donc d’une mesure protégeant les intérêts des auteurs au détriment de la liberté contractuelle des tiers. La liberté d’établir le prix se trouve donc plus limitée en France qu’aux États-Unis.

833. La règle de la rémunération forfaitaire peut néanmoins s’appliquer si les parties la choisissent expressément. L’article L. 131-4 du Code de la propriété intellectuelle permet de recourir au principe de la rémunération forfaitaire lorsque « la nature ou les conditions de l’exploitation rendent impossible l’application de la règle de la rémunération proportionnelle ». Ainsi, dès lors que le propriétaire du site Internet introduit une clause contraire dans les conditions générales d’utilisation, la rémunération pourra être forfaitaire . Cette dernière solution peut paraître plus pratique sur l’Internet pour les auteurs qui n’auront ainsi pas besoin de contrôler la véracité des déclarations faites par les créateurs de liens, ainsi que pour ces derniers qui perdraient du temps et de l’argent en tenant une comptabilité pour chaque lien créé. Une telle perte de temps ralentirait les acteurs du développement de l’Internet et introduirait des coûts de transaction élevés sans forcément assurer une meilleure protection aux auteurs. Les modalités de fonctionnement de l’internet permettent donc dans de nombreux cas aux auteurs de choisir les modalités de rémunération car ils se trouvent dans une forme de zone grise à la frontière entre les régimes de rémunération proportionnelle et forfaitaire.

834. Le propriétaire du site Internet pourra également opter pour un panachage des deux possibilités . Le droit français cherche donc à placer les auteurs dans une position favorable afin qu’ils puissent obtenir un prix décent pour la cession, alors que le droit américain fait confiance au marché. La distinction entre les intentions des deux législateurs doit être nuancée car l’encadrement de la liberté des prix en droit français ne constitue pas une limitation de la liberté de prix mais plutôt une suggestion du législateur français aux ayants droit. Or, dès lors que les parties peuvent choisir les modalités de rémunération, il n’est pas évident que cette suggestion ait une véritable influence sur la condition des auteurs. Cette règle s’avérera certes utile lorsque les parties auront oublié de préciser les modalités de fixation du prix dans leur convention, mais il y a lieu de croire qu’elles seront rarement coupables d’une telle omission. Les dispositions du droit français s’avèrent donc en grande partie inutile et la distinction avec le système américain relève plus d’un effort didactique du législateur français – qui adopte ainsi un rôle paternaliste – que d’une véritable différence de fond. Enfin, il n’est pas évident que le législateur soit mieux placé que les auteurs pour déterminer a priori les modalités de rémunération les plus avantageuses pour les auteurs. La complexité et les nuances inhérentes aux relations d’affaires font peser un sérieux doute sur la pertinence pour l’État de légiférer en la matière.

835. La réglementation sur les modalités de fixation du prix ne constituent donc pas des différences importantes et n’assurent pas dans tous les cas une protection adéquate des auteurs. Le législateur français, à la différence du Congrès américain, s’est ému de cette situation et a cherché à protéger les auteurs contre les prix particulièrement faibles et inéquitables.

II) Le contrôle du juge sur le prix de la cession de droits d’auteur

836. En effet, malgré le formalisme entourant le processus d’établissement du prix en droit français, il arrive que les auteurs ne puissent fixer un prix satisfaisant. Dans ce cas le marché aura fonctionné d’une façon insatisfaisante et il apparaît légitime – du moins en France – que les juges interviennent dans le contrat. Il y a lieu de voir ici une différence culturelle fondamentale entre l’héritage catholique français qui vise à restaurer les parties dans une situation d’égalité entre elles, et la tradition protestante américaine qui se montre insensible à cette question et se limite à placer les parties dans une situation d’égalité initiale .

837. Les auteurs français pourront ainsi saisir le juge lorsque le prix est trop faible. Ils seront en effet protégés par la notion de prix dérisoire qui permet de prononcer la nullité du contrat. Les juges américains se satisferont en revanche d’un prix même dérisoire étant donné qu’il constitue une consideration conformément au droit commun des contrats. La détermination d’un prix dérisoire ne devrait pas poser de difficulté particulière au juge français et cette solution doit par conséquent être approuvée dans la mesure où elle évite de spolier les auteurs.

838. Les auteurs pourront également – à l’inverse du droit américain – obtenir une révision de la convention s’ils ont subi un préjudice de plus des 7/12e . Il s’agit du même seuil que celui applicable pour la lésion en cas de vente immobilière . Le droit français assure donc aux auteurs une protection relevant d’une philosophie similaire à celle attribuée aux vendeurs de biens immobiliers. Pour ces derniers, la lésion vise à les protéger contre un vice du consentement lorsqu’ils se trouvent en situation de faiblesse face à un acheteur, notamment lorsqu’ils ont rapidement besoin de liquidités . Cette règle protège donc les auteurs qui, en leur qualité de partie faible, peuvent être amenés à céder des droits pour un prix résolument inférieur au prix du marché. Ce parallèle avec les vendeurs immobiliers pressés nous semble pertinent pour les auteurs encore peu célèbres qui ont besoin de revenus rapides et qui risquent, par conséquent, de céder leurs droits pour une somme dérisoire dans le but d’obtenir un minimum de liquidité. Il pourra notamment en aller ainsi lorsque l’auteur est peu célèbre et qu’un créateur important de liens lui propose l’établissement d’un hyperlien vers son site.

839. Cette règle des 7/12e est cependant limitée aux rémunérations proportionnelles. Dans cette hypothèse les auteurs ne pourront trouver refuge que dans les dispositions de l’article 1169 du Code civil qui permet de déclarer la nullité des contrats lorsque le prix est dérisoire. Le caractère dérisoire sera établi selon les prix du marché ou selon les usages professionnels. Les auteurs sont donc soumis au régime de droit commun comme les cessionnaires. Il n’en ira autrement que si les droits sont soumis par un auteur à titre gratuit. Dans une telle hypothèse la cession sera soumise au formalisme de l’article L. 131-2 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose que les « autorisations gratuites d’exécution » doivent être constatées par écrit. Cette disposition devrait cependant être généralement respectée car les relations s’effectuent en ligne et les parties ont par conséquent généralement recours à l’écrit. Ces situations lésionnaires devraient s’avérer rares lorsque l’auteur rédige lui-même les conditions générales d’utilisation, mais elles pourront se présenter notamment lorsque l’auteur révise ses conditions sous la pression d’un créateur de liens important.

840. Cette règle risque néanmoins d’être difficilement appliquée. En effet, il est requis du juge français qu’il endosse le rôle d’un économiste lorsqu’il s’agit de contrats impliquant des auteurs. Il n’est pourtant pas évident qu’il s’agisse d’un rôle qui lui sied. Contrairement à son homologue américain qui est parfois titulaire d’un bachelor en économie , le juge français n’a pas été formé aux sciences économiques. Il ne pourra se fonder que sur ses connaissances personnelles qui seront a priori plus parcellaires que celles d’un titulaire d’un titre universitaire en économie. Il existe donc le risque que le juge se fonde sur des raisonnements économiques présentés par les parties au procès sans comprendre les tenants et les aboutissants des arguments versés aux débats. Ainsi, alors que le juge français est souvent moins à même que le juge américain de comprendre la dimension économique d’un litige, c’est sur lui que pèse la charge de décider le bon prix d’une œuvre. En outre, l’établissement du prix moyen d’un lien s’avère particulièrement difficile à déterminer. Il n’existe pas encore de marché vaste et transparent de la cession d’un droit de lier vers des œuvres protégées. Les juges auront par conséquent des difficultés à retenir que l’auteur a subi une lésion des 7/12e dès lors qu’ils auront du mal à définir le prix normal sur le marché.

841. Il ne sera peut-être pas nécessaire de s’émouvoir de cette situation dès lors que les auteurs fixent eux-mêmes leurs prix. Une fois encore, la position du droit français qui distingue selon les parties au contrat et non pas selon leur force de négociation contractuelle s’avère mal adaptée à la prise en compte des particularités de l’Internet. Les auteurs se trouvent en effet en position de force et ne devraient donc pas, a priori, subir de lésion. La solution française ne sera pertinente que dans les hypothèses où le propriétaire du site est un auteur qui conclut un contrat avec un créateur de liens ayant une position dominante sur le marché.

842. Enfin, il n’est pas évident que les auteurs américains seront placés dans une situation moins bonne que les auteurs français. En effet, les rémunérations publicitaires, qui peuvent former l’assiette de la rémunération pour l’établissement de liens, sont supérieures aux États-Unis par rapport à la France . Cela vient notamment du fait que le marché américain est plus important que son alter ego français et que l’Américain moyen dispose d’un pouvoir d’achat supérieur à l’internaute français moyen. Les propriétaires de sites aux États-Unis bénéficient donc de conditions de marché plus avantageuses qu’en France sans avoir besoin de recourir au juge. Le législateur français essaye donc de compenser par le droit ce que les États-Unis réussissent à obtenir par le marché.

843. Les solutions de marché s’avèrent néanmoins largement insuffisantes pour rémunérer les auteurs. En effet, les conditions générales d’utilisation, qui permettent d’obliger le créateur d’un lien à payer un prix, ne seront opposables que dans les cas où les sites Internet sont protégés par le droit d’auteur et qu’ils disposent de mesures techniques efficaces. En outre, le prix ne sera généralement pas suffisant pour permettre à l’auteur de vivre de ses revenus. Les auteurs sont donc tenus de trouver d’autres sources de revenus.

844. Eu égard aux difficultés que rencontrent les auteurs pour obtenir une rémunération pour la création de liens vers leurs œuvres, il a été proposé de recourir à des mécanismes de financements hors marché. Les droits français et américain n’ont pas accueilli cette proposition de la même façon.

Section 2 : Les projets de rémunération des sites liés

845. La création de liens est source de richesses notamment pour les moteurs de recherche. Ainsi, la société Google gagne une partie substantielle de ses revenus grâce aux publicités accessibles depuis la liste de liens qu’elle suggère .

846. Il semble certes normal que les sociétés présentant des listes de liens perçoivent des bénéfices car elles fournissent une prestation méritant une rémunération. Cependant, les sociétés à l’origine de ces listes de liens ne créent pas l’intégralité du service recherché par les internautes. Les internautes ne sont pas attirés que par les liens mais avant tout par les contenus des pages référencées par ces liens. Or, les auteurs à l’origine de la création des sites Internet ne perçoivent pas de rémunération malgré la création de richesse à laquelle ils participent pourtant largement.

847. Les moteurs de recherche bénéficient du fait que le droit d’auteur et le copyright ont été pensés à l’époque analogique et que leurs activités n’impliquent généralement pas les prérogatives des auteurs pensées à la fin du XVIIIe siècle. Le droit d’auteur et le copyright restent en effet fondés sur une approche matérialiste de la création où l’œuvre doit nécessairement avoir une forme tangible pour exister. Le numérique souligne les limites de cette conception remontant à la fin du XVIIIe siècle car une œuvre existe même si elle n’a pas de format tangible. Les auteurs n’ont donc – en dehors des hypothèses que nous avons mentionnées auparavant – aucune possibilité de rémunération de la part des moteurs de recherche qui bénéficient du décalage entre l’approche matérialiste de la loi et la nature intangible des œuvres qu’ils référencent. Les auteurs se trouvent ainsi pour la première fois confrontés à une utilisation légale de leurs œuvres à grande échelle sans pouvoir percevoir aucune rémunération.

848. Or, face à l’impossibilité d’établir des conditions générales d’utilisation opposables aux créateurs de liens, qui auraient pu permettre aux propriétaires de sites d’imposer le paiement d’une somme pour la création du lien, des projets de rémunérations des sites ont vu le jour. Ces projets ont commencé avec la presse (Paragraphe 1). Les autres domaines culturels connaissent des situations différentes, mais un mouvement tendant vers une meilleure protection des auteurs s’est développé (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La rémunération de la presse

849. Les moteurs de recherche ne créaient initialement pas de listes régulières de liens vers des sites de presse. Le moteur de recherche Google n’a en effet créé des liens vers les sites journalistiques qu’à la suite des attentats du 11 septembre 2001 . À l’époque, l’indexation vers des sites de presse avait été effectuée un mois auparavant et les informations d’actualité ne figuraient donc pas dans la liste des résultats. La société californienne a par la suite décidé de fournir des liens vers les sites d’informations afin de donner accès aux actualités aux internautes. La fonctionnalité Google news, qui a inspiré d’autres moteurs de recherche, constitue donc une formidable amélioration dans l’accès aux informations permettant à la société d’engranger des bénéfices supplémentaires.

850. Cette possibilité offerte par les moteurs de recherche profite de la création intellectuelle produite par autrui sans rémunérer les auteurs. La difficulté réside dans le fait que la fonctionnalité Google News – ainsi que les équivalents créés par les autres moteurs de recherche – ne produit en elle-même aucune richesse car elle ne propose pas de publicité et ne permet donc pas à la société d’engranger des bénéfices. Il n’en reste pas moins qu’en améliorant les services offerts par le moteur de recherche, cette fonctionnalité a pour effet d’augmenter le nombre d’internautes utilisant les services de la société Google. Il s’en suit qu’elle profite indirectement de cette situation. Cette fonctionnalité est ainsi le fruit d’un nouveau mode de production de richesse appelé « stratégies de financements croisés ». Cette méthode consiste à investir, même à perte, dans certains secteurs afin de proposer une large gamme de services. Le service Google News se trouve ainsi offert à perte car il assure une amélioration des services proposés par la société et, par voie de conséquence, une augmentation des revenus de la société sans partage avec les auteurs.

851. La technique des financements croisés constitue un véritable défi pour le droit d’auteur et le copyright. En effet, même si les titulaires de droits disposaient d’une prérogative qu’ils pouvaient échanger avec les créateurs automatiques de liens, il serait impossible de déterminer une assiette de rémunération étant donné que les revenus des services publicitaires sont inexistants. Des projets visant à contraindre les moteurs de recherche à rémunérer les journaux vers lesquels ils créent des liens ont donc vu le jour. Le gouvernement fédéral américain n’a aucune raison de se saisir de la question étant donné que les réglementations américaine et européenne favorisent globalement le développement des géants de l’Internet qui sont pour la plupart étasuniens. L’Union Européenne a rejeté une solution similaire à celle en vigueur aux États-Unis. En effet, le considérant 33 du projet de directive relative au droit d’auteur dans le marché unique retient que les liens n’enfreignent pas les droits des entreprises de presse. Il faut donc en conclure qu’il ne serait pas nécessaire de demander aux créateurs de liens de rémunérer les auteurs. La Commission des affaires juridiques avait soutenu cette proposition dans son rapport en retenant que les liens ne constituent pas nécessairement une atteinte disproportionnée aux droits des auteurs mais qu’ils facilitent l’accès aux informations. La Commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs avait proposé d’effacer le considérant 33 . Nous considérons que cela constituait une erreur et qu’il y a lieu au contraire de confirmer et de renforcer le mouvement qui s’est vérifié notamment en Espagne et en France visant à rémunérer les entreprises de presse par les créateurs automatiques de liens selon des modalités différentes.

852. Le modèle économique de stratégie de financements croisés n’est cependant pas partagé par tous les moteurs de recherche. Le moteur de recherche Yahoo ! notamment présente des publicités sur son service d’actualité. Les créateurs automatiques de liens n’adoptent donc pas tous le même modèle économique. Il nous semble que les modalités de rémunération des entreprises de presse doivent prendre en compte ces modèles. Il y a donc lieu de distinguer entre les modèles économiques de financements croisés tel que Google (I) et les modèles économiques publicitaires comme Yahoo (II).

I) Les modèles économiques de financements croisés

853. La stratégie de financements croisés a constitué une véritable innovation économique que différents projets de réglementations ont tenté de saisir (A) avant que le gouvernement français n’opte pour la création d’un fonds visant à venir en aide aux entreprises de presses (B).

A) Les tentatives de rémunération des auteurs

854. Des travaux ont été menés afin de déterminer des sources de revenus pour les auteurs. Ces financements seraient par définition hors marché. Des projets ont ainsi vu le jour afin de rémunérer les auteurs via l’impôt (1) ou en reconnaissant un droit voisin aux entreprises de presses (2).

1) La rémunération de l’ayant droit par l’impôt

855. George Clémenceau disait que « la France est un pays extrêmement fertile. On y plante des fonctionnaires, il y pousse des impôts ». Il faut croire que 89 ans après la mort du Tigre, et malgré le virage libéral qu’elle a amorcé, la France conserve cette tendance à réglementer par l’impôt. C’est donc conformément à cette tradition qu’un projet de rémunération par l’impôt est né en France alors qu’il n’a pas germé aux États-Unis. Outre cette différence culturelle, la différence de situations économiques justifie la divergence dans l’appréhension du problème.

856. Les États-Unis sont le pays d’origine de la très grande majorité des moteurs de recherche les plus importants. Le moteur de recherche Google concentre à lui seul plus de 90 % des recherches sur Internet en Europe et plus de 68 % aux États-Unis . Sur le Vieux Continent aucun moteur de recherche ne peut rivaliser avec les géants américains. Les législateurs européen et américain se trouvent donc face à des situations profondément différentes.

857. Les Américains ont ainsi intérêt à protéger les réussites nationales de l’Internet. Ils se sont en revanche montrés moins frileux à opposer le copyright au tournant des années 1990 lorsque les digital audio tapes sont arrivées du Japon. Le Congrès américain a ainsi voté le Audio Home Recording Act (AHRA) qui imposait aux fabricants de payer des royalties au Copyright Office. Le Congrès américain ne votera donc pas de réforme qui pourrait gêner ses intérêts nationaux. En revanche, l’Union Européenne a intérêt à protéger les créateurs de valeur européens – c’est-à-dire les auteurs – à défaut d’avoir des moteurs de recherche. Il y a donc une nouvelle forme de conflit qui s’engage entre une forme d’impérialisme économique américain et un protectionnisme européen – que nous recommandons malgré le projet de réforme de la Commission – qui constituent dans les deux cas une forme de guerre économique.

858. En effet, le 6 janvier 2010, le rapport de la Commission « Création et Internet » a proposé l’introduction d’une taxe sur les revenus publicitaires en ligne . Elle aurait eu pour assiette les revenus publicitaires sur Internet des sociétés situées au sein de l’Union Européenne lorsqu’elles utilisent des services en ligne depuis le territoire français. Ainsi, toute transaction portant sur la visualisation d’une publicité ou sur le suivi d’un lien sponsorisé sur le territoire français, même entre deux sociétés étrangères, devait être taxée. Ce projet visait de façon globale tous les sites bénéficiant de revenus publicitaires et non pas uniquement les créateurs automatiques de liens. Il nous semble cependant insatisfaisant s’il reste cantonné au financement des entreprises de presses. Une telle taxe devrait servir à financer l’intégralité du secteur culturel. La Commission « Création et Internet » a donc adopté le principe international de la territorialité de l’impôt que le droit français partage par ailleurs avec le droit américain . Elle n’a donc pas suivi les recommandations de Peggy B. Musgrave qui proposait l’introduction d’un système fiscal international équitable appelé « équité inter-nations ». Cette approche aurait autorisé la France et les États-Unis à taxer leurs contribuables sur les revenus perçus à l’étranger. Cette solution permettrait notamment à la France de capter une partie des revenus qui échappent à son assiette d’imposition et aux États-Unis de ne pas subir l’évasion fiscale de ses géants de l’Internet. Une telle solution nous paraît pourtant plus que jamais nécessaire. En effet, l’Internet constitue une révolution dans les relations internationales sans doute encore plus importante que ne l’a été la période suivant la seconde guerre mondiale qui avait pourtant marqué un renforcement de la solidarité interétatique . L’Internet nécessite en effet d’aller encore plus loin dans la solidarité des États qui ne peuvent plus se permettre d’adopter des stratégies unilatérales s’ils ne veulent pas faire le jeu des évadés fiscaux.

859. Les leçons n’ont cependant pas été complétement tirées de la faiblesse du projet de la Commission « Création et Internet ». Ainsi, en février 2010, le Sénateur Philippe Marini de la Commission des finances a présenté une nouvelle proposition de taxe des publicités en ligne. Il a soumis un amendement au collectif budgétaire visant à créer une taxe de 1 % à partir de janvier 2011 sur « tout hébergeur de site de communication au public en ligne établi dans un État membre de la Communauté européenne qui fournit un service en France ». L’amendement du Sénateur Marini a été rejeté notamment à cause de l’opposition de certains acteurs. L’Association des Sites Internet Communautaires (ASIC) affirmait ainsi qu’une telle taxe risquait de fragiliser le développement du secteur numérique français qui est pourtant créateur d’emplois. Cette peur était sans doute infondée ou du moins exagérée car l’absence de taxe n’a pas permis l’éclosion d’un secteur numérique français en mesure de rivaliser avec les concurrents américains. Les sociétés américaines ne se trouvent ainsi pas ou peu taxées sans que des sociétés européennes n’émergent.

860. L’objectif du Sénateur n’était cependant pas tant de modifier la loi fiscale que de provoquer un débat . Un tel débat n’a même pas eu lieu aux États-Unis où la volonté de protéger les géants de l’Internet, créateurs d’emplois et de richesses considérables, ainsi que le principe de self-reliance selon lequel chaque agent économique doit créer les conditions de sa réussite, font obstacle à tout projet de taxation des moteurs de recherche pour financer les entreprises de presse. Sans doute trop occupés par la crise de la dette, les Français ne se sont de toute façon pas passionnés pour ce débat.

861. Cela n’a pas empêché le Sénateur Philippe Marini de revenir à la charge dès l’automne 2010 . Il a ainsi présenté un autre amendement visant à taxer à hauteur de 1 % les publicités en ligne réalisées en France et ce, à partir du 1er juillet 2011. Le texte était moins ambitieux que le précédent car il évitait de taxer la société Google grâce à son système d’optimisation fiscale en Irlande et aux Bermudes. L’intérêt de la proposition se trouvait dès lors fortement limité. L’amendement a néanmoins été voté en comité mixte paritaire le 13 décembre 2010. Cependant, François Baroin a déposé un amendement reportant l’entrée en vigueur pour laisser du temps à la négociation avec les moteurs de recherche. Le 10 juin 2011, soit quelques jours avant son entrée en vigueur, la taxe a été abandonnée. La Députée à l’origine de l’amendement retirant la proposition du Sénateur Marini a fait valoir que cette taxe aurait pénalisé les TPE ainsi que les PME qui n’ont pas les moyens de délocaliser leurs achats d’espace publicitaire en ligne.

862. Ce retrait a protégé les moteurs de recherche sans améliorer la situation des auteurs. L’argument selon lequel il s’agit d’une question qui serait mieux réglée par l’Union Européenne nous paraît justifié mais, en l’absence d’initiative de la Commission, il nous semble que le législateur français aurait dû initier un mouvement de taxation des moteurs de recherche afin d’encourager l’Union Européenne à emprunter cette voix. Malgré ces différents échecs des projets de rémunérations des journaux ont continué à voir le jour.

863. Le Sénateur Marini a proposé une nouvelle taxe en juillet 2012 dite « proposition de loi pour une fiscalité numérique neutre et équitable » et s’est placé dans une dimension internationaliste plus similaire à celle proposée par Peggy B. Musgrave . Il a en effet cherché à introduire une forme d’équité fiscale en imposant notamment les créateurs automatiques de liens effectuant des bénéfices en France mais inscrits fiscalement dans un pays étranger. Cette proposition visait à rapporter environ 26 millions d’euros qui auraient financé le développement des réseaux, des industries culturelles ainsi que le budget de l’État. Cette proposition de loi n’a cependant pas été votée.

864. Eu égard aux difficultés que la taxation de l’Internet constitue et à la nécessité d’organiser une réponse mondiale et coordonnée, le projet de rémunération des auteurs par l’impôt a été abandonné. Il pourrait cependant s’avérer pertinent si le considérant 33 du projet de directive soit voté car il fait obstacle à la reconnaissance d’un droit voisin opposable par les entreprises de presse pour la création d’un lien. Cette règle n’a pas vocation à faire obstacle à la taxation des créateurs de liens étant donné que l’Union Européenne n’a pas de compétence en matière fiscale. Le législateur français a même enterré cette possibilité en rejetant la taxe dite Youtube pour la loi de finance 2017.

865. Ces difficultés à voter une taxe aurait pu rendre pertinente l’introduction d’un droit voisin a ainsi pu éclore.

2) La rémunération de l’ayant droit par un droit voisin

866. Face à l’incapacité du pouvoir législatif à voter une loi permettant d’imposer les créateurs automatiques de liens, l’association d’Information Politique Générale (IPG) a proposé la création d’un chapitre VIII dans le livre deuxième du Code de la propriété intellectuelle, c’est-à-dire parmi les droits voisins du droit d’auteur. Un tel projet n’a jamais été proposé aux États-Unis. L’association proposait l’introduction d’un article L. 128-1 créant un droit voisin dont serait titulaire l’organisme de presse qui pourrait obtenir une rémunération équitable lorsque les liens permettent d’accéder aux contenus mis en ligne par les journaux. La rémunération ne serait due que par les moteurs de recherche.

867. Cette discrimination ne nous semble pas justifiée. En effet, certains sites sont d’importants créateurs manuels de liens et profitent économiquement des références qu’ils créent. Il aurait été plus judicieux d’introduire une distinction entre les créateurs de liens professionnels et à but non-lucratif. Cette distinction aurait anticipé sur la dichotomie proposée dans l’arrêt GS Media BV c. Sanoma . Les professionnels seraient tenus de rémunérer les auteurs des pages liées alors que les consommateurs n’auraient aucune obligation de rémunérer les auteurs. Cette distinction s’avère en outre cohérente avec l’objectif des Pères Fondateurs de l’Internet qui refusaient toute mercantilisation de l’Internet. Ainsi, un internaute utilisant l’Internet à des fins autres que commerciale ne devrait pas être tenu de payer pour l’établissement d’un lien car il utilise la toile conformément à son objectif premier. En revanche, les entités utilisant l’Internet pour percevoir des bénéfices rompent avec l’objectif initial de l’Internet et il n’y a pas lieu de leur appliquer un régime de gratuité. Chaque type d’utilisation de l’Internet aurait ainsi sa propre cohérence. À défaut, il serait également possible d’introduire l’obligation de recourir à des liens présentant une publicité dont une partie des revenus devrait être reversée au propriétaire du site ciblé.

868. Le projet de l’IPG s’avérait prudent. Il proposait en effet une durée du droit de 5 ans et non pas de 50 ans comme pour les autres droits voisins. Il s’agissait donc d’une brèche dans le principe général de l’absence de distinction dans l’application du droit au monde analogique et au monde numérique. Il aurait donc pu arriver qu’une œuvre ne bénéficie plus de la protection de l’article L. 128-1 alors qu’elle présente encore une valeur commerciale. Dès lors, ce sont les moteurs de recherche qui auraient pleinement bénéficié de la valeur de la création et les auteurs n’auraient pas bénéficié de leurs réussites au-delà du délai de 5 ans. Le projet pêchait donc par sa frilosité.

869. La sanction même montrait qu’il s’agissait d’un projet hybride aux confins des différentes branches de la propriété intellectuelle. Il était en effet prévu que l’absence de paiement de la rémunération équitable serait sanctionnée comme un délit sur le modèle de la sanction de la copie privée. La violation de cette obligation aurait par conséquent été sanctionnée sur le fondement de l’article L. 335-4 du Code de la propriété intellectuelle qui dispose qu’encourt une peine de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende quiconque ne verse pas les rémunérations dues aux auteurs au titre de la copie privée. Il s’agit de la même sanction que celle applicable au droit commun du droit d’auteur mais le législateur – et a fortiori le rédacteur du projet – a voulu préciser le particularisme du régime de la copie privée . Il y avait donc la volonté de créer en France des mécanismes de rémunération hors marché afin de soutenir la création.

870. Le régime proposé aurait ainsi introduit une sorte de licence obligatoire plus qu’un droit voisin. Il aurait en effet eu pour corollaire l’interdiction pour les organismes de presse de s’opposer à la création de liens vers les contenus mis en ligne librement. Le projet était donc le fruit d’une recherche d’équilibre entre les intérêts des entreprises de presse et des créateurs automatiques de liens qui renversait les principes généraux du droit d’auteur.

871. Le choix d’opter pour un droit voisin semble critiquable. En effet, les droits voisins ne protègent pas des utilisations considérées comme secondaires ou que le droit aurait du mal à saisir. Les droits voisins s’appliquent à des créations non originales et non pas à des créations originales utilisées sur des supports nouveaux. Le choix d’un droit voisin pour l’établissement d’un lien menant vers une œuvre originale au sens du droit commun du droit d’auteur n’a donc pas de sens. Le projet n’était donc pas juridiquement très cohérent et n’a jamais vu le jour. La France et plus globalement l’Union Européenne sont ainsi restées sans protection des auteurs contre le référencement sans rémunération de leurs œuvres.

872. Le droit espagnol a exploré une autre possibilité en établissant à l’article 32.2 de la ley de propiedad intelectual que la mise à disposition du public par des liens d’œuvres protégées déjà divulguées dans des publications périodiques ou sur des sites Internet d’actualité périodique et visant une finalité informative, de formation de l’opinion publique ou de divertissement, est soumise à autorisation et à rémunération équitable. La loi espagnole limite donc l’obligation de rémunération aux activités commerciales sur Internet et exclut ainsi du principe de gratuité les entités utilisant l’Internet à des fins mercantiles. Le législateur a posé une seconde limite au droit à rémunération qui n’est concédé que lorsque l’ancre présente plus que les informations qui ne s’avèrent pas significatives . La loi introduit ainsi une exception de minimis en dessous de laquelle les moteurs de recherche n’ont pas d’obligation de rémunération. Le droit français ne connaît pas une telle exception mais elle apparaît justifiée dans cette hypothèse car elle assure un équilibre entre les intérêts pécuniaires des auteurs et la nécessité de référencer les contenus sur Internet.

873. La loi espagnole présente néanmoins le même défaut que le projet de l’IPG. Il nous semble en effet illogique que les créateurs manuels de liens agissant à titre professionnel ne soient pas tenus à l’obligation de rémunérer les entreprises de presses. La summa divisio ne nous semble pas pertinente. Elle souligne sans doute la volonté de ne pas bloquer les créateurs manuels de liens qui peuvent être espagnols et européens, alors que les créateurs automatiques sont principalement américains. Il est en effet plus facile de faire accepter une réforme lorsque les électeurs n’ont pas d’obligation de payer. L’approche européenne relève donc d’un protectionnisme qui rompt avec ses valeurs universalistes . L’approche n’est cependant pas critiquable en soi étant donné qu’un État doit avant tout protéger ses nationaux.

874. La loi espagnole nous semble particulièrement intéressante car elle reconnaît que les entreprises de presses – lorsque l’article est une œuvre collective – ou l’auteur – lorsqu’il s’agit d’une œuvre individuelle – ont un droit d’auteur leur permettant d’obtenir une rémunération pour les liens. Les liens vers les pages d’accueil des journaux pourront également être rémunérés. En effet, si la structure des journaux manque généralement d’originalité à cause du rangement par catégorie – ce qui fait obstacle à la protection de l’organisation par le droit d’auteur – le nouveau droit aura lieu de s’appliquer dès lors que la page contient des œuvres originales tels que des titres ou des images.

875. En reconnaissant un droit aux entreprises de presse, le législateur espagnol leur a donné une chose à négocier sur un marché dont ils peuvent obtenir rémunération. Ainsi, et même si certains moteurs de recherche ne perçoivent aucun bénéfice sur les liens menant vers des articles de journaux, ils seront tenus de payer les entreprises de presse car l’activité globale présente un caractère lucratif. Le droit espagnol permet donc d’introduire une solution de marché permettant une rémunération des auteurs et non pas seulement une aide ponctuelle pour assurer l’adaptation à l’Internet. La loi – qui prenait par conséquent en compte les stratégies de financements croisés – semblait donc protectrice des intérêts des entreprises de presse et aurait dû participer de leur dynamisme.

876. Cependant, la société Google a retiré ses liens à la suite de l’entrée en vigueur de la loi. La loi espagnole a donc eu l’inverse de l’effet escompté car les entreprises de presse ne bénéficient d’aucun revenu supplémentaire et leurs articles ne sont plus référencés dans la fonctionnalité d’actualité du moteur de recherche Google. L’idée espagnole ne doit cependant pas être écartée mais la méthodologie doit être revue. Il nous semble que cette réaction de la société Google vise à constituer plus un coup de semonce et à dissuader d’autres pays d’adopter la même solution qu’une réaction sage et proportionnée face à une véritable difficulté. La loi espagnole apparaît en effet équilibrée dans la mesure où elle n’oblige à rémunération que les créateurs de liens présentant un extrait plus long que nécessaire. La fonctionnalité de référencement n’est donc pas payante en soi, seul le référencement au-delà du strict nécessaire est payant.

877. Il nous semble dès lors qu’il relève de la compétence de l’Union Européenne d’introduire une telle disposition conformément au principe de subsidiarité . En effet, si chaque État membre agit seul, les moteurs de recherche pourront effectuer des pressions voire, comme dans le cas espagnol, supprimer la fonction d’actualité . En revanche, si l’Union Européenne agit pour les 28 États membres, il sera plus difficile pour les moteurs de recherche de faire pression car il s’agit d’un marché qu’ils ne peuvent se permettre de perdre. Il est donc particulièrement urgent d’agir en la matière tant que l’Union Européenne représente une part substantielle de l’économie mondiale. Or, l’Union Européenne semble emprunter le chemin contraire en rejetant dans le projet de réforme du droit d’auteur la rémunération pour l’établissement d’hyperliens .

878. Les États-Unis se refusent pour le moment à introduire un droit voisin ou un nouveau droit de copyright similaire à celui introduit en Espagne. Le principe de gratuité des liens n’est pas remis en cause d’autant plus que le partage assure un meilleur accès à la connaissance. Il y a donc eu un renversement de paradigme par rapport au postulat de la Copyright Clause. En effet, alors que les Pères Fondateurs considéraient que l’opposabilité d’un prix sur une œuvre permet aux auteurs d’obtenir une rémunération afin de continuer à créer, la doctrine américaine moderne postule majoritairement que la gratuité stimule la création sur Internet. Cette solution s’avère sans doute vraie pour la création par des non-professionnels. La solution américaine s’adapte donc très bien – à l’inverse de la position européenne – à tout le secteur de la création amatrice.

879. Il nous semble qu’il en va autrement pour la création par des professionnels. Ces derniers effectuent des investissements importants – qui peuvent se chiffrer en milliers d’euros – afin de mener des reportages et des enquêtes et ont donc besoin d’un retour sur investissement. Il nous semble donc que la doctrine américaine devrait nuancer son approche en suivant la distinction que nous venons de mentionner et le Congrès devrait introduire un droit pour les entreprises de presse sur le modèle espagnol en concertation avec le législateur européen. Il n’y aurait en outre pas de rupture du principe démocratique de l’accès à la protection du copyright mais une application de la distinction entre l’utilisation gratuite ou lucrative de l’Internet.

880. La solution espagnole n’était pas raisonnablement applicable en France puisque le pays n’est pas substantiellement plus peuplé ni plus connecté. La France aurait pu perdre l’accès à la fonctionnalité d’actualités du moteur de recherche Google si le même dénouement s’était vérifié. L’Union Européenne a écarté cette possibilité – alors qu’elle constituait la seule échelle raisonnable pour implémenter une telle réglementation – au considérant 57 ainsi qu’à l’article 15 de la directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique. Le gouvernement français a donc opté pour une solution moins ambitieuse.

B) La création d’un fonds

881. Face à l’enlisement de la situation en France où aucun projet ne voyait le jour, et au besoin de moderniser la presse française, le gouvernement français s’est saisi de la question. Le gouvernement américain a refusé d’ouvrir ce dossier car cela impliquerait qu’une société entretienne financièrement d’autres sociétés, ce qui s’avère contraire à l’idéal américain qui est farouchement indépendant. Le clivage entre les gouvernements français et américain suit un conflit similaire entre les partisans conservateurs de l’absence d’intervention publique et les forces de gauche qui étaient en faveur d’une intervention de l’État pendant les années 1930 en France. L’approche américaine évite effectivement toute influence gouvernementale dans la production intellectuelle et protège ainsi son indépendance, mais elle ne permet pas d’assurer les moyens de création de ce que Jean Zay appelait le prolétariat intellectuel .

882. C’est en adoptant une conception proche de Jean Zay que la ministre de la culture Aurélie Filipetti est allée jusqu’à menacer la société Google de faire voter une loi lui imposant de rémunérer les entreprises de presse si aucun accord n’était trouvé. La Ministre souhaitait créer un droit voisin dans le sillage du projet de l’IPG et de la loi espagnole. Ce projet a néanmoins été écarté en faveur d’une solution beaucoup moins ambitieuse mais sans doute plus pragmatique.

883. Le 1er février 2013, la société Google a signé un accord avec un groupement de presse incluant les plus grands titres français à la suite d’une médiation avec la société Google. La menace du règlement de la situation par la loi – et donc d’une propagation du modèle espagnol en Europe – a incité la société américaine à accepter le processus de médiation. Le gouvernement français s’est donc placé, à l’inverse du gouvernement américain, dans les pas de Jean Zay qui avait proposé d’introduire une procédure de médiation organisée par le gouvernement afin de résoudre les différents entre les auteurs et une autre partie . Le mécanisme auquel a eu recours le gouvernement de Manuel Valls n’est pas nouveau. La méthode a en effet été consacrée à l’article L. 214-1 du Code de la propriété intellectuelle permettant de déterminer la rémunération équitable due aux artistes-interprètes ou en matière de copie privée .

884. L’accord porte ainsi sur la constitution d’un fonds de 60 millions d’euros conformément aux demandes de l’IPG. Il se trouve cependant limité au financement de la transition numérique de la presse d’information politique et générale incluant la presse magazine d’information politique et générale et la presse quotidienne régionale . L’accord discrimine donc entre les différents types de presse pour ne privilégier que la presse considérée comme sérieuse. Cette conception élitiste nous semble injustifiée. En effet, le droit d’auteur ne discrimine pas entre les différentes formes de création et il n’y avait pas lieu d’introduire un tel principe dans un accord visant à palier aux failles du droit d’auteur. En outre, il ne nous semble pas que l’État soit compétent pour déterminer quelle forme de création intellectuelle est la plus digne de protection. Il y a une immixtion du pouvoir exécutif dans le quatrième pouvoir – c’est-à-dire le journalisme – qui nous semble arbitraire. En outre, d’un point de vue économique et social, l’accord ne prend pas en compte le fait que la presse exclue de l’accord est créatrice de nombreux emplois que le fonds aurait pu aider à pérenniser. La limitation est donc incohérente et inadaptée. Il n’était cependant pas absurde d’écarter une partie de la presse et notamment celle dite « people » étant donné qu’elle n’est pas confrontée à des difficultés financières particulières et qu’il n’y a donc pas besoin de l’accompagner dans son adaptation au numérique.

885. Le fonds n’a pas en outre vocation à s’ouvrir à d’autres contributeurs que la société Google. Il nous semble que, malgré la place prédominante que représente le moteur de recherche Google – qui concentre plus de 90 % des recherches en Europe – cette situation constitue une violation du principe d’égalité entre les différents moteurs de recherche qui auraient tous dû participer au fonds. L’intégration de tous les moteurs de recherche aurait en outre permis d’augmenter de 10 % le montant du fond en incluant l’intégralité des bénéfices ce qui aurait tout de même constitué un montant de 6 millions d’euros. L’approche française tombe dans le gauchisme dans la mesure où elle se focalise sur la société la plus prospère en oubliant les autres acteurs du marché.

886. L’intérêt principal de l’accord réside dans la mise à disposition par la société Google de son savoir faire en matière d’Internet. La société accompagnera les entreprises de presse dans la transition du format papier au format numérique et s’assurera que les journaux s’adaptent harmonieusement aux modifications induites par l’Internet. Le fonds sélectionnera donc des projets économiquement viables. Il prendra également en compte la capacité de l’entreprise à mener le projet à bien ainsi que sa capacité d’innovation en ligne et l’expérience des dirigeants en la matière.

887. Les conseils du fonds visent donc à accompagner les entreprises de presse dans leurs choix économiques afin qu’elles perçoivent plus de bénéfices. Le fonds conseille notamment les bénéficiaires dans l’élaboration de technologies dites de paid walls, dans des abonnements en ligne et en zones premium, dans des abonnements spécifiques aux téléphones portables et aux tablettes. Cela permet aux entreprises de presse d’être rémunérées selon des mécanismes de marché. Il nous semble cependant que les grands bénéficiaires de cette approche restent les moteurs de recherche qui n’ont pas d’obligation de verser de somme d’argent aux entreprises de presse au-delà de la somme versée par la société Google au fonds. La dimension parasitaire de l’activité des moteurs de recherche n’est pas prise en compte et aucune compensation n’est donc prévue.

888. L’objectif du fonds est ainsi de mettre des ressources à disposition des entreprises de presse afin de participer au développement de nouveaux modèles économiques notamment via l’innovation dans les contenus éditoriaux. Ce point soulève des difficultés car une société étrangère prend en compte les contenus éditoriaux, et donc les idées exprimées, afin d’attribuer des aides. Cela risque de conférer à la société Google un contrôle – bien qu’indirect et minime – des idées circulant dans les journaux requérant une aide de la part du fonds. Le Syndicat de la presse indépendante d’information en ligne (SPIIL) ainsi que d’autres journaux sont par conséquent opposés au financement de la presse par les moteurs de recherche, et notamment Google , car ils craignent une forme de dépendance à la société californienne. Cette crainte nous paraît cependant largement exagérée. En effet, alors que la société Google devra verser la somme totale de 60 millions d’euros aux entreprises de presses, les dotations de l’État pour la presse s’élèvent à 1 milliard d’euros annuel, ce qui ne constitue en soit qu’environ 11 % du chiffre d’affaires de la presse écrite papier . Rapporté à ces chiffres, le montant du fonds apparaît donc minime et ne constitue a priori pas un risque pour l’indépendance de la presse française. Cette crainte s’avère donc exagérée. Elle doit cependant être prise en compte dès lors que les lecteurs peuvent avoir un doute que les contenus éditoriaux qui se trouvent modifier afin de plaire à la société qui tient les cordons de la bourse. La presse doit être libre et doit être perçue comme tel.

889. La presse devrait continuer à être perçue comme étant libre et indépendante grâce à l’instauration d’un double plafond. Les aides du fonds ne couvriront qu’un maximum de 60% des dépenses éligibles et ce dans la limite de 2 millions d’euros par projet. Seront en outre exclus les projets ayant bénéficié d’un financement provenant du Fonds stratégique pour le développement de la presse. Le fonds n’intervient donc pas pour compenser le manque de liquidités d’une société et ne sert qu’à soulager financièrement des entreprises afin qu’elles affrontent les défis de l’Internet.

890. Il n’est en effet pas question de se contenter de financer un secteur économique moribond et de le maintenir artificiellement pendant quelques années avant sa chute inexorable. L’objectif est en revanche d’accompagner les entreprises de presse vers une modification de leurs modèles économiques afin qu’elles prospèrent au XXIe siècle. Le fonds ne finance pas la numérisation d’un contenu papier mais la création d’un contenu enrichi dont le format s’avère spécifique aux nouveaux outils de lecture de la presse sur Internet . C’est cette dimension de l’accord qui renforce la liberté d’entreprendre des entreprises de presse – et donc des auteurs – en ne se contentant pas d’une simple réponse économique qui se serait avérée insuffisante. L’accompagnement par la société Google des organes de presses devrait leur permettre d’aborder en connaissance de cause les évolutions à anticiper.

891. Il est cependant regrettable qu’il ne soit pas requis de la société Google de verser une somme supérieure alors qu’elle a un chiffre d’affaires bien supérieur à 1 milliard d’euros par an en France et qu’elle n’a payé que 5 millions d’euros d’impôts . Une partie importante de la richesse produite par Google en France sort des frontières et n’est pas redistribuée auprès des créateurs de valeur. Or un accord plus ambitieux ou le règlement par une directive européenne auraient permis de maintenir une partie de la richesse produite afin de soutenir la production intellectuelle des organes de presses. Nous sommes donc loin d’une rémunération pour les liens – que le projet de directive écarte .

892. La probabilité qu’un tel accord soit conclu ou qu’un projet similaire soit voté aux États-Unis est faible. Il a en effet été mis en évidence qu’un accord de la même envergure atteindrait des proportions beaucoup plus importantes outre-Atlantique, amenant la société Google à créer un fonds de 2,6 milliards de dollars . La société de Mountain View pourrait parfaitement financer une telle somme, mais cela représente un coût que le gouvernement américain n’est pas disposé à imposer à une société pour financer le développement d’autres sociétés.

893. En outre, toute intervention gouvernementale sur la question du financement des organismes de presses serait perçue comme une violation du premier Amendement de la Constitution relatif à la liberté d’expression . La quasi-sacralité de cette disposition de la Constitution ferait obstacle à la création d’un tel mécanisme. De plus, les lobbyistes de Google sont très influents auprès du Congrès et ils risqueraient de faire barrage à toute tentative de création de fonds ou de droit voisin. Enfin, la firme de Mountain View est considérée comme un héros national aux États-Unis où elle ne souffre pas de la suspicion dont elle fait l’objet en Europe. Il est donc improbable qu’à moyen terme la société californienne soit contrainte à signer un accord similaire à celui qu’elle a conclu en France le 1er février 2013.

894. Les protections des organismes de presses devraient donc continuer à diverger, non seulement entre la France et les États-Unis, mais aussi au sein de l’Union Européenne où aucune solution commune n’a été trouvée. Cette situation est particulièrement regrettable dans la mesure où l’Union Européenne ne peut se satisfaire de la situation actuelle et devrait se saisir des questions de la mutation des organismes de presses vers le numérique ainsi que de leurs modèles économiques. Une harmonisation de la protection des organismes de presse permettrait à l’Union Européenne d’imposer plus facilement ses vues aux moteurs de recherche que ne pourraient le faire les États pris séparément.

895. Même si un tel mécanisme était étendu à d’autres pays et approfondi, ou si un droit était créé sur le modèle espagnol, les entreprises de presse ne bénéficieraient pas des revenus nécessaires leur permettant de maintenir leurs activités. Elles doivent par conséquent varier leurs sources de revenus et recourir notamment à des modèles économiques incluant des publicités.

II) Les modèles économiques publicitaires

896. Il convient d’aller au bout de la logique des modèles économiques publicitaires. Il serait ainsi possible d’introduire un droit pour les entreprises de presse à obtenir une rémunération via des publicités présentées entre le moment où l’internaute clique sur une ancre et le moment où il arrive sur le site de l’entreprise de presse . Cette solution présenterait l’avantage de ne pas chercher des financements chez les moteurs de recherche pour les entreprises de presse, et de permettre aux entreprises de presse de bénéficier de revenus publicitaires indépendamment de l’activité des moteurs de recherche.

897. La principale difficulté dans l’introduction de cette mesure viendra du droit moral français . Il obligerait en effet les moteurs de recherche à distinguer entre les différents types de publicités afin que leur approche intellectuelle ne soit pas en contradiction avec celle des entreprises de presse et des auteurs des articles liés. Le droit américain sera d’application plus simple car il ne connaît pas les droits moraux.

898. Cette solution permettrait d’assurer une rémunération proportionnelle aux entreprises de presse ainsi qu’aux journalistes conformément à la règle française de droit commun . Il ne nous semble pas qu’il soit nécessaire de passer par l’intermédiaire d’une société de gestion car les créateurs automatiques de liens peuvent enregistrer le nombre de clic vers chaque page. Les entreprises de presse et les journalistes pourront ainsi gérer leurs droits sans recourir à un tiers qui ponctionne une partie de la richesse produite – parfois dans des proportions sans commune mesure avec le travail fourni . L’absence de truchement d’une société de gestion permettra aux entreprises de presse et aux auteurs de bénéficier de l’intégralité des richesses produites. Cela devrait être renforcé par le projet de directive qui vise à introduire une obligation de transparence en faveur des auteurs de la part des entités qui exploitent leurs œuvres . Cette disposition n’aurait cependant pas vocation à s’appliquer si le considérant 33 du projet de directive est voté car il rejette toute rémunération de la part des créateurs de liens.

899. Cette situation permettrait sans doute de trouver une solution acceptable et bénéfique pour toutes les parties. Il nous semble cependant qu’il y a lieu d’ouvrir un tel mécanisme non seulement aux entreprises de presse mais de manière plus large à toutes les formes de création et ce, indépendamment des modèles économiques de financements croisés ou publicitaires.

Paragraphe 2 : Les absences de régime de rémunération des auteurs non-journalistes

900. Le droit français reconnaît, à la différence du droit américain qui opère des distinctions entre les différents types d’œuvres , le principe de l’unité de l’art . Ce principe fait obligation de ne pas distinguer entre les différents types d’œuvres. Or, les modalités de rémunérations ne sont pas pensées de façon globale et les projets ne sont portés que par des groupes d’intérêts qui ne pensent pas de façon universaliste.

901. Les auteurs n’ont longtemps bénéficié que de soutiens par branches notamment pour les œuvres graphiques mais les solutions restaient largement insatisfaisantes (I). Face à la situation insatisfaisante qui persiste en ligne le législateur français a fini par se saisir de la question sans sortir de ce travers (II).

I) Les projets de rémunérations des œuvres graphiques

902. Les moteurs de recherche généralistes proposent des murs d’images permettant aux internautes de visualiser des images se trouvant sur la toile. Cela leur permet d’effectuer une recherche rapide d’images sans devoir contrôler les bases de données de nombreux sites. Les murs d’images améliorent donc considérablement l’accès aux informations.
903. En France, le Sénateur Marini – qui était déjà à l’origine de projets de rémunérations de la presse – a proposé un financement des auteurs d’œuvres graphiques lorsqu’elles sont utilisées par les moteurs de recherche pour leurs murs d’images. Il a ainsi proposé l’instauration d’une gestion collective des droits de reproduction et de représentation d’une œuvre d’art graphique, plastique ou photographique par un service de moteur de recherche et de référencement.
904. La proposition est originale dans la mesure où elle instaure une cession obligatoire des droits au profit de sociétés agréées qui concluent des conventions d’une durée de cinq ans – comme l’IPG l’avait proposé pour les entreprises de presses – avec les moteurs de recherche et de référencement. Le caractère obligatoire de la cession est nouveau car, traditionnellement, la relation entre l’auteur et la société de gestion de droits était contractuelle et donc fondée sur les volontés des deux parties . Le droit français connaît déjà certaines exceptions à ce principe comme pour la reprographie – bien qu’en soient exclues les reproductions commerciales – ou encore la retransmission par câble et le droit de prêt .

905. La proposition suggérait qu’à défaut d’accord, le barème et les modalités de versement de la rémunération seraient fixés par une commission mixte paritaire composée de représentants de l’État, des sociétés de gestion et des moteurs de recherche. Le Sénateur Marini a donc imaginé un droit d’auteur largement socialisé dans la mesure où l’État peut intervenir afin d’influer sur les prix du marché. Un tel mécanisme n’est pas envisageable outre-Atlantique et n’a pas été proposé par les candidats à la Maison Blanche .

906. Dans le projet du Sénateur Marini la sanction de l’obligation par les moteurs de recherche est calquée sur le droit commun du droit d’auteur . En effet, la représentation ou la reproduction en violation du système de gestion collective serait punie comme une contrefaçon de trois ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende . Cette approche présente donc l’intérêt de considérer que le droit impliqué est un droit d’auteur et non pas un droit voisin. Cette approche nous paraît plus cohérente que celle empruntée par l’IPG qui appliquait un droit dont la logique empruntait à celle des droits voisins pour protéger un droit d’auteur . Nous avons cependant un doute sur la constitutionnalité d’une telle mesure. En effet, eu égard à la faiblesse des bénéfices engendrés par l’absence de paiement des droits pour la reproduction d’une image, il nous semble que cette sanction est manifestement disproportionnée car les sanctions sont sans commune mesure avec les buts poursuivis. Une sanction ad hoc aurait donc été préférable.

907. Cette proposition de loi, pour autant qu’elle soit originale et innovante, soulève des difficultés. En effet, les auteurs se trouvent dépossédés de leurs œuvres dans la mesure où les œuvres publiées sur Internet sont cédées automatiquement aux sociétés de gestion qui sont seules habilitées à conclure toute convention avec les moteurs de recherche. Ce mécanisme n’est pas totalement inconnu en droit d’auteur car la seconde moitié du XXe siècle a vu la montée en puissance de ces mécanismes de perception des droits à cause de la complexification croissante de la collecte des droits. Les sociétés de gestion collectives sont ainsi passées d’une place secondaire avec la loi de 1957 à une place de premier rang avec la loi du 3 juillet 1985 . Le droit français connaît désormais des mécanismes de licences obligatoires lorsque la gestion individuelle des droits s’avère complexe . Les articles L. 132-20-1 et L. 217-2 du Code de la propriété intellectuelle ont ainsi instauré une licence obligatoire pour le droit de retransmission par câble, simultanée, intégrale et sans changement sur le territoire national d’une œuvre télédiffusée à partir d’un État membre de l’Union Européenne. Ce type de diffusion ne peut ainsi être effectué que par une société de gestion collective. Il s’agit cependant de domaines limitativement énumérés. La proposition du Sénateur introduirait en revanche une licence obligatoire dont l’étendue s’avérerait sans précédent. En effet, la licence obligatoire des droits de retransmission est limitée car les droits dont sont cessionnaires les entreprises de communication audiovisuelle sont exclus . Cette cession obligatoire risque donc de ne pas passer un contrôle de constitutionnalité ou de conventionalité. En effet, l’article 2 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen énonce que le droit de propriété – qui inclut le droit d’auteur – constitue un droit imprescriptible.

908. Un projet ciblé n’a donc pas vu le jour. Le législateur a cependant fini par s’emparer du problème dans la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.

II) La loi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine

909. La situation n’a donc pas beaucoup avancé et les auteurs se trouvaient démunis face à l’utilisation de leurs œuvres. Le Congrès américain ne s’est pas saisi de cette question mais le législateur français s’est finalement décidé à offrir un mécanisme de rémunération pour certains auteurs dont les œuvres sont référencées. Le Parlement a ainsi renforcé la force de négociation des auteurs – qui seront représentés – alors que le droit américain les laisse avec les seules armes du droit commun des contrats.
910. Ainsi, la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine crée un nouveau Chapitre VI dans le Titre III du Livre consacré au droit d’auteur. Ce chapitre introduit des « dispositions applicables à la recherche et au référencement des œuvres d’art plastiques, graphiques ou photographiques ». Il aura donc un champ d’application limité à certaines œuvres – en violation de la théorie de l’unité de l’art – mais constitue un véritable progrès pour les auteurs concernés en ce qu’il oblige les « services automatisés de référencement d’images » – c’est-à-dire tout service de communication au public en ligne dans le cadre duquel sont reproduites et mises à la disposition du public, à des fins d’indexation et de référencement des œuvres d’art plastiques, graphiques ou photographiques collectées de manière automatisée à partir de services de communication au public en ligne – à rémunérer les auteurs. Les créateurs automatiques de liens tels que Google qui proposent des murs d’images seront donc tenus de rémunérer les auteurs lorsqu’ils référencent leurs œuvres.
911. Le législateur a ainsi introduit un mécanisme de mise en gestion des droits de reproduction et de représentation par une société agréée par le ministre chargé de la culture . Les sociétés de gestion seront les seules habilitées à conclure des conventions avec les exploitants de services automatisés – c’est-à-dire les créateurs automatiques de liens. La rémunération sera calculée sur les « recettes de l’exploitation ou, à défaut, évaluée forfaitairement ». Il sera donc fait application du mécanisme déjà connu en droit d’auteur et repris en grande partie de la proposition du Sénateur Marini .
912. Les parties sont incitées à trouver seules des accords car, à défaut, l’État s’en chargerait par l’intermédiaire d’un représentant qui organiserait une commission au sein de laquelle siégeraient en nombre égal des représentants des sociétés agréées et des exploitants des services automatisés de référencement d’images . Cette méthode fait penser à celle adoptée par le gouvernement pour obtenir un accord entre les entreprises de presse et la société Google et que Jean Zay avait suggérée . L’autogestion reste donc contrôlée en France. Cette approche peut surprendre étant donné qu’elle limite de facto la liberté de contracter car les parties ont obligation de conclure une convention.
913. Les conventions conclues entre les sociétés de gestion et les exploitants de services automatisés ne pourront durer plus de 5 ans . La durée de protection proposée dans le projet de l’IPG a donc été reprise par le législateur. Cette limitation n’a aucune considération pour la vie commerciale d’une œuvre et il nous semble inacceptable qu’un moteur de recherche bénéficie de l’intégralité de la création de richesse due à une œuvre graphique au-delà du délai de 5 ans. L’auteur doit être associé à cette réussite d’autant que sa rémunération ne devrait pas limiter le référencement ni l’accès à l’œuvre.
914. Malgré l’imperfection du système français il s’avère plus protecteur que le droit américain. Il est impossible d’analyser les conditions auxquels les ayants droit concluent des conventions de rémunération avec les créateurs automatiques de liens car les sociétés de gestion des droits de copyright signent des clauses de confidentialité les empêchant de divulguer les contenus des accords . Or, ce type de clauses de confidentialité joue en défaveur des auteurs. En effet, en l’absence de transparence sur les prix du marché pour les auteurs, il leur est impossible de déterminer le meilleur prix qu’ils pourraient obtenir. Ces clauses de confidentialité devraient donc être déclarées nulles afin d’assurer une plus grande transparence et donc un meilleur fonctionnement du marché. Cela éviterait sans doute que dans de nombreux cas les auteurs ne perçoivent que l’équivalent de 40 dollars américains pour un million de visualisations de leurs œuvres . Les auteurs devraient pouvoir obtenir un montant environ 25% supérieur . Une meilleure transparence – telle que prévue à l’article 14 du projet de directive européenne – permettrait également d’avoir connaissance de la répartition des revenus entre les sociétés de gestion de droits et les auteurs.
915. Il n’est de toute façon pas question de laisser le financement de la culture au seul marché et à ses rares mécanismes de compensation des dysfonctionnements. La culture n’est pas traditionnellement financée que par le public mais également par d’autres sources telles que le mécénat et les aides publiques. Il ne s’agit pas d’un phénomène nouveau car certaines œuvres, et notamment les journaux, se rémunèrent depuis le début du XXe siècle grâce aux publicités ainsi qu’à la vente . Il n’en reste pas moins que l’introduction d’un droit opposable aux créateurs de liens professionnels permettrait d’assurer non seulement une situation équitable et de trouver une autre source de revenus qui participerait de la stimulation de la création et de l’indépendance des entreprises de presse. En effet, bien que les échanges assurent sans aucun doute la stimulation de la création, la diminution des revenus dans le secteur culturel a été à l’origine d’une baisse du nombre d’auteurs . Il est donc nécessaire d’établir un nouvel équilibre plus favorable aux auteurs respectueux de la liberté d’entreprendre des créateurs de liens. Nous proposons dès lors la réforme suivante (les propositions de modification sont en italique et en gras) :
L. 136-5 du Code de la propriété intellectuelle

Les services de communication au public en ligne rémunèrent les propriétaires des pages liées. Les modalités de rémunération sont libres.
Cette disposition est d’ordre public. Si le propriétaire de la page ciblée refuse la rémunération, elle devra être versée à une société de gestion de droit pour la promotion de projets culturels.

916. Ainsi, nous plaidons pour l’adjonction d’un article L. 136-5 du Code de la propriété intellectuelle qui viendrait compléter la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine. Cet article aurait vocation à s’appliquer aux générateurs automatiques de liens. Comme pour les liens manuels à but lucratif, les modalités de rémunération seraient libres. Les générateurs automatiques de liens auraient ainsi la possibilité de présenter des publicités dont les fruits pourraient être répartis de façon raisonnable entre les propriétaires de sites liés et les générateurs automatiques de liens. Il ne sera pas possible d’écarter cette disposition par contrat car, s’il en était autrement, nous craignons que les moteurs de recherche ne tarderaient pas à soumettre le référencement des pages à des contrats comportant des clauses écartant toute rémunération. Néanmoins, l’Internet a été construit sur un principe de gratuité et il y a lieu de prévoir la possibilité pour les internautes de refuser toute rémunération. Il pourra notamment en aller ainsi lorsqu’elle s’avérera dérisoire. Les rémunérations non versées aux propriétaires de sites Internet devront être assignées à des sociétés de gestion afin qu’elles financent des projets culturels. Cette réforme permettrait de compenser les régimes largement favorables dont jouissent les créateurs automatiques de liens.

Conclusion du Chapitre 1

917. Les hyperliens renforcent donc la liberté d’entreprendre des auteurs dans la mesure où ils fournissent de nouvelles opportunités leur permettant de contracter leurs prérogatives. Cela leur permettra de bénéficier de revenus supplémentaires. Néanmoins, la structure de l’Internet implique une utilisation des œuvres faisant obstacle à toute rémunération des auteurs.
918. La contractualisation se fonde, aussi bien en France qu’aux États-Unis, sur le principe du libre consentement. Cependant, alors que le droit américain fait application des règles de droit commun, le droit européen applique le régime de droit commun ainsi que le droit de la consommation. La summa divisio est d’application relativement aisée lorsque le vendeur connaît l’identité et la qualité de l’acheteur. Il en va différemment lorsque l’achat est effectué en ligne et que l’identité de l’acquéreur est limitée à une adresse IP. Dès lors, les auteurs auront intérêt, lorsqu’ils rédigent des contrats ou des conditions générales de vente, à se montrer proactifs en se fondant sur le régime le plus protecteur qu’est le droit de la consommation. En effet, un contrat respectant le droit de la consommation devrait a priori satisfaire aux exigences du droit commu, alors que la réciproque ne sera pas vraie. Il en résulte que le droit américain appliquera un droit des contrats d’inspiration affairistes alors que le droit européen se montre protecteur des consommateurs. Le premier sera sans doute plus protecteur de la liberté d’entreprendre des auteurs.
919. En outre, le droit français impose une obligation linguistique inexistante en droit américain. En effet, la loi Toubon impose la rédaction des contrats en français alors qu’il n’existe pas de disposition en ce sens aux États-Unis. Cette distinction vient notamment du fait que la France est largement devenue une colonie numérique américaine. La différence entre l’approche américaine affairiste et celle consumériste européenne apparaît encore une fois au grand jour.
920. Outre la question de l’expression du contenu du contrat, celle de l’expression du consentement posera des difficultés particulières aux auteurs sur Internet. La réglementation européenne se divise – à l’inverse de l’approche américaine qui reste unitaire – entre les contrats à titre gratuit pour lesquels les modalités d’expression et de réception du consentement sont simplifiées, et les contrats à titre onéreux auxquels la procédure du double-clic est applicable.
921. De plus, la question de la capacité constituera une limite à la liberté d’entreprendre des auteurs. En effet, sur Internet, les personnes communiquent indirectement via leurs adresses IP. Il est donc impossible de savoir si la personne à l’autre bout du monde est capable de conclure un contrat. La capacité constitue une condition de formation du contrat en France et une cause d’annulation aux États-Unis. La différence d’approche vis-à-vis de la question de la capacité a permis aux États-Unis d’adopter une règle plus souple que l’Europe. Dès lors, le droit américain permet aux algorithmes de conclure des contrats en se fondant sur la théorie de agency – c’est-à-dire de représentation – alors que l’Europe a besoin d’autoriser au cas par cas la conclusion de contrat par une intelligence artificielle. Le droit américain offre ainsi une plus grande marge de manœuvre aux auteurs, ce qui renforce leur liberté d’entreprendre.
922. Si les droits européen et américain divergent sur les conditions de conclusion du contrat sur Internet, les différences sont encore plus frappantes entre les droits français et américain en ce qui concerne la question de l’ordre public. Ainsi, la France a adopté le principe de l’interprétation in favorem autorii alors que les États-Unis se cantonnent à au principe de l’interprétation contra preferentem. L’analyse américaine est sans doute plus pertinente lorsque les auteurs rédigent les contrats car il n’y a pas lieu d’interpréter un contrat en faveur de celui qui l’a rédigé. En outre, l’ordre public français fait obligation d’interpréter les cessions territoriales de façon limitative. Les États-Unis atteignent le même résultat sans recourir à la notion d’ordre public en retenant que les cessions étant listées elles s’avèrent forcément limitatives. Enfin, le droit américain offre une souplesse supplémentaire aux auteurs en les autorisant à céder des œuvres futures, ce qui s’avérera plus efficace que la solution retenue par le droit français car il ne sera pas nécessaire de rédiger un nouveau contrat à chaque mise en ligne d’une œuvre nouvelle.
923. La question du prix s’avère évidemment fondamentale pour le bon exercice de la liberté d’entreprendre. Le droit américain fera application du droit commun alors que le droit français impose par principe le recours à la rémunération proportionnelle et par exception à la rémunération forfaitaire. L’auteur aura donc plus de marge de manœuvre en France qu’aux États-Unis. Il sera en outre mieux protégé car les contrats contenant un prix dérisoire ou une lésion seront considérés comme étant nuls en France, alors qu’ils seront valides aux États-Unis dès lors qu’il y a une consideration.
924. Outre ces mécanismes de rémunération relevant du marché, la France et l’Europe – à l’inverse des États-Unis – se sont engagées dans la recherche de rémunérations hors marché. Le Sénateur Marini ainsi que l’IPG ont tout d’abord proposé une taxe des créateurs automatiques de liens afin de financer les entreprises de presse. Après de longs débats le gouvernement de Manuel Valls s’est saisi de la question et a conclu un accord avec la société Google pour la création d’un fonds de 60 millions d’euros. Le fonds vise à aider les entreprises de presse à amorcer le virage numérique. Il finance ainsi des initiatives visant à l’adaptation numérique des modèles économiques des entreprises de presses. La France s’est ainsi placée dans la droite ligne de la pensée de Jean Zay. Les États-Unis refusent cette approche qui consiste à enfreindre un tabou américain : la rémunération d’une entreprise par une autre entreprise.
925. Un autre chantier a été ouvert en France afin d’assurer une meilleure rémunération des œuvres graphiques. Ainsi, et bien que le projet du Sénateur Marini n’ait pas vu le jour, le Parlement a voté en juillet 2016 la loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine. Les États-Unis n’ont même pas ouvert de débat à ce sujet. La faiblesse du régime français réside dans le manque de transparence. En effet, les contrats conclus avec les sociétés de gestion – seuls compétentes à conclure des conventions avec les créateurs de liens – contiennent généralement une clause de confidentialité faisant interdiction de communiquer le prix. Or, en l’absence d’un marché transparent, les auteurs perdent en moyenne 25% de rémunération. Néanmoins, le projet de directive européenne contient en son article 14 une obligation de transparence qui devrait aider les auteurs à bénéficier d’une meilleure rémunération.
926. La tendance commence donc à pencher assez clairement – du moins en Europe – en faveur des auteurs. Néanmoins, les créateurs de liens automatiques bénéficient d’un régime ad hoc préservant leur liberté d’entreprendre.

Chapitre 2 : Liberté d’entreprendre et liberté de lier contre le droit d’auteur

927. Les droits français et américain partagent le principe général de la responsabilité personnelle . Il aurait dû s’en suivre que les créateurs de liens, lorsqu’ils ne sont pas à l’origine d’une contrefaçon, ne devraient pas pouvoir engager leur responsabilité pour les faits de tiers.

928. Cependant, il s’avère plus efficace pour les titulaires de droit d’engager la responsabilité des créateurs automatiques de liens car ils sont généralement plus faciles à trouver et plus solvables que les contrefacteurs directs. La jurisprudence qui se dégageait en matière de responsabilité des intermédiaires de l’Internet suite à ce constat s’est avérée dissuasive pour l’innovation . En effet, des hébergeurs ont été condamnés par des juges français à indemniser les demandeurs sur le fondement des articles 1240 et 1241 du Code civil . La jurisprudence américaine n’a pas eu l’occasion de condamner des prestataires de service dans les années 1990, mais les juges auraient appliqué les principes de la secondary liability. Ils auraient ainsi condamné pour vicarious liability dès lors que le créateur de lien tire un profit et pour contributory liability si la contrefaçon est commise en connaissance de cause. L’hébergeur se trouvait tenu d’une « obligation générale de prudence et de diligence ».

929. Se rendant compte de cette difficulté, la Cour d’appel de Versailles a retenu que les hébergeurs n’ont qu’une obligation de moyens et qu’ils n’ont pas l’obligation de procéder à « un examen général et systématique des contenus des sites hébergés ». Aux États-Unis le Digital Millenium Copyright Act a créé plusieurs safe harbors – dont un pour les créateurs automatiques de liens – dès lors qu’ils se limitent à un rôle d’intermédiaire. Le DMCA a par conséquent introduit un principe de neutralité des créateurs automatiques de liens leur permettant de ne pas engager leur responsabilité dès lors qu’une contrefaçon se trouve sur leur réseau. Ce recours à l’intention s’avérait pertinent aux États-Unis étant donné que l’arrêt Netcom avait déjà fondé sa décision sur ce critère .

930. Néanmoins, la position de la Cour d’appel française ne s’avérait pas satisfaisante à cause du manque de sécurité offerte aux prestataires de service. Le législateur français a réagi – grâce à la loi n° 2000-719 du 1er août 2000 – permettant d’engager la responsabilité des hébergeurs dès lors qu’ils étaient saisis par un tiers et qu’ils ne procédaient pas aux diligences appropriées. Il en allait de même si le prestataire de service était saisi par une autorité judiciaire et qu’il n’agissait pas promptement. Les hébergeurs étaient donc exempts de toute obligation de surveillance des contenus sur l’Internet et leur responsabilité ne pouvait être engagée qu’en cas d’inertie à la suite de la réception d’une notification . Le régime français était similaire à celui introduit aux États-Unis par le DMCA. Le Conseil Constitutionnel a cependant censuré partiellement la loi du 1er août 2000 dans une décision du 27 juillet 2000 pour violation du principe de la légalité des délits et des peines. Le droit français se trouvait dès lors plus protecteur des intérêts des hébergeurs que le droit américain car ils ne pouvaient pas engager leur responsabilité pour le stockage de contenus illicites.

931. Prenant acte du retard européen dans le secteur numérique, la Commission Européenne s’est saisie de la question et a fait voter la directive e-commerce . Le droit européen se place dans le sillage du DMCA dans la mesure où les deux partagent l’objectif d’inciter le développement des prestataires de service. Néanmoins, la directive n’a pas pris position sur le régime applicable aux créateurs automatiques de liens contrairement à la section 512(d) du Copyright Act. La tâche a donc incombé à la CJUE qui a étendu les règles des hébergeurs aux créateurs automatiques de liens . Cette solution converge vers le droit américain où le régime des créateurs automatiques de liens est très similaire à celui des hébergeurs . Cette confusion partielle en droit américain et totale en droit français est sans doute critiquable en ce qu’elle relève d’une approximation.

932. Les régimes introduits favorisent la liberté d’entreprendre des créateurs de liens automatiques mais prennent également en compte les intérêts des auteurs et des internautes. Il est ainsi apparu pertinent d’engager la responsabilité des créateurs automatiques de liens lorsqu’ils ont connaissance de la présence d’une contrefaçon (Section 1), et lorsqu’ils sont en mesure de contrôler la page contenant la contrefaçon (Section 2).

Section 1 : La connaissance comme limite à la liberté d’entreprendre

933. La connaissance constitue l’une des principales difficultés auxquelles le genre humain est confronté. La tradition chrétienne veut que l’accès à la connaissance soit à l’origine de l’arrivée des êtres humains sur terre et de l’application de la première sanction divine. Sa quête a inspiré Hamlet de Shakespeare, la trilogie de Dante ou encore Frankenstein de Marie Shelley. Tantôt positive, tantôt négative, elle est à la source d’un parcours intérieur de l’individu vers le bien ou le mal. La connaissance est ainsi traditionnellement source de responsabilité dans la tradition occidentale, à tel point que les régimes de responsabilité de plein droit constituent des exceptions. Les législateurs américain et européen contemporains se sont inscrits dans cette dynamique qu’ils ont étendue aux propriétaires des algorithmes créateurs automatiques de liens.

934. Ainsi, la section 512(d) du Copyright Act dispose que les créateurs automatiques de liens n’engagent pas leur responsabilité s’ils n’ont pas de actual knowledge et qu’ils n’ont pas connaissance de faits ou de circonstances laissant penser qu’une contrefaçon est référencée. L’article 14 de la directive e-commerce se place dans le sillage de la règle américaine en écartant la responsabilité des hébergeurs lorsqu’ils n’ont pas connaissance de « l’activité ou de l’information illicites » ni de « faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente ».

935. Les droits américain et européen engagent par conséquent la responsabilité des hébergeurs et des créateurs automatiques de liens lorsqu’ils ont connaissance de la présence d’un contenu contrefaisant (Sous-Section 1). Les critères de connaissance sont a priori divergents entre les deux systèmes.

936. Néanmoins, étant donné que la preuve de la connaissance est diabolique – c’est-à-dire particulièrement difficile à apporter – le Congrès américain et le Parlement européen ont décidé d’écarter les régimes de limitation de la responsabilité lorsque la connaissance est supposée (Sous-Section 2). Le lien entre responsabilité et contrôle d’une activité est classique aussi bien en droit français qu’en droit américain. Cependant, la question du contrôle sur un créateur de lien semble originale et présente des spécificités auxquelles la jurisprudence n’avait auparavant pas donné de réponse.

Sous-section 1 : La connaissance effective comme élément constitutif de la contrefaçon

937. L’avènement de l’Internet a confronté les régimes juridiques français et américain à la difficulté d’opposer des règles à des algorithmes qui sont certes créés par des êtres humains, mais qui s’avèrent largement indépendants et inconscients. Si le critère de la conscience – et donc de la connaissance du monde – avait irrigué le droit , la volonté politique d’imposer aux agents des conduites prudentes ainsi que les défis posés par les nouvelles technologies ont obligé à revoir ce paradigme.

938. Les législateurs américain et français de la fin du XVIIIe siècle ont abordé différemment la question de la connaissance de la présence d’une contrefaçon. Pour le Congrès américain, il s’agissait déjà d’une condition sine qua non de la responsabilité de l’entité à l’origine de la dissémination des œuvres dès la première loi de 1790. Le législateur français s’est en revanche montré plus ferme en écartant le critère de l’absence de connaissance comme excuse à la contrefaçon. En effet, la loi de 1793 sur le droit de reproduction en France avait établi un régime de responsabilité de plein droit. Le droit français visait donc à imposer aux agents une obligation de contrôle supérieure à celle en vigueur aux États-Unis. Les auteurs bénéficiaient ainsi d’un système structurellement plus protecteur en France qu’aux États-Unis.

939. Le droit américain a par la suite évolué et a adopté un paradigme similaire au français en retenant que le Copyright Act est un régime de responsabilité de plein droit . En dehors de l’exception de contributory liability , la question de la connaissance se trouvait largement écartée dans les deux droits, ce qui facilitait les débats et abrégeait ainsi les procédures. Les auteurs se trouvaient par conséquent mieux protégés qu’à la fin du XVIIIe siècle.

940. L’introduction du critère de la connaissance du caractère contrefaisant de l’œuvre constitue donc un retour partiel aux origines du copyright aux États-Unis alors qu’il s’agit d’un changement de paradigme pour le droit français. L’approche française pouvait encore se justifier à une époque où les libraires étaient en mesure de contrôler – même si cela pouvait s’avérer complexe – la licéité des reproductions qu’ils vendaient. L’avènement du numérique et sa structure décentralisée empêchant tout contrôle similaire à celui exercé par le libraire obligeaient à modifier le régime de responsabilité.

941. Les droits américain et français ont par conséquent convergé sur le principe de l’engagement de la responsabilité des créateurs automatiques de liens lorsqu’ils ont connaissance de la présence d’une contrefaçon (Paragraphe 1), et lorsqu’ils incitent à violer le droit d’auteur ou le copyright (Paragraphe 2). Dans les deux cas l’intention contrefaisante semble jouer un rôle, ce qui constitue une révolution copernicienne dans une branche du droit reposant largement sur un régime de responsabilité de plein droit.

Paragraphe 1 : Les critères de la connaissance

942. Le critère de la connaissance a été paradoxalement peu étudié et conceptualisé dans les branches du droit autres que le droit pénal moderne. En la matière, Beccaria a affirmé que l’absence d’élément moral ne permet pas en soi d’écarter la responsabilité pénale , mais que l’intention de commettre une infraction suffit à opposer une sanction pénale . L’élément moral est dès lors devenu l’un des éléments constitutifs de l’infraction pénale . Il s’applique par principe aux infractions pénales. Cette règle a vocation à s’appliquer à toutes les branches du droit pénal ce qui inclut les sanctions relatives à la contrefaçon. Étant donné que le droit américain, à la différence du droit français , n’a adopté qu’un système répressif limité , l’élément moral n’aura que rarement l’occasion de s’appliquer aux États-Unis.

943. Les deux droits convergent sur l’indifférence de l’élément moral en matière civile. Les responsabilités civiles jouent ainsi le rôle de garantie des auteurs victimes de contrefaçons – dans la mesure où elles leur permettent d’obtenir une indemnisation – sans prise en considération de l’intention de la personne à l’origine de la contrefaçon. Cependant, le DMCA et la directive e-commerce ont introduit le critère de la connaissance dans le régime de responsabilité des créateurs automatiques de liens – et non pas au stade de la détermination de l’existence de la contrefaçon. Il semble donc qu’il y ait une montée en puissance de l’élément moral dans les régimes de responsabilité depuis Beccaria qui a connu un renouveau avec le développement des prestataires techniques sur Internet.

944. Les spécificités de la connaissance par des algorithmes a souligné les limites de cette division classique. Les droits américain puis européen ont par conséquent convergé sur le principe de la responsabilité du créateur de lien qui pourra être engagée en fonction de sa connaissance (I) qui sera déclinée en plusieurs modalités (II).

I) La connaissance du créateur de lien

945. La convention de Berne et le traité de l’OMC n’ont pas adopté de mesures relatives à la connaissance de l’acte contrefaisant. Il n’y a donc pas eu d’harmonisation internationale sur cette question. Le droit international du droit d’auteur n’était donc pas prêt à la réception des contrefaçons commises par des algorithmes.

946. Il y a eu une divergence initiale forte entre les droits français et américain. La jurisprudence américaine a été la première à retenir que l’absence de connaissance de la présence d’une contrefaçon permet d’écarter la responsabilité du service provider. Cela lui a permis de pallier à la faiblesse que le régime de secondary liability présentait lorsqu’il trouvait à s’appliquer aux créateurs automatiques de liens de bonne foi. En effet, l’arrêt Netcom a retenu en 1995 qu’il est nécessaire que la contrefaçon soit le résultat d’un élément même limité de volonté. Le droit français ne se souciait même pas d’une quelconque responsabilité du fait d’autrui sur le modèle de l’arrêt Costedoat et appliquait la responsabilité du fait personnel sur le fondement de l’article 1382 du Code civil . L’élément intentionnel était donc complètement indifférent en droit français. La divergence était donc importante aussi bien en terme de raisonnement que de résultat. L’arrêt Netcom a néanmoins ouvert une porte que les législateurs américain puis européen se sont empressés de franchir.

947. Le Congrès américain a en effet introduit le critère de la connaissance de la présence d’une contrefaçon à la section 512(d)(1)(A) du Copyright Act relative aux créateurs de liens automatiques. Le Congrès a par conséquent écarté la responsabilité des créateurs automatiques de liens dès lors qu’ils n’ont pas connaissance de la présence d’une contrefaçon sur une page liée. L’Union Européenne a suivi l’exemple américain en introduisant le critère de la connaissance pour les hébergeurs que la jurisprudence a étendu aux créateurs automatiques de liens. Le critère de l’absence de connaissance de l’article 14 de la directive e-commerce est par conséquent applicable aux créateurs automatiques de liens. Le droit européen a permis une convergence du droit français vers le droit américain.

948. La directive européenne – dont les termes sont discutés en langue anglaise – a utilisé le même terme que le législateur américain avait inscrit dans le DMCA. Les deux textes disposent en effet que le prestataire de service doit avoir une « actual knowledge ». La version française de la directive e-commerce, qui n’est qu’une traduction de la version originale anglaise, a traduit ce terme par la « connaissance effective ». La LCEN a repris la même expression . Les trois textes se réfèrent donc a priori à la même notion mais ils ne la définissent pas au risque de voir se développer des solutions divergentes. En outre, le droit européen a opéré une application surprenante du principe de subsidiarité en laissant les États membres définir la connaissance qui ne participe pas de l’élaboration d’un régime cohérent et harmonisé. Étant donné qu’il s’agit d’une notion clé du régime de responsabilité des hébergeurs et des créateurs automatiques de liens, et étant donné que cette directive visait à promouvoir l’essor du secteur numérique européen, il aurait été préférable de définir cette notion et d’imposer une vision commune afin de ne pas confronter les acteurs européens à 28 régimes juridiques différents. Il s’agit d’une faiblesse du régime européen qui ne peut que freiner le développement du secteur économique, alors que les Américains ne sont confrontés qu’à un seul régime juridique sur l’ensemble du pays.

949. Face à cette difficulté, le Forum des droits sur l’Internet – dont les travaux n’ont qu’une valeur doctrinale – a pris position. Il a suggéré que la connaissance effective était une connaissance précise et probante permettant de croire au caractère illicite du contenu à la suite de la réception d’une notification. Cette approche s’avérait intéressante au début des années 2000 dans la mesure où elle s’avère réductrice et donc favorable aux prestataires de service. Il est ainsi nécessaire que le propriétaire de l’algorithme ait une connaissance personnelle de la présence d’un contenu illicite pour qu’il engage sa responsabilité. Cependant, cette solution n’a jamais été reprise par la jurisprudence. Le Forum des droits sur l’Internet n’a donc pas permis l’émergence d’une définition de la connaissance subjective en droit positif. La doctrine a étrangement peu abordé cette question et même l’ALAI ne s’en est pas saisie. Les juges nationaux ne disposaient donc que de peu de travaux leur permettant d’harmoniser leurs réflexions.

950. L’incertitude face au manque de définition de la notion de connaissance effective a duré plusieurs années. Néanmoins, en 2010, la jurisprudence américaine a retenu dans l’arrêt Viacom v. Youtube que lorsque le législateur fait référence à la notion de actual knowledge, il faut y voir une connaissance subjective . Le terme subjective permet de faire le départ entre les informations collectées par l’algorithme et celles connues par la personne humaine. L’arrêt ne se réfère qu’aux personnes humaines. La jurisprudence américaine a donc adopté une approche favorable aux propriétaires de service providers. Elle a ainsi privilégié un standard subjectif à un standard objectif qui aurait eu pour conséquence d’engager la responsabilité des créateurs de liens selon le standard de la personne raisonnable. La responsabilité des créateurs automatiques de liens aurait donc été engagée dès lors qu’une personne raisonnable pouvait avoir connaissance de la présence d’une contrefaçon dans la même situation. Or les algorithmes qui gèrent les informations n’étaient pas en mesure de procéder à l’examen de la même qualité qu’une personne raisonnable. Ce standard aurait eu pour conséquence d’engager trop facilement la responsabilité des créateurs automatiques de liens et les aurait incités à contrôler les pages liées et par conséquent à surveiller l’Internet.

951. Malgré la pertinence du critère choisi, l’utilisation par la jurisprudence américaine du terme « subjective » peut être source de contresens. Il est en effet traditionnellement utilisé en droit pénal où il se réfère non pas à l’opinion arbitraire d’un individu , mais à l’intention de commettre une infraction , ce qui ne correspond pas au concept auquel l’arrêt Viacom se réfère. L’utilisation du terme « subjective » rend donc plus difficile d’accès le droit américain – en ce qu’il est à l’origine d’une confusion sur le sens – alors que les entrepreneurs ont besoin de règles facilement compréhensibles. Le régime actuel constitue par conséquent une charge pour les entreprises numériques qui devront faire face à des frais de recherches juridiques plus lourds – en demandant notamment à des juristes d’analyser la jurisprudence – que nécessaires.

952. Le raisonnement de l’arrêt Viacom v. Youtube a pourtant convaincu la jurisprudence américaine postérieure qui a repris ce raisonnement. La conséquence de cette limite à l’accès à la connaissance est que les créateurs automatiques de liens engageront généralement rarement leur responsabilité lorsqu’une contrefaçon se trouvera sur leurs réseaux. Il ne s’agit donc pas d’une solution protectrice des auteurs. En outre, le régime juridique présente le défaut d’écarter toute dimension maïeutique car il n’encourage pas au développement de systèmes de lutte contre la contrefaçon étant donné que les prestataires de service jouissent de régimes favorables fondés sur leur ignorance. Les agents privés n’ont pas d’incitation à créer des systèmes de lutte contre les contrefaçons alors qu’un secteur économique aurait pu se développer. Malgré les critiques, l’arrêt Viacom présente l’intérêt – à l’inverse du droit européen – de proposer une définition de la connaissance effective. Cela contribue à la sécurisation du régime juridique applicable aux créateurs de liens aux États-Unis.

953. Ce n’est qu’un an plus tard que la France s’est dotée d’une définition de la connaissance. Le Conseil Constitutionnel a précisé dans sa décision n° 2004-496 le critère de la connaissance. Le Conseil a ajouté au critère de la connaissance effective – qui s’avère a priori subjective comme aux États-Unis – une dimension objective en retenant que l’élément litigieux doit être manifestement illicite . Les Sages n’ont cependant pas précisé les contours de la notion de connaissance subjective. La Cour d’appel de Paris a appliqué ce raisonnement pour refuser le caractère manifestement illicite d’un contenu niant le génocide arménien . Or, étant donné qu’il est bien plus facile de déterminer qu’un contenu nie le génocide arménien que de savoir s’il est contrefaisant, il n’est pas évident que la jurisprudence retiendra la connaissance par un créateur automatique de liens du caractère manifestement illicite d’une contrefaçon. La connaissance effective de l’illicéité du contenu ne sera généralement acquise par le prestataire technique que lorsqu’un juge se sera prononcé ou à la suite de la réception d’une notification . Cette conception restrictive permet au Conseil Constitutionnel d’adopter une solution cohérente avec sa décision relative à la loi relative à la liberté de communication où il avait censuré la loi du 1er août 2000 car elle ne définissait pas avec une précision suffisante les critères de responsabilité des prestataires de service. De plus, le second critère relatif à la connaissance objective permet de renforcer la sécurité des créateurs automatiques de liens étant donné qu’il se cumule avec celui de la responsabilité subjective. Le droit français connaît donc un régime juridique a priori plus protecteur des créateurs automatiques de liens que le droit américain.

954. Le droit français converge donc largement vers le droit américain. Ces solutions s’avèrent protectrices des créateurs automatiques de liens et peuvent donc, dans cette mesure, être approuvées. Si la méthodologie américaine n’appelle pas de critique, il est en revanche regrettable que la définition de la connaissance effective ait été donnée par le Conseil Constitutionnel français et non pas par la Cour de Justice de l’Union Européenne. Il en résulte un éclatement des règles – et donc des standards – qui nuit à l’harmonisation du droit européen en la matière. Cette étape de convergence n’a été que temporaire car le droit américain s’est montré plus restrictif dans sa définition de la connaissance, alors qu’une partie de la doctrine française commence à remettre en cause le bien fondé de ce critère permettant de fonder le régime de responsabilité limité des créateurs automatiques de liens.

955. Le droit américain a réduit les contours de la notion de connaissance en 2013. La jurisprudence américaine a en effet adopté une lecture très restrictive de la notion de actual knowledge car elle l’a rejetée même lorsque le service provider avait reçu un e-mail l’informant de la présence d’une contrefaçon, ce qui semble impliquer que la jurisprudence américaine adopte la solution suggérée par le Forum des Droits sur l’Internet qui recommandait de ne retenir la connaissance effective qu’à la suite de la saisine d’une autorité judiciaire . Il sera donc extrêmement rare de retenir qu’un service provider a connaissance de la présence d’une contrefaçon. Le droit américain a par conséquent réduit les contours de la notion de actual knowledge de façon tellement drastique qu’il sera particulièrement rare de l’appliquer. Il devrait ainsi atteindre dans la plupart des cas le même résultat que le droit français en recourant à deux critères. Les droits français et américain ont donc réduit à peau de chagrin la possibilité de retenir qu’il existe une connaissance subjective, le premier en ayant recours à une approche subjective et objective, le second en établissant un seuil de connaissance particulièrement élevé.

956. Il existe néanmoins une divergence entre d’un côté les droits américain et européen et de l’autre le droit français. En effet, alors que le DMCA et la directive e-commerce s’intéressent à l’activité ou à l’information illicite , la LCEN dispose que le prestataire de service doit avoir connaissance du caractère illicite du contenu. Les réglementations américaine et européenne apparaissent dès lors plus large que la notion adoptée par la LCEN française. Il n’y a sans doute pas lieu d’accorder à ces différentes rédactions l’importance qu’elles n’ont pas. Le DMCA américain vise exclusivement le copyright, à la différence de la LCEN qui est d’application transversale et nécessitait par conséquent un concept englobant. La rédaction de la directive e-commerce est similaire à celle du DMCA parce qu’elle s’en inspire. Dès lors, chaque texte cible les contrefaçons en s’y référant de façon différente selon l’économie de chaque texte. Les différences seront d’autant moins importantes que le critère des modalités de connaissance permet de renforcer la sécurité des créateurs automatiques de liens.

II) Les modalités de la connaissance

957. Les régimes de responsabilité limitée introduits aux États-Unis et au sein de l’Union Européenne s’avéraient sans doute pertinents au tournant du millénaire. Ils sont cependant marqués dans le temps et des voies s’élèvent des deux côtés de l’Atlantique pour moderniser leurs dispositions. Les approches sont cependant différentes. Alors que le Copyright Office américain a lancé une réflexion sur le sujet en se focalisant sur les modalités de notifications, la doctrine française s’interroge sur le critère même de l’absence de connaissance. Les approches sont donc divergentes.

958. Ainsi, alors que la connaissance subjective s’analyse in concreto et qu’elle doit être précise , plusieurs rapports français ont recommandé de modifier le régime de responsabilité limitée applicable aux hébergeurs et par conséquent aux créateurs de liens afin de privilégier une lecture objectivisée. Le rapport Lescure sur l’ « Acte II de l’exception culturelle » suggère en effet de retenir que les hébergeurs décident des algorithmes qu’ils utilisent et que cela équivaut à une intervention manuelle . S’il est vrai que les algorithmes sont programmés et constituent par conséquent l’extension de l’acte humain, ils ne procèdent pas au contrôle ni à l’analyse que pourrait effectuer un préposé. Il n’y a pas lieu de considérer que le lien créé par un algorithme présente les mêmes qualités qu’un lien créé manuellement. Le rapport limite cependant cette obsolescence au champ d’application de la directive services de médias audiovisuels et non pas à celui de la directive e-commerce. Il a donc manqué d’audace. Le rapport Lescure a cependant ouvert une boîte de Pandore que d’autres auteurs se sont empressés de saisir.

959. L’étude annuelle de 2014 du Conseil d’État dite « Le numérique et les droits fondamentaux » suggérait notamment de créer une nouvelle catégorie juridique de prestataires intermédiaires qui seraient qualifiés de plateforme . Elle couvrirait notamment les moteurs de recherche . Cette proposition fait écho à celle des Sénateurs Béteille et Yung qui proposaient l’introduction du statut d’éditeur de services – c’est-à-dire une société tirant des avantages économiques de la consultation de contenus – en lui appliquant un « régime de responsabilité intermédiaire ». Les auteurs du rapport se placent dans une perspective similaire à celle d’Eschyle qui décrivait dans « Les Euménides » le passage du monde de la vengeance à celui de la responsabilité car les humains étaient en mesure de comprendre leurs actes. Il existe donc un mouvement important en France visant à modifier les régimes applicables aux prestataires de service sur Internet en tendant vers une plus grande responsabilité des prestataires de service.

960. Le mouvement a mûri en 2014. Cette année a en effet été marquée par une prise de conscience générale de l’importance de revoir le statut des prestataires de service. La France et les États-Unis ayant des intérêts divergents et des traditions divergentes en matière d’intervention étatique les solutions proposées ont fortement divergé.

961. En France, le rapport du CSPLA de 2014 a opéré une synthèse de ces différents rapports et études français. Il a souligné l’affaiblissement du droit d’auteur engendré par la directive e-commerce qu’il estime constituer l’ « équivalent à une limitation au droit d’auteur » – alors que la directive e-commerce n’a pas vocation à modifier les contours du droit d’auteur. Il soulève à juste titre que le droit d’auteur ne s’applique sur Internet que lorsque l’exception n’est pas opposable. Le rapport souligne en outre que certains prestataires de service sont devenus des acteurs puissants dans leurs domaines . Rappelons que la justification du DMCA et de la directive e-commerce était l’émergence et le développement du secteur numérique. L’existence de géants du numérique rend donc caduque cette justification des régimes juridiques de responsabilité limitée. Cette situation n’est cependant pas au cœur des préoccupations américaines car ces géants sont des réussites économiques nationales que le gouvernement souhaite protéger. C’est l’une des raisons pour lesquelles il n’existe donc pas de projet visant à augmenter la responsabilité des prestataires de service.

962. Le rapport français abandonne donc l’espoir de voir l’émergence d’un secteur numérique européen en mesure de concurrencer celui américain par la seule existence d’un régime de responsabilité limitée. Cette approche est sans doute correcte car elle prend acte du fait que les géants américains ne se sont pas développés partout – alors qu’il s’agissait d’une réglementation fédérale – mais dans leur très grande majorité en Californie et plus précisément dans la Silicon Valley. Ainsi, plus que de lois, l’Europe doit changer sa culture entrepreneuriale et peut s’inspirer de ce qui a fait la réussite de cette région des États-Unis, c’est-à-dire une approche dynamique, indépendante, optimiste et coopérative . Le droit n’a, in fine, que peu d’influence sur l’économie tant que les agents ne saisissent pas les opportunités qui leur sont fournies. Il y a dès lors lieu de ne pas donner trop d’importance aux considérations du mouvement Law & Economics qui avait profondément marqué la philosophie du DMCA et de la directive e-commerce – sans les écarter a priori – et de privilégier en revanche les considérations démocratiques et de justice. Cela permettrait d’augmenter la responsabilité des créateurs automatiques de liens et de mieux rémunérer les auteurs.

963. Face à l’enjeu particulier de l’équilibre entre les intérêts des auteurs et ceux des prestataires de service, le rapport du CSPLA a suggéré d’extraire le droit d’auteur du champ d’application de la directive 2000/31/CE . Le rapport du CSPLA propose ainsi de réviser l’article 14 de la directive e-commerce et de revoir le statut des hébergeurs étant donné qu’il leur est désormais possible d’assurer un minimum de contrôle sur les contenus circulant sur leurs réseaux.

964. Les créateurs automatiques de liens auraient ainsi l’obligation d’introduire des mécanismes conformes à l’état de l’art de surveillance des informations qu’ils transmettent ou stockent. Il s’agirait d’une obligation de moyen de lutter contre la contrefaçon. Le rapport introduit donc une obligation de surveillance de l’Internet afin de lutter contre la contrefaçon. Le paradigme actuel serait par conséquent renversé car les auteurs n’auraient plus seuls la charge de lutter contre la contrefaçon et il la partageraient avec les créateurs automatiques de liens. L’avantage de cette approche est qu’elle s’avère assez malléable et souple pour s’adapter et épouser les évolutions techniques.

965. Le critère de définition des éditeurs de service serait – dans le rapport Béteille et Yung – une « société qui retire un avantage économique direct de la consultation des contenus hébergés ». Ce critère nous paraît particulièrement intéressant car il suit la division que nous avions proposée entre l’Internet gratuit et celui à titre onéreux, conformément à l’idéal libertaire des Pères Fondateurs, et il anticipait la summa divisio proposée par l’arrêt GS Media c. Sanoma de la CJUE. L’arrêt GS Media implique en effet que les créateurs de liens manuels à but lucratif sont soumis à une présomption de connaissance du caractère illicite du contenu lié . Il n’est dès lors pas nécessaire de porter à leur connaissance le caractère illicite du contenu pointé. Il y a ainsi lieu de n’appliquer le droit qu’avec parcimonie à l’Internet gratuit alors qu’il apparaît moins impérieux de faire preuve de la même tolérance envers l’Internet lucratif. Ainsi, dès lors que les créateurs automatiques de liens mènent une activité lucrative, ils ne peuvent le faire de façon parasitaire en profitant sans bourse délier des œuvres créées par autrui. Il est donc cohérent de les rapprocher du régime de responsabilité des éditeurs. L’approche nous paraît philosophiquement satisfaisante et l’ALAI a retenu que le critère de la connaissance devait constituer l’un des deux principes fondamentaux de l’établissement de la responsabilité. Dès lors, la crainte soulevée par l’avocat général dans l’affaire Ziggo se trouve fortement nuancée car, si l’Internet se trouve effectivement surveillé par les créateurs de liens à but lucratif, cela exclut les créateurs de liens manuels à but non lucratif ainsi que les créateurs automatiques de liens, et cette obligation se trouve limitée aux personnes ayant délibérément choisi de s’écarter des principes fondateurs de l’Internet.

966. La difficulté réside dans la prise en compte des particularités des algorithmes qui ne sont pas des êtres personnes physiques et ne procèdent donc pas à des contrôles d’une qualité humaine. Nous sommes ainsi inquiets d’un possible changement de la législation actuelle en l’état de la technologie – bien que des progrès importants aient été effectués en matière d’algorithmes juridiques – car cela risquerait d’inciter les créateurs automatiques de liens à désindexer de nombreux contenus qu’ils jugeraient peu fiables voire à adopter une présomption d’illicéité des liens qui aboutirait à exclure de toute visibilité de nombreux contenus. Le considérant 38 du projet de réforme du droit d’auteur de la Commission Européenne semblait aller dans ce sens en prévoyant une obligation de conclure des licences avec les titulaires de droit. Il est évident que les moteurs de recherche profitent des contenus créés par autrui mais la responsabilisation croissante n’est peut-être pas la meilleure solution pour inciter à la création. Les auteurs peuvent bénéficier de logiciels permettant de suivre leurs œuvres sur Internet – notamment par le procédé du watermarking – leur assurant un contrôle sur la diffusion de leurs œuvres. Il s’avère donc sans doute plus judicieux de renforcer la lutte contre la contrefaçon par les auteurs en conférant aux sociétés de gestion de droits la charge de la lutte contre la contrefaçon. Cela permettra de ne pas faire indûment peser sur les auteurs la charge de la lutte contre la contrefaçon. En outre, étant donné que ces frais sont rendus nécessaires par l’activité des moteurs de recherche, ces activités pourraient être financées par les moteurs de recherche. Une telle approche permettrait d’éviter les difficultés opposées par l’insaisissabilité des revenus des sociétés du numérique en leur opposant un droit d’entrée au marché européen ou en leur facturant les coûts de surveillance du réseau lorsqu’ils s’avèrent raisonnables. Ce mécanisme ne présenterait aucun coût pour les auteurs et assurerait le développement du secteur économique de la lutte contre la contrefaçon sur Internet en Europe. Cette solution ne présente a priori pas de risque pour l’Union Européenne car, si les moteurs de recherche américains décident de quitter les États membres, cela constituera une occasion inespérée pour les moteurs de recherche européens tels que Qwant de se développer.

967. Les projets de réforme ne sont donc peut-être pas le meilleur moyen de renforcer les intérêts des auteurs. Il nous semble ainsi que la principale urgence pour le droit européen est d’introduire, comme en droit américain, des sanctions pour l’incitation à commettre des contrefaçons.

Paragraphe 2 : L’incitation à la contrefaçon

968. L’incitation à violer les dispositions légales constitue un interdit remontant au Codex de Justinien vers la moitié du VIe siècle. L’incitation à commettre une infraction ne peut cependant pas toujours être considérée comme une infraction en soi et peut relever de la liberté d’expression. Il y a donc une tension entre la nécessité de faire respecter l’ordre social et la protection de la valeur cardinale que constitue la liberté d’expression.

969. L’interdiction d’inciter à commettre des actes illicites s’est étendue au droit des brevets aux États-Unis en 1952 et en France en 1992. Un mouvement de renforcement de ce principe en droit américain est en cours. En effet, la jurisprudence a étendu cette notion au copyright dans l’arrêt Sony alors que le législateur l’avait exclu lors de la réforme de 1976 . Cette solution a par la suite été reprise et l’arrêt Gershwin qui a retenu que la contributory liability est applicable en cas d’incitation à commettre une contrefaçon . Le législateur français s’est montré frileux sur la sanction de l’incitation à commettre une contrefaçon en se contentant d’interdire l’incitation au contournement de mesures techniques efficaces avec la loi du 1er août 2006. En outre, étant donné qu’il s’agit d’une disposition pénale, elle est d’interprétation stricte . Cela limite son champ d’application et contraste avec la théorie américaine de inducement qui constitue un principe général de tort law – relevant du droit civil – d’application large. Il n’est dès lors pas possible d’étendre ce principe à d’autres domaines du droit d’auteur français et notamment à l’incitation à commettre des contrefaçons de droit commun par la création de liens. La lutte contre l’incitation à la contrefaçon s’avère donc extrêmement limitée en droit français alors que, paradoxalement, le droit d’auteur français confère plus de prérogatives aux ayants droit que le copyright américain.

970. La théorie de inducement a été opposée à un créateur de liens aux États-Unis. Ainsi, dans l’affaire Grokster , le défendeur envoyait des e-mails contenant des liens menant vers des contrefaçons et encourageait les destinataires des courriels à s’y rendre. Le service opéré par le défendeur Grokster avait en outre créé un système décentralisé d’échange de fichiers afin de tenter de contourner la solution de l’arrêt Napster qui avait sanctionné un système centralisé de mise à disposition des contrefaçons. Il a donc essayé d’attirer les anciens clients de la société Napster. La Cour Suprême a retenu que le tiers qui encourage les internautes à commettre des contrefaçons engage sa responsabilité pour violation du Copyright Act. Les juges ont ainsi relevé que la stratégie adoptée, couplée avec la structure facilitant la contrefaçon, démontrait la volonté d’encourager à commettre des contrefaçons. Pour fonder cette condamnation, l’arrêt relève en outre qu’il a été reproché à Grokster de n’a pas avoir introduit de système permettant de filtrer les contrefaçons ou de limiter les violations du Copyright Act par les utilisateurs. Enfin, le défendeur avait intérêt à ce que le nombre le plus élevé possible d’internautes utilise son réseau car ses revenus étaient fonction du nombre de visites.

971. Il est à souligner que les juges n’ont pas retenu de critère technique dans les conditions de responsabilité et ne se sont intéressés qu’au modèle commercial du site. Cela permet aux juges de ne pas bloquer leur solution dans un état de la technique et d’offrir par conséquent aux juges fédéraux une grille de lecture applicable à toutes les affaires.

972. Cet arrêt n’est pas surprenant dans la mesure où non seulement il tire les conclusions de l’arrêt Napster en les adaptant aux spécificités de l’affaire, mais surtout parce qu’il est cohérent avec les origines du copyright. En effet, le statut de la Reine Anne en Angleterre avait marqué l’abandon du critère technique du contrôle . Cela permet également au droit américain de respecter le principe de neutralité de la technique qu’il partage avec le droit européen .

973. L’arrêt Grokster fait interdiction aux créateurs de liens de créer un modèle commercial fondé sur le nombre de visites d’un site contrefaisant. Dès lors, ils ne seront pas autorisés à créer une page contenant un ou plusieurs liens, entourés de publicités, et menant vers des contrefaçons. L’arrêt se place donc dans le sillage de l’arrêt Napster sur ce point. Cependant, la solution n’est pas satisfaisante. Les juges n’ont pas engagé la responsabilité du prestataire de service sur le fondement de la vicarious liability alors que le défendeur profitait pourtant de bénéfices financiers issus des contrefaçons. La raison de cette solution est que la somme perçue était forfaitaire. Dès lors, le nombre d’internautes commettant des contrefaçons était sans incidence sur les revenus perçus par le défendeur. Il a par conséquent été possible pour un créateur de lien de ne pas engager sa responsabilité alors qu’il aidait à la commission de contrefaçons, parce qu’il ne percevait pas une rémunération proportionnelle au nombre de visite. La solution était clairement insatisfaisante car la somme négociée pouvait être fonction du nombre de visite. Les créateurs de liens n’étaient donc pas dissuadés de constituer des modèles économiques fondés sur les contrefaçons.

974. Les juges auraient dû reprendre le raisonnement de l’arrêt Fonovisa . Il avait en effet retenu la responsabilité du gérant d’un marché aux puces qui louait les espaces aux commerçants contrefacteurs sur la base d’une somme forfaitaire sans être intéressés au chiffre d’affaires ni au nombre de visites. La responsabilité se trouvait engagée sur le fondement de la vicarious liability. Une somme forfaitaire pouvait par conséquent être prise en compte dès lors qu’elle s’inscrivait dans un modèle économique fondé sur la contrefaçon. Cela permettrait d’éviter toute tentative de contournement de l’esprit de la règle par les créateurs automatiques de liens.

975. Les droits français et européen ne prennent en revanche pas en compte le modèle économique dans leurs critères de responsabilité pour contrefaçon. Il est cependant possible que le droit européen soit amené à changer sur ce point. En effet, un rapport de 2007 propose d’écarter le régime dérogatoire de responsabilité des créateurs de liens lorsqu’ils bénéficient économiquement de la contrefaçon et l’arrêt GS Media BV c. Sanoma a adopté une summa divisio distinguant entre les usages gratuits et onéreux de l’Internet. Cette solution est déjà en vigueur en Belgique . Cela permettrait une convergence vers le droit américain – et donc une facilitation de l’application du droit à l’Internet – tout en renforçant la protection des auteurs.

976. La jurisprudence américaine retiendra par conséquent que le créateur de lien a encouragé la commission d’une contrefaçon dès lors que son modèle économique repose sur l’existence de contrefaçon. Le modèle économique pourra donc laisser présumer une intention d’inciter à la contrefaçon. L’objectif contrefaisant peut ainsi ne pas être exprimé haec verba mais résulter des informations communiquées . Cette solution nous semble être de bonne justice car il s’avère souvent impossible d’apporter la preuve de la volonté qui constitue bien souvent une probatio diabolica. Or, lorsque les faits convergent vers l’existence d’une volonté, il y a lieu de considérer qu’elle est constituée. Il s’agit en outre d’une solution également connue dans d’autres branches du droit français .

977. Enfin, le créateur de lien – qui est le second contrefacteur – n’engagera sa responsabilité que si une contrefaçon est effectivement présente sur la page liée à la suite de sa mise en ligne par le premier contrefacteur. Cela permet d’engager la responsabilité non pas pour des discours fantaisistes du créateur de liens, mais uniquement dans des cas où il existe une contrefaçon effective. Il en ira de même à la suite du retrait d’une contrefaçon sur la page liée. Dans ce dernier cas, le créateur de lien ne sera plus complice pour la période suivant le retrait du lien et la théorie de inducement ne lui sera pas opposable car elle s’interprète de façon restrictive dans le temps. Il se pourra qu’un décalage existe entre le contenu de la page – et donc le régime de responsabilité du créateur de lien – et les informations référencées par les crawlers des moteurs de recherche. Les créateurs de liens n’engageront pas leur responsabilité à la suite du retrait des contrefaçons sur le site cible même si les résultats des moteurs de recherche indiquent que la contrefaçon y est toujours présente. Cette solution est logique étant donné que la doctrine de inducement est issue de celle de secondary liability qui nécessite une contrefaçon initiale pour engager la responsabilité d’un tiers.

978. La doctrine de secondary liability – et notamment de inducement – permet par conséquent de tarir à la source les contrefaçons en interdisant d’en faire la publicité et de bâtir un modèle économique sur les revenus qu’elles génèrent. Le droit français converge sur cet objectif car la circulaire de la DACG n° 2007-1/G3 du 3 janvier 2007 encourage les juges à tarir à la source les échanges illégaux . L’approche économique s’avère donc pertinente pour lutter contre un modèle économique. Elle assure en outre une finesse de raisonnement et une précision dans l’appréhension des situations que ne propose aucune disposition du Code de la propriété intellectuelle français ni la convention de Berne. Nous plaidons par conséquent pour une introduction de la secondary liability en droit européen à l’occasion de la réforme de la directive sur le droit d’auteur et tout particulièrement de la théorie de inducement qui permettra d’opposer une réponse précise et adaptée aux incitations à la contrefaçons et aux modèles économiques fondés sur la contrefaçon.

979. La prise en compte de l’intention devrait pourtant être au cœur des systèmes de lutte contre la contrefaçon sur Internet. Le droit américain l’a bien compris et permet de retenir que dans certains cas, les dispositions du DMCA seront écartées car le créateur automatique de liens sera supposé avoir connaissance de la présence de contrefaçons.

Sous-section 2 : La connaissance supposée comme élément constitutif de la contrefaçon

980. Le parlementaire Howard Coble, qui a présenté le projet du DMCA à la Chambre des Représentants, avait affirmé que la question de la connaissance était fondamentale dans le régime de responsabilité des service providers et notamment des créateurs automatiques de liens. Il s’est montré à plusieurs reprises protecteur des intérêts des auteurs et a par conséquent nuancé le principe d’ignorance que nous venons de voir afin de préserver le marché de la création.

981. Il a cependant établi un principe surprenant selon lequel les faits et les circonstances devraient indiquer que le contenu est contrefaisant, sans qu’il soit nécessaire qu’il s’agisse d’un acte qu’un juge qualifierait de contrefaçon . Il s’agit donc du principe de connaissance supposée qui permet de revenir au paradigme de la responsabilité de plein droit. Le législateur européen a repris cette conception dans la directive e-commerce.

982. Cette approche n’est pourtant plus acceptable sur l’Internet alors qu’elle peut l’être dans le monde analogique. Cette conception a donc vu ses contours fortement circonscrits par la jurisprudence (Paragraphe 1) ce qui permet d’assurer un équilibre entre la lutte contre la contrefaçon et le principe démocratique de la présomption d’innocence. Face aux difficultés soulevées par le critère de la connaissance apparente, les auteurs pourront se réfugier derrière la notion d’aveuglément volontaire (Paragraphe 2) qui permettra d’engager la responsabilité de contrefacteurs ayant volontairement cherché à ne pas effectuer les diligences qui leur auraient permis de découvrir le caractère illicite d’une reproduction.

Paragraphe 1 : La connaissance apparente

983. Les droits américain et français sont coutumiers des présomptions de connaissance à l’inverse de la CJUE. Ainsi, l’arrêt américain Gershwin v. Columbia a retenu que le défendeur engage sa responsabilité s’il avait des raisons de savoir que les représentations étaient illicites. La connaissance effective et les suppositions sont ainsi placées sur le même rang.

984. Les rapports du Congrès relatifs au DMCA ont pris en compte la question de l’accès à la connaissance en introduisant la notion de volonté apparente. Il s’agit d’une notion différente de la constructive knowledge que la Common law américaine avait développée. La constructive knowledge permet d’engager la responsabilité d’une personne dès lors qu’elle a une general awareness – c’est-à-dire une idée générale – de la présence d’une contrefaçon . Le législateur a par conséquent introduit une réglementation plus favorable pour les créateurs automatiques de liens par rapport au droit commun de la secondary liability.

985. Le droit européen a connu une évolution opposée. En effet, la question ne se pose traditionnellement pas en droit français car le droit d’auteur est un régime de responsabilité de plein droit où la volonté est indifférente. Néanmoins, sous l’influence de la directive e-commerce, le droit français a intégré le principe de la présomption de connaissance. Les hébergeurs – et par extension les créateurs automatiques de liens – engagent leur responsabilité s’il existe des « faits et circonstances » faisant apparaître le caractère illicite du contenu. La présomption de connaissance a donc bien été introduite en droit français sur le modèle américain.

986. La sanction de la supposition du caractère contrefaisant d’une reproduction, et non pas uniquement de la connaissance certaine du caractère contrefaisant, pourrait surprendre. Cependant, même sans tomber dans le relativisme, il est indéniable que l’accès humain à la connaissance n’est que partiel . Ce que nous distinguons traditionnellement entre les connaissances certaines et les suppositions ne se constituent en fait que des nuances sur le spectre idéal entre la connaissance et l’ignorance. La supposition n’est qu’une connaissance plus floue et moins fondée.

987. Il apparaît par conséquent relativement aisé d’engager la responsabilité d’un créateur de liens aux États-Unis et en Europe dès lors qu’il existe des éléments laissant penser qu’une contrefaçon est référencée. Or, une partie substantielle des créateurs automatiques de liens a connaissance de la présence de contrefaçons. Les créateurs automatiques de liens ont donc souvent conscience que certains de leurs liens mènent vers des contrefaçons. Les rapports du Congrès ont pris acte de cette difficulté et suggèrent de retenir la théorie de la apparent knowledge afin de ne pas engager trop facilement la responsabilité des créateurs automatiques de liens. La théorie de apparent knowledge permet de réduire la responsabilité des service providers aux hypothèses où ils possèdent une connaissance précise de la présence d’une contrefaçon . Les rapports du Congrès avaient ainsi retenu que les red flags étaient notamment constitués par la présence de certains termes comme « pirate » ou « bootleg ». Il en va de même si les œuvres contiennent des watermarks ou des copyright management information. Le Congrès suggérait donc des moyens simples de lutte contre la contrefaçon. Cela constituait cependant une limite à la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens. Les travaux préparatoires de l’Union Européenne n’ont pas adopté de position précise sur cette question. Cependant, étant donné que la directive e-commerce s’inspire du DMCA et a le même objectif de stimulation du secteur numérique, il y a lieu de conclure que la notion de connaissance supposée a été prise en compte.

988. À côté de ces indices, les rapports américains établissent un test en deux étapes. La première est subjective et amène à contrôler si l’activité contrefaisante aurait été apparente pour une personne raisonnable agissant dans des circonstances similaires ou équivalentes. La seconde est objective et écarte la responsabilité du service provider si le red flag est suffisamment apparent pour une personne raisonnable dans une position similaire à celle du service provider. Il y a donc un standard de connaissance humain et algorithmique. Le test en deux étapes permet au créateur de lien de ne pas surveiller l’Internet . La solution en Europe n’est pas précisée, ce qui est la cause de la divergence entre les États membres. La France n’a pas adopté de cadre plus précis que celui proposé par la directive. La transparence du Congrès américain permet donc aux juges étasuniens de disposer d’outils d’interprétation et de compréhension des lois que n’ont pas les juges européens.

989. S’il s’avère impossible de comparer les travaux préparatoires, il est en revanche possible de comparer les lois des deux systèmes. Ainsi, le Congrès américain a introduit dans le DMCA l’idée selon laquelle la connaissance sera apparente lorsque les créateurs automatiques de liens auront conscience de faits ou de circonstances permettant de comprendre qu’il existe une activité contrefaisante sur la page liée. Le législateur européen a repris ce fondement et permet d’engager la responsabilité des hébergeurs – et par extension des créateurs automatiques de liens bien que l’assimilation soit peu pertinente – lorsqu’ils ont connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l’activité ou l’information illicite est apparente.

990. Les deux droits adoptent donc une approche similaire. En effet, les expressions utilisées sont les mêmes à la section 512(d) du Copyright Act et à l’article 14 de la directive e-commerce, à la différence que le texte européen est d’application transversale alors que le DMCA est limité au copyright. Ainsi, la directive européenne intègre les informations illicites alors que le DMCA se limite aux activités contrefaisantes. Cette différence ne devrait pas avoir de conséquence en matière de droit d’auteur. Étant donné que les rédactions sont relativement similaires, il était possible de s’attendre à ce que les juges européens et américains les interprètent de façon équivalente. Cependant, le droit est le fruit d’un système culturel respectant une unité de lieu et de temps. Dès lors, l’interprétation des normes par les juges est donc fonction de contingences historiques et épistémologiques nationales reflétant les spécificités locales .

991. Ainsi, alors que le droit néerlandais écarte la responsabilité des créateurs de liens automatiques lorsqu’ils ne peuvent raisonnablement avoir connaissance du caractère illégal d’une activité ou d’une information, le droit portugais engage la responsabilité de ce même créateur lorsqu’il aurait dû avoir connaissance de la présence de contenus illégaux . En droit autrichien en revanche, la connaissance sera présumée lorsque le contenu est illégal aux yeux d’un non-juriste et sans recherches . Il est donc nécessaire que l’Union Européenne abandonne la méthode de la directive et ne statue que par règlements. Cela permettrait d’avoir des interprétations jurisprudentielles des normes – et non pas des interprétations par les législateurs – ce qui permettrait d’assurer une meilleure harmonisation des règles européennes. Il n’est donc pas possible de procéder à une comparaison entre le droit de l’Union Européenne – qui n’est pas harmonisé – et le droit américain. Nous nous focaliserons donc sur la comparaison entre les droits français et américain.

992. Dans un premier temps les droits américain et français semblaient converger vers une responsabilité des créateurs automatiques de liens dès lors qu’ils ont une connaissance supposée de la présence d’une contrefaçon. Les dispositions de la LCEN le laissaient supposer car l’article 14 engage la responsabilité des hébergeurs dès lors qu’ils « n’avaient pas effectivement connaissance d[u] caractère illicite ou de faits et circonstances faisant apparaître ce caractère ». Aux États-Unis l’arrêt Corbis Corp. v. Amazon.com , statuant sur la notion de apparent knowledge, a adopté une approche similaire. Il a en effet été retenu qu’un site est constitutif d’un red flag dès lors qu’il est clairement contrefaisant, c’est à dire lorsqu’il existe des éléments évidents en ce sens. Ainsi, se plaçant dans le sillage des rapports du Congrès, l’arrêt a retenu que constituent des red flags les termes pirate et bootleg, ou tout autre terme argotique similaire. L’arrêt Corbis respecte donc la ratio legis du DMCA en appliquant un seuil élevé de connaissance apparente permettant au service provider de ne pas engager sa responsabilité dès lors que la simple lecture d’une liste d’œuvres ne permet pas de déterminer le caractère contrefaisant des copies. La jurisprudence française s’est placée dans une perspective similaire en refusant l’application de la limitation de responsabilité prévue par la LCEN aux contenus antisémites , racistes ou encore pornographiques dès lors qu’il existait des indices en ce sens. Il était donc initialement possible de penser que les violations flagrantes du droit d’auteur seraient sanctionnées par les juges. Les deux droits engageaient par conséquent la responsabilité du créateur de liens lorsqu’il existe des contenus dont la nature illicite est flagrante. Cette solution n’a cependant pas été maintenue.

993. La solution française se justifie aisément par la différence de nature entre le contrôle de l’existence de contenus antisémites, racistes et pornographiques qui ne nécessite pas d’analyse particulièrement fine, et le contrôle du respect du droit d’auteur qui oblige à un examen précis . Cette distinction perdra sans doute de son intérêt avec le développement des algorithmes capables d’effectuer des raisonnements juridiques pertinents et donc de déterminer si un contenu est contrefaisant . Le changement de position aux États-Unis était en revanche plus inattendu eu égard à la précision des travaux préparatoires.

994. Une lecture plus approfondie de l’arrêt Corbis Corp. v. Amazon.com, Inc. permet de comprendre que le juge s’est écarté de la solution suggérée par les rapports du Congrès et n’a pas appliqué le test en deux étapes. Il a ainsi écarté le critère objectif pour ne retenir qu’un critère subjectif modifié, et a retenu que le service provider engagera sa responsabilité lorsqu’il aura délibérément persévéré dans la contrefaçon malgré l’existence d’éléments flagrants dont il avait connaissance. La jurisprudence américaine s’est donc rapidement démarquée des suggestions des rapports du Congrès afin d’assurer un régime juridique qui lui semblait plus sécurisant pour les créateurs automatiques de liens. Il était pourtant possible d’imaginer qu’il ne s’agissait que d’une solution d’un tribunal de district fédéral d’un État – celui de Washington – assez peu influente en matière de droit d’auteur comparé aux États de New-York et de la Californie. Il s’est cependant avéré que la jurisprudence dans son ensemble allait rejeter la position des travaux préparatoires.

995. L’arrêt Io a ainsi retenu que la mention affirmant que les photographies sont illégales ou volées n’a pas pour conséquence de placer la charge du contrôle du caractère illicite des œuvres sur le service provider. Il s’agit toujours d’un arrêt de tribunal de district fédéral mais la solution de l’arrêt Corbis est réitérée en Californie dont la jurisprudence est particulièrement influente en matière de copyright. Les juges se sont donc largement émancipés des recommandations des rapports ainsi que d’une interprétation littérale des dispositions du DMCA.

996. L’arrêt UMG v. Veoh s’est placé dans le sillage des arrêts Perfect 10 et Io, mais est allé plus loin. Il a retenu que la connaissance apparente doit être directe – c’est-à-dire qu’elle ne doit pas requérir d’enquête – et que les adresses URL « illegal.net » et « stolencelebritypics.com » ne constituent pas des red flags. Il sera par conséquent particulièrement ardu de prouver l’existence d’un red flag, et donc d’engager la responsabilité d’un créateur automatique de liens, dès lors qu’une adresse URL mentionnant explicitement la présence de contenus illicites n’est pas considérée comme un élément probant.

997. Les droits américain et français convergent donc de facto car ils considèrent que la connaissance apparente de la présence d’une contrefaçon nécessite un examen trop minutieux pour être opposable aux créateurs automatiques de liens. Il s’agit donc, sur le spectre de la connaissance, d’une conscience trop vague pour pouvoir être opposable. Cette solution renforce la sécurité juridique des créateurs automatiques de liens et a fortiori leur liberté d’entreprendre. Elle laisse cependant les auteurs face à des situations ubuesques où des sites pourront établir des modèles commerciaux explicitement fondés sur des contrefaçons sans que les créateurs automatiques de liens qui les référencent n’engagent leur responsabilité pour violation du droit d’auteur et du copyright. Cette solution est d’autant plus étrange aux États-Unis que le droit américain interdit le recours à ce type de modèle sur le fondement de la vicarious liability . Cette solution se justifie de moins en moins au fur et à mesure que les technologies de détection des contrefaçons se développent comme l’ont souligné les rapports Béteille et Yung et du CSPLA .

998. Il est dès lors quasiment impossible de qualifier un élément illicite de façon apparente ou de red flag et ainsi d’engager la responsabilité d’un créateur automatique de liens . La jurisprudence a donc vidé de son sens la notion de connaissance présumée. La connaissance supposée ne sera donc pas opposable, et les ayants droit devront par conséquent toujours apporter la preuve de l’existence d’une connaissance effective .

999. La solution adoptée par la jurisprudence vise à promouvoir le développement de l’Internet et la libre circulation de l’information, à placer les coûts le plus efficacement possible car les auteurs sont les mieux placés pour surveiller le respect de leurs droits , et à éviter des frais aux consommateurs . Ces arguments ne sont désormais que partiellement convaincants. En effet, nous avons vu que les prestataires de service sur Internet ont atteint un stade de développement avancé et qu’un régime juridique visant à assurer leur développement s’avère désormais moins pertinent. Les auteurs sont sans doute les mieux placés pour contrôler le respect de leurs droits mais cette surveillance prend du temps sur la création. Cela a pour conséquence de transformer le copyright en système de rente à contrôler au lieu d’un mécanisme d’incitation à la création.

1000. La jurisprudence américaine a récemment modifié sa position. En effet, l’arrêt Emi – rendu cependant sur le fondement de la section 512(c) relative à la responsabilité des hébergeurs et non pas de la section 512(d) relative aux créateurs automatiques de liens – a retenu que le service provider avait l’habitude de mener des recherches parmi les contenus qu’il proposait, qu’une obligation ciblée de contrôler pendant une période limitée un nombre même important d’œuvres ne constitue pas une surveillance du réseau, et que le service provider était construit afin de faciliter la contrefaçon. Ce dernier critère n’est pas décisif mais l’arrêt souligne qu’il aurait pour effet d’inciter un jury à retenir la qualification de connaissance effective.

1001. Dès lors, il nous semble que les juges français ont failli à leur devoir démocratique et que les juges américains ont corrigé ce défaut. En effet, la jurisprudence ne constitue pas un filtre aux normes du législateur comme les Parlements de l’Ancien Régime pouvaient l’être pour les édits royaux . Ainsi, s’il est souhaitable que les juges puissent définir les notions légales et les contours des régimes juridiques, il nous semble inacceptable qu’ils écartent de facto l’application d’une règle votée démocratiquement étant donné qu’ils ne sont pas des représentants des peuples souverains.

1002. La connaissance apparente est donc de facto inapplicable en France alors qu’elle est désormais reconnue aux États-Unis. Les auteurs ne sont de toute façon pas dépourvus car ils pourront tenter d’opposer la théorie de l’aveuglément volontaire.

Paragraphe 2 : L’aveuglément volontaire

1003. Étant donné que le critère de responsabilité est la connaissance effective de la présence d’un contenu illicite, de nombreux prestataires de service reçoivent le conseil de ne pas instaurer de mécanisme de surveillance . Les créateurs automatiques de liens ont donc tendance à volontairement s’aveugler, d’autant plus qu’ils n’ont pas d’obligation de surveillance de l’Internet . En effet, en s’abstenant de surveiller, ils ne peuvent avoir de connaissance effective de la présence d’un contenu illicite et n’engagent donc pas leur responsabilité. Ce contournement de la règle est inacceptable étant donné que les régimes de responsabilité ad hoc ont été établis afin de prendre en compte les difficultés structurelles que rencontrent les algorithmes pour avoir connaissance de la présence d’une contrefaçon, et non pas pour autoriser les modèles économiques profitant de la contrefaçon. Le DMCA et la directive e-commerce n’ont pas donné un blanc-seing aux prestataires de service afin qu’ils puissent fermer les yeux sur toutes les contrefaçons.

1004. Le législateur américain a réagi face à cette difficulté et a eu recours au concept de wilful blindness – c’est-à-dire d’aveuglément volontaire. Il s’agit d’une notion classique du droit pénal américain mais elle est inconnue en France. Elle a été introduite aux États-Unis par l’arrêt Spurr v. U.S. . Il s’agit de l’hypothèse où une personne a une connaissance subjective d’une probabilité élevée de l’avènement d’une infraction pénale et a pris des mesures afin d’éviter d’avoir connaissance de l’infraction .

1005. La position du droit français est divergente. En effet, la jurisprudence a pu condamner pénalement des personnes ayant un devoir de contrôle et qui se sont volontairement abstenues de procéder à une vérification. Le droit français ne sanctionne cependant pas l’aveuglément volontaire dans toutes les hypothèses mais uniquement lorsqu’il existe une obligation de contrôler. L’approche française est donc plus restrictive est sans doute plus protectrice des droits en ce qu’elle encadre plus strictement la responsabilité pénale, mais elle s’avère a priori moins dissuasive. Ainsi, étant donné que les créateurs automatiques de liens n’ont pas d’obligation de surveillance de l’Internet , leur responsabilité ne pourra pas être engagée. Les deux systèmes divergent donc profondément sur la question.

1006. La willful blindness est fondée, comme tout le droit pénal américain, sur la notion de mens rea. Cette notion permettait traditionnellement de condamner les actes immoraux . La répression des actes immoraux a été en grande partie écartée aux États-Unis et en France alors que les deux pays ont embrassé des modèles de société plus libertaires. Ils privilégient le principe de l’ordre public à celui de la morale. La morale est en effet l’ensemble des valeurs extrapatrimoniales considérées comme supérieures, alors que l’ordre public est un état social dans lequel « la paix, la tranquillité et la sécurité publique ne sont pas troublées ». La morale cherche donc à imposer une conduite alors que l’ordre public se contente d’imposer le minimum de règles pour assurer la cohérence d’une société. Le second est donc beaucoup plus libertaire et respectueux des convictions intimes de chaque membre de la société. La notion de mens rea a donc évolué vers un paradigme plus libertaire et se trouve désormais définie comme l’état d’esprit particulier amenant à commettre une infraction . Il est par conséquent similaire à l’élément moral du droit français en ce que les deux adoptent une approche subjective. Le mens rea américain s’avère par conséquent aussi protecteur des droits de l’inculpé que l’élément moral français.

1007. Fort de cette protection des droits des inculpés, le principe d’aveuglément volontaire s’est étendu à d’autres branches du droit américain et notamment en droit des brevets et en droit des marques . Il n’a cependant pas été introduit en copyright par le DMCA. Il a donc échu à la jurisprudence le rôle d’introduire cette notion en copyright. Il y a par conséquent lieu de souligner que la jurisprudence opère un travail d’harmonisation des différentes branches de la propriété intellectuelle aux États-Unis. Cette approche est certes positive pour les profanes du droit qui bénéficient d’une simplification des règles, mais il est étonnant que les juges importent avec autant de facilité des notions d’une branche de la propriété intellectuelle à une autre alors qu’elles ne sont pas toutes fondées sur les mêmes dispositions de la Constitution. Le copyright et le droit des brevets sont fondés sur la Patent and Copyright clause alors que le droit des marques est fondé sur la Commerce clause de la Constitution. Étant donné que la Constitution confère au Congrès le droit d’introduire un droit de copyright et de brevet d’une part, et un droit des marques d’autre part, dont il peut délimiter les contours, il ne revient pas au juge de modifier les prérogatives confiées par le Congrès. Ces extensions nous paraissent par conséquent fortement critiquables malgré l’intérêt qu’elles présentent sur le fond du droit. Le fait que le juge français soit moins enclin à s’affranchir de la règle de droit assure donc un meilleur respect du principe de séparation des pouvoirs.

1008. L’arrêt In re Aimster a ainsi introduit la notion de willful blindness en copyright américain. L’arrêt a sanctionné le service provider qui s’était montré coupable d’aveuglément volontaire. La notion d’aveuglément volontaire s’avère donc plus effective que la notion de red flag car elle peut être appliquée à l’Internet alors que la seconde a toujours été rejetée par les juges. C’est donc forcée par l’incapacité du Congrès à fournir aux juges une notion utilisable dans la lutte contre la contrefaçon que la jurisprudence américaine introduit la notion d’aveuglément volontaire dans le champ du copyright. L’Internet a donc partiellement brouillé le principe de séparation des pouvoirs afin d’assurer non pas un système de check and balances – c’est-à-dire un système d’équilibre entre les pouvoirs – mais plutôt une coopération entre les trois branches du pouvoir, qui a permis l’émergence d’une solution plus satisfaisante que celle initialement proposée par le pouvoir législatif.

1009. L’arrêt Fung a par la suite retenu que le red flag test de la section 512(d)(1)(C) constitue une introduction de la notion d’aveuglément volontaire en copyright. L’aveuglément volontaire aurait donc été introduit en catimini par le législateur. Il nous semble qu’il s’agit ici d’une interprétation en partie forcée et que si le législateur avait voulu intégrer la notion d’aveuglément volontaire, il l’aurait fait explicitement et sans détour et ce, d’autant qu’il ne s’est pas montré avare de paroles dans la section 512 du Copyright Act. Les deux notions sont certes voisines mais elles restent distinctes. L’interprétation de l’arrêt Fung s’avère donc erronée mais elle est conforme à l’état de la jurisprudence depuis l’arrêt In re Aimster. L’arrêt Emi Christian Grp. V. MP3Tunes, LLC a par ailleurs repris cette solution. Il a en effet été retenu que les service provider – ce qui inclut les créateurs automatiques de liens de la section 512(d) – sont coupables de willful blindness dès lors qu’ils ont pour pratique de mener des recherches parmi les contenus se trouvant sur son réseau et que les service providers n’avaient pas connaissance de l’existence d’une distribution légale de l’œuvre litigieuse se trouvant sur leurs réseaux.

1010. Le droit européen est quant à lui resté figé dans le carcan de la directive e-commerce. En effet, la CJUE ne joue traditionnellement pas le même rôle proactif de création du droit que la jurisprudence américaine et, en dehors de certains coups d’éclats critiqués notamment en matière d’hyperliens, elle n’a pas adopté la même approche dialectique que la jurisprudence américaine. Le droit européen ne sanctionne donc pas les créateurs automatiques de liens lorsqu’ils agissent de manière à ne pas avoir connaissance de la présence de contrefaçons sur les pages liées. Le droit européen autorise par conséquent son propre contournement. Le manque d’adaptabilité du droit européen débouche par conséquent sur le développement de concepts fourretouts soulignant un manque de précision des esprits. La qualité du droit en pâtit.

1011. L’aveuglément volontaire est donc constitué en droit américain lorsque le défendeur a connaissance de certains éléments laissant penser qu’il pourrait y avoir une contrefaçon. L’arrêt In re Aimster a retenu que le service provider aurait dû savoir qu’il existait une violation directe du Copyright Act ou qu’il savait ou suspectait qu’il était impliqué dans des « relations troubles ». La doctrine ne s’applique donc pas lorsque le défendeur aurait dû savoir, mais dans des hypothèses très proches de celles où il aurait eu une connaissance effective . L’arrêt Emi Christian Music Grp. v. MP3Tunes, LLC aborde d’ailleurs les deux notions concomitamment. Le droit français adoptera une solution plus favorable aux créateurs automatiques de liens car il ne pourra pas retenir qu’ils ont une connaissance de la présence d’une contrefaçon et il n’opposera pas la théorie de l’aveuglément volontaire.

1012. En outre, la conscience de la forte probabilité qu’une contrefaçon soit présente est nécessaire pour que la responsabilité du défendeur soit engagée selon l’arrêt Viacom, Inc. v. Youtube, Inc. . L’arrêt Fung a en outre imagé la notion en retenant qu’il s’agissait d’un comportement digne d’une autruche. L’arrêt In re Aimster avait en outre retenu qu’engage sa responsabilité le service provider qui a pris des mesures afin de ne pas établir une connaissance entière ou exacte de la nature et de l’étendue de ces relations. Un acte négatif ou positif d’aveuglément est par conséquent interdit.

1013. Il n’est cependant pas suffisant que le service provider ait une vague connaissance de la possibilité de la présence de contrefaçons sur son site. En effet, s’il en était autrement, le service provider aurait une obligation de surveillance sur son site. Or, l’arrêt Viacom a rappelé que les service providers n’ont aucune obligation de surveillance. Lorsque la notion de willful blindness est appliquée à des service providers elle est donc comprise de façon restrictive afin de limiter leur exposition à des poursuites judiciaires. Cette solution présente le mérite de ne pas imposer une obligation générale de surveillance sur le réseau Internet . Le régime applicable doit dès lors être soutenu car la lutte contre la contrefaçon ne peut justifier un état de surveillance généralisé qui s’avérerait liberticide.

1014. Malgré l’absence d’obligation de surveiller l’Internet, les créateurs automatiques de liens pourront voir leur responsabilité engagée en cas de contrefaçons répétées s’ils cumulent les critères de l’aveuglément volontaire. En cas de contrefaçons répétées, il pourra être retenu que les créateurs automatiques de liens font preuve d’un refus systématique de découvrir l’étendue des infractions au Copyright Act sur leurs réseaux . Le droit français aurait tout intérêt à introduire une solution similaire en droit interne car elle permet de lutter de façon plus efficace contre les contrefacteurs répétitifs sans pour autant recourir aux sanctions pénales et notamment à la majoration de la sanction en cas de récidive . La règle de l’aveuglément volontaire constitue donc un fondement plus souple permettant de mieux s’adapter à la richesse des situations auxquelles sont confrontés les juges, tout en opposant une réponse proportionnée aux infractions au droit d’auteur. La willful blindness ne s’étendra cependant pas au-delà de cette hypothèse étant donné que les service providers n’ont pas d’obligation générale de surveillance . Le droit français devrait également respecter cette limite.

1015. La théorie de willful blindness permet donc de sanctionner des créateurs automatiques de liens qui chercheraient à continuer à bénéficier des revenus générés par les contrefaçons tout en agissant de façon à ne pas avoir une connaissance plus précise de l’occurrence d’une contrefaçon malgré des informations en ce sens. Les projets français de réforme du régime applicable aux prestataires de service ne proposent toujours pas l’introduction de la notion d’aveuglément volontaire alors qu’il s’agit d’un fondement permettant de protéger les auteurs et d’inciter les prestataires de service à participer à la lutte contre la contrefaçon. Les projets français s’intéressent uniquement au contrôle alors que le droit américain adopte une approche plus globale.

Section 2 : Le contrôle et la limite à la liberté d’entreprendre

1016. Malgré la protection pour les auteurs que constitue le critère de l’élément de connaissance, la responsabilité des prestataires de services – et donc des créateurs automatiques de liens – ne se trouve pas limitée à ce fondement. Les droits français et américain engagent traditionnellement la responsabilité de l’entité qui contrôle la personne à l’origine d’un acte illicite (Sous-section 1). Le droit américain s’est cependant démarqué du droit européen en ajoutant le critère de bénéfices économiques permettant d’engager plus facilement la responsabilité des créateurs automatiques de liens (Sous-section 2). Cette prise en compte des bénéfices économiques est en phase avec les idéaux libertaires initiaux de l’Internet. En effet, il permet de faire le départ entre l’internet gratuit qui bénéficiera d’un régime plus protecteur des internautes et des créateurs de liens, et l’internet à but lucratif sur lequel l’application du droit et d’une logique de marché s’avère plus pertinente étant donné que les parties ont choisi expressément de sortir de la logique de la gratuité de l’internet. Le critère américain semble donc constituer une émancipation louable des principes classiques.

Sous-section 1 : Les critères du contrôle comme éléments constitutifs de la contrefaçon

1017. Le contrôle s’est trouvé être à la base du régime de responsabilité des prestataires techniques et donc des créateurs de liens. Le législateur américain a adopté, avec le DMCA, une approche similaire à celle des Pères Fondateurs lorsqu’ils ont rédigé la Free Press Clause qui mettait un terme à la censure étatique. Cette disposition s’inscrivait dans une évolution partant de l’abolition de la censure étatique avec le statut de la Reine Anne et allant jusqu’à la fin de la censure technologique avec le DMCA et la directive e-commerce. Le droit français a emprunté une évolution similaire mais, si la France s’est montrée à l’avant-garde à la fin du XVIIIe siècle sur la proclamation de l’interdiction de la censure étatique, elle a pris presqu’un siècle avant d’assurer un véritable régime de liberté de la presse avec la loi de 1881 alors que le Premier Amendement de la Constitution américaine était en vigueur depuis 94 ans. En outre, la fin de la censure technologique est avant tout le résultat de la transposition de la directive e-commerce qui s’inspire du DMCA plus que d’une réflexion sur l’accès aux informations. La lutte contre la censure a donc été plus difficile en France qu’aux États-Unis.

1018. En outre, l’Union Européenne n’a pas pris position sur la question de la liberté de publier et s’est focalisée sur une approche mercantile de la question. Elle ne s’est donc pas intéressée à la question de la censure technologique. La fin de la censure technologique est donc le résultat d’une volonté politique aux États-Unis et n’est qu’un effet secondaire d’une norme visant à stimuler le marché en Europe. Il nous semble regrettable que le législateur européen ait adopté une approche aussi parcellaire et ne se soit pas fondé sur les droits de l’Homme alors que la liberté d’expression et la liberté de la presse constituent des valeurs communes aux Européens, et que leur promotion aurait renforcé l’adhésion à l’Union Européenne. Cela permet cependant à l’Union Européenne de modifier sans doute plus facilement sa réglementation en faveur des prestataires techniques que le législateur américain lorsque les technologies auront évolué, car le débat sera surtout économique et portera moins sur des questions de droits fondamentaux.

1019. Le principe est donc désormais des deux côtés de l’Atlantique celui du contrôle technologique minimum. Cependant, l’égalité ne résidant pas dans l’application d’un régime unique à toutes les situations, une distinction a été opérée entre le régime de droit commun (Paragraphe 1) et celui applicable aux universités (Paragraphe 2). Dès lors, les contrefacteurs n’engagent pas leur responsabilité selon les mêmes modalités selon leur statut. L’approche semble surprenante étant donné que ce n’est plus l’acte mais la qualité de l’auteur de l’acte qui détermine la responsabilité pour contrefaçon.

Paragraphe 1 : Le contrôle sur les contenus

1020. Les régimes de responsabilité limitée américain et européen se fondent sur l’idée que les prestataires techniques doivent disposer d’un régime de responsabilité ad hoc car ils n’ont pas un contrôle direct sur les activités de leurs réseaux. Dès lors, les créateurs automatiques de liens engagent leur responsabilité – sur le fondement de la section 512(d) du Copyright Act et de l’article 14 de la directive e-commerce – lorsqu’ils ont un contrôle sur la contrefaçon. Le législateur américain, ayant l’habitude d’une plus grande exhaustivité que le législateur européen, a expressément retenu ce principe alors que la directive e-commerce se montre très incisive et partant plus vague.

1021. Cette distinction vient des différences de contextes historico-juridiques des législateurs. Le législateur américain s’est en effet inspiré de la théorie de vicarious liability pour rédiger la section 512(d)(2) du DMCA, alors que le Parlement européen s’est inspiré du DMCA qui proposait une conception modifiée et modernisée des solutions jurisprudentielles américaines. Ainsi, alors que le législateur américain devait composer avec la complexité de la notion de vicarious liability dont il voulait se démarquer, le législateur européen se trouvait en terra incognita. Le législateur européen a donc pu créer ex nihilo un nouveau concept sans avoir besoin de le distinguer d’une notion déjà existante.

1022. L’approche du DMCA s’est largement émancipée de la théorie de la vicarious liability. En effet, cette théorie se fonde sur l’adage romain respondeat superior qui permet d’engager la responsabilité de l’entité dirigeant l’activité de la personne à l’origine d’une violation de la loi . Le recours à cette doctrine a pour conséquence d’engager la responsabilité des créateurs automatiques de liens – et plus globalement de tous les prestataires de service sur Internet – uniquement lorsqu’il existe un lien de subordination . Or, l’Internet semble avoir marqué un affaissement de la hiérarchie sociale car les relations y sont beaucoup plus égalitaires que dans le monde réel. Il sera donc relativement rare de trouver une situation où le créateur de lien jouit d’une autorité sur le propriétaire de la page liée. Dès lors, la double limite constituée par le droit de contrôler (I) et la possibilité de contrôler (II) assurera une sécurité juridique satisfaisante pour les créateurs de liens, évitant ainsi d’engager trop facilement la responsabilité des créateurs d’hyperliens.

I) Le droit de contrôler

1023. Les droits américain et européen ont écarté le critère de la surveillance pour lui privilégier celui du contrôle. Les notions ont été distinguées dans les deux systèmes. En effet, la surveillance a pour effet d’imposer une obligation d’attention et d’observation attentive des contenus sur Internet. Le contrôle en revanche permet d’examiner un contenu a posteriori et non pas a priori. La surveillance a pour effet de censurer car elle bloque un contenu avant sa publication, alors que le contrôle laisse les internautes libres de mettre en ligne des contenus et ne procède à une vérification qu’a posteriori. Ainsi, en ayant recours à la notion de contrôle et non pas de surveillance, les droits américain et européen écartent toute dimension morale de la régulation de l’Internet. Ce rôle limité permet de ne pas engager trop facilement la responsabilité des prestataires de service.

1024. Le rejet de la surveillance se situe au cœur des régimes américain et français de la liberté d’expression. Les deux systèmes assurent en effet, par principe, des contrôles a posteriori et non pas a priori des écrits . À défaut, cela soumettrait l’expression des idées à la subjectivité d’une seule personne – ce qui fait encourir la censure – alors que l’Internet constitue justement une agora mondiale et ouverte à la diversité. De plus, la notion de surveillance est majoritairement rejetée sur l’Internet . Les approches américaine et française s’avèrent donc conformes à la conception libertaire de l’Internet et aux principes essentiels d’un État libre.

1025. Cette solution souligne l’émancipation de la section 512(d) du Copyright Act qui a su faire le départ entre d’une part la doctrine de vicarious liability qui est fondée sur le droit de contrôler autrui et, d’autre part, la possibilité de surveiller autrui relevant de la doctrine traditionnelle. L’arrêt Mavrix Photographs, LLC v. LiveJournal, Inc a établi un parallèle entre d’une part la notion d’autorité telle qu’entendue dans le DMCA, et d’autre part celle en droit de la responsabilité civile. L’arrêt s’est pour cela fondé sur le Restatement (Third) of Agency § 3.03 – ce qui peut surprendre étant donné qu’il ne s’agit que d’une loi modèle et en aucun cas de la loi d’un État – pour retenir qu’il y a un lien d’autorité dès lors qu’une personne agit sous la responsabilité d’autrui, et qu’un tiers peut raisonnablement croire que le préposé a une autorisation d’agir puisant sa source dans l’apparence de leurs relations. Il y aura une relation d’autorité en fonction de la relation entre le site et l’internaute à partir du moment où il existe un rapport de subordination et non pas simplement un lien contractuel . La solution est moins certaine en Europe car la notion de contrôle est une importation et ne constitue donc pas le fruit d’une codification de la jurisprudence antérieure. La LCEN a repris les termes de la directive et n’offre donc pas de grille d’interprétation. Cependant, l’ajout du terme « autorité » à côté de celui de « contrôle » permet de comprendre que la directive ne se réfère pas à la possibilité de prendre connaissance du contenu – ce qui permettrait au créateur de lien d’avoir connaissance du contenu de la page liée et aurait pour effet d’écarter le régime de responsabilité limitée – mais à la faculté d’imposer le choix des contenus sur le site cible. Les deux régimes convergent.

1026. La notion de contrôle est donc comprise de façon large dans les deux systèmes. Ce principe n’est pas remis en cause par le recours au contrat. En effet, une relation contractuelle entre un créateur automatique de liens et un internaute ne donne pas au premier le droit de contrôler le second . Il ne pourrait en aller autrement que si le contrat introduit le droit pour le créateur de liens de contrôler l’activité de l’internaute.

1027. La responsabilité des créateurs de liens sera donc limitée aux hypothèses où ils pourront contrôler le contenu du site lié. Cet élargissement de la notion de contrôle – qui aurait pu exposer très souvent les créateurs automatiques de liens alors même que l’Internet a grandement égalisé les relations entre les individus – a cependant été contrebalancé par l’ajout d’un second critère du régime de responsabilité.

II) La possibilité de contrôler

1028. La possibilité de contrôle constitue généralement l’une des causes de responsabilité en droit français et américain. Ainsi, une personne incapable au moment d’une infraction n’engagera pas sa responsabilité pénale . Ce principe n’était traditionnellement pas étendu au droit d’auteur et au copyright qui constituent des exceptions dans les paysages juridiques français et américain dans la mesure où il s’agit de régimes de responsabilité de plein droit. Cependant, cette approche s’avérait pertinente lorsqu’il existait encore une fusion entre les supports matériels et l’œuvre immatérielle car il demeurait relativement aisé de contrôler les copies. Ainsi, les arrêts ayant retenu la responsabilité sur le fondement de la vicarious liability l’ont fait dans des hypothèses où, même si cela s’avérait compliqué, le contrôle était possible. Dans l’arrêt Shapiro la responsabilité du propriétaire de magasins de détails a été engagée pour secondary infringement car il maintenait un contrôle sur les choses vendues. Il en va différemment sur l’Internet où prévaut le principe de l’absence de surveillance et où les relations sont peu hiérarchisées.

1029. En Europe, la notion d’autorité permet à une entité de décider ou de commander . Dès lors, le concept d’autorité renvoie à la possibilité de contrôler en amont les actes d’autrui. Il en va ainsi notamment de l’autorité parentale ainsi que de l’autorité sur autrui et notamment sur un salarié. Étant donné que la directive e-commerce interdit la surveillance des réseaux, il faut y voir une traduction malheureuse du terme authority et plus largement un choix malencontreux de ce terme dans la directive. Les juges européens ont en effet été bien en peine d’appliquer la notion d’autorité dans une affaire dans le domaine d’application de l’article 14. Ils ont systématiquement eu recours à la notion de contrôle mais n’ont pas opposé le critère de l’autorité. Il n’y a cependant pas lieu de critiquer les juges d’avoir écarté une disposition peu adaptée à l’Internet. Le réseau a en effet marqué un affaissement de la pyramide sociale et les relations de subordination y sont moins présentes que dans le monde analogique. La notion d’autorité s’avère donc largement inadaptée à la régulation de l’Internet. Cette disposition de l’article 14 de la directive 2000/31/CE aura donc rarement vocation à s’appliquer.

1030. La jurisprudence américaine a convergé partiellement vers cette solution. Il a en effet été retenu que la possibilité de retirer ou de bloquer des contenus contrefaisants ne permet pas de retenir que le service provider a le contrôle sur les activités . La possibilité systémique de contrôler ne permet donc pas d’écarter le régime de responsabilité limitée. Ainsi, seul l’arrêt Perfect 10 v. Cybernet a retenu la responsabilité du service provider sur le fondement de la possibilité de contrôler. Il a été retenu que le service provider contrôlait les images sur son site et en interdisait certaines. Ce type de contrôle direct est ainsi considéré comme la preuve de la possibilité de contrôler les contenus. Dès lors, la création d’une structure de site permettant de contrôler les contenus ne suffit pas, il faut que le service provider puisse effectivement contrôler les pages Internet pour que la possibilité de contrôler lui soit opposée. Le risque de ce critère est de faire reposer son application sur la volonté du service provider qui pourra se contenter de ne pas agir pour que ce fondement ne lui soit pas opposé. Néanmoins, il devra rester attentif à ne pas dépasser la limite imposée par la doctrine américaine de l’aveuglément volontaire .

1031. Les deux droits retiennent en outre que la connaissance est indifférente lorsqu’il s’agit d’analyser l’existence d’un contrôle sur la page liée. En effet, la possibilité de contrôler la licéité de la page liée n’implique pas la connaissance de la présence de contrefaçons sur une page dans les deux systèmes. L’article 14.2 de la directive e-commerce et la section 512(d)(2) du Copyright Act se distinguent en effet de l’article 14.1 et de la section 512(d)(1) par l’absence de prise en compte de la connaissance de la présence d’un contenu illicite. Il n’y a donc pas lieu d’intégrer un critère que les législateurs européen et américain ont écarté. Les deux normes convergent donc vers l’absence de prise en compte de la connaissance de la présence d’une contrefaçon pour se focaliser sur le contrôle.

1032. La jurisprudence américaine a néanmoins marqué une hésitation. Il y a en effet eu une divergence entre les Cours d’appel fédérales pour le Deuxième et le Neuvième Circuits. Le Neuvième Circuit – qui est compétent pour la côte Ouest – a tout d’abord retenu que le service provider engage sa responsabilité lorsqu’il a connaissance de la présence de contrefaçons. Le Neuvième Circuit a ainsi ajouté une condition qui était inexistante dans le DMCA. Le Neuvième Circuit a par conséquent mélangé les sections 512(d)(1) et (2) alors que seule la première prend en compte la connaissance de la présence d’une contrefaçon. Les deux sous-sections s’inspirent en effet des deux branches de la secondary liability que sont la contributory liability – qui prend en compte la connaissance de la présence d’une contrefaçon – et la vicarious liability – qui s’avère indifférente à cette question.

1033. La Cour d’appel fédérale pour le Deuxième Circuit – qui est compétent pour les États de New York, du Vermont et du Connecticut – n’a pas réitéré cette erreur et a retenu que la connaissance de la présence d’une contrefaçon n’a pas d’importance au sens de la section 512(d)(2) du Copyright Act. Il est en revanche nécessaire d’apporter la preuve qu’il existe quelque chose de plus que la simple possibilité de retirer ou de bloquer l’accès aux contenus mis en ligne sur le réseau du service provider. Il existe donc une divergence entre les deux Circuits – appelée Circuit split – qui devrait cependant se résoudre par l’adoption de la solution du Deuxième Circuit qui s’avère plus rigoureuse. La possibilité de contrôler devrait donc être comprise in abstracto.

1034. Les droits européen et américain se divisent en outre sur l’objet du contrôle. En effet, alors que le droit américain s’intéresse au contrôle sur l’activité , le droit européen retient le critère de l’autorité et du contrôle sur le destinataire du service. Il y a donc une ligne de division nette entre les deux systèmes alors qu’elle s’avérait beaucoup plus ténue en matière de connaissance de l’activité contrefaisante. Or, vu la structure de l’Internet et le principe largement répandu d’anonymat , il sera particulièrement difficile de prouver que le créateur de lien exerçait un contrôle sur un internaute. Il sera en revanche plus aisé d’apporter la preuve qu’il contrôle l’activité sur une page liée. Le législateur américain a par conséquent adopté une conception mieux adaptée à la structure de l’Internet que son homologue européen, quitte à engager plus facilement la responsabilité des créateurs de liens. Les créateurs de liens n’engageront néanmoins leur responsabilité que dans de rares occasions.

1035. Les créateurs automatiques de liens n’engageront donc que rarement leur responsabilité car il s’avérera particulièrement difficile de considérer qu’ils contrôlent l’activité des internautes. La notion de contrôle a donc perdu de sa pertinence sur l’Internet et ne jouera pas avec la révolution numérique le rôle qu’elle a pu jouer pendant la révolution industrielle. Elle est remplacée en cela par le critère de la connaissance comme nous l’avons vu précédemment. Ce régime est satisfaisant pour la très grande majorité des situations que les juges seront amenés à rencontrer sur l’Internet. Le législateur américain s’est cependant montré soucieux de prendre en compte l’indépendance des enseignants universitaires et leur a appliqué un régime spécial.

Paragraphe 2 : Le régime spécial applicable aux enseignants universitaires

1036. Les droits européen et américain ont divergé sur la prise en compte des spécificités des enseignants. Ces derniers peuvent en effet télécharger des contrefaçons sur les sites de leurs institutions qui créeront automatiquement des liens vers les contenus litigieux. Les liens peuvent donc présenter, au-delà des intérêts culturels et économiques que nous avons déjà analysés, une dimension didactique. Les liens sont par conséquent liés à la liberté de faire que constitue la liberté d’enseigner. Les droits américain et européen ont cependant divergé sur cette question. En effet, alors que le droit européen ne leur propose aucun régime de responsabilité spécial, le droit américain leur assure un régime ad hoc.

1037. Les deux droits convergent pourtant sur le principe d’indépendance des enseignants universitaires. Les États-Unis ont été les premiers à le reconnaître avec la déclaration de 1915 qui a retenu que les professeurs universitaires doivent rester indépendants. Elle affirmait que l’indépendance des enseignants universitaires comprend la liberté d’enquêter et de rechercher, la liberté d’enseigner au sein de l’établissement ainsi que la liberté d’exprimer des opinions. Cet appel a été entendu par la Cour Suprême qui a retenu que la liberté académique constituait une branche de la liberté d’expression au sens du premier Amendement de la Constitution. La liberté académique s’érige donc en un droit constitutionnel profondément ancré dans la tradition juridique américaine.

1038. La reconnaissance a été plus tardive et plus progressive en droit français. L’article 91 de la loi du 31 mars 1931 a introduit le principe de la liberté d’enseignement. Ce principe a été repris par la loi du 26 janvier 1984 sur l’enseignement supérieur . Le Conseil Constitutionnel a été saisi et a reconnu dans une décision en date du 20 janvier 1984 que le principe d’indépendance des professeurs constitue un principe fondamental reconnu par les lois de la République. Le Conseil d’État lui a emboîté le pas et a réaffirmé cette solution dans plusieurs décisions . Les deux droits reconnaissent donc le principe de la liberté d’enseignement ainsi que l’indépendance universitaire et confèrent à ces deux prérogatives le rang de libertés constitutionnelles. Eu égard à l’importance de la qualification de ces libertés, il pouvait être légitime de s’attendre à une convergence sur le principe de responsabilité appliqué aux enseignants.

1039. Les deux droits n’ont cependant pas tiré les mêmes conséquences de cette liberté conférée aux enseignants universitaires. Le Congrès américain a déduit de cette liberté que les établissements d’enseignement ne contrôlent pas les activités de leurs personnels enseignants en amont. Or, elles risquent d’engager leur responsabilité lorsque les enseignants commettent des contrefaçons. Il a par conséquent décidé d’introduire un régime de responsabilité limitée à la section 512(e).

1040. L’Union Européenne a, malgré son étude du modèle américain, rejeté l’introduction d’un tel régime. Il n’est en effet pas nécessaire en Europe et en France d’introduire une exception de responsabilité pour les établissements d’enseignement comme l’a fait le droit américain. En effet, l’Union Européenne et la France n’ont pas introduit de secondary liability permettant d’engager la responsabilité d’une personne morale pour les contrefaçons commises par une personne qu’elle a sous sa garde. Une personne n’engagera sa responsabilité que si elle est à l’origine de la contrefaçon. Les droits européen et français appliqueront donc le régime de l’éditeur à l’enseignant à l’origine de la mise en ligne de la contrefaçon, et de l’hébergeur à l’établissement d’enseignement sur le site de laquelle la contrefaçon a été téléchargée. Le droit américain aurait pu suivre le même chemin en appliquant le régime de la section 512(c) relatif à la responsabilité des hébergeurs aux universités, ainsi que la section 512(d) lorsqu’elles créent automatiquement des liens. Le choix de l’introduction d’une section à part souligne les doutes du législateur américain.

1041. L’introduction d’un régime de responsabilité limitée pour les établissements d’enseignement n’est en effet pas apparue comme une évidence au législateur américain. Ce n’est que le troisième rapport relatif au DMCA qui introduit un tel régime. Les rapports précédents de la Chambre des Représentants et du Sénat n’abordaient pas la question. Elle se trouve limitée aux hypothèses où les établissements d’enseignement jouent le rôle de service providers . Ces institutions pourront ainsi chercher à bénéficier soit du régime applicable aux service providers traditionnels, soit au régime établi spécialement pour elles . L’intérêt d’ajouter un safe harbor est de ne pas engager la responsabilité des établissements d’enseignement dès lors qu’un membre de leur personnel a connaissance de la présence d’une contrefaçon . Ce régime s’avère donc plus protecteur que celui applicable aux hébergeurs qui écarte le régime de responsabilité limitée dès lors qu’un membre de l’hébergeur a connaissance de la présence d’une contrefaçon. Le droit européen et le droit français n’accordent pas de conditions aussi protectrice aux institutions d’enseignement avec le recours au régime de l’hébergeur. Les conditions d’application du safe harbor américain sont cependant particulièrement strictes, ce qui limite partiellement la divergence de résultats entre les deux droits.

1042. Tout d’abord, afin de bénéficier des dispositions du DMCA, les infractions au copyright doivent être commises sur le site Internet de l’institution d’enseignement . Il y a donc une divergence profonde avec les droits européen et français qui n’ont pas prévu cette possibilité car l’établissement d’enseignement ne constitue pas un prestataire de service dont la directive e-commerce souhaitait encourager le développement. Cette divergence souligne la différence d’approche des deux législateurs. En effet, alors que le législateur américain a adopté une approche globale prenant en considération non seulement les intérêts économiques, mais également culturels, le législateur européen n’a pris en considération que les premiers. Cette faiblesse dans l’approche européenne participe de la défiance envers le droit d’auteur et l’Union Européenne en général.

1043. En outre, la responsabilité de l’Université ne pourra être engagée qu’en fonction du contrôle qu’elle a sur ses salariés, qu’ils soient professeurs ou étudiants déjà diplômés, effectuant des activités de recherche ou d’enseignement. Le rapport de la Chambre des Représentants souligne qu’il doit s’agir de véritables activités de recherche et non pas d’une excuse afin de commettre des contrefaçons . Le droit français assure une forme d’équivalence fonctionnelle permettant de compenser la faiblesse de la directive européenne. En effet, les professeurs universitaires se verraient opposer, en cas de téléchargement d’une contrefaçon sur le site d’une université, l’erreur détachable de leurs fonctions . Dès lors, la responsabilité de l’institution ne se trouverait pas engagée. Cependant, alors que le droit américain se réfère à la notion pour le moins large d’institution d’enseignement, le droit français limite l’application de cette règle aux Universités. La convergence s’avère donc limitée dans son champ d’application. Cette différence n’a cependant pas de conséquences pratiques importantes car l’enseignement français utilise encore peu les nouvelles technologies et notamment avant le baccalauréat – même si son usage se développe – par rapport aux lycées américains . Dès lors, le régime de responsabilité plus stricte opposé aux lycées français par rapport aux lycées américains n’a pas de répercussions importantes dans la pratique. Il serait pourtant judicieux d’étendre cette limitation de la responsabilité aux lycées afin de les encourager à recourir aux supports numériques. Cela encouragerait les enseignants à établir des liens vers des contenus pertinents pour leurs cours.

1044. En outre, la contrefaçon de l’enseignant ne doit pas impliquer la fourniture d’un accès en ligne de contenus éducatifs qui sont demandés ou recommandés, au cours des trois années précédentes, pour un cours enseigné par l’institution employeur. Cette disposition permet d’introduire un équilibre entre les intérêts des Universités et ceux des auteurs qui peuvent ainsi strictement protéger le marché de leurs œuvres pendant 3 ans. Le seuil uniforme de trois ans s’avère critiquable car un écrit en lettres pourra rester pertinent pendant une période bien plus longue, alors qu’il aura perdu de son actualité en sciences juridiques. Cette disposition présente en outre l’inconvénient de faire peser sur les étudiants – qui payent des frais d’inscription particulièrement élevés aux États-Unis assurant la rémunération des personnels universitaires – la rémunération de leurs enseignants. Le droit d’auteur sert donc à payer une seconde fois les auteurs des contenus mis en ligne. Cette solution est paradoxale alors que le Copyright Act a écarté toute rémunération des œuvres créées par l’État car les contribuables américains payent par leurs impôts la production des œuvres. Il est donc interdit de payer deux fois des œuvres créées par l’État, mais cette interdiction ne s’étend pas aux œuvres créées par les enseignants universitaires. Le copyright constitue donc dans ce cas une rente et non pas une incitation à la création.

1045. De plus, l’institution d’enseignement ne doit pas avoir reçu, au cours des trois dernières années, plus de deux notifications relatives à des contrefaçons alléguées par l’enseignant ou l’étudiant diplômé. Le rapport de la Chambre des Représentants justifie cette solution par l’idée que dans une telle hypothèse l’institution aurait connaissance d’un mécanisme de contrefaçons systématisé . Les notifications concernées par cette limitation ne doivent cependant pas être infondées. Cette limite surprend car elle s’avère plus restrictive que pour les service providers alors que la section 512(e) vise à offrir aux institutions d’enseignement un régime de responsabilité plus favorable. En effet, les service providers classiques bénéficient du safe harbor même s’ils reçoivent un nombre infini de notifications justifiées. Il est surprenant que le législateur américain ait introduit une telle différence car le plafond applicable aux institutions d’enseignement risque de les encourager à surveiller l’activité de leurs membres alors que le droit américain promeut l’indépendance des enseignants.

1046. Cette approche n’est en outre pas cohérente avec la philosophie de la section 512 du Copyright Act qui exclut toute obligation de surveillance pour les service providers et qui l’introduit pour les Universités après la réception de deux notifications valides. Alors que le Congrès a voulu introduire un régime plus favorable pour les Universités, il leur impose une obligation de surveillance qui s’avère contraire au principe d’indépendance universitaire. Elle risque en outre d’inciter à l’instauration de mécanismes de surveillance en amont qui pourraient peser sur la liberté académique.

1047. Enfin, l’institution doit informer précisément les utilisateurs de son système ou de son réseau des dispositions du copyright américain et doit encourager leur respect. Cette dernière condition est similaire à celle imposée aux bibliothèques ainsi qu’aux archives afin qu’elles puissent bénéficier d’un régime de responsabilité limitée. Cette approche relevant du nudge – c’est-à-dire des interventions non contraignantes mais encourageant à adopter un comportement plus vertueux nous semble particulièrement pertinente du moins pour le monde académique. En effet, en rappelant les dispositions du Copyright Act, la mention va réveiller le principe de rejet de la perte qui s’inscrit dans notre système cognitif . Les êtres humains ont en effet une aversion à la perte qui les incite à prendre des dispositions pour l’éviter – bien qu’ils soient disposés à prendre des risques relativement élevés. La liberté des enseignants ne se trouve pas limitée mais leur structure de choix se trouve ainsi influencée . Cette méthode est également en phase avec la philosophie libertaire des Pères fondateurs de l’Internet qui rejettent le principe de la contrainte pour lui privilégier celui de l’adhésion. En outre, cette obligation a eu pour conséquence d’inciter – bien que cela ne soit pas obligatoire – certaines institutions à effectuer des dépenses substantielles en offrant les services de juristes afin d’informer les enseignants et les étudiants diplômés de la réglementation en vigueur. L’Université Columbia de New York notamment met à la disposition de son personnel enseignant les services de juristes spécialisés en copyright afin d’éviter les contrefaçons au sein du Copyright Advisory Office. Ce service a néanmoins un coût qui empêche l’Université d’investir dans d’autres domaines .

1048. Néanmoins, étant donné que la section 512(j)(1) ne s’applique pas aux institutions d’enseignement, elles sont exposées à une responsabilité plus large que les service providers classiques . Elles pourront en effet être tenues de payer des injunctive relief – c’est-à-dire un ordre judiciaire pour mettre un terme à un acte illicite – selon les règles de droit commun du DMCA. Cette distinction avec les service providers est néanmoins acceptable car les institutions d’enseignement sont plus à même de mettre un terme à une contrefaçon que les créateurs automatiques de liens qui n’ont souvent pas le contrôle sur les pages liées.

1049. La notion de contrôle est donc au centre des régimes américain et européen de responsabilité atténuée. L’Union Européenne s’est cantonnée à ce principe et a écarté la prise en compte des bénéfices financiers des créateurs automatiques de liens, alors que le DMCA a introduit ce critère.

Sous-section 2 : Les bénéfices financiers comme éléments constitutifs de la contrefaçon

1050. Le copyright américain et le droit d’auteur français ne prennent historiquement pas en compte la dimension lucrative de la contrefaçon. L’acte était en effet traditionnellement interdit pour sa seule contrariété avec la loi.

1051. Cette approche était déjà surprenante au XVIIIe siècle car le système de copyright américain visait à protéger les auteurs contre les reproductions des imprimeurs qui avaient souvent un but lucratif, et le droit d’auteur français entendait protéger les auteurs de pièces de théâtre dont les œuvres étaient pillées par des directeurs de théâtres venus recopier leurs pièces afin de les faire jouer dans leur théâtre. Les États-Unis et la France avaient donc modelé leurs régimes de protection en réfléchissant à partir de situations lucratives. Les protections accordées étaient donc beaucoup trop larges et les États-Unis et la France ont assoupli leurs positions.

1052. Les deux droits ont en effet pris en considération la différence entre la copie privée et la contrefaçon à but lucratif en autorisant la reproduction ainsi que la représentation – ou leurs différentes branches telles qu’énoncées à la section 106 du Copyright Act – dans le cadre du cercle familial et amical restreint. Les deux systèmes ont ainsi pris en compte la différence de nature existant entre les contrefaçons pour un usage privé sans but lucratif et les utilisations effectuées dans un but lucratif. La contrefaçon n’est donc pas interdite de façon absolue mais uniquement lorsqu’elle a pour conséquence de réduire indument – c’est-à-dire dans des proportions jugées inacceptables dans chaque système – le marché du titulaire des droits.

1053. Le droit américain a trouvé dans la doctrine de vicarious liability un outil précieux dans la lutte contre la contrefaçon lucrative. Dans les arrêts Gershwin Publishing Corp. v. Columbia Artists Managament, Inc. et Fonovisa, Inc. v. Cherry Auction Inc. il a été retenu que la théorie de vicarious liability devait s’appliquer même en l’absence de relation d’employeur à salarié lorsque les intérêts du contrefacteur et d’un tiers sont entremêlés. Cette ouverture est particulièrement adaptée pour l’Internet – qui était à ses débuts quand l’arrêt Fonovisa a été rendu – étant donné que le réseau a partiellement remis en cause la forme pyramidale des relations sociales. Les droits français et européen n’ont pas à disposition d’équivalent leur permettant de lutter contre les modèles économiques fondés sur la contrefaçon.

1054. Cette approche est pertinente car l’utilisation privée d’une œuvre dans un but non lucratif n’a pas eu pour effet de réduire indument les marchés des auteurs – ou alors de façon marginale. En effet, les années 1990 marquent le sommet du marché musical aux États-Unis et en Europe alors que le public avait accès à des technologies de reproduction des disques . Cependant, dès l’année 1999, à l’occasion du développement de prestataires techniques encourageant la contrefaçon – directement ou indirectement – dans un but lucratif, l’industrie musicale a commencé à chuter. C’est donc la dimension lucrative de la contrefaçon et non pas la contrefaçon privée sans but lucratif qui présente un impacte négatif substantiel sur le marché. La prise en compte de la dimension lucrative de la contrefaçon s’avère donc pertinente car elle permet de revenir aux origines du droit d’auteur et du copyright qui est d’assurer artificiellement un monopole sur les œuvres originales. La dimension lucrative ne constitue pas la seule explication mais elle participe de la diminution des revenus des auteurs.

1055. Les législateurs occidentaux ont compris le danger que fait peser la contrefaçon lucrative des prestataires de service sur Internet et notamment des créateurs de liens. Le droit américain s’est donc inspiré de la doctrine de vicarious liability pour étendre le critère des bénéfices financiers à la section 512(d) du Copyright Act. Le législateur américain a cependant adopté une conception différente de celle traditionnelle telle qu’énoncée dans l’arrêt Gershwin , car au lieu de prendre en compte les intérêts financiers, la section 512(d) s’intéresse aux bénéfices financiers directement attribuables à l’activité contrefaisante. La conception des bénéfices s’avère par conséquent plus restreinte dans le DMCA que sous le régime de Common Law.

1056. L’Union Européenne – et par conséquent la France – n’ont pas repris ce critère dans leurs réglementations. En effet, l’article 14 de la directive e-commerce s’applique à tous les prestataires indépendamment de leur caractère lucratif ou gratuit. La directive ne prend donc pas en compte le principe promu par les Pères Fondateurs selon lequel l’Internet constitue un espace non-marchand. Il y avait pourtant lieu de distinguer, comme l’a fait le droit américain, entre les hypothèses où la contrefaçon est effectuée à titre gratuit et celles où elle participe d’un intérêt lucratif. La seconde hypothèse mérite d’être plus facilement sanctionnée que la première.

1057. Le Copyright Act ne prend pas en compte tous les types de revenus. En effet, la section 512(d)(2) dispose que seuls les bénéfices financiers du service provider directement liés à l’activité contrefaisante ont pour résultat d’écarter l’application du DMCA. L’objectif du législateur était ainsi de codifier et de clarifier la solution de l’arrêt Marobie-FL, Inc. v. National Association of Fire Equipment Distributor . L’arrêt avait retenu que le paiement d’une somme unique ne constitue pas un bénéfice financier lié à la contrefaçon , ce qui semblait donc interdire l’établissement de modèles économiques fondés sur le nombre de visiteurs de sites contrefaisants. L’intention simplificatrice du législateur n’a cependant pas été comprise par la jurisprudence.

1058. La jurisprudence s’est en effet interrogée sur la signification de ce critère. L’arrêt Perfect 10 v. CCBill a ainsi retenu qu’il s’agit d’une notion identique à celle retenue dans la théorie de la vicarious liability par la Common Law. L’arrêt retient en effet qu’il existe une règle selon laquelle, lorsqu’une loi utilise un terme véhiculant un sens précis en Common law, les juges sont tenus de se fonder sur le sens établi par la jurisprudence. Une telle solution serait contraire à l’objectif du DMCA qui vise à lutter en amont contre la contrefaçon en sanctionnant les modèles économiques basés sur la contrefaçon. La théorie de la secondary liability vise en effet à introduire un système de garantie en imposant à l’entité supposée disposer de la plus grande surface financière de payer , ce qui semble a priori opposé à la ratio legis du DMCA.

1059. L’arrêt Perfect 10 v. CCBill a rappelé qu’il n’en ira autrement que si la loi contient une définition différente des termes. Or, la doctrine a souligné l’erreur d’interprétation de l’arrêt CCBill. En effet, la citation de la section 512(d)(2) est erronée dans l’arrêt. Cette erreur n’a pas permis de distinguer les termes du DMCA de ceux utilisés par la jurisprudence pour la théorie de la vicarious liability. En effet, la vicarious liability est opposable lorsque le défendeur a un « intérêt (nous soulignons) financier direct dans les activités » contrefaisantes ou un « bénéfice financier direct » issu de la contrefaçon. Le DMCA en revanche n’engage la responsabilité du créateur automatique de liens que s’il reçoit un « bénéfice (nous soulignons) financier directement attribuable à l’activité contrefaisante ». Les formulations sont certes proches mais différentes. Dès lors, si le législateur n’a pas repris les termes utilisés par la jurisprudence pour la vicarious liability dans la section 512(d)(2), cela signifie qu’il entendait lui conférer un sens différent . Le critère des bénéfices financiers est donc une création du Congrès et non pas une codification à droit constant de la théorie de la vicarious liability. La codification de la Common Law s’avère par conséquent partielle. Le DMCA a donc introduit un régime spécial a priori plus favorable aux service providers conformément à la ratio legis.

1060. Ainsi, l’utilisation du terme « recevoir » dans le DMCA implique que le créateur automatique de liens fasse quelque chose de plus que d’avoir simplement un intérêt financier. La distinction aura son importance notamment lorsqu’elle permettra de faire le départ entre les situations où le service provider a un intérêt économique mais qu’il ne perçoit pas directement d’argent, et la situation où son intérêt économique lui permet d’obtenir de l’argent . Le DMCA s’avère donc plus strict que la Common Law car il implique que le créateur de liens perçoive des gains pour écarter l’application du DMCA. La faiblesse de la rédaction est qu’elle écarte les modèles économiques de stratégies de financements croisés qui constituent pourtant une part importante des stratégies commerciales des créateurs automatiques de liens. Cette discrimination entre les modes de rémunération nous semble injustifiée étant donné qu’ils constituent tous les deux des dangers pour les droits des auteurs et plus généralement pour l’incitation à la création, et qu’elle a pour effet d’imposer aux agents économiques un modèle économique alors que, dans un système libéral, l’État n’est pas censé intervenir dans les stratégies commerciales des agents privés.

1061. Le droit américain s’avère en outre complexe à appréhender par rapport au droit européen qui ne s’encombre pas de telles considérations. Or, une telle complexité risque de ralentir le développement de l’Internet car les prestataires de service devront prendre le temps de comprendre – ou d’effectuer des dépenses de recherches – avant d’initier une activité. S’il est normal que tout entrepreneur s’informe sur le régime juridique applicable à son activité, un système trop complexe lui fera supporter une charge injustifiable. Le seuil de complexité acceptable est sans doute atteint aux États-Unis étant donné que l’arrêt Perfect 10 v. CCBill a effectué une confusion entre la vicarious liability et les dispositions de la section 512(d) du Copyright Act.

1062. L’objectif du législateur américain est également différent de celui de la jurisprudence qui a développé la théorie de la vicarious liability. En effet, le DMCA vise à interdire les mécanismes de rémunération reposant sur l’offre de contrefaçons , alors que la jurisprudence a construit le régime applicable de la vicarious liability sur le fondement du principe respondeat superior , c’est-à-dire sur un mécanisme de garantie des dommages causés par les préposés. La conception traditionnelle s’avère dépassée car l’Internet est construit de façon décentralisée afin de ne pas reproduire le schéma pyramidal qui caractérise les sociétés analogiques. Elle aura néanmoins vocation à s’appliquer lorsque le service provider demande à ses salariés de référencer des contrefaçons et que le défendeur est propriétaire du service provider même s’il a créé un trust . En outre, le principe de la vicarious liability est étranger au principe d’incitation à la création de service providers qui irrigue le DMCA. L’introduction du DMCA a donc marqué un véritable changement de paradigme que le droit européen n’a pas emprunté.

1063. Enfin, les travaux préparatoires de la section 512 amènent à conclure qu’il ne s’agit pas d’une codification de la théorie de la vicarious liability. Le rapport du Sénat et de la Chambre des Représentants ont en effet retenu que la section 512(d) constitue un safe harbor – c’est à dire une exception – pour les créateurs automatiques de liens afin qu’ils n’engagent pas leur vicarious liability. Il s’agit d’une différence méthodologique entre le copyright américain et le droit d’auteur français qui a très peu recours aux travaux préparatoires. Il ne s’agit cependant pas d’une ligne de division nette entre les deux systèmes car le droit fiscal français a largement recours aux travaux préparatoires . Il nous semble qu’une meilleure disponibilité des travaux préparatoires en France et en Europe permettrait une convergence méthodologique qui améliorerait l’accès, la précision ainsi que la prévisibilité du droit.

1064. Le DMCA introduit par conséquent une immunité partielle face à la théorie de vicarious liability. Il impose donc d’apporter la preuve de l’existence d’un lien causal plus fort – en utilisant l’expression « directly attribuable » – entre le bénéfice allégué du service provider et l’activité contrefaisante du tiers que ne le fait la théorie de vicarious liability. L’expression « directly attribuable » signifie que le demandeur devra satisfaire un niveau élevé de causalité, comme cela est déjà le cas avec les sections 42 U.S.C. 2000e-5(g)(2)(B)(ii) (2000) ou encore 17 U.S.C. 504(b) (2000). Il requiert également un niveau plus élevé de bénéfices financiers ou de gains effectivement reçus par le service provider comme résultat de la contrefaçon que la théorie de vicarious liability.

1065. La différence dans l’esprit du législateur est donc importante mais elle n’a pas eu les effets escomptés. En effet, de nombreux titulaires de droits poursuivent les prestataires techniques plutôt que les internautes à l’origine des contrefaçons initiales car ils sont plus faciles à trouver et à traduire en justice , et parce qu’ils sont souvent plus solvables. Les créateurs automatiques de liens sont ainsi utilisés comme une garantie au cas où les contrefacteurs ne peuvent être poursuivis. Cette situation pèse sur leur liberté d’entreprendre car ils doivent débourser des frais de justice – particulièrement élevés aux États-Unis – et sont tenus au paiement de dommages et intérêts alors que les contrefacteurs initiaux ne voient pas leur responsabilité engagée. Les créateurs automatiques de liens jouent ainsi le rôle de garantie des auteurs au cas où il serait impossible de trouver les contrefacteurs ou qu’il serait trop onéreux d’engager leurs responsabilités. La situation est similaire en Europe où les créateurs automatiques de liens sont plus faciles à solliciter que les propriétaires de sites Internet. En témoigne notamment, bien que dans un autre domaine, l’engouement pour les notifications aux créateurs automatiques de liens conformément au droit à l’oubli .

1066. Le DMCA introduit néanmoins un système qui, malgré ses faiblesses, s’avère favorable aux créateurs automatiques de liens. Leur responsabilité n’est en effet engagée que si leur activité rémunératrice constitue un moyen de captation de la clientèle – la jurisprudence américaine est à ce titre imagée et parle de paille qui aspire les internautes – et non pas un simple ajout. La logique s’avère donc profondément différente de celle adoptée par le droit français qui sanctionne les contrefaçons indépendamment du fonctionnement du marché. La prise en considération des mécanismes de marché est plus facile pour le juge américain – qui a souvent un Bachelor en économie – que pour le juge continental qui n’est généralement que juriste. Ce dernier aura donc plus de mal à comprendre les mécanismes économiques d’un dossier. Il est donc de bonne justice de ne pas lui confier ce type d’analyse. Ce faisant, le droit américain autorise, à l’inverse du droit français, des rémunérations ponctuelles issues de contrefaçons comme le versement d’une somme forfaitaire provenant de contrefaçons .

1067. Les bénéfices financiers excluant l’application du DMCA peuvent ne pas provenir du site lié mais d’une publicité placée à proximité de l’ancre menant vers la contrefaçon . Cette solution est heureuse car elle permet de couper la contrefaçon à la source. Il aurait autrement été possible de contourner les dispositions du DMCA en obtenant un revenu publicitaire et non pas une redevance régulière du propriétaire du site lié. Le DMCA vise ainsi à interdire tout modèle économique basé sur l’obtention de bénéfices financiers à partir de contrefaçons. La section 512 du Copyright Act se place donc dans le sillage des premières réglementations sur le droit d’auteur – dans la mesure où elle prend en compte la dimension lucrative des contrefaçons – qu’elle modernise pour les particularités de l’Internet.

1068. Le droit américain a néanmoins, à l’inverse des droits européen et français, introduit l’exception de minimis qui permet d’écarter la responsabilité des créateurs automatiques de liens lorsque la contrefaçon est d’une importance négligeable. Ainsi, des revenus provenant de l’aspiration d’internautes ne permettront pas d’engager la responsabilité du créateur automatique de liens s’ils s’avèrent peu importants. Il s’agit d’une idée assez répandue selon laquelle les petits profits sur l’Internet échappent au droit. Ainsi, un projet de plafond en dessous duquel les revenus sur Internet ne devraient pas être taxés a ainsi été présenté en France . Le droit français n’a pas franchi le pas pour appliquer ce principe au droit d’auteur mais l’idée se répand et commence à constituer un principe général de l’Internet. Il nous semble qu’il peut être compréhensible que le droit ne s’applique pas à l’Internet lorsque le réseau est utilisé à des fins non lucratives – dans l’esprit de l’arrêt GS Media BV c. Sanoma – mais qu’il n’est pas souhaitable d’étendre ce principe aux activités seulement peu lucratives car elles entrent en contradiction avec l’idéal libertaire et anarchiste des Pères Fondateurs de l’Internet. L’émergence de ce principe doit donc être arrêtée et il n’y a pas lieu de l’introduire en droit d’auteur européen.

1069. L’approche américaine est donc le fruit d’une réflexion relevant du mouvement dit Law & Economics. Elle présente un intérêt certain en ce qu’elle permet de préserver un marché pour les auteurs qui sont confrontés au risque de la perte rapide de tout marché pour leurs œuvres. Cette mésaventure est arrivée à Spike Jonze qui n’a pas pu signer de contrat de distribution avec la société Apple car son œuvre avait été largement recopiée sans son autorisation sur Internet. Il n’existait en effet plus de marché pour l’œuvre car l’état de rareté avait disparu. L’avocat général de la CJUE – dont le raisonnement a été repris par les juges – a par ailleurs alerté sur le risque de disparition du marché des œuvres à cause de la présence de contrefaçons sur Internet et de leur accessibilité au plus grand nombre. Le droit français assure une protection encore plus large en permettant de protéger le marché des auteurs par l’interdiction de toute violation des dispositions de la directive e-commerce indépendamment du caractère lucratif de l’acte. Il ne se place donc pas dans une perspective relevant du mouvement Law & Economics mais se montre fidèle à sa conception personnaliste et protectrice des droits des auteurs.

1070. Il nous semble cependant que les législateurs devraient prendre en compte la gravité de la situation en fonction des œuvres. En effet, si un film est privé de son marché, cela pourrait avoir des conséquences particulièrement graves car ce type d’œuvre nécessite des investissements généralement importants . Il arrive donc régulièrement que des auteurs d’œuvres cinématographiques prennent des risques élevés. Ainsi, alors que l’absence de marché pour une chanson constituera un obstacle matériel pour l’auteur qui n’aura plus les revenus pour continuer à créer, la perte du marché pour un film risque d’amener les producteurs à faire faillite car ils ne seront pas capables de rembourser leurs dettes. Les droits français et américain ne prennent pas en considération la différence de prise de risque selon les différents types d’œuvres alors que cela a des conséquences importantes sur l’incitation à la création. Il nous semble donc que les juges français et américains devraient replacer les producteurs dans l’état dans lequel ils se trouvaient avant la production du film lorsqu’il a perdu son marché à cause des contrefaçons. Étant donné le montant des sommes investies dans les films, cette solution présenterait un fort effet dissuasif tout en étant juste pour les producteurs qui risquent autrement de faire faillite à cause des contrefaçons commises par autrui. Cette solution pourrait être étendue aux autres formes de créations protégées mais elle aura principalement vocation à s’appliquer dans le domaine cinématographique eu égard aux sommes colossales investies.

1071. Il sera de toute façon plus pertinent de lutter contre la contrefaçon à la base et de poursuivre les contrefacteurs initiaux afin de tenter de supprimer le marché de la contrefaçon. Outre qu’elle s’avère économiquement souhaitable, cette solution permettrait également une meilleure affirmation du principe d’égalité sur l’Internet car les créateurs de liens ne seraient pas responsables à la place des internautes.

1072. Les États-Unis et l’Union Européenne ont introduit des régimes favorisant la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens uniquement. Ils ont cependant nuancé cette liberté en imposant la charge aux créateurs de liens de collaborer avec les auteurs dans la lutte contre la contrefaçon. Si les créateurs automatiques de liens ne collaborent pas avec les ayants droit, leur responsabilité pourra être engagée devant des juridictions étatiques ou par recours à des modes alternatifs de résolution des conflits. Il existe donc un équilibre entre la liberté des auteurs et des créateurs de liens – qui penche en faveur de ces derniers – qui se trouve réajusté par les limites à la liberté d’entreprendre des créateurs de liens.

Conclusion du Chapitre 2

1073. Alors que la France et les États-Unis s’accordent sur le principe de responsabilité du fait personnel, les deux pays ont nuancé leurs règles en matière de droit d’auteur afin d’engager la responsabilité pour contrefaçon du fait d’autrui. En effet, il s’avère beaucoup plus facile et efficace d’engager la responsabilité d’un intermédiaire qui sera souvent plus solvable que le contrefacteur lui-même. Dès lors, deux régimes de responsabilités du fait d’autrui ont été créés aux États-Unis : la responsabilité par fourniture de moyen et par bénéfices économiques de l’activité d’autrui que l’on a sous son contrôle. Le droit français ne connaît qu’un équivalent fonctionnel du premier régime.
1074. Les approches sont radicalement opposées. Alors que le système européen constitue le reflet d’une conception juridique du problème issu d’une réflexion de droit romain, la conception américaine a germé dans l’esprit de juges et d’universitaires ayant dans leur grande majorité une expérience professionnelle en tant qu’avocats abordant par conséquent les questions juridiques de façon plus factuelle et économique. Ainsi, à la rigueur scientifique européenne, la démarche américaine oppose une conception pragmatique et économique.

1075. Malgré ces différences méthodologiques, les régimes de responsabilité par fourniture de moyens convergent sur le principe de la connaissance de la présence d’une contrefaçon. Il s’agit d’une révolution en droit français et d’un retour au régime initial en droit américain. Cependant, toute connaissance ne suffira pas à engager la responsabilité d’un créateur automatique de liens. En effet, il sera nécessaire d’apporter la preuve de l’existence d’une connaissance effective dans les deux systèmes.

1076. Cette connaissance effective est comprise différemment dans les deux pays. Ainsi, l’arrêt américain Viacom a retenu que le standard de connaissance est subjectif, c’est-à-dire qu’une personne humaine doit avoir connaissance de la présence d’une contrefaçon sur la page liée. En revanche, le Conseil Constitutionnel français a retenu dans sa décision 2004-496 que la connaissance doit être subjective et objective, c’est-à-dire que l’élément litigieux doit être manifeste. Les résultats sont par conséquent similaires dans les deux droits. Ainsi, comme dans les « Euménides » d’Eschyle, nous assistons au passage du monde de la vengeance à celui de la responsabilité dès lors que l’on est en mesure de comprendre ses actes. Ce qui s’appliquait traditionnellement aux humains s’étend désormais aux algorithmes.

1077. Cependant, le droit américain a introduit, à la différence du droit français, l’interdiction de l’incitation à la contrefaçon. Ainsi, depuis l’arrêt Grokster, il est fait interdiction aux créateurs de liens de créer un modèle commercial fondé sur le nombre de visite d’un site contrefaisant. Aucune publicité ne peut être présentée autour de l’ancre d’un lien menant vers des contrefaçons. Il s’agit là d’une faiblesse des droits européen et français qui ne prennent pas en compte le modèle économique. Néanmoins, les juges sont incités, depuis le DACG n°2007-1/G3 du 3 janvier 2007 à tarir à la source les échanges illégaux, ce qui pourrait les inciter à se montrer plus fermes lorsqu’ils sont confrontés à ce type de situation.

1078. Les deux droits convergent sur l’engagement de la responsabilité en cas de connaissance apparente. Ce type de connaissance sera retenu notamment si le lien mène vers une page contenant les termes « pirates » ou encore « bootleg ». Cependant, les juridictions se sont montrées très circonspectes vis-à-vis de cette notion et ne l’ont que très rarement accueillie.

1079. Le droit français est en outre moins bien armé que le droit américain pour lutter contre la prolifération des liens menant vers des contrefaçons. En effet, il ne connaît pas la notion d’aveuglément volontaire permettant aux juges américains d’engager la responsabilité d’un créateur de liens dès lors qu’il a refusé de voir les signaux évidents.

1080. À côté du régime de responsabilité pour fourniture de moyens, le droit américain a introduit un régime de responsabilité pour bénéfices économiques de l’activité illicite d’autrui que l’on a sous son contrôle. Ce régime n’est pas fondé sur la surveillance qui a été écartée dans les deux pays. Il se fonde en revanche sur un contrôle a posteriori. Ce type de responsabilité sera opposé dès lors que le créateur de liens aura le droit de contrôler, mais également la possibilité de contrôler. La possibilité de contrôler se comprend comme le fait de pouvoir effectivement contrôler. La connaissance est indifférente dans ce régime.

1081. En outre, les États-Unis ont introduit un régime de responsabilité ad hoc du fait de la création par des enseignants universitaires d’hyperliens. Ce fondement de responsabilité des établissements constitue le résultat d’un équilibre entre la responsabilité des institutions et l’indépendance des enseignants. Il requiert par conséquent la création répétée d’hyperliens vers des contrefaçons. Le problème que ce régime pose réside dans l’introduction de facto d’une obligation de surveillance des personnels enseignants par leur institution de rattachement.

1082. Outre la question du contrôle, il sera nécessaire d’apporter la preuve de l’existence de bénéfices financiers. Pour cela, le demandeur devra apporter aux juges américains plus que la preuve de l’existence d’un simple intérêt financier. Les gains doivent en effet être directement attribuables au créateur de liens. La faiblesse du raisonnement réside dans le fait qu’il écarte les systèmes de financements croisés. Les gains devront être relativement substantiels étant donné que l’exception de minimis fera obstacle à la responsabilité du créateur de lien si les revenus sont faibles.

1083. Le droit américain se montre donc plus apte que le droit français à lutter à la racine de l’atteinte au droit d’auteur car il se montre en mesure de penser le système économique de la contrefaçon.

1084. Il résulte de l’analyse des régimes de responsabilité des créateurs automatiques de liens qu’ils bénéficient de règles particulièrement favorables à leurs activités, et que les jurisprudences se sont globalement montrées accommodantes. Ces régimes ont eu la vertu de permettre l’éclosion de géants de l’Internet qui permettent de mettre le monde entier en réseau et d’échanger des informations à une vitesse jamais égalée auparavant. Les auteurs n’ont cependant pas été les grands gagnants de cette révolution technologique.

1085. Cependant, le régime de l’application du droit d’auteur et du copyright aux hyperliens relève d’un équilibre entre les intérêts des différentes parties. Des limites à la liberté d’entreprendre des créateurs de liens ont par conséquent été introduites.

Titre 2 : Les limites à la liberté d’entreprendre des créateurs de liens et la protection du droit d’auteur

1075. Le droit a une nature duale et à première vue paradoxale. Il est en effet la condition de toute activité sociale humaine et participe par conséquent de la liberté d’entreprendre . Il remplit concomitamment une fonction dogmatique en introduisant l’interdit qui réduit la liberté d’agir et par voie de conséquence la liberté d’entreprendre. En matière d’hyperliens, le droit viendra canaliser tour à tour la liberté d’entreprendre des prestataires de service et des auteurs afin d’assurer la protection de la liberté d’entreprendre de l’autre.

1076. Afin d’assurer l’équilibre jugé pertinent par les législateurs européen et américain entre les intérêts des auteurs, des créateurs de liens et du public, des limitations à la liberté d’entreprendre des créateurs de liens ont dû être introduites. Ils devront en effet traiter les notifications. Les législateurs américain et français ont introduit des procédures ad hoc pour les créateurs de liens automatiques uniquement plus protecteur que celui de droit commun applicable aux créateurs manuels de liens (Chapitre 1).

1077. Si les créateurs de liens violent le droit d’auteur ou le copyright et ne respectent pas les dispositions des régimes de responsabilité ad hoc, leur responsabilité pourra être engagée. Les auteurs disposent d’un arsenal juridique de droit commun et ad hoc afin de faire valoir leurs droits devant des juridictions étatiques ou arbitrales. La possibilité de saisir une juridiction risque de ne constituer qu’une liberté illusoire à deux conditions : si l’auteur n’est pas en mesure d’apporter la preuve de ses allégations et si le montant des dommages intérêts escompté reste faible (Chapitre 2).

Chapitre 1 : L’établissement d’un équilibre des intérêts par les procédures de notifications

1078. Les droits américain, européen et français ont introduit des régimes de responsabilité particulièrement favorables aux créateurs automatiques de liens car ils sont souvent ignorants de la présence de contrefaçons sur leurs réseaux. Les ayants droit devront par conséquent porter expressément à leur intention la présence de ces contrefaçons par le recours à la procédure de notification afin de faire tomber le voile d’ignorance (Section 1).

1079. La liberté des auteurs s’arrête néanmoins là où commence celle des créateurs de liens. Il est par conséquent nécessaire de protéger les prestataires de service contre les notifications infondées qui pèsent indûment sur la liberté d’entreprendre des créateurs de liens. Les deux systèmes juridiques ont introduit des procédures de rétablissement des liens (Section 2).

Section 1 : La procédure de notification et la contrefaçon

1080. Les créateurs automatiques de liens bénéficient d’un régime de responsabilité ad hoc fondé sur leur absence de connaissance de la présence d’une contrefaçon . Si les législateurs américain et européen s’étaient contentés de ces régimes ad hoc, la liberté d’entreprendre des prestataires de services, et notamment des créateurs de liens, aurait indûment fait pencher en leur faveur l’équilibre avec les intérêts des auteurs. Néanmoins, les législateurs américain, européen et français ont prévu qu’ils engageront leur responsabilité dès lors qu’ils disposent d’une connaissance effective ou supposée de la présence d’une contrefaçon. La connaissance effective peut notamment être apportée par un ayant droit qui enverra une notification au créateur de liens. Bien que les législateurs américain, européen et français aient établi des règles encadrant leurs effets, les notifications pèsent sur la liberté d’entreprendre des prestataires de services . Ces derniers jouent donc un rôle dans la lutte contre la contrefaçon sur l’Internet. Les législateurs américain et européen se placent ainsi dans une démarche sartrienne dans la mesure où ils font exister les choses – en l’occurrence les contrefaçons – à partir du moment où elles sont nommées.

1081. Ces approches sont originales car elles impliquent dans la lutte contre la contrefaçon une entité privée – le créateur automatique de liens – alors que la lutte contre les contrefaçons constituait traditionnellement un monopole des ayants droit ainsi que des autorités publiques. Elles s’avèrent en outre populaires car les ayants droit y ont largement recours grâce à la souplesse de leurs procédures et à la facilité d’y recourir.

1082. Les droits américain et européen ont ainsi opté pour un système de co-régulation. Ils obligent en effet les créateurs automatiques de liens à collaborer avec les ayants droit et donc à s’impliquer dans la lutte contre la contrefaçon (Sous-Section 1). Les créateurs de liens seront – selon des modalités différentes dans les deux régimes français et américain – tenus de retirer les liens afin de couper la route vers la contrefaçon (Sous-Section 2).

Sous-Section 1 : La collaboration des ayants droit et des créateurs de liens

1083. Les droits américain et européen ont voulu introduire avec le Digital Millenium Copyright Act de 1998 et la directive e-commerce de 2001 des régimes équilibrés assurant le respect des intérêts des auteurs et la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens. Ils n’ont donc pas fait peser sur les créateurs automatiques de liens d’obligation de surveillance (Paragraphe 1). Ils ont opté pour un subtil mélange de précision et de souplesse des notifications afin de protéger les intérêts de toutes les parties (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Une collaboration limitée à cause de l’absence d’obligation de surveillance

1084. L’histoire récente, et notamment les scandales d’écoutes généralisées , a montré que l’Internet peut constituer un excellent moyen de surveillance de masse. Les législateurs américain et européen étaient conscients de ce risque et ont refusé d’imposer aux créateurs automatiques de liens de surveiller l’Internet afin de faire respecter le droit d’auteur (I). Cependant, la jurisprudence a ponctuellement reconnu l’existence d’un devoir de surveillance dans certains cas précis, relayant a priori l’obligation de surveillance de l’Internet au rang d’exception (II).

I) Le principe de l’absence d’obligation de surveillance

1085. L’Internet libre constitue un excellent moyen pour les utilisateurs d’échanger des idées sans encourir le risque d’être surveillés. Cela permet d’éviter l’autocensure des internautes. En effet, l’existence d’un système de surveillance généralisée a pour conséquence d’amener les internautes ayant des idées qu’ils considèrent comme étant minoritaires à s’autocensurer . L’avènement d’un Internet surveillé n’aurait donc pas été conforme aux idéaux libertaires européen et américain qui ont convergé sur le principe de l’absence d’obligation de surveillance.

1086. Le législateur américain a été le premier à introduire ce principe avec le DMCA. La France a été tentée par l’expérimentation d’une autre voie. En effet, le Ministère de la culture a suggéré en 2000 que les prestataires de service pourraient surveiller l’Internet afin de lutter contre la contrefaçon. Il a en effet suggéré qu’il y avait lieu de demander aux hébergeurs de « vérifier la présence du contenu litigieux, mettre en relation le tiers et l’auteur ou l’éditeur – ce qui permet de résoudre beaucoup de litiges – informer sur les procédures, s’assurer que le plaignant saisira la justice ou qu’elle sera saisie si l’hébergeur a un doute et, le cas échéant, interdire l’accès aux contenus illicites ». Étant donné que le régime des hébergeurs a été étendu aux créateurs automatiques d’hyperliens, cette règle leur aurait été applicable. Cette solution s’avérait être en contradiction avec les idéaux libertaires de l’Internet. Elle n’a cependant jamais été suivie par le législateur et les différentes évolutions législatives n’ont jamais introduit une telle obligation.

1087. L’Union Européenne a en effet clairement rejeté le principe de surveillance de l’Internet par les créateurs automatiques de liens à l’article 15.1 de la directive e-commerce. Les législateurs américain et européen ont ainsi écarté toute obligation de surveillance des prestataires de service – et notamment des créateurs automatiques de liens – afin de ne pas instaurer de surveillance globale de l’Internet. Le législateur français a adopté ce principe dans la loi n°2000-719 du 1er août 2000 qui a introduit l’obligation pour les auteurs de contrôler le respect de leurs droits sans transposer la directive e-commerce. Les prestataires de service n’avaient donc que l’obligation de leur fournir les coordonnées des personnes visées par les plaintes des ayants droit. Les prestataires de service n’avaient ainsi pas d’obligation de surveiller l’Internet. Il a réitéré ce principe lors du vote de la loi de transposition de la directive e-commerce dans la LCEN. Il s’agit donc d’une solution profondément ancrée en droit français.

1088. La solution n’a rien de surprenant aux États-Unis comme en Europe et en France étant donné qu’une mesure s’avérant dissuasive pour la liberté d’expression est généralement considérée comme étant contraire à la liberté d’expression . La solution était donc prévisible. Ce qui surprend sont en revanche les fondements juridiques choisis. En effet, l’absence d’obligation de surveiller l’Internet n’est pas fondée sur la liberté d’expression mais sur le droit à la vie privée aux États-Unis et n’est pas fondée sur un droit fondamental dans la directive e-commerce . L’approche américaine est pertinente étant donné que la liberté d’expression est liée au droit à la vie privée – c’est-à-dire à l’anonymat sur Internet. En effet, le respect de la vie privée permet aux internautes de ne pas voir leurs données personnelles communiquées au monde entier. Cela leur assure un anonymat leur permettant d’exprimer plus librement leurs opinions . Ainsi, en protégeant la vie privée, le législateur américain a protégé la liberté d’expression.

1089. Étant donné que le législateur européen s’est inspiré des dispositions du DMCA pour rédiger la directive e-commerce, il aurait pu s’inspirer de ce raisonnement et l’introduire en droit européen. Le législateur unioniste s’est pourtant contenté d’introduire un principe « d’absence d’obligation générale en matière de surveillance » sans l’asseoir sur un droit fondamental. Cette approche est surprenante étant donné que le droit de l’Union Européenne a connu un mouvement de fondamentalisation que le droit américain n’a pas expérimenté. La CJUE a cependant retenu que le principe de l’absence d’obligation de surveillance est fondé sur la liberté d’information. Les juges ont retenu qu’elle serait atteinte si les prestataires de service étaient tenus de surveiller leurs réseaux. Il s’avérera donc particulièrement ardu de limiter ce principe étant donné que cela reviendrait à limiter la liberté d’information. La CJUE a également fondé son raisonnement sur la liberté d’entreprendre et la solution de l’arrêt Scarlet en affirmant que la directive 2004/48 relative au respect des droits de propriété intellectuelle interdit d’imposer des mesures qui ne seraient pas « équitables et proportionnées » et qui s’avéreraient « excessivement coûteuses ». Une telle obligation constituerait donc une atteinte à la liberté d’entreprise car elle obligerait à mettre en place un système informatique « complexe, coûteux, permanent et [aux] seuls frais » du prestataire de service. Ainsi, l’obligation de surveillance ne respecterait pas « l’exigence que soit assuré un juste équilibre entre, d’une part, la protection du droit de propriété intellectuelle, dont jouissent les titulaires de droits d’auteur, et, d’autre part, celle de la liberté d’entreprise dont bénéficient les opérateurs tels que les prestataires de services d’hébergement ». L’influence des décisions de la CEDH se fait donc ressentir jusque dans les couloirs de la Cour de Luxembourg qui a adopté le principe de l’équilibre entre les libertés fondamentales . Le principe de l’absence d’obligation de surveiller des prestataires de service bénéficie donc d’un ensemble de droits fondamentaux permettant de sanctuariser ce principe. L’Union Européenne sera en outre encadrée dans sa limitation de l’absence d’obligation du droit de surveillance car le Conseil de l’Europe a réaffirmé le principe de l’absence d’obligation de surveillance de l’Internet par les prestataires de service.

1090. Le DMCA présente néanmoins l’avantage de la clarté par rapport à la directive e-commerce. En effet, la section 512(m) écartant toute obligation de surveillance est explicitement applicable à la section 512(d) relative au régime de responsabilité des créateurs automatiques de liens. La directive européenne et les lois françaises n’avaient pas prévu de régime de responsabilité. L’absence d’obligation de surveillance ne s’appliquait initialement pas aux créateurs automatiques de liens. La CJUE a néanmoins étendu le régime juridique des hébergeurs aux créateurs automatiques de liens et a ainsi permis au droit européen de converger vers le droit américain. Les créateurs automatiques de liens ne sont donc pas tenus d’une obligation de surveillance des pages qu’ils référencent. Cette règle est sans doute désuète étant donné que des algorithmes peuvent désormais statuer comme des êtres humains dans 79% des cas . Il serait donc possible de laisser les algorithmes contrôler les pages indexées et de solliciter un contrôle humain lorsque le contenu apparaît illicite étant donné que dans la très grande majorité des cas les algorithmes sont en mesure de déterminer la solution juridique.

1091. Il existe néanmoins un consensus européen et américain sur la question de l’absence d’obligation de surveillance de l’Internet par les créateurs automatiques de liens. La solution actuelle apparaît désuète mais elle présente l’avantage d’avoir écarté le démon de « 1984 » de George Orwell qui avait imaginé une société surveillée à chaque instant.

1092. Les auteurs auraient pourtant pu bénéficier d’une obligation de surveillance qui les aurait aidés à lutter contre les contrefaçons en ligne. Face à la difficulté de combattre seuls les violations de leurs droits, les auteurs ont obtenu certaines concessions qui ont pour effet de limiter le principe de l’absence d’obligation de surveillance des créateurs automatiques de liens.

II) Les exceptions au principe de l’absence d’obligation de surveillance

1093. Le principe de l’absence d’obligation de surveillance débouche sur une certaine irresponsabilité des créateurs automatiques de liens. Les auteurs pâtissent de cette situation dans la mesure où ils ne bénéficient pas d’une collaboration active des créateurs de liens. Les deux droits ont donc divergé sur la question de savoir si le principe d’absence d’obligation de surveillance doit être nuancé. Le droit américain a maintenu une position ferme alors que le droit européen a introduit une exception.

1094. En effet, l’article 15.2 de la directive e-commerce n’interdit pas l’introduction de mesures de surveillance précises et le considérant 47 dispose que les « obligations de surveillances applicables à un cas spécifique » sont autorisées . La directive vise ainsi les obligations de surveillance découlant de « décisions des autorités nationales prises conformément à la législation nationale ». Le considérant 48 dispose en outre que le principe de l’absence de surveillance générale « n’affecte en rien la possibilité, qu’ont les États membres, d’exiger, des prestataires de services qui stockent des informations fournies par des destinataires de leurs services, qu’ils agissent avec les précautions que l’on peut raisonnablement attendre d’eux et qui sont définies dans la législation nationale, et ce afin de détecter et d’empêcher certains types d’activités illicites ». L’article 15 précise ainsi qu’une autorité judiciaire – mais aussi administrative – peut ainsi exiger une mesure de surveillance particulière . La LCEN a repris ce principe à l’article 6-I-7°.

1095. Il existe donc des obligations ponctuelles de surveiller les liens mais elles ne peuvent être sollicitées directement par un ayant droit. Il est ainsi nécessaire de passer par le filtre d’une entité administrative ou judiciaire. Ce truchement d’un tiers devrait permettre d’assurer un contrôle sur le bien fondé de la demande et contrôler que la demande de surveillance respecte les conditions de l’arrêt Scarlet , c’est-à-dire qu’elle soit proportionnée.

1096. L’ouverture à un contrôle administratif constitue une nouveauté en droit français. En effet, il revient traditionnellement au juge judiciaire de contrôler les mesures concernant les libertés . Cependant, la fin du XXe siècle a vu le développement des autorités administratives indépendantes dont les processus de décisions respectent le principe de l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme relatif au procès équitable. Étant donné que la structure juridique n’a a priori pas d’influence sur la qualité des individus prenant des décisions, il n’y a pas lieu de voir dans cette ouverture un risque pour les libertés. La France n’a cependant pas opté pour cette possibilité offerte par le droit européen. Les États-Unis offrent pourtant des exemples d’autorités administratives aptes à rendre des décisions impartiales .

1097. Fort de cette expérience, le droit américain aurait pu adopter une position similaire à celle en vigueur en Europe et autoriser les mesures particulières de surveillance à la suite d’un ordre judiciaire ou prononcé par une autorité administrative indépendante. Cependant, l’attachement au principe de l’Internet libre et la volonté – fondée sur des raisons économiques – de ne pas pénaliser les géants américains de l’Internet, ont débouché sur l’absence d’exception au principe d’absence de surveillance par les prestataires de service.

1098. Les deux droits divergent donc et se fracturent sur une ligne idéologique forte. Ils convergent cependant sur le principe de la collaboration entre les auteurs et les créateurs automatiques de liens par les notifications.

Paragraphe 2 : Une collaboration effective grâce au formalisme et à la souplesse de la notification

1099. Les créateurs automatiques de liens n’engagent leur responsabilité que s’ils ont connaissance de la présence d’un contenu illicite. Or, les hypothèses où ils acquièrent seuls cette connaissance sont rares. Il revient donc aux ayants droit – qui sont les seuls en charge de la surveillance du respect de leurs droits – d’informer les créateurs automatiques de liens la présence de contrefaçons afin de faire tomber le voile d’ignorance. Les législateurs américain et européen ont par conséquent introduit un mécanisme de collaboration entre les auteurs et les créateurs automatiques de liens.

1100. Le législateur européen est resté plus vague que le Congrès américain qui impose expressément le recours à une notification. La directive laisse les États membres libres de choisir les modalités d’information des créateurs automatiques de liens. Il est même possible de suivre – sur le modèle finlandais – une procédure formelle de notification en matière de droit d’auteur et une démarche plus souple dans les autres domaines couverts par la directive e-commerce . Le rapport de la Commission souligne néanmoins qu’il serait préférable d’introduire une procédure commune afin de faciliter la protection des droits des auteurs et de ne pas induire des coûts inutiles pour les ayants droit . Ainsi, alors que les États-Unis respectent le principe de subsidiarité de la Copyright Clause en l’appliquant aux mécanismes de protection des droits, le législateur européen se limite à conférer des droits subjectifs – dont les contours peuvent varier selon les États – sans préciser les modalités de protection de ces droits. L’Union Européenne a opté pour un régime de partage de souveraineté qui paraît incohérent et peu protecteur des auteurs.

1101. Il existe donc une procédure aux États-Unis et autant de procédures que d’États au sein de l’Union Européenne rendant l’analyse compliquée. Une comparaison franco-américaine nous semble de ce fait plus pertinente. Il existe néanmoins des tendances communes. Dès lors, les notifications doivent respecter un formalisme souple dans les deux systèmes dans le but de protéger les créateurs de liens qui doivent être informés de façon adéquate ainsi que les intérêts des auteurs (I). Les ayants droit ainsi que les créateurs de liens doivent par conséquent collaborer afin de lutter contre la contrefaçon en ligne (II).

I) La procédure de notification

1102. Les législateurs américain et français ont introduit des réglementations relativement strictes imposant un formalisme protecteur des créateurs de liens qui doivent être informés de façon adéquate (A). Les deux régimes ont néanmoins établi un équilibre assurant la souplesse nécessaire à la protection des droits des auteurs pour lesquels un formalisme trop rigide aurait pour résultat de les priver de facto de leurs droits (B).

A) Le formalisme des notifications

1103. La notification doit suivre un formalisme relativement rigide aussi bien en Europe qu’aux États-Unis.

1104. En premier lieu, les droits américain et européen divergent sur la question du recours à la forme écrite. Cette règle, qui est à la base des régimes de notifications américain et français n’est pourtant pas facilement accessible. En effet, le DMCA dispose à la section 512(c) relative aux hébergeurs – qui s’applique aux notifications envoyées aux créateurs automatiques de liens – et non pas à la section 512(d) relatives aux créateurs automatiques de liens que la notification doit être écrite. L’arrêt Hendrickson v. eBay a ainsi retenu que la notification par téléphone ne suffit pas et qu’il est nécessaire de faire parvenir un écrit. L’écrit doit être une véritable notification et non pas un simple courriel mais il peut constituer un red flag . Les dispositions de la section 512(c)(3) relative à la notification et la solution de l’arrêt eBay sont pourtant applicables aux créateurs automatiques de liens étant donné que la section 512(d)(3) renvoie à la section 512(c)(3) en la matière. La notification doit par conséquent être écrite aux États-Unis. Le droit européen ne prend pas position sur la question et il semble donc autoriser les notifications orales. Le droit français n’impose pas expressis verbis le recours à un écrit, mais le terme de notification renvoie traditionnellement à un écrit car il s’agit d’un acte . Le droit français laisse donc reposer le régime de protection des droits des auteurs sur une sorte de connaissance commune, ce qui s’avère peu protecteur et rend l’accès au droit aux profanes pour le moins ardu. Ce manque de clarté est d’autant plus surprenant que les droits américain et européen visent à assurer des régimes juridiques sécurisants afin d’encourager le développement de prestataires de services et notamment de créateurs automatiques de liens. Il était donc nécessaire de créer des normes facilement accessibles pour des petites structures et non pas un ensemble de règles confuses compréhensibles uniquement par des juristes expérimentés. Cette faiblesse est compensée par le fonctionnement même de l’Internet qui est le domaine de l’écrit. Le droit français converge néanmoins vers le droit américain dans la mesure où les règles de preuve impliquent le recours à un écrit. Cependant, alors qu’en droit américain le recours à l’écrit constitue une norme de fond, il s’agit d’une règle de preuve en France.

1105. Les deux droits appliquent aux créateurs automatiques de liens le formalisme de la notification applicable aux hébergeurs. La notification écrite doit ainsi mentionner l’œuvre originale contrefaite d’une part ainsi que les contenus allégués d’être contrefaisants d’autre part. Le droit américain a expressément introduit cette obligation dans le DMCA . Le droit français adopte une approche similaire mais a rédigé cette obligation différemment. La LCEN oblige en effet les expéditeurs de la notification à décrire les faits litigieux. La Cour de cassation a ainsi fait obligation aux émetteurs d’une notification de préciser l’œuvre originale ainsi que les contenus argués de contrefaçon. Les deux droits convergent donc, mais la LCEN est obligée d’adopter une rédaction plus englobante car son application n’est pas limitée au droit d’auteur. Pour adopter ce raisonnement, la Cour de cassation s’est fondée non pas sur les dispositions de la LCEN, mais sur le droit du destinataire de la notification à se « défendre utilement ». À défaut de précision, il serait en effet impossible pour le destinataire de se défendre. Les juges de la Cour de cassation ont ainsi repris le raisonnement que la CJCE dans l’arrêt A. Ahlström Osakeyhtio et autres c. Commission . Les juges de Luxembourg avaient fait obligation au demandeur de permettre au défendeur d’être en possession des informations nécessaires – même sommaires – afin d’assurer sa défense. L’obligation de décrire ou d’identifier l’œuvre relève donc du droit à un procès équitable. La CJCE n’a pas innové et a pris en compte les traditions judiciaires européennes . Le droit américain ne s’est pas fondé sur cette approche bien que l’obligation de communiquer les informations nécessaires pour la défense existe également en droit américain .

1106. Cette divergence souligne les différences de conceptions du rôle des notifications. Le droit français impose en effet une obligation d’exhaustivité et de clarté aux expéditeurs afin qu’ils puissent se défendre utilement dans le cadre d’un procès, alors que le droit américain vise à assurer la meilleure communication possible entre les parties afin de leur permettre de résoudre amiablement leur conflit. La notification est pensée comme constituant la première marche vers le procès en France – et ce bien que l’article 17.1 de la directive e-commerce impose aux États membres d’autoriser les résolutions extrajudiciaires des litiges entre les internautes et les prestataires techniques – alors qu’elle constitue un moyen alternatif de résolution des litiges aux États-Unis.

1107. En outre, afin de résoudre le conflit, les notifications doivent préciser l’identité de l’expéditeur . On voit ici le principe selon lequel « nul ne plaide par procureur » qui impose aux justiciables à l’origine de la saisine d’un juge de dévoiler leur identité. Les droits français et américain divergent néanmoins sur les modalités d’identification. Les deux droits requièrent de l’expéditeur qu’il fasse mention de son adresse physique , mais seul le droit français impose à l’expéditeur de préciser son nom. Le droit américain ne demande qu’une adresse car ce qui lui importe est de donner un contact à l’ayant droit lui permettant de régler le litige sans passer par le juge. Il n’est en effet pas nécessaire pour résoudre un litige hors tribunaux d’avoir connaissance de l’identité de l’expéditeur de la notification. Le droit américain requiert néanmoins des expéditeurs qu’ils signent les notifications . Cette obligation permettra dans certains cas de dévoiler l’identité de l’expéditeur. Le droit français va plus loin dans l’identification des expéditeurs des notifications en opérant une distinction entre les personnes physiques et les personnes morales. Les premières devront également communiquer leurs professions, leur nationalité, leurs dates et lieux de naissance ; alors que les secondes devront mentionner leurs formes, leurs sièges sociaux et les organes qui les représentent. Le droit français oblige donc à mentionner les éléments qui devront être communiqués aux juges dans le cadre d’un procès alors que le droit américain vise avant tout à permettre aux parties de régler le litige en dehors des tribunaux.

1108. Le droit américain impose également, à l’inverse du droit français, que soient communiqués le numéro de téléphone ainsi que l’adresse e-mail. L’absence d’obligation de mentionner le numéro de téléphone ainsi que l’adresse e-mail en France est encore symptomatique des différences d’approche. Leur mention dans la notification américaine permet aux service providers d’entrer rapidement en contact avec l’éditeur et d’avoir des discussions informelles, alors que le droit français prépare une procédure écrite telle que celle en vigueur devant le Tribunal de grande instance. Il aurait cependant été souhaitable d’introduire cette obligation en droit européen et en droit français afin que les parties puissent se contacter facilement dans le but de résoudre leur litige. Cette différence n’aura cependant pas beaucoup de conséquences pratiques car les notifications peuvent être envoyées par e-mail et, dans cette hypothèse, le destinataire de la notification aura connaissance de l’adresse e-mail de l’expéditeur. L’avantage du droit américain pour les créateurs de liens réside néanmoins dans le fait que si l’adresse e-mail utilisée est fausse la procédure sera invalide et il ne sera donc pas nécessaire de donner suite. Cela permet de préserver la stabilité des liens et avec elle l’accès à Internet.

1109. Les deux droits divergent néanmoins sur l’obligation de préciser le destinataire de la notification. La LCEN requiert ainsi que soient mentionnés le nom ainsi que le domicile du destinataire. Étant donné que la loi française distingue entre les personnes physiques et les personnes morales, elle précise que si le destinataire est une personne morale il sera nécessaire de préciser sa dénomination ainsi que son siège social. Il s’agit d’une adaptation aux particularismes de la personne morale. Le droit américain n’impose pas cette formalité aux expéditeurs de notifications car la notification constitue un échange entre les parties et il n’est donc pas nécessaire de préciser la qualité du destinataire alors qu’en France la notification est pensée comme constituant un acte judiciaire en puissance. Il est par conséquent nécessaire de préciser les deux parties en litige dans la notification française pour le juge.

1110. Un autre point de divergence entre les deux systèmes est la question de la bonne foi. Le DMCA impose en effet de rédiger un écrit précisant que la notification portant sur le caractère illicite des contenus visés est effectuée de bonne foi . Il s’agit d’une condition de validité de la notification . Dès lors que la notification est envoyée de bonne foi, son expéditeur n’engagera pas sa responsabilité même si elle est mal fondée . Le droit français n’impose pas cette obligation mais exige que l’expéditeur argumente son affirmation en décrivant les faits litigieux et en expliquant la raison pour laquelle le contenu doit être retiré. Il doit pour cela mentionner les dispositions légales pertinentes et expliquer dans quelle mesure elles sont applicables aux faits. Le clivage est important entre le droit américain qui – peut-être naïvement – demande simplement aux internautes d’être de bonne foi, et le droit français qui impose aux expéditeurs de notifications de justifier leur point de vue.

1111. Il s’agit là non pas d’une simple différence normative mais du reflet d’une différence culturelle. Les deux pays ont une tradition judéo-chrétienne qui interdit le mensonge, mais la conception protestante et rigoriste des premiers siècles des colonies américaines a fortement influé sur la conception du mensonge . Les États-Unis ont ainsi régulièrement recours au mécanisme de l’affirmation de la bonne foi lors de la fourniture d’informations . La parole donnée est traditionnellement plus importante aux États-Unis qu’en France où le rapport à la vérité est plus distendu . À l’inverse, étant donné que le droit français fait peu confiance à la parole donnée – en dehors du cas de l’aveu judiciaire – depuis la fin du Moyen-Âge , il requiert des parties qu’elles justifient leurs prétentions. L’interdit du mensonge est donc beaucoup plus fort aux États-Unis qu’en France et la divergence entre les règles françaises et américaines est en partie le fruit des différences culturelles. Dès lors, le recours à l’obligation de l’affirmation de la bonne foi aura un meilleur impact aux États-Unis qu’en France où les relations reposent sur l’argumentation. La conception moraliste américaine s’oppose donc à la conception sophiste française.

1112. Enfin, les deux systèmes divergent sur la procédure à suivre avant la saisine du juge. Le droit français requiert des ayants droit qu’ils fournissent au créateur automatique de liens la « copie de la correspondance adressée à l’auteur ou à l’éditeur des informations ou activités litigieuses demandant leur interruption, leur retrait ou leur modification ». À défaut, l’ayant droit devra fournir la preuve que l’auteur ou l’éditeur n’a pu être contacté. Cette procédure fait écho à celle instaurée à l’article 56 du Code de procédure civile qui impose de préciser dans une assignation les « diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable du litige » sauf s’il existe un « motif légitime tenant à l’urgence ou à la matière considérée ». La procédure de la notification est cependant plus rigide dans la mesure où elle exonère l’expéditeur de la recherche d’une solution amiable que si l’auteur ou l’éditeur ne peut être contacté et ne prend donc pas en considération les motifs légitimes. La LCEN fait également obligation, à l’inverse du DMCA, de mentionner la date d’envoi tout comme la requête ou la déclaration . Le droit français conçoit donc, à l’inverse du droit américain, les relations entre les ayants droit et le créateur de liens comme une période de préparation au litige alors qu’il s’agit d’une phase de résolution à l’amiable aux États-Unis.

1113. L’Union Européenne n’a pas harmonisé la procédure de notification et chaque État membre a donc une procédure qui lui est propre. L’approche française n’est pas la plus protectrice des intérêts des créateurs automatiques de liens. En effet, elle n’a pas opté, à l’inverse de certains États membres de l’Union Européenne, pour des procédures assurant un meilleur contrôle du bien fondé de la notification. Le Royaume-Uni a en revanche introduit un régime de notification indirecte via la Internet Watch Foundation. Elle centralise les notifications portant sur des contenus illicites et notamment de nature criminelle ce qui permet l’introduction d’un tiers impartial. La Belgique a judiciarisé la procédure en imposant aux expéditeurs de notifications de les envoyer auprès du parquet. Les approches sont donc éclatées en Europe. La France a opté pour une procédure complètement déjudiciarisée en confiant la résolution du litige aux seules parties sans introduire un tiers. Cette approche est certes conforme à l’idéal d’un monde purgé de conflits, mais elle ne prend pas en compte le monde tel qu’il est car aucune société ne peut fonctionner sur la base de l’autorégulation des individus . Bien que cela aurait ralenti le traitement des notifications, le recours à un tiers aurait permis non seulement un contrôle du bien fondé des notifications par une entité non intéressée dans le litige – et donc a priori plus objective – et aurait pu constituer un facteur de médiation entre les parties de nature à résoudre les litiges de la façon la plus satisfaisante possible pour les parties. La gestion du différend directement par les deux parties risque de permettre aux moteurs de recherche – qui sont en position de force face aux auteurs – de privilégier leurs intérêts face à ceux des ayants droit.

1114. Ce manque d’harmonisation ne semble satisfaire que les souverainistes européens qui ne prennent pas en compte les difficultés que cette situation présente pour les titulaires de droit. En effet, les ayants droit sont tenus de se renseigner, s’ils souhaitent émettre des notifications dans tous les États de l’Union Européenne et aux États-Unis, sur les détails de 29 procédures. Il n’est pas évident que tous les auteurs accepteront d’engager les dépenses nécessaires afin de louer les services d’avocats dans les 29 États . Ils risquent ainsi de se concentrer sur quelques pays – et notamment les plus importants en terme de part de marché – dont les États-Unis et la France. Il existe donc un risque de créer de facto des paradis numériques au sein de l’Union Européenne lorsque les marchés sont trop limités. Cette situation constitue donc une prime à la contrefaçon pour les plus petits États de l’Union Européenne. Il apparaît que la vision des souverainistes est lacunaire car un pays est plus indépendant – du moins culturellement – lorsqu’il est capable de protéger ses auteurs et d’encourager à la production intellectuelle en ayant établi une procédure commune en collaboration avec d’autres États que dans la situation inverse. De surcroît, cette absence d’harmonisation privilégie les auteurs dont les publics sont dans les plus grands pays car il leur sera plus souvent possible et économiquement faisable d’envoyer des notifications. En revanche, les frais de recherche et d’envoi de notification risquent de dépasser les gains escomptés dans les aires culturelles plus circonscrites. Cette différence serait fortement amenuisée s’il existait une procédure unique pour toute l’Union Européenne.

1115. Les États-Unis et l’Union Européenne devraient en outre harmoniser leurs procédures autour du modèle britannique afin de maintenir une procédure déjudiciarisée tout en assurant un contrôle par un tiers. Il est évident que cela ne constituerait pas une solution à tous les problèmes, mais un mécanisme de médiation pourrait ainsi être proposé aux ayants droit et aux internautes. La constitution d’un modèle unique occidental présenterait par ailleurs l’intérêt d’être particulièrement influent et inciterait d’autres États à adopter des règles communes. Cela favoriserait l’émergence d’un jus commune protecteur des auteurs et plus généralement de l’Internet car les modèles occidentaux rejettent l’idée de surveillance de l’Internet par les créateurs de liens.

1116. Heureusement, les droits français et américain font preuve d’une certaine souplesse qui permet d’atténuer les complexités des deux régimes, et assure la prise en compte d’un grand nombre de notifications.

B) La souplesse des notifications

1117. La souplesse dans les notifications est non seulement nécessaire pour compenser la difficulté que présente l’existence de 29 systèmes juridiques différents – c’est-à-dire les États membres de l’Union Européenne et les États-Unis – mais également parce que la résolution des litiges sur Internet requiert une vitesse peu compatible avec des procédures rigides et lentes, mais également afin de ne pas rejeter des notifications rédigées par des auteurs qui ne sont pas des professionnels du droit. Il est en outre préférable que les auteurs disposent du maximum de temps pour se concentrer sur la création. Le droit doit donc leur imposer le moins de contraintes possibles et donc le moins de recherches juridiques possibles. Enfin, une procédure rigide opposable aux hébergeurs ainsi qu’aux créateurs automatiques de liens présenterait peu de pertinence étant donné que les caractéristiques de chaque service changent. La souplesse dans les notifications permettra de mieux prendre en compte les spécificités des destinataires.

1118. Ainsi, ni le DMCA ni la directive e-commerce ne précisent les modalités d’envoi de la notification. Dès lors, il est possible de l’envoyer par courrier, par télécopie comme cela a été le cas pour la société Zadig Productions dans l’arrêt Dailymotion c. Zadig , ou encore par e-mail. Cette souplesse était souhaitable car il s’agit de procédures qui visent à résoudre les différends sans présenter de litige à une juridiction. Il est donc nécessaire d’assurer la plus grande souplesse possible dans les modalités de communications pour les parties dans le cadre d’une procédure amiable. Cela permet de réagir plus rapidement et de ne pas perdre de temps à cause de nullités alors que la vélocité est un élément clé de la lutte contre la contrefaçon sur Internet.

1119. Outre cette question où la France et les États-Unis ont convergé, le droit américain a fait preuve de plus de souplesse que le droit français. En effet, l’arrêt Perfect 10 v. CCBill a vu sa notification rejetée car elle contenait 25 000 photographies. L’arrêt a considéré qu’une telle notification ne s’avère pas sérieuse. La notification doit être d’une taille raisonnable pour les service providers. Afin d’équilibrer les intérêts des service providers avec ceux des ayants droit qui veulent opposer leurs prérogatives, le DMCA accepte que ne soit mentionnée qu’une liste représentative des contrefaçons faisant obligation au créateur automatique de liens de retirer tous les contenus. Cette approche n’est pas surprenante aux États-Unis car il est de pratique courante, notamment pour le Copyright Office, de ne contrôler que certains éléments d’une notification lorsqu’elle s’avère particulièrement longue. Cette règle est sans doute plus pertinente lorsqu’elle est opposée aux hébergeurs qu’aux créateurs automatiques de liens étant donné qu’ils stockent les contenus sur leurs serveurs et qu’ils pourront retrouver aisément tous ceux téléchargés par un même internaute. Cette facilité de l’accès aux contrefaçons est moins évidente pour les créateurs automatiques de liens qui ne peuvent contrôler tous les contenus mis en ligne par un même internaute. Il est cependant exclu que l’expéditeur puisse se contenter d’une liste vague faisant simplement référence à l’ensemble des œuvres d’un artiste . La jurisprudence a parfois exigé la mention des adresses URL de chaque contrefaçon . La souplesse américaine vient donc du fait que les expéditeurs d’une notification doivent limiter sa taille afin qu’elle puisse être traitée facilement. Cela évite de peser de façon disproportionnée sur les créateurs automatiques de liens, ce qui renforce leur liberté d’entreprendre. Le droit français adopte la solution inverse.

1120. En effet, le jugement du TGI de Paris , dans l’affaire dite Jimmy Hendricks, a fait obligation aux parties d’apporter la preuve de l’originalité de chaque copie arguée de contrefaçon. La décision constitue la règle du TGI de Paris qui est particulièrement influant en matière de droit d’auteur. Les ayants droit, qui seront nombreux à le saisir, ne pourront donc pas présenter une notification incomplète. À défaut, les demandes ne seront pas prises en compte et devront faire l’objet d’un autre procès. La règle pourra être plus souple devant d’autres TGI, mais le principe du contradictoire devrait imposer aux parties de préciser et d’expliquer chaque argument. Il conviendra donc de mentionner toutes les contrefaçons dès l’étape de la notification.

1121. La notification doit en outre préciser l’emplacement du contenu contrefaisant. Cette obligation est particulièrement pertinente pour les créateurs automatiques de liens qui, à défaut, seraient tenus de contrôler l’intégralité de l’Internet. Elle est moins utile – mais tout de même pertinente – pour les hébergeurs bien qu’ils aient un accès plus aisé aux contenus qui se trouvent sur leurs réseaux. Le législateur américain a adopté une approche plus souple en la matière que le droit français. En effet, le DMCA ne requiert que des informations raisonnablement nécessaires afin de localiser le contenu. Il n’est donc pas nécessaire d’apporter toutes les précisions possibles dès lors que leur obtention nécessiterait des recherches déraisonnables. Cette formulation est particulièrement imprécise et ne participe pas à l’établissement d’un régime juridique certain et prévisible pour les créateurs automatiques de liens. Elle autorise cependant la rédaction de notifications plus courtes et accélère ainsi le processus de résolution des conflits, ce qui s’avère favorable pour les ayants droit. La LCEN impose en revanche que la localisation précise soit mentionnée dans la notification. Le droit français n’a pas précisé s’il était nécessaire de mentionner l’adresse URL mais la différence de rédaction des deux lois laisse penser que les juges français n’accepteront que les notifications précisant l’adresse URL car il s’agit du seul moyen de fournir la localisation précise. La jurisprudence américaine a quant à elle pu considérer que l’absence de mention de l’adresse URL fait obstacle à l’information du créateur automatique de lien et empêche de faire tomber le voile d’ignorance. Les deux droits vont donc certainement converger sur le critère de la communication de l’adresse URL. Étant donné qu’il s’agit d’un formalisme très simple permettant d’économiser du temps aux créateurs automatiques de liens – ce qui limite le poids sur leur liberté d’entreprendre au strict nécessaire – il y a lieu d’imposer une telle obligation.

1122. Enfin, le formalisme a été globalement nuancé par la jurisprudence américaine qui a accepté que les notifications ne respectent qu’une part substantielle des conditions imposées dans l’arrêt ALS Scan v. RemarQ Communities . Il a ainsi été retenu qu’une notification comportant les noms des auteurs et des œuvres avec des copies d’écran du site litigieux sur lesquelles les liens pertinents avaient été surlignés et marqués par un astérisque respectait suffisamment les conditions de la notification et ce, alors que les adresses URL n’étaient pas mentionnées. Le droit français devrait converger vers le droit américain sur le fait qu’il n’écartera pas les notifications pour de simples erreurs techniques telles qu’une faute dans un nom dès lors qu’elle peut être réparée.

1123. La jurisprudence américaine se montrera en revanche plus flexible sur ce dernier point. En effet, lorsque la notification concerne une œuvre mise en ligne avant sa sortie officielle, la jurisprudence accepte un formalisme plus souple des notifications. Ainsi, l’arrêt Hendrickson a retenu que, dans les hypothèses où les auteurs d’un film n’ont pas autorisé sa sortie, toutes les copies sont illicites et leur recherche nécessite un examen moins approfondi que dans les cas où il existe concomitamment des reproductions licites et des contrefaçons. Cette solution est particulièrement protectrice des auteurs en leur permettant de se libérer d’un carcan formaliste lorsque le bien fondé de leur demande ne fait pas de doute. La solution américaine est d’autant plus intéressante qu’elle permet de réagir rapidement lorsqu’une œuvre est mise en ligne avant sa date de sortie officielle alors que cela pourrait compromettre l’avenir économique de l’œuvre et donc les chances de revenus de son auteur. Cela assure le respect de l’état de rareté artificielle qui permet d’opposer un prix sur l’œuvre, et évite une situation comme celle qu’a connue Spike Jonze dont l’œuvre avait perdu sa valeur marchande à cause du piratage. Afin d’assurer le respect des intérêts des auteurs, la jurisprudence française devrait adopter une approche similaire.

1124. Les deux systèmes ont donc adopté des régimes fortement divergents. Cette différence est surprenante dans la mesure où ils poursuivent tous deux l’objectif de l’établissement d’un équilibre entre les intérêts des auteurs et ceux des créateurs automatiques de liens. Les États-Unis ont ainsi privilégié le pragmatisme d’une réponse rapide alors que la France s’inscrit dans une approche judiciarisée qui s’avère beaucoup plus lourde à cause de l’obligation du respect du principe du contradictoire. La France continue donc à ne pas se fier aux agents privés pour trouver une réponse juste alors que les États-Unis visent à déjudiciariser le plus possible afin d’aboutir à des solutions non contrôlées par une entité étatique. Deux modèles de civilisations s’opposent.

1125. Il existe par conséquent un formalisme relativement plus souple aux États-Unis pour les notifications qu’en France. Malgré les divergences, les procédures s’inscrivent dans le cadre d’une collaboration entre les créateurs de liens et les ayants droit.

II) La collaboration entre les créateurs de liens et les ayants droit

1126. Les droits américain et français ont écarté l’intervention de l’État ainsi que de tous tiers dans la gestion des litiges relatifs aux hyperliens et ont laissé la gestion de ces problèmes aux ayants droit et aux créateurs automatiques de liens. Ainsi, une fois la notification reçue par les créateurs automatiques de liens, ils ont l’obligation d’examiner des notifications (A) dont les ayants droit auront contrôlé le bien fondé (B). La collaboration impose donc un travail des deux parties pour la lutte contre la contrefaçon et nécessite d’imposer aux ayants droit et aux créateurs de liens d’agir de bonne foi.

A) L’examen de la notification par les créateurs de liens

1127. La collaboration s’effectue entre un ayant droit et un prestataire de service. La recherche d’un équilibre entre les intérêts des différentes parties est à l’origine de l’émergence de régimes juridiques applicables à la réception (1) et au traitement (2) des notifications.
1) La réception de la notification

1128. Tout d’abord, les créateurs automatiques de liens doivent être en mesure de recevoir correctement les notifications. Cela leur impose d’instaurer un mécanisme de réception des notifications. Le droit américain disposait déjà d’un modèle alors que le droit français a dû innover.

1129. Le législateur américain s’est en effet inspiré de mécanismes existant déjà en droit des sociétés. La loi commune américaine sur le droit des sociétés , ainsi que la loi uniforme sur les partnerships – qui n’ont pas de valeur obligatoire mais ont influé sur la rédaction des lois des États fédérés relatives aux sociétés et aux partnerships – suggèrent de prévoir qu’un membre de la société sera en charge de la réception des plaintes du public . Le registered agent reçoit les notifications et les mises en demeure afin de les transférer à la dernière adresse connue de la société . Ce modèle a été repris par le législateur qui l’a imposé à la section 512(c) du Copyright Act relative aux hébergeurs. L’agent doit être enregistré auprès du Copyright Office et il est tenu de communiquer à l’agence fédérale son nom, son adresse, son numéro de téléphone, son adresse électronique et toutes les informations réputées nécessaires par les agents fédéraux .

1130. Cette obligation n’a cependant pas été étendue aux créateurs automatiques de liens car la section 512(c)(2) dispose explicitement que l’obligation d’avoir un agent ne s’applique qu’aux hébergeurs. Cette solution est pour le moins surprenante étant donné qu’il s’agit d’un mécanisme largement diffusé aux États-Unis et donc facile à reproduire pour les créateurs automatiques de liens qui disposent généralement d’un agent dès lors qu’ils sont constitués en sociétés ou en partnership. En outre, les dispositions des sections 512(c) et 512(d) du Copyright Act sont relativement similaires et les solutions jurisprudentielles sur l’une constituent souvent des précédents pour l’autre. Il est par conséquent surprenant d’avoir écarté l’obligation de constituer un agent pour les créateurs automatiques de liens car cette distinction n’assure pas une meilleure protection des auteurs ni des service providers. Il aurait été préférable d’introduire l’obligation pour tous les service providers d’avoir un agent spécialisé dans les notifications relatives aux contrefaçons. Cela aurait facilité le contact avec les créateurs automatiques de liens et, en spécialisant un service sur cette question, les notifications auraient été traitées plus rapidement. Néanmoins, étant donné que certains créateurs automatiques de liens ont également une fonctionnalité de serveur leur imposant d’avoir un agent, il sera de facto possible de s’y adresser.

1131. Le droit français ne connaît aucune obligation similaire et converge donc vers le droit américain en matière de responsabilité des créateurs automatiques de liens. Les requêtes à l’égard des sociétés doivent être envoyées au siège de la société ou à l’adresse de l’une de ses succursales conformément à la théorie des gares principales en droit français. En droit américain, à défaut de précision du DMCA, il y a lieu d’appliquer le droit commun à l’instar du droit français.

1132. Les droits américain et français convergent donc globalement sur les modalités d’envoi des notifications. Cela permettra donc, dans une perspective sartrienne , de faire exister effectivement la contrefaçon en droit. L’existence d’un contenu litigieux devra par conséquent être prise en compte par le créateur automatique de liens.

2) Le traitement de la notification

1133. À la suite de la réception de la notification, les créateurs automatiques de liens doivent collaborer en mettant un terme au lien mentionné dans la notification. Les droits français et américain ont initialement profondément divergé sur le rôle des prestataires techniques. En effet, le DMCA ne fait aucune mention de l’obligation de contrôler le bien fondé des notifications. Les créateurs automatiques de liens ont donc intérêt à retirer les liens sans contrôler le bien fondé de la notification . En droit français en revanche la LCEN , transposant en droit français les dispositions de la directive e-commerce , impose aux créateurs automatiques de liens de contrôler le bien fondé de la notification. Il existe donc une divergence de principe entre les deux systèmes.

1134. Les divergences législatives n’ont dans un premier temps pas été traduites par des différences de solution en jurisprudence et les droits français et américain ont initialement convergé . En effet, les juges français ont initialement procédé à une lecture contra legem des dispositions de l’article 14 de la directive e-commerce. La Cour de cassation a ainsi retenu que la réception de la notification fait obligation au prestataire de service de retirer le contenu litigieux. Les juges sont ainsi allés à l’encontre de la lettre de la directive et de la LCEN dans l’objectif d’assurer une protection forte du droit d’auteur. Les juges français se sont donc placés dans la tradition jurisprudentielle française qui, depuis le XIXe siècle lorsqu’elle a procédé à une reconnaissance prétorienne des droits moraux, a cherché à renforcer les prérogatives des auteurs.

1135. Les juges américains et français ont en outre adopté une conception très moderne en appliquant le principe de la neutralité des prestataires techniques . Le paradigme de la neutralité des prestataires techniques s’est donc trouvé appliqué à l’analyse d’une notification car ils n’avaient pas l’obligation de contrôler le bien fondé des notifications. Cette solution s’avérait particulièrement protectrice de la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens qui n’avaient ainsi pas besoin d’effectuer des dépenses importantes afin d’analyser les notifications des auteurs. En outre, les créateurs automatiques de liens voyaient leur tâche facilitée car ils bénéficiaient de régimes juridiques similaires aux États-Unis et en France sur cette question, ce qui facilitait leur installation dans les deux pays.

1136. La jurisprudence française tend néanmoins à diverger de celle américaine et à évoluer vers une lecture plus rigoureuse des dispositions de la directive et de la LCEN . Ainsi, un jugement du Tribunal de Grande Instance de Paris – dont la décision ne constituait peut-être pas la position du droit français – a procédé dans un premier temps à un examen du caractère manifeste de l’illicéité et, constatant que celui-ci faisait défaut, il a retenu que le prestataire de service n’engageait pas sa responsabilité pour l’absence de retrait. Le TGI a néanmoins ordonné à l’hébergeur de déréférencer le contenu. Le prestataire technique n’engagera donc sa responsabilité que si le caractère illicite est manifeste ou s’il n’obtempère pas à la décision de justice et non pour absence de retrait à la suite de la réception de la notification. Or, pour savoir si le caractère illicite est manifeste il est nécessaire de contrôler le contenu argué de contrefaçon. Le TGI de Paris introduisait ainsi – à l’opposé des dispositions du DMCA – l’obligation pour les créateurs automatiques de liens de contrôler le bien fondé d’une notification. Cette solution a été confirmée l’année suivante par la Cour d’appel de Paris dans un domaine autre que le droit d’auteur. Cependant, étant donné que les dispositions de la LCEN sont d’application transversales, la solution aura vocation à s’étendre au droit d’auteur. Le droit français semble donc imposer désormais aux créateurs automatiques de liens une obligation de contrôle du bien fondé des notifications. La solution dégagée par le TGI et la Cour d’appel de Paris permet de pallier le risque élevé de notifications abusives . Le droit allemand a adopté une approche plus nuancée – et donc une troisième voie – en retenant que le créateur de liens n’engagera sa responsabilité que s’il n’a pas pris des mesures raisonnables afin de retirer le lien. Il en résulte de fortes divergences entre les États de l’Union Européenne – où l’harmonisation a été effectuée a minima – et les États-Unis et ce, au détriment des auteurs. Un rapport propose d’introduire un système de notification européen sur le modèle français – qui présente l’avantage pour les auteurs d’être le plus similaire au modèle américain permettant ainsi de ne pas être confronté à des procédures trop différentes en Occident – mais cette proposition n’a toujours pas été reprise par le Parlement européen.

1137. Néanmoins, certains auteurs se sont élevés contre cette situation. Il a donc été proposé que les litiges soient dans un premier temps présentés à un tribunal arbitral en ligne afin de prendre une décision sur le bien fondé de la notification . L’avis du collège arbitral constituerait un « smell test », c’est-à-dire un contrôle de l’ambiance légale ou illégale du litige et notamment de la légalité du lien. Ce type d’approche est assez courant dans la tradition de Common Law mais elle constituerait une innovation sans doute mal comprise par les juristes de Civil Law qui ont l’habitude de concepts clairs et précis dans la tradition romaine. Cette procédure en ligne constituerait cependant un moyen rapide et efficace de traiter les notifications – qui pourraient être reçues par un agent en ligne – tout en assurant un contrôle minimal par un tiers des notifications. Cela permettrait de limiter l’impact des notifications infondées qui seraient ainsi rejetées. Il est difficile de déterminer a priori l’intérêt de cette procédure et il y a sans doute lieu de laisser aux parties la possibilité de recourir à cette modalité de résolution des conflits. Ce type d’arbitrage présentera sans doute l’intérêt de diminuer les coûts pour des litiges impliquant souvent de faibles sommes d’argent.

1138. Le droit français limite donc plus fortement la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens que le droit américain. En effet, si le créateur automatique de lien commet une erreur d’appréciation sur le caractère manifestement illicite d’un contenu, il engagera sa responsabilité car il ne sera plus couvert par le régime de responsabilité ad hoc de la LCEN. Le régime français s’avère donc moins sécurisant pour les prestataires techniques que le Copyright Act américain. Cela souligne la plus forte volonté en France qu’aux États-Unis de protéger les auteurs contre les prestataires de service.

1139. Les deux conceptions constituent également deux approches différentes de la question de la souveraineté sur Internet. En effet, le juge n’est plus considéré comme ayant une légitimité pleine et surtout unique pour résoudre les litiges . Le droit français a donc adopté un modèle de multirégulation de l’Internet associant les juges et les prestataires de services. L’ALAI, dans son avis en date du 18 février 2017 , propose d’introduire une obligation de collaboration entre les plateformes et les auteurs afin que les premières puissent continuer à bénéficier du régime d’hébergeur, ce qui marque la volonté de continuer dans la voie de la multirégulation. Aux États-Unis en revanche, le modèle de multirégulation n’est pas poussé aussi loin dans la mesure où les service providers n’ont pas de décision de droit à prendre. C’est donc au seul juge qu’il revient de dire la règle applicable aux États-Unis, alors que le créateur automatique de liens a vocation à dire la règle en France. La France fait donc plus confiance à Google et autres prestataires de service que les États-Unis.

1140. Les législateurs américain et européen ont ainsi pris acte de leur manque de contrôle sur l’Internet et que, sans force d’action, le droit est sans effet . Ils ont par conséquent conféré aux prestataires de service le rôle d’assurer une partie de l’application du droit sur Internet car ce sont les entités qui sont techniquement les plus à même d’y procéder. L’approche est ainsi purement techniciste. Ainsi, à défaut d’avoir pu rendre fort ce qui était juste, les législateurs ont rendu juste ce qui était fort , c’est-à-dire qu’ils justifient la gestion d’une partie de la lutte contre la contrefaçon aux créateurs automatiques de liens à cause du manque d’efficacité des juges pour les litiges en ligne.

1141. La collaboration nécessite d’informer toutes les parties et notamment les internautes dont les pages sont déréférencées. Néanmoins, les droits américain et français ont abordé différemment la question.
B) Le rôle des ayants droit

1142. Les droits américain et français ont opté – selon des modalités différentes – pour des modèles de corégulation de l’Internet. Les ayants droit sont ainsi impliqués dans la recherche de contrefaçon et les créateurs automatiques de liens doivent participer à cette lutte. Les méthodes des droits français et américain ont divergé non seulement sur la méthode d’introduction de cet impératif en droit interne ainsi que sur leurs contours.

1143. À l’inverse du DMCA, la LCEN impose aux ayants droit de justifier en fait et en droit leurs prétentions dans la notification. Ils ont ainsi obligation de contrôler la validité du droit qu’ils entendent opposer ainsi que l’effectivité de la violation de leur droit d’auteur. Ils devront ainsi veiller à ce que l’éditeur de la page litigieuse ne bénéficie pas d’une exception. Cette solution permet de renforcer la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens en introduisant un filtre des notifications. Cependant, étant donné que l’entité devant contrôler le bien fondé de la notification est juge et partie, il y a peu de chance que cela ait de véritable répercussion – en dehors de l’espérance sans doute candide qu’en réfléchissant à la notification, les ayants droit se rendront compte du caractère futile de leur demande. Il y avait donc une divergence avec le droit américain qui ne demandait qu’une affirmation que la notification était envoyée de bonne foi. La jurisprudence américaine a néanmoins introduit une exigence similaire à celle de la LCEN.

1144. En effet, l’arrêt Lenz v. Universal oblige l’auteur d’une notification à contrôler de bonne foi l’application de l’exception de fair use à l’œuvre litigieuse afin d’éviter les retraits inutiles à l’origine de préjudices importants pour le public . La bonne foi sera difficile à établir étant donné qu’elle est comprise de façon subjective et non pas objective, ce qui relèvera d’une prova diabolica. Il s’agit d’un renversement de la solution de l’arrêt Tuteur v. Crosley-Corcoran qui avait retenu que les auteurs n’étaient pas tenus à une telle recherche . La solution de l’arrêt Tuteur était contraire à ce qu’avaient suggéré les amici curiae – c’est-à-dire des conseils nommés par les parties afin de conseiller le juge – menés par la Electronic Frontier Foundation . La solution de l’arrêt Lenz relève donc d’une vision libertaire et favorable aux créateurs automatiques de liens. Il n’est cependant pas nécessaire que l’émetteur de la notification ajoute une affirmation de bonne foi .

1145. La jurisprudence américaine a donc fini par rejoindre l’approche libertaire de l’association militant pour les libertés sur l’Internet. Les juges ont bien fait d’adopter cette solution car, à défaut, les ayants droit n’avaient aucune raison de ne pas demander le retrait d’un lien menant vers une œuvre bénéficiant du safe harbor de fair use . Étant donné que les créateurs de liens ont intérêt à désindexer les contenus faisant l’objet d’une notification, il existait un risque que des contenus bénéficiant d’une exception au copyright ne soient plus liés. Une telle situation était abusive et le revirement de jurisprudence était donc bienvenu. Le copyright ne peut en effet pas constituer une simple rente et se limite à ce qui est nécessaire pour inciter à la création. En dehors de ce périmètre les usages doivent être libres. Les auteurs sont ainsi passés d’un régime de relative passivité dans l’analyse de l’utilisation de l’œuvre à un devoir de contrôle de l’applicabilité de l’exception de fair use similaire à celui qui leur est imposé en France. Le contrôle français va cependant plus loin en imposant aux expéditeurs de justifier leurs prétentions alors que les expéditeurs américains devront simplement contrôler que l’œuvre arguée de contrefaçon ne bénéficie pas de l’exception de fair use.

1146. L’arrêt Lenz ne s’est pas tant préoccupé de la question des intérêts des auteurs que de la préservation de la liberté d’expression. En effet, comme l’a souligné l’association Electronic Frontier Foundation , cette décision est intervenue au début de la campagne pour l’élection présidentielle américaine qui donne toujours lieu à des demandes de retrait infondées visant à désindexer les contenus mis en ligne par les candidats. La décision assure donc une meilleure circulation des œuvres sur l’Internet. La Cour Suprême a refusé de se prononcer sur cette affaire.

1147. Or, étant donné la complexité du test du safe harbor de fair use, les auteurs auront tendance à ne pas envoyer de notification lorsqu’ils auront le sentiment de se trouver dans la zone grise. En effet, l’envoi d’une notification peut coûter environ 2 000 dollars, ce qui peut constituer une somme lourde à supporter surtout en cas de contrefaçons répétées. Dès lors, seuls les plus riches pourront se permettre de faire appel aux services d’un avocat afin d’avoir un avis sur l’applicabilité du test de fair use. Cette situation renforce les écarts entre les artistes alors qu’il s’agit de professions déjà profondément inégalitaires où le théorème de Pareto n’est même plus valide car moins de 20% des auteurs concentrent plus de 80% des richesses. En outre, elle constitue un frein à l’entrée sur le marché des auteurs car ils n’auront a priori pas les moyens économiques pour faire respecter leurs droits. Le safe harbor de fair use est une exception intéressante et riche mais sa difficulté d’application la rend peu accessible et augmente par conséquent les frais d’application du copyright. La liste fermée et exhaustive du droit français présente au moins l’avantage de ne nécessiter que des frais de recherche limités qui permettent une application plus effective du droit.

1148. Les deux systèmes se montrent ainsi soucieux de ménager un équilibre entre les intérêts des auteurs et la lutte contre les notifications infondées. Les droits français et américain s’avèrent donc être libertaires et protègent ainsi la liberté d’expression tout en ménageant les intérêts des auteurs.

1149. Une fois l’étape de l’examen passée, les créateurs automatiques de liens doivent rejeter la notification ou procéder à la désindexation de la page litigieuse.

Sous-Section 2 : La procédure de retrait

1150. La procédure de retrait des liens argués de contrefaçon (Paragraphe 1) vise à ménager les intérêts aussi bien des créateurs automatiques de liens ainsi que ceux des ayants droit. Afin de rendre cette procédure aussi efficace que possible, chaque partie est encadrée et doit suivre les règles imposées sous peine de sanction (Paragraphe 2). Les parties ont par conséquent intérêt – sous peine de sanction – à agir de bonne foi.

Paragraphe 1 : Le retrait

1151. Les législateurs américain et français on introduit des modalités précises de retrait en instaurant des règles de procédure fondées sur la transparence (I). Les règles introduites ont pour objectif d’assurer la réponse la plus rapide pour les ayants droit et la plus facile à traiter pour les créateurs automatiques de liens.

1152. Malgré la relative simplicité des procédures, il peut s’avérer compliqué – et parfois inefficace – pour un ayant droit de rédiger des notifications à chaque nouvelle contrefaçon. Les droits américain et français ont donc dû aborder la question la responsabilité des créateurs de liens face aux contrefaçons répétées (II).

I) Les modalités de retrait

1153. La procédure de retrait doit être effectuée rapidement (A) afin que les créateurs automatiques de liens maintiennent le régime de responsabilité limité. Cette vélocité est nécessaire afin d’empêcher toute disparition de l’état de rareté artificielle d’une œuvre qui lui ferait perdre tout marché.

1154. Cependant, le déréférencement d’un contenu limite la communication de l’œuvre au public. Il est par conséquent nécessaire que la procédure de retrait soit transparente afin que toutes les personnes intéressées puissent avoir connaissance de l’état du référencement de leurs pages (B) et, si nécessaire, qu’elles puissent agir en conséquence.

A) La procédure

1155. Le DMCA ainsi que la directive e-commerce ont établi des régimes de responsabilité limitée fondés sur l’ignorance de la présence d’un contenu illicite. Ainsi, dès lors que le voile d’ignorance tombe, le régime de responsabilité limitée n’a plus lieu d’être appliqué. Néanmoins, les régimes juridiques américain et européen n’auraient aucun intérêt si les créateurs automatiques de liens engageaient leurs responsabilités à la réception d’une notification les informant de la présence d’un contenu illicite sur une page qu’ils référencent.

1156. Ainsi, le DMCA a introduit l’obligation pour les créateurs automatiques de liens de retirer « expeditiously » les liens menant vers des pages contenant des contrefaçons. La version anglaise de la directive e-commerce – c’est-à-dire la version de la langue de travail – a repris le même terme . Le législateur européen a donc adopté le concept de la loi américaine. La version française de la directive l’a traduit par le terme « prompt ». Dans les travaux préparatoires de la LCEN transposant la directive e-commerce il avait été mentionné que la « promptitude » était une notion peu courante en droit français susceptible d’être remplacée par l’expression « dans les meilleurs délais ». Cette dernière notion présentait l’avantage d’être connue du juriste français car elle est déjà utilisée en matière de garde à vue . L’utilisation de ce terme aurait cependant marqué une dimension judiciaire trop prégnante du rôle assigné aux prestataires techniques. Le législateur a choisi de laisser le terme « prompt » conformément à la version française de la directive . Étant donné que le législateur français n’a pas repris la notion du droit pénal il y a lieu de penser qu’il s’agit de deux concepts distincts. La notion de meilleurs délais permet une adaptation à la situation de l’inculpé qui pourra s’avérer protectrice de ses droits, alors que le terme de promptitude impose une vélocité permettant de sauvegarder le marché de l’auteur. Les intérêts en jeu étant différents il n’y avait pas lieu de tomber dans la facilité et d’adopter un standard unique.

1157. Il y a donc lieu de retenir que les législateurs américain, européen et français ont convergé sur l’adoption d’une notion commune. Cependant, les trois réglementations n’ont pas défini la notion de retrait prompt. Il est par conséquent revenu à la jurisprudence de déterminer au cas par cas si le retrait a satisfait à cette exigence. Étant donné que les juges ne procèdent pas à des travaux comparatifs élaborés avant de rendre leur décision, l’effort d’harmonisation des législateurs a été en partie mis à mal et les droits ont divergé.

1158. L’absence de définition posait moins de difficulté aux États-Unis qu’en France car le droit américain connaissait déjà une définition de la notion de « expeditious ». La jurisprudence l’utilise notamment lorsqu’elle examine une question relevant de la forum non conveniens – c’est-à-dire de l’incompétence d’une juridiction à connaître d’une affaire. Les juges prendront ainsi en compte la rapidité des juridictions pour statuer sur l’affaire et choisiront la plus apte à traiter rapidement le dossier . Les juges américains ont donc transposé leur approche de la notion de promptitude du droit international privé au copyright. Il n’était donc pas nécessaire de préciser dans le DMCA la définition de la promptitude. Le législateur européen n’a pas pris en compte le fait que la section 512 du Copyright Act se comprend dans le contexte plus général de la Common Law relative au copyright et n’a donc pas importé la définition de promptitude. Le DMCA n’a pas établi de seuil mais en pratique il sera considéré qu’un délai de 48 heures ouvrables constitue le plafond acceptable.

1159. L’absence de définition pose plus de difficulté en Europe et notamment en France. Il s’agit en effet d’une notion nouvelle qui méritait d’être précisée afin de ne pas faire peser une incertitude juridique trop forte sur les créateurs automatiques de liens. Le Conseil Constitutionnel avait censuré la disposition de la loi de 2000 qui introduisait l’obligation pour « les personnes physiques ou morales dont l’activité est d’offrir un accès à des services de communication en ligne autres que de correspondance privée » de retirer « promptement » les contenus illicites après la saisine par une autorité judiciaire. En effet, le Conseil Constitutionnel avait considéré que le terme « promptement » était trop vague. Fort de cette expérience et connaissant la faiblesse du droit français sur ce point, le législateur aurait dû préciser la notion de promptitude. Cela aurait permis non seulement à la LCEN de respecter la norme suprême du système juridique français, mais également d’assurer un régime juridique prévisible pour les créateurs automatiques de liens et encourager ainsi le développement des prestataires de services.

1160. Le terme a cependant pu être introduit en droit français sans définition car il est le fruit de la transposition de la directive 2000/31/CE. En effet, le Conseil Constitutionnel ne contrôle pas le respect par une loi transposant la directive des dispositions de la Constitution sauf s’il existe « une disposition expresse contraire de la Constitution ». Le législateur français a par conséquent pu introduire l’obligation de retirer promptement des contenus sans préciser les contours de cette notion. Le droit français a donc recours à un concept anticonstitutionnel sur lequel il fonde une partie importante de sa lutte contre la contrefaçon sur Internet. Les créateurs automatiques de liens doivent donc respecter un standard aux contours non définis et qui s’avère inconstitutionnel. Une telle situation est impensable en droit américain où chaque juge peut contrôler la constitutionnalité d’une loi sans qu’un accord international n’y fasse obstacle.

1161. Il y a donc d’un côté le droit français anticonstitutionnel et flou face au droit américain qui propose un test en trois étapes assez souple. Ce dernier permet d’assurer une adaptation raisonnable aux différentes situations tout en permettant une certaine prévisibilité juridique alors que le législateur français n’a pas établi de lignes directrices permettant de saisir la définition. Les deux systèmes convergent donc vers un principe de souplesse mais les juges américains sont plus guidés que les juges français.

1162. Le premier critère américain est technologique et vise à imposer l’utilisation des techniques les plus modernes afin de traiter les notifications. Ce critère vise à instaurer des standards industriels égaux chez tous les service providers afin de pouvoir déterminer un seuil commun et prévisible. Cette proposition est plus sécurisante que la proposition du rapport du Sénat américain qui suggérait de distinguer selon les technologies utilisées afin d’adopter une approche plus souple lorsque le service provider a recours à une technologie plus ancienne. Cette proposition n’était pas protectrice des auteurs et ne respectait pas l’objectif maïeutique du DMCA qui vise à encourager au développement des service providers et donc à l’amélioration technologique. Le droit français n’a pas tranché cette question mais, étant donné qu’il a su à plusieurs reprises prendre en compte des standards de connaissance les plus élevés , il est fort probable que les juges adopteront une solution similaire. La réflexion sur la rapidité du retrait n’a cependant porté que sur la question du traitement technique, soulignant ainsi l’approche techniciste à l’origine de la réforme du DMCA. Cependant, il aurait été judicieux d’aborder ces questions du point de vue du traitement légal. En effet, avec l’approche techniciste qui est sans doute partagée par les deux systèmes, il n’est pas évident que le délai prompt permette de consulter un juriste in house ou un avocat externe . La jurisprudence devrait pourtant statuer sur cette question afin d’affirmer que le délai prompt doit souffrir le temps de la consultation d’un service juridique interne. Cependant, étant donné que les créateurs automatiques de liens n’ont qu’un rôle neutre et qu’il ne leur est pas demandé de contrôler le bien fondé des notifications cette approche est cohérente bien que peu protectrice du réseau Internet. Les juges français devraient en revanche intégrer les délais nécessaires pour consulter un juriste in house ou un avocat afin de permettre aux créateurs automatiques de liens de prendre des décisions résultant d’une réflexion juridique précise. Le retrait d’un lien sera donc plus rapide aux États-Unis qu’en France, ce qui protégera mieux le marché des auteurs.

1163. Le deuxième critère du droit américain permet de prendre en compte la nature de la notification dans la détermination de la promptitude du délai . Ce critère nous paraît pertinent car il permet aux créateurs automatiques de liens de s’adapter aux notifications et d’apporter une réponse adaptée aux circonstances. Les deux droits assurent donc une adaptation des délais aux circonstances de chaque affaire. Il est en effet souhaitable que les juges se montrent plus souples lorsque le créateur automatique de liens est confronté à une notification complexe, et en revanche plus exigeant lorsqu’il reçoit une notification ne requérant qu’un traitement simple. Cela assure un traitement rapide des notifications. Un standard unique risque de ne renforcer aucun des deux objectifs.

1164. Enfin, le délai ne devra pas s’analyser en un « undue burden » pour le service provider. Il s’agit d’écarter les mesures dont la nature, les coûts, le nombre de personnes employées, la surface financière requise s’avèreraient disproportionnées eu égard aux capacités du créateur automatique de liens . Cela permet de limiter les ressources allouées par les créateurs automatiques de liens afin de lutter contre les contrefaçons. Cette approche est assez courante en droit américain et la jurisprudence a déjà écarté l’analyse de l’intégralité des demandes dans une affaire où le nombre de photographies était trop élevé. Ce critère s’avère peu protecteur des auteurs mais il permet de ne pas imposer de coûts d’entrée prohibitifs sur le marché pour de nouveaux créateurs automatiques de liens. Le droit français n’écartera pas les notifications contenant de nombreuses informations et s’avèrera donc plus protecteur des auteurs tout en imposant une charge plus lourde aux créateurs automatiques de liens. Cette différence d’approche est compréhensible dans la mesure où les États-Unis ont intérêt à protéger leurs prestataires de service alors que la France n’a intérêt qu’à protéger ses auteurs. Le test en trois étapes américain permet d’établir un cadre pour déterminer si le retrait a été prompt mais il reste cependant assez vague. Il y aura donc lieu de déterminer le respect du caractère prompt de la réaction de façon casuistique . Les juristes américains étant habitués à manier des concepts souples il leur sera plus facile d’apporter une réponse argumentée que pour les juristes français.

1165. Alors que le droit américain fournit un cadre minimum permettant d’établir le caractère prompt du retrait, le droit français a confié la tâche aux juges avec les risques d’incohérence que cela comporte en cas de manque de coordination entre les juridictions. La difficulté est d’autant plus importante qu’il s’agit d’un problème de fait que la Cour de cassation ne pourra harmoniser. La Cour d’appel de Toulouse a retenu, dans un arrêt du 19 novembre 2009, que l’hébergeur disposait d’un délai rigide d’une journée pour retirer le contenu faisant l’objet d’une notification. La solution est donc aux antipodes du test américain en trois étapes. La Cour de cassation a cassé l’arrêt à cause de l’incomplétude de la notification mais les juges ne se sont pas prononcés sur le délai. Cette solution particulièrement dure pour les hébergeurs et les créateurs automatiques de liens s’avère liberticide car elle incite les prestataires de service à désindexer les contenus très rapidement sans prendre le temps d’en examiner le bien fondé. La jurisprudence ultérieure a adopté une solution plus raisonnable et favorable aux créateurs automatiques de liens. En effet, le TGI de Créteil a retenu que les délais de 15 jours et un mois ont été tolérés car ils « ne suffisent pas à engager la responsabilité de l’hébergeur ». Les juges n’ont cependant pas justifié leur position quant à la durée, ce qui nous amène encore une fois à condamner la faiblesse des raisonnements des arrêts français. Les juges ont cependant invité le défendeur à les améliorer. La formulation pour le moins mystérieuse laisse comprendre que ces deux délais ont été acceptés eu égard aux circonstances de l’affaire, ce qui permet de penser que le droit français converge vers le droit américain sur le second critère prenant en compte les particularités de la notification. En l’espèce, l’hébergeur avait collaboré avec les ayants droit en retirant des contenus argués de contrefaçon. Le délai raisonnable dépendra également du degré de collaboration du créateur de liens avec le titulaire des droits. La seule certitude du jugement – mais c’était sans doute une évidence – est que le délai d’une année ne peut être considéré comme prompt, même si l’hébergeur est en discussion avec les ayants droit. Ainsi, à un test souple en trois étapes, le droit français apporte une solution relativement rigide et peu prévisible.

1166. Les droits américain et français ont donc cherché à apporter un équilibre entre les intérêts des auteurs et des prestataires techniques. L’approche américaine présente de nombreux avantages car elle permet aux créateurs automatiques de liens de s’adapter à chaque notification.

1167. Cependant, le paradigme de la neutralité de l’Internet nous semble justement contreproductif. En effet, une expérience menée en Angleterre a procédé à la présentation d’une notification à un prestataire de service mentionnant la présence d’une œuvre contrefaisante. L’œuvre en question était un texte de John Stuart Mill intitulé « On Liberty » qui était tombée dans le domaine public. La page a néanmoins été déréférencée alors que le copyright n’avait pas été violé. Or, si le créateur automatique de liens avait procédé à un examen juridique, même rapide, de la notification il y aurait eu moins de chance que la page soit désindexée. Le contrôle du bien fondé de la notification par le créateur automatique de lien permet de préserver l’accès aux contenus sur Internet.

1168. La procédure de notification fait par conséquent peser un risque à la liberté d’expression ainsi qu’au pluralisme des créations artistiques à cause du régime de responsabilité des prestataires de services. Il est en effet possible, comme cela a déjà été le cas, que certaines notifications n’aient pour autre but que de censurer des idées politiques . La recherche de sécurité juridique de la part des moteurs de recherche amène à retirer des liens menant vers des œuvres légales et limite la liberté d’expression.

1169. Ainsi, eu égard au danger que constituent les notifications pour la liberté d’expression et pour l’accès aux contenus sur Internet, il est nécessaire d’informer les propriétaires des contenus visés. Les droits français et américain ont adopté des solutions divergentes sur la question de l’obligation d’information des internautes du déréférencement de leurs pages.

B) La transparence

1170. Dans le cadre d’un système de corégulation l’information joue un rôle central. Ainsi, s’il est mis un terme à un lien sans que le propriétaire du site cible ne soit averti il ne pourra pas contredire l’expéditeur de la notification et le lien ne sera pas rétabli. Les droits français et américain ont cependant divergé sur la question de l’obligation d’information.

1171. Ainsi, aux États-Unis, les créateurs automatiques de liens ont obligation, avec l’amendement Ashcroft-Leahy-Hatch , d’informer les internautes du déréférencement de leurs pages . L’information n’a pas à être communiquée avant le retrait , ce qui implique qu’un contenu pourra être désindexé alors que l’internaute n’aura pas pu présenter ses arguments. Cette solution nous semble dommageable et il aurait sans doute pu être imposé aux créateurs automatiques de liens d’informer les ayants droit avant de déréférencer la page liée.

1172. Le droit américain diverge des droits européen et français car ni la directive e-commerce, ni la LCEN, n’imposent d’informer le propriétaire d’un site du déréférencement de l’une de ses pages . Cette absence d’obligation d’information en droit européen et français est incompréhensible dès lors que le modèle de la directive e-commerce est le DMCA et qu’il comporte cette obligation. Cette absence d’obligation d’informer est donc volontaire et ne constitue pas qu’un simple oubli. Il était pourtant possible de l’imposer dans les hypothèses où les coordonnées du propriétaire du site Internet y sont mentionnées, ce qui est souvent le cas dans les rubriques dites « contacts ». Cela nécessite un minimum de recherche sans que cela ne doive écarter l’obligation d’information étant donné que chaque activité – et notamment la protection du droit d’auteur – implique des charges. L’arrêt Scarlet c. SABAM a introduit une double règle prohibant les mesures excessivement coûteuses et qui ne seraient pas équitables et proportionnées. En outre, dès lors que le modèle choisi de réglementation de l’Internet relève de la corégulation il y a lieu d’impliquer tous les acteurs et notamment les propriétaires de sites Internet. La solution européenne est par conséquent incohérente. L’obligation d’information se serait pourtant avérée plus efficace car elle aurait permis d’informer les internautes au plus vite dès la désindexation et qu’elle ne les oblige pas à maintenir une activité de surveillance des liens qui implique une perte de temps et parfois des coûts.

1173. Le modèle américain n’était en outre pas d’une complexité telle qu’il devait être rejeté. En effet, le DMCA n’introduit pas de formalisme particulier pour l’information. Le Commerce Committee a retenu que les mesures raisonnables peuvent notamment inclure l’envoi d’un e-mail à l’internaute concerné lorsque son adresse est mentionnée sur le site litigieux. Cette suggestion est logique étant donné que l’expéditeur de la notification a l’obligation de fournir l’adresse e-mail de l’auteur ou de l’éditeur de la page litigieuse conformément au DMCA – ce qui n’est pas le cas au sein de l’Union Européenne. Il sera donc facile pour le créateur automatique de lien de trouver le propriétaire du site Internet et de l’informer. Il ne s’agit cependant pas d’une obligation de résultat car, si l’adresse fournie s’avère erronée, la responsabilité du service provider ne pourra pas être engagée .

1174. L’objectif du DMCA est ainsi de permettre à l’internaute de contredire le contenu de la notification et de défendre ses intérêts sans imposer une charge trop lourde sur le service provider qui limiterait indûment sa liberté d’entreprendre. En effet, dans le projet initial, l’obligation d’informer l’internaute du déréférencement de sa page figurait dans un (f) relatif à la procédure de la remise en ligne . La notification était donc pensée dans l’économie générale de la procédure de rétablissement du référencement et l’information constituait le prérequis nécessaire à l’opposition de la contradiction. La procédure de rétablissement du lien ne figure plus dans la même sous-section que l’obligation d’information mais la section 512 du Copyright Act a conservé l’esprit initial qu’elle a maintenu avec plus de cohérence en la présentant comme une obligation liée au déréférencement.

1175. Le législateur américain n’est cependant pas allé jusqu’au bout de cette logique. En effet, il n’a pas fait obligation aux créateurs automatiques de liens d’informer les destinataires des notifications qu’ils bénéficient d’un droit à la contre-notification . Les citoyens sont en effet supposés connaître leurs droits . Cependant, il s’agit là d’une fiction qui perd d’autant plus son intérêt sur l’Internet que des personnes en dehors du territoire des États-Unis – et n’ayant donc pas de connaissance particulières en droit américain – sont les destinataires d’une notification. Il ne peut donc pas leur être reproché de ne pas connaître les droits dont ils jouissent aux États-Unis. En outre, la mention de l’existence d’un droit à la contre-notification ne constitue pas un formalisme particulièrement lourd pour les créateurs automatiques de liens lorsqu’ils envoient une note informant qu’un contenu a été desindexé. Le législateur américain aurait donc dû intégrer cette obligation. Le législateur européen devrait l’imposer aux États membres de l’Union Européenne afin de protéger la structure de l’Internet.

1176. Quoi qu’il en soit, le système américain nous semble aller dans le bon sens car il assure l’information des auteurs et des éditeurs qui sont intéressés à la désindexation de leurs pages Internet. Il nous semble néanmoins que le législateur américain s’est montré trop frileux. Il aurait dû aller encore un peu plus loin et obliger les créateurs automatiques de liens – ainsi que les autres prestataires de service – à communiquer les notifications envoyées par les ayants droit. Cet envoi n’aurait pas constitué une difficulté particulière pour les créateurs automatiques de liens qui peuvent communiquer par e-mail avec les auteurs et les éditeurs lorsque les coordonnées sont mentionnées sur le site Internet ciblé. En outre, les auteurs doivent accepter les frais et les charges du respect de leurs droits sur Internet dans le cadre d’un équilibre entre leurs intérêts et ceux des tiers. Il y a donc lieu de leur imposer cette obligation. Les auteurs ont en outre la possibilité d’envoyer en pièce jointe les notifications à l’origine de la désindexation d’une page. Cela permettrait aux internautes de mieux comprendre les raisons du déréférencement de leurs contenus. La nécessité de confronter les arguments est certes moins pressante aux États-Unis où la procédure de notification et de retrait n’est pas prélitigieuse, mais la compréhension venant de l’échange et de l’information, cela aurait permis de faciliter la résolution des conflits. Le droit français devrait adopter cette solution. Il est surprenant qu’il ne l’ait pas fait étant donné qu’il a adopté une approche précontentieuse de la notification.

1177. La lutte contre les contrefaçons sur Internet est rendue particulièrement difficile à cause de la facilité d’ouvrir un site Internet et de reproduire des contenus même sans autorisation. Il est donc aisé de créer un nouveau site Internet contenant des contrefaçons à la suite du déréférencement d’un premier site. Les auteurs auront intérêt à pouvoir engager la responsabilité des créateurs automatiques de liens lorsqu’ils subissent des contrefaçons répétées.

II) La responsabilité des créateurs de liens face aux contrefaçons répétées

1178. L’un des principaux problèmes auxquels sont confrontés les ayants droit sur Internet est celui des contrefaçons répétées, qui se produit lorsqu’un internaute remet en ligne plusieurs fois la même contrefaçon.

1179. La notion de contrefacteur répété n’est définie ni dans le DMCA, ni dans la directive e-commerce, ni dans la LCEN française. Néanmoins, la section 512(i)(1)(A) du Copyright Act dispose que les comptes des contrefacteurs répétés peuvent être supprimés en cas de circonstances appropriées. Cette expression est pour le moins floue mais elle laisse comprendre qu’il n’y a pas lieu d’appliquer une conception rigoriste ni mécanique du concept de contrefacteur répété. Il n’est ainsi pas nécessaire de qualifier de contrefacteur répété dès la deuxième contrefaçon . L’arrêt Emi v. MP3Tunes a retenu qu’il y avait lieu d’appliquer la définition commune et s’est fondé sur les termes du dictionnaire Oxford English Dictionary pour retenir qu’il s’agit d’une personne qui contrefait une nouvelle fois ou de façon répétée. La notion s’avère donc vague et ainsi particulièrement adaptable aux contingences de chaque affaire. L’arrêt BMG Rights Mgmt. (US) LLC v. Cox Commc’ns, Inc. a retenu qu’une politique interne à la société défenderesse consistant à ne réagir qu’à la suite de la quatorzième contrefaçon de la même œuvre, tout en réactivant les comptes un peu plus tard, ne respecte la réglementation relative aux contrefaçons répétées car le compte n’a pas été supprimé alors qu’il s’agissait de circonstances appropriées pour le faire. Le droit français ne définissant pas expressément la notion de contrefacteur répété il y a lieu de se référer à la définition commune. Constituera donc une contrefaçon répétée une nouvelle contrefaçon de la même œuvre. Il faudra considérer que le droit américain sera plus tolérant que le droit français en considérant que la seconde contrefaçon ne constitue pas systématiquement une contrefaçon répétée. La jurisprudence ne condamne généralement pas sur ce fondement . Le DMCA applique un régime unique à tous les service providers et le droit européen appliquera un régime unique aux créateurs de liens et aux hébergeurs.

1180. Pendant longtemps la jurisprudence américaine n’a pas opposé la doctrine de contrefaçon répétée aux service providers à la différence de la jurisprudence française. Cette dernière a en effet dans un premier temps semblé considérer que les créateurs automatiques de liens avaient une obligation de surveiller les contenus ayant fait l’objet d’une notification. Le jugement Flach Film c. Google France a ainsi retenu que les créateurs automatiques de liens sont tenus non pas d’une obligation générale de surveillance, mais d’une obligation particulière à partir du moment où ils ont connaissance du caractère illicite du contenu. La connaissance sera constituée notamment lorsque le créateur de lien aura reçu une notification. Les juges ont en outre rappelé que la société Google était en mesure de surveiller les contenus pédophiles, faisant l’apologie des crimes contre l’humanité et les discours incitant à la haine. Ils ont dès lors considéré que la recherche des contenus illicites ayant été facilitée pour les créateurs automatiques de liens à la suite de la réception de la notification, la détermination du caractère illicite d’un contenu ne constitue plus de difficulté. Le jugement a en outre considéré qu’il n’y avait dans ce cas plus de raison de distinguer entre les hypothèses où le caractère illicite des contenus apparaît clairement aux créateurs automatiques de liens et celles où cette caractéristique n’est pas évidente. Les créateurs automatiques de liens étaient par conséquent soumis au même régime juridique en cas de contrefaçons répétées que face aux contenus antisémites , racistes ou encore pornographiques . L’arrêt Dailymotion c. Zadig de la Cour d’appel de Paris a confirmé cette solution en imposant au créateur automatique de lien de rendre l’accès aux contenus illicites impossible. Dans cette affaire, des œuvres filmiques avaient été désindexées par le créateur automatique de liens mais avaient été remises en ligne par la suite. L’arrêt a retenu que le créateur automatique de liens devait mettre en place des moyens techniques permettant de rendre l’accès aux contenus impossibles sans que la collaboration des ayants droit ne soit nécessaire. Les juges ont suggéré une méthode au prestataire de service en lui proposant notamment de recourir à un système d’empreinte des œuvres. L’arrêt justifie cette solution en retenant que l’absence d’obligation de surveillance de l’article 6-I-7 de la LCEN relatif à l’obligation de surveillance est « inopérant dès lors qu’il ne lui est pas demandé d’exercer un contrôle préalable des vidéos librement mises en ligne par les utilisateurs de sa plateforme mais qu’il lui est fait grief, en l’espèce, d’avoir omis de rendre l’accès impossible aux documentaires litigieux après avoir eu connaissance du caractère attentatoire aux droits » de l’auteur. Cette approche est conforme au considérant 47 de la directive 2000/31/CE ainsi qu’aux dispositions de l’article 15.1 , a contrario, de la même directive. Ainsi, dès lors que l’œuvre et les droits afférents sont identiques, il ne semblait plus nécessaire de procéder à une nouvelle notification selon les juges parisiens.

1181. Les juges français n’ont pas étendu cette solution aux situations où le titre de l’œuvre est traduit dans une autre langue. Ainsi, dans une affaire où le titre « Une femme à abattre » avait été traduit par « Kill the messenger » la contrefaçon répétée n’a pas été retenue . Le traducteur avait pris assez de liberté pour qu’une traduction mot pour mot effectué par un logiciel ne permette pas de lier l’œuvre originale à la contrefaçon. Il s’avérait par conséquent impossible pour les créateurs automatiques de liens de détecter une contrefaçon identique dès lors que le titre change car les ordinateurs ne peuvent faire le lien entre des traductions, notamment lorsqu’elles modifient le sens. Il nous semble que cette solution aura vocation à s’étendre aux situations – ubuesques – où le titre en anglais est modifié pour le public français par un autre titre en anglais . En effet, dans les deux cas, les logiciels ne sont pas en mesure de faire le lien entre le titre original et le titre modifié. Cette solution s’avérait donc heureuse dans la mesure où elle prenait en compte l’état de la technique, mais l’objectif des juges consistant à protéger les droits des auteurs pouvait être facilement contourné par des internautes connaissant le titre d’une œuvre dans une langue étrangère – ce qui est relativement courant notamment pour les œuvres cinématographiques. Ainsi, alors que le droit américain refusait d’introduire une obligation de surveillance des contenus par les créateurs automatiques de liens, la jurisprudence française l’avait introduite pour les contrefaçons répétées dans une même langue. L’Internet français se trouvait par conséquent partiellement surveillé en contradiction avec les idéaux des Pères Fondateurs de l’Internet.

1182. Le TGI de Paris a étendu cette solution dans un jugement en date du 13 juillet 2007 aux hypothèses où le créateur automatique de liens joue un rôle dans la mise en ligne des contenus, et notamment lorsqu’il négocie des droits avec des sociétés de gestion et qu’il a donc connaissance d’une partie du contenu de son réseau. Il a ainsi été retenu que « la société Dailymotion n’a mis en œuvre aucun moyen propre à rendre impossible l’accès au film ‘joyeux Noël’, sinon après avoir été mise en demeure, soit à un moment où le dommage était déjà réalisé, alors qu’il lui incombe de procéder à un contrôle a priori ». Les juges français ont ainsi introduit un système de notice and stay down, c’est-à-dire que les prestataires de service – et par conséquent les créateurs automatiques de liens – doivent surveiller le réseau afin de ne pas mettre à disposition du public un fichier contrefaisant ayant déjà fait l’objet d’une notification. Ainsi, dès lors qu’un créateur automatique de lien recevait une notification, il devait ajouter la page dénoncée sur une liste noire et identifier les informations pertinentes afin de bloquer toute indexation du contenu à l’avenir . Il est pour cela nécessaire de contrôler l’Internet.

1183. Or, il peut arriver que le site ayant fait l’objet d’une notification change d’objet. Dès lors, l’obligation de surveillance du créateur de lien n’a plus lieu d’être. Il n’y a cependant pas lieu d’étendre cette conclusion aux hypothèses où l’obligation de surveillance aura été ordonnée par un juge car un tel ordre ne devient pas caduc par le simple comportement des parties. Il y aura dès lors lieu de respecter l’obligation de surveillance jusqu’à la survenance du délai.

1184. L’obligation de surveillance s’avérait contraire à la ratio legis de la directive e-commerce. En effet, le considérant 47 dispose que les législateurs peuvent introduire des « obligations de surveillance applicables à un cas spécifique ». L’article 6-I-7 de la LCEN a repris cette exception et reconnaît la possibilité d’une « surveillance ciblée et temporaire ». La surveillance risquait de devenir importante au fur et à mesure que le nombre de notifications augmentait et ce, en violation des dispositions de la directive e-commerce. La France aurait donc pu être condamnée par la CJUE.

1185. L’Union Européenne a cependant permis à la France de modifier sa position avant qu’elle ne soit condamnée. En effet, la CJUE a retenu dans l’arrêt Scarlet Extended c. Sabam que l’article 15 de la directive e-commerce fait interdiction aux autorités nationales d’introduire des mesures faisant obligation aux prestataires de service de « procéder à une surveillance générale des informations » transmises, et que l’article 3 de la directive 2004/48 fait interdiction aux États membres d’introduire des mesures de filtrage qui ne seraient pas équitables ni proportionnées et qui s’avéreraient excessivement coûteuses . Les juges ont retenu qu’un tel système de filtrage aurait pour conséquence d’imposer une « observation active de la totalité des communications électroniques » et par conséquent à une « surveillance active ».

1186. Le droit européen protège donc la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens en se fondant sur la directive e-commerce – dont l’objet est la protection du commerce en ligne – et sur le test de la directive 2004/48. Or, ce droit de la liberté d’entreprise – que les juges européens qualifient de droit fondamental » – est mis en balance avec la protection du droit d’auteur. En outre, l’arrêt retient que ce dernier n’est pas « intangible » et que sa protection ne saurait donc être assurée « de manière absolue ». Le droit d’auteur est ainsi réduit à un simple droit de propriété , ce qui réduit sa possibilité de s’opposer à d’autres valeurs fondamentales. De plus, le droit d’auteur ne constitue pas un droit de propriété au sens romain du terme – qui n’avait pensé la propriété que comme une chose matérielle et donc par nature limitée – mais également un pilier du droit à la culture d’un pays. Cette approche ne nous paraît donc pas refléter la complexité et les nuances du droit d’auteur. Or, dès lors que la dimension incitative à la création intellectuelle est niée et que le droit d’auteur est ramené à un simple droit de propriété il découle logiquement, à la suite d’une « mise en balance » des droits, qu’il doit céder face à la liberté d’entreprendre d’autrui qui permet de créer de nouvelles propriétés. L’arrêt arrive donc à la conclusion que l’obligation de surveiller constituerait une « atteinte caractérisée à la liberté d’entreprise » car cela obligerait le prestataire de service à introduire à « système informatique complexe, coûteux, permanent et à ses seuls frais » contrairement aux dispositions de l’article 3, paragraphe 1, de la directive 2004/48 interdisant les mesures inutilement complexes ou coûteuses. Cela implique que les créateurs automatiques de liens peuvent choisir les modalités les plus convénientes pour contrôler les sites liés. Cette limite imposée par la directive européenne est louable car elle s’avère libertaire, mais elle est insatisfaisante. En effet, il apparaît inopportun d’adopter un standard uniforme de la procédure complexe et coûteuse. Les moteurs de recherche comme la société Google ou Yahoo ! effectuent des bénéfices particulièrement élevés et disposent de nombreux employés. Ces créateurs automatiques de liens sont plus à même de faire face à des procédures relativement coûteuses et complexes que des petites sociétés gérant un moteur de recherche. La jurisprudence française s’est ainsi refusée de distinguer entre les tailles des créateurs de liens, ce qui a défaut aurait versé dans le gauchisme. Une distinction entre les capacités des créateurs automatiques de liens permettrait d’imposer plus d’obligations de surveillance au moteur de recherche Google sur lequel plus de 90% des recherches sont effectuées en Europe et qui a donc les moyens de protéger le droit d’auteur, tout en assurant un régime juridique plus favorable pour les starts up européennes qui sont confrontés au même régime juridique que les grandes sociétés les empêchant de se développer. Cela aiderait à la constitution d’un secteur numérique européen plus dynamique en aidant les petites sociétés. Cette solution ne permettra pas à elle seule l’émergence d’un secteur numérique français fort tant que la France n’arrivera à former à et attirer les talents dans ce domaine.

1187. Enfin, la CJUE rappelle qu’une mesure de filtrage aurait pour conséquence de porter atteinte à la « liberté de recevoir ou de communiquer des informations » pour les internautes. En effet, le manque de finesse de l’analyse des systèmes de filtrage aurait pour conséquence de ne pas distinguer entre les contenus licites et illicites. En outre, la protection des données des internautes européens, au sens des articles 8 et 11 de la Charte des Droits de l’Homme de l’Union Européenne, ne serait pas assurée par une telle obligation de surveillance. L’équilibre entre la protection du droit d’auteur, la liberté d’entreprise ainsi que la protection des données à caractère personnel et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ne serait pas respecté selon les juges de Luxembourg. L’approche française est ainsi rejetée en faveur d’une conception plus équilibrée et moins favorable aux auteurs. La protection des intérêts des internautes ne semble cependant pas constituer l’élément fondamental de l’arrêt car cette question est traitée à la fin du raisonnement et de façon beaucoup plus lapidaire que ne l’a été celle relative à la liberté d’entreprise des prestataires de service. La conception européenne est donc beaucoup plus commerciale que celle en vigueur aux États-Unis qui protègent avant tout l’internaute.

1188. La CJUE a confirmé sa solution dans l’arrêt Sabam c. Netlog en se fondant à de nombreuses reprises sur l’arrêt Scarlet Extended c. Sabam . La protection de la propriété intellectuelle – et donc du droit d’auteur – n’a ainsi pas été considérée comme intangible. Elle a donc cédé face à la nécessité d’assurer un équilibre entre « la protection du droit de propriété intellectuelle […] et celle de la liberté d’entreprise » ainsi que la préservation des intérêts des internautes . Le droit européen a ainsi convergé vers la solution retenue en droit américain car les deux systèmes excluent le principe de la surveillance des contrefaçons répétées.

1189. Dans les arrêts Scarlet et Netlog la CJUE n’a cependant pas interdit les obligations de surveillance dès lors qu’elles ne seraient pas illimitées dans le temps, visant toute atteinte future et qu’elles ne concerneraient pas les œuvres n’ayant pas été créées au moment de la création du système. La CJUE ne s’oppose donc pas aux obligations de surveillance ciblées mais elle les réduit à des hypothèses où elles seraient limitées dans le temps et ne concernerait que des œuvres actuelles et ayant été créées avant le développement du système. Le champ d’application d’une obligation de surveillance s’avère donc particulièrement limité mais plus large qu’aux États-Unis.

1190. Par la suite, et conformément aux arrêts Scarlet et Netlog , le Premier Avocat Général à la Cour de cassation française a proposé que la mise en ligne de copies ayant déjà fait l’objet d’une notification constitue un fait nouveau devant faire l’objet d’une nouvelle notification . La jurisprudence a adopté cette solution dans l’arrêt Société Google France c. société Bac Films du 12 juillet 2012 et s’est par conséquent conformée à la solution adoptée par la CJUE. La notice and stay down a donc été complètement écartée dans les systèmes européen et américain. Cette solution a été confirmée par la Cour d’appel de Paris le 21 juin 2013 ainsi que par un arrêt anglais ayant retenu, en se fondant également sur l’arrêt Scarlet c. SABAM, qu’un filtrage limité était conforme à la directive.

1191. Aux États-Unis la Cour d’appel fédérale pour le Deuxième Circuit a adopté une solution similaire dans l’arrêt Emi Christian Music Grp. v. MP3tunes, LLC . Les juges ont rappelé qu’un contrefacteur répété engage sa responsabilité de plein droit et que sa connaissance du caractère contrefaisant de son acte est indifférente. Les deux droits convergent donc sur le principe de la responsabilité de plein droit de l’internaute. Or, si le service provider est capable d’avoir une liste des contrefaçons de ses utilisateurs il est considéré comme étant en mesure de connaître l’existence de contrefaçons répétées spécifiques. Dès lors que le service provider n’agit pas dans une telle situation il perd le bénéfice du DMCA. Il ne peut cependant être demandé au service provider que de prendre des mesures raisonnables pour lutter contre les contrefacteurs répétés. L’arrêt Emi Christian Music Grp. V. MP3tunes, LLC a donc marqué un renforcement du copyright américain, que l’arrêt Venus Fashions confirme sans le citer dans la mesure où il a été retenu que les contenus facilement identifiables et substantiellement similaires peuvent être définis comme des œuvres faisant l’objet de contrefaçons répétées. Il s’expose cependant à la critique en ce qu’il semble imposer une obligation de surveillance des réseaux par les hébergeurs et sans doute par les créateurs automatiques de liens.

1192. Ce mouvement de renforcement du droit d’auteur est partiellement partagé en Europe. En effet, les propositions des Sénateurs français Béteille et Yung recommandent la création d’une nouvelle catégorie intermédiaire entre les éditeurs et les hébergeurs. Les éditeurs de service auraient ainsi une obligation de surveillance. Ils seraient tenus d’introduire des moyens de surveillance, conformément à l’état de l’art, des « faits ou circonstances révélant des activités illicites ». Le projet de directive européenne adopte cependant une solution moins ambitieuse à l’article 13 en recommandant l’introduction d’une obligation pour les prestataires de services – ce qui inclut a priori les créateurs de liens automatiques – de coopérer avec les ayants droit afin qu’ils empêchent la mise à disposition d’œuvres sur leurs réseaux . Le principe d’équilibre entre les différents intérêts est maintenu car les mesures mises en place devront être appropriées et proportionnées. Il n’est pas évident que cette nouvelle formulation change substantiellement le droit positif en France. Il apparaît donc que le droit américain renforce la lutte contre la contrefaçon alors que les Européens sont divisés sur la question. Le statut quo européen présenterait néanmoins l’avantage de proposer un résultat similaire à la solution désormais en vigueur aux États-Unis.

1193. Les législateurs américain et européen ont donc introduit des régimes permettant de lutter contre les contrefaçons en ligne. Cependant, toutes les notifications ne sont pas justifiées et certaines visent avant tout à censurer un point de vue ou à causer un préjudice à un concurrent économique. Les droits américain et européen ont par conséquent adopté des sanctions afin de lutter contre les notifications infondées.

Paragraphe 2 : Les sanctions

1194. Des millions de notifications infondées sont envoyées chaque année . Ce phénomène constitue un fléau pour les créateurs automatiques de liens et pour l’intégrité de l’Internet. Les législateurs français et américain ont adopté des réglementations ad hoc relatives aux notifications envoyées par des personnes physiques (I) dont les règles de responsabilité peuvent s’inspirer sans difficulté particulières à celles classiques. La difficulté et la nouveauté surgiront des logiciels qui sont désormais à l’origine de l’envoi de millions de notifications parfois infondées (II). Le régime de responsabilité dans ce second cas sera plus difficile à déterminer car aucun individu ne prend directement la décision d’envoyer des notifications.

I) Les notifications infondées envoyées par des personnes physiques

1195. Les sanctions sont extrêmement importantes afin d’assurer le développement d’un Internet pluriel et libre. En effet, les notifications ont régulièrement pour objectif de limiter l’expression d’autrui au lieu de lutter uniquement contre les contrefaçons . Les procédures de notification ont parfois été détournées dans des buts économiques mais également politique et de censure . Ainsi, le chanteur Akon a envoyé une notification à un service provider simplement parce qu’il avait été critiqué alors que la critique bénéficie généralement de l’exception de fair use . La société Diebold a aussi voulu faire taire les critiques à son sujet afin qu’elles ne dévoilent pas les failles de sa machine de vote. Ses notifications ont eu pour résultat de retirer des vidéos à contenu politique quelque temps avant une élection . En outre, l’Église de scientologie a tenté de faire taire ses critiques par l’envoi de nombreuses notifications . Il y a ainsi une limitation du marché des idées – c’est-à-dire de la compétition des idées permettant l’émergence d’une vérité – à cause de l’effet dissuasif des notifications. Or, le droit d’auteur et le copyright ne constituent pas des moyens de censure mais d’incitation à la création, et donc de diffusion des idées. Il est dès lors apparu nécessaire de lutter contre les détournements du droit d’auteur et du copyright.

1196. Le droit américain, à l’inverse du droit français, a introduit un test pour déterminer le caractère infondé d’une notification. Il y aura ainsi misrepresentation lorsque (1) l’affirmation est infondée, (2) la notification infondée est material – c’est-à-dire concrète – (3) la notification infondée a été envoyée en connaissance de cause – c’est-à-dire que l’expéditeur savait, aurait dû savoir ou n’avait pas de doute important sur le fait qu’il agissait de mauvaise foi – et (4) un préjudice a été subi à cause de la notification infondée . Le droit français n’a pas introduit de critère permettant de définir la notification infondée. Il y aura donc lieu d’appliquer le sens commun pour la définir. La notification infondée sera donc celle qui ne visera pas à protéger légitimement les droits d’un auteur ni aucun autre droit légitime.

1197. Les droits français et américain ont adopté des méthodes différentes de lutte contre les notifications infondées. En effet, si les deux systèmes s’accordent, malgré leurs divergences, sur le principe d’une sanction civile (A), seul le droit français a introduit des sanctions pénales (B).

A) Les sanctions civiles

1198. Les sanctions civiles servent à indemniser la victime pour le préjudice subi. Les droits américain et français convergent sur le principe de l’existence de sanctions civiles en cas de notifications infondées. Les raisonnements juridiques divergent entre les deux systèmes.

1199. Aux États-Unis, la section 512(f) du Copyright Act dispose que la personne à l’origine d’une notification infondée pourra être condamnée au paiement de dommages et intérêts . Le législateur américain a donc introduit une disposition ad hoc relative à la condamnation civile. Les préjudices indemnisables incluent non seulement les dépenses induites par la réponse à la notification, mais également le préjudice causé à la liberté d’expression . Le préjudice n’est donc pas limité aux dommages économiques substantiels mais le dommage subi ne doit pas avoir été de minimis . Le droit américain n’indemnisera donc pas tous les préjudices.

1200. La situation est différente en France. En effet, le droit français applique l’article 1240 du Code civil et oppose aux rédacteurs de notifications infondées la théorie de l’abus de droit. Cette théorie sanctionne quiconque commet une faute dans l’exercice de son droit . La notification constitue en effet un droit subjectif – constitué dès lors « qu’une prérogative individuelle reconnue et sanctionnée par le Droit objectif […] permet[tant] à son titulaire de faire, d’exiger ou d’interdire quelque chose dans son propre intérêt ou dans l’intérêt d’autrui » car elle permet d’exiger le retrait d’un lien. Selon Josserand « la théorie de l’abus de droit met en rapport l’objectif et le subjectif par cela même qu’elle entraîne nécessairement la confrontation d’un acte, production d’une volonté juridique, avec la fonction sociale d’un droit, concept objectif ». Il y a donc abus de droit dès lors que la prérogative est détournée de sa finalité et que la personne qui l’exerce cherche à nuire à autrui . Il en va ainsi lorsqu’une notification vise à censurer une idée au lieu de protéger un droit d’auteur.

1201. Au visa de l’article 1240 du Code civil les juges français indemnisent l’intégralité du préjudice et n’opposent pas d’exception de minimis à la victime. Il s’agit là d’une divergence fondamentale entre les deux systèmes car le préjudice subi par la rédaction et le traitement de la notification risque d’être souvent de minimis. Le droit français indemnisera donc plus souvent que les juges américains le préjudice subi à la suite de la réception d’une notification infondée. Le droit français s’avère par conséquent plus dissuasif.

1202. Le législateur américain n’a donc pas, à l’inverse du droit français, considéré que la théorie de l’abus de droit pouvait suffire à lutter contre les notifications infondées. Cette différence d’approche tire ses racines non seulement dans le fait que le droit de la responsabilité civile est une compétence des États fédérés et non pas du législateur fédéral, mais également dans les divergences entre la compréhension de ce principe dans les deux systèmes. En effet, alors que le droit français est marqué par le respect de l’impératif kantien imposant aux citoyens de se comporter comme il ou elle considère qu’autrui devrait le faire, la tradition américaine se limite à imposer aux individus de ne pas causer de préjudice à autrui de façon malveillante et sans que cela ne soit nécessaire . La conception est donc plus réduite aux États-Unis qu’en France. La jurisprudence américaine a néanmoins eu recours à la notion d’abus de droit en copyright notamment en matière de licence de droits . Cependant, la théorie de abuse of rights est cantonnée au domaine contractuel. Or, étant donné que les relations entre les expéditeurs de notifications et les créateurs automatiques de liens ne sont pas toujours contractuelles, la théorie aurait peu eu l’occasion d’être opposée. En outre, une distinction entre les situations contractuelles et extra-contractuelles aurait été difficilement justifiable car elle aurait diminué l’efficacité de la lutte contre la contrefaçon en facilitant la violation du copyright dès lors que l’expéditeur de la notification n’aurait pas conclu de convention avec le créateur automatique de liens – c’est-à-dire dans la majorité des hypothèses. Il s’avérait par conséquent nécessaire d’introduire une disposition spéciale en droit américain afin de transcender la distinction entre les relations contractuelles et extra-contractuelles.

1203. Les deux droits permettent également aux parties d’obtenir le remboursement des honoraires d’avocats en cas d’envoi d’une notification infondée. Ainsi, conformément à la section 512(f) du Copyright Act, les créateurs de liens pourront obtenir remboursement des frais de procédure et d’avocat en dehors de ceux concernant la préparation de la saisine du juge et de la préparation des actes dont les frais seront remboursés conformément à la section 505 du Copyright Act. En France, l’article 700 du Code de procédure civile permettra aux créateurs de liens d’obtenir le remboursement des frais de procédure et des honoraires d’avocats. Malgré cette convergence de principe les deux systèmes ont des pratiques différentes. En effet, les montants remboursés aux États-Unis seront très souvent bien supérieurs à ceux en France car les frais d’avocats sont plus élevés outre-Atlantique . Le montant des honoraires d’avocats risque de peser indûment sur la liberté d’entreprendre aux États-Unis. Ainsi, dans l’affaire Diebold , le défendeur a été condamné à payer la somme de 125 000 dollars incluant les dommages et intérêts ainsi que les frais d’avocats. Ce montant correspond effectivement aux sommes dépensées par le demandeur mais elle s’avère disproportionnée eu égard au préjudice que représente la notification infondée – c’est-à-dire le retrait d’un lien. Cela risque de dissuader certains ayants droit d’envoyer des notifications par crainte de commettre une erreur sur la véracité de leurs informations. Ils auront la possibilité de demander conseil à un avocat mais cela impliquera des dépenses qui s’avèrent dissuasives. Les auteurs sont donc confrontés à une limite économique à la protection de leurs droits aux États-Unis qui s’avère beaucoup plus forte qu’en France.

1204. Dans la majorité des cas, les dommages et intérêts indemniseront des situations où l’internaute n’aura pas de relations contractuelles avec un moteur de recherche. Les notifications infondées peuvent cependant être à l’origine de la rupture de relations contractuelles . Dans une telle hypothèse, les deux droits sanctionnent la rupture de relations contractuelles d’autrui. Les méthodes divergent néanmoins. En effet, le droit français sanctionne l’incitation à la rupture d’une relation contractuelle sur le fondement des articles 1199 , 1200 et 1240 du Code civil français . En principe, le droit américain converge vers le droit français car cette pratique est interdite sur le fondement de la section 766A du Restatement (Second) of Torts – qui constitue une œuvre doctrinale sans valeur obligatoire pour les États fédérés mais dont ils ont pu s’inspirer. Les deux systèmes divergent cependant car le droit américain n’opposera pas cette interdiction aux rédacteurs de notifications infondées. En effet, le fondement de la rupture des relations contractuelles d’autrui est absorbé par le copyright aux États-Unis . La preemption permet d’apporter une réponse unitaire sur tout le territoire américain. Elle s’avère d’autant plus utile pour les litiges sur Internet où les frontières des pays – et a fortiori des États américains – que des réponses fracturées en fonction de règles de droit international privé n’apporteraient que des solutions imparfaites et inutilement complexes.

1205. Les sanctions civiles en cas d’envoi de notifications infondées apparaissent donc encadrées en droit français, et particulièrement fortes en droit américain – en dehors de la question des ruptures de relations contractuelles. Cette distinction entre l’apparent laxisme du droit français et la dureté de la réponse américaine doit cependant être nuancée par l’introduction de sanctions pénales en France.

B) Les sanctions pénales

1206. La sanction pénale intervient pour réprimer une violation à l’ordre public. Les droits européen et américain ont divergé sur son introduction afin de lutter contre les notifications infondées. Ainsi, alors que le DMCA n’a pas introduit de répression pénale des notifications infondées, la directive e-commerce a laissé les États membres déterminer les sanctions applicables sans interdire les sanctions pénales . Les sanctions doivent être effectives, proportionnées et dissuasives. Étant donné que ces sanctions visent à s’appliquer aux hypothèses de violation des dispositions des lois transposant la directive il y a lieu de penser que ces règles s’appliquent aux notifications infondées qui sont interdites par la LCEN. Ainsi, la LCEN dispose à l’article 6-I-4 que la personne qui présente à un créateur automatique de liens une notification infondée afin d’obtenir le déréférencement de la page, tout en sachant que l’information communiquée est erronée, encourt une peine d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende. La peine est donc la même que celle prévue à l’article 413-5 du Code pénal qui interdit de s’introduire frauduleusement sur un terrain. Le droit français punit donc les différentes modalités de privation de la jouissance d’un espace – qui est constituée lorsqu’un lien est indûment désindexé à la suite d’une notification infondée – de la même peine. En effet, lorsqu’une page est désindexée, elle est moins visible pour les internautes et les revenus publicitaires baissent et le créateur de lien a vu son réseau s’effilocher. La peine s’avère donc cohérente dans le système français. Il est cependant peu probable que les juges condamnent effectivement à cette peine, car les peines inférieures ou égales à deux ans peuvent faire l’objet d’aménagement . Or, étant donné que les rédacteurs de notifications infondées ne constituent pas des dangers pour la société et que la France souffre d’une surpopulation carcérale chronique, il est peu probable que les juges décident de condamner à une peine de prison ferme les expéditeurs de notifications infondées. La peine la plus dissuasive et la plus prononcée sera donc la peine d’amende.

1207. Les droits français et américain divergent donc sur la valeur accordée à la notification infondée. Elle constitue une violation de l’ordre public en France alors qu’il ne s’agit que d’un simple interdit aux États-Unis. Cette différence est surprenante car les notifications infondées constituent des mensonges qui sont particulièrement mal perçus aux États-Unis et heurtent les valeurs américaines . Le législateur français est en revanche retombé dans sa frénésie pénaliste.

1208. La solution américaine nous apparaît plus opportune car, bien que le mensonge constitue une violation des valeurs fondamentales françaises et américaines , la répression pénale apparaît hors de propos. En effet, la prison sert à mettre à l’écart des individus dangereux pour la société en neutralisant les délinquants dangereux , à éviter que les victimes ne se fassent justice elles-mêmes, à constituer une dissuasion et à permettre la réinsertion sociale des condamnés. Or, la lutte contre les notifications infondées ne confronte pas les auteurs à des personnes devant être enfermées, ni à des personnes dangereuses, elle ne devrait pas susciter d’envie de se faire justice soi-même et la réinsertion sociale des rédacteurs ne pose a priori pas de difficulté particulière. Il apparaît donc inopportun de faire peser le risque d’une condamnation carcérale aux rédacteurs de notifications infondées. En outre, eu égard au taux d’incarcération aux États-Unis et à la surpopulation carcérale en France une telle réponse pour des actes d’une gravité somme toute limitée n’apparaît pas nécessaire. Quant à la peine d’amende son utilité est limitée car elle est effectivement dissuasive tout comme peut l’être le montant élevé des honoraires d’avocats aux États-Unis, mais il serait plus utile d’utiliser le montant de ces amendes pour financer la création.

1209. Les sanctions ont été pensées pour être naturellement opposées à des actes effectués par des humains. Cependant, le développement des logiciels permet d’effectuer des actes sans contrôle humain direct. Les sanctions opposées aux violations de la loi survenant dans ces circonstances posent des difficultés nouvelles.

II) Les notifications infondées envoyées par des logiciels

1210. Des logiciels traquent désormais les contrefaçons en ligne et envoient automatiquement des notifications aux créateurs automatiques de liens . Cette automatisation est à l’origine de l’explosion du nombre des notifications. La société Youtube gère ainsi en moyenne trois millions de notifications par an. Ces envois sont effectués sans aucun contrôle humain. Ces logiciels s’avèrent particulièrement dangereux pour l’Internet car les créateurs automatiques de liens ont souvent tendance à désindexer des contenus dès lors qu’ils reçoivent des notifications .

1211. Néanmoins, les droits français et américain opposent des réponses largement insatisfaisantes. En effet, la théorie française de l’abus de droit n’a vocation à s’appliquer que lorsque la prérogative est détournée de sa finalité et que la personne qui l’exerce cherche à nuire à autrui . Il s’agit donc d’une exception au régime de la responsabilité civile qui est traditionnellement indifférente à la volonté car le juge contrôlera un faisceau d’indices dans lequel il pourra inclure la volonté de nuire . Elle risque donc de s’avérer inapplicable aux algorithmes sauf si les juges retiennent qu’il existe un faisceau d’indices suffisant même en l’absence d’une volonté de nuire. La jurisprudence française pourra néanmoins sanctionner les dommages subis sur le fondement de l’article 1240 du Code civil dès lors que le propriétaire d’un site Internet aura subi un dommage à cause de la notification infondée. La faute – qui se comprend de façon objective et non pas subjective – sera constituée par l’envoi d’une notification infondée.

1212. Le droit américain présente la même faiblesse car il se fonde encore plus sur le critère de la volonté. En effet, les notifications infondées sont sanctionnées par la notion de misrepresentation . Elle est opposable lorsque les rédacteurs avaient connaissance du caractère erroné des affirmations qu’elle contenait , ce qui est conforme à la position traditionnelle de la Common Law . Or, le propriétaire d’un tel système n’a pas connaissance de la véracité ou non des notifications envoyées par son système. Dès lors, étant donné que les régimes sanctionnant les notifications infondées sont fondés sur la volonté de commettre un tort à autrui, ils n’ont pas vocation à s’appliquer à des machines. Les juges pourront retenir que l’algorithme a été programmé par des êtres humains et que ses décisions reflètent leurs choix mais ce raisonnement sera artificiel.

1213. Il est par conséquent nécessaire que les législateurs américain et français se saisissent de la question. Le législateur américain devrait modifier la section 512 (f) du Copyright Act pour retirer l’élément intentionnel de la notification infondée lorsqu’elle n’est pas émise par un être humain. Le législateur français devrait quant à lui introduire une sanction spéciale en cas de notification infondée qui, suivant notre proposition pour le droit américain, intégrerait l’élément volontaire pour les personnes humaines et appliquerait en revanche un régime de responsabilité de plein droit pour les notifications infondées envoyées par des logiciels. Ce dernier régime serait justifié par la théorie du risque car les algorithmes permettent à leur propriétaire de se rémunérer tout en introduisant un risque dans la société. Il est donc juste que leur responsabilité puisse être engagée dès lors qu’ils commettent un dommage à autrui. Les dispositions de l’article 1242 alinéa 1 du Code civil pourraient servir de modèle à cet égard.

1214. Cela aurait sans doute pour conséquence de décourager les entrepreneurs travaillant dans le secteur des notifications automatiques. Cependant, la préservation du réseau Internet nécessite de ne pas accepter tous les actes ayant pour conséquence de déréférencer des contenus sur Internet. Les auteurs doivent continuer à contrôler par eux-mêmes, ou par leurs agents, au respect de leurs droits sur Internet. Ce type de contrôle implique des coûts plus importants que le recours à une machine, mais comme toute activité économique, l’activité culturelle implique des dépenses pour la préservation des intérêts des personnes qui la mènent.

1215. Un autre moyen, non juridique, de lutter contre les notifications infondées, est sans doute de les rendre publiques. La société Google communique les notifications – sans distinction selon quelles soient fondées ou non – au site chillingeffects.org . Grâce à la transparence que ce système implique, tous les internautes peuvent avoir connaissance du nombre de notifications envoyées par les internautes. Bien que ce système soit à la limite de l’humiliation publique il inciterait, s’il était appliqué aux seules notifications infondées, les internautes à ne pas exagérer dans leurs envois de notifications. Cela permettrait également aux juges d’avoir connaissance du nombre d’envois de notifications et de distinguer les situations où les expéditeurs ont commis une erreur ponctuelle – qui peut n’être sanctionnée que faiblement à cause du danger social limité qu’elle représente – des hypothèses où l’expéditeur a adopté la pratique régulière d’envoyer des notifications infondées – et dans ce cas les sanctions pourront être plus importantes afin de dissuader les internautes d’adopter systématiquement ce comportement. Il s’agirait dès lors d’étendre le principe déjà connu des juges selon lequel l’existence procédures abusives précédentes peut constituer une preuve supplémentaire de l’absence de bien fondé d’une demande .

1216. Les propriétaires de sites Internet ne sont donc pas démunis face aux notifications infondées. Dès lors que la notification apparaît infondée, le créateur automatique de lien réindexera la page.

Section 2 : Le rétablissement du lien

1217. Les créateurs automatiques de liens sont confrontés à la charge du traitement des notifications mais également de la gestion des conséquences des notifications infondées. Ils devront par conséquent rétablir les liens qu’ils auront annulés. Cette solution pèse sur leur liberté d’entreprendre car ils devront y dédier des ressources. Elle s’avère cependant nécessaire afin d’assurer un équilibre satisfaisant avec les intérêts des internautes qui ne peuvent être laissés sans recours contre les notifications .

1218. Les droits français et américain permettent par conséquent aux internautes de demander le rétablissement des liens ayant fait l’objet d’une annulation à la suite de l’envoi d’une notification. Or, afin d’établir le meilleur équilibre possible, les deux droits ont établi une procédure collaborative (Sous-Section 1) qu’ils incitent à suivre sous peine de sanctions (Sous-Section 2).

Sous-Section 1 : La collaboration lors du rétablissement du lien

1219. Les créateurs automatiques de liens devront collaborer avec le propriétaire du site Internet qui pourra envoyer une contre-notification afin que le lien soit rétabli (Paragraphe 1). Les créateurs automatiques de liens devront également informer les expéditeurs des notifications du rétablissement du lien afin qu’ils soient informés et puissent prendre les mesures qu’ils estiment être adéquates (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : La procédure de rétablissement du lien

1220. Le propriétaire d’une page Internet devra faire savoir au créateur automatique de lien qu’il est en désaccord avec la décision de désindexation en envoyant une contre-notification (I). À sa réception le créateur automatique de lien procédera au rétablissement du lien (II).

I) La contre-notification

1221. Lorsqu’une page a été désindexée son propriétaire peut envoyer une contre notification au créateur de liens afin qu’il rétablisse le lien. Les droits français et américain ne convergent pas a priori sur la procédure à suivre. En effet, alors que le droit américain a introduit une procédure précise dans le DMCA – tout comme la Finlande et la Lituanie – la LCEN française est restée muette sur cette question. En effet, le droit français conçoit le déréférencement comme la dernière étape avant la saisine du juge. Le législateur français n’a donc pas introduit une étape ad hoc avant la procédure judiciaire. Il n’interdit cependant pas aux parties de tenter une résolution non-judiciaire du conflit. Le législateur américain a donc ajouté une étape par rapport au droit français avant la procédure judiciaire.

1222. Cette différence d’approche entre la France et les États-Unis s’inscrit plus globalement dans des rapports différents aux modes alternatifs de résolution des conflits. Ils sont particulièrement populaires aux États-Unis où ils permettent de résoudre rapidement et à moindre coût des différents entre les parties. Or, étant donné que les sommes en jeu en cas de contrefaçon par un hyperlien restent faibles par rapport aux frais d’un procès s’approchant souvent – voire dépassant – le million de dollars , la procédure extrajudiciaire revêt toute son importance aux États-Unis. En France en revanche, la facilité d’accès au juge – dont la saisine est gratuite – et le montant raisonnable des frais d’avocats dont les honoraires sont encadrés plus strictement qu’outre-Atlantique, permettent d’accéder plus facilement à une juridiction. La praxis américaine est donc plus ouverte au règlement des litiges hors juridiction que la tradition française. Cette différence est le résultat des histoires différentes des deux pays. Alors que les Américains ont dû pendant plusieurs siècles régler leurs litiges par des moyens alternatifs à cause de la difficulté d’accéder à un juge, les Français ont toujours eu un accès facile à des tiers – qu’ils soient des juges étatiques ou des autorités religieuses – afin de résoudre leurs litiges. La ligne de fracture vient donc principalement de la confiance dans les juridictions en France opposée à l’esprit américain farouchement indépendant. Cette tradition américaine est particulièrement adaptée aux enjeux de l’Internet. En effet, une résolution non judiciaire des litiges permet de résoudre plus rapidement les litiges , et la vélocité est un facteur clé de la lutte contre la contrefaçon sur Internet. Ainsi, même lorsqu’ils sont saisis, il arrive parfois que les juges américains renvoient les parties à trouver un accord entre elles.

1223. Il sera obligatoire en droit américain – à l’inverse du droit français – d’envoyer la contre notification avec la signature physique ou électronique de l’expéditeur ainsi que son nom et son numéro de téléphone . Cette condition est similaire à celles imposées pour la notification initiale. Le nombre de condition s’avère néanmoins plus réduit que pour la section 512(d)(3) relative aux notifications car le créateur automatique de liens est, à ce stade, déjà en possession de plusieurs informations permettant de contacter l’internaute. Il ne s’avérait donc pas nécessaire, dans le cadre d’une procédure extrajudiciaire, d’imposer un formalisme inutile là où les parties sont déjà en possession des informations pertinentes. L’objectif est en effet toujours d’assurer une résolution informelle et rapide des litiges en fournissant des coordonnées permettant une communication efficace avec l’expéditeur. Le droit américain vise donc à donner aux parties intéressées les moyens de régler à l’amiable le litige qui les oppose.

1224. L’expéditeur devra également – en droit américain – préciser les éléments permettant d’identifier la page litigieuse et le contenu . Cette obligation permet non seulement d’assurer la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens qui n’auront ainsi pas besoin d’effectuer des frais de recherche importants, et elle évite également une surveillance de l’Internet par les prestataires de service. Les créateurs automatiques de liens sauront en effet quelle page devra être réindexée.

1225. Il est également requis de l’expéditeur qu’il affirme qu’il est de bonne foi et que les contenus ont été retirés par erreur ou à la suite d’une identification erronée. Les droits américain et français divergent sur cette question malgré une approche initiale commune. En effet, la penalty of perjury, en vigueur aux États-Unis, est issue du parjure médiéval qui pouvait entraîner la condamnation à mort de quiconque mentait après avoir prêté serment sur la Bible. Le droit américain a maintenu ce concept bien qu’il l’ait modernisé et sécularisé. Le droit français s’est affranchi du parjure pour lui substituer le faux témoignage ainsi que le faux serment civil . Cependant, à l’inverse de la section 512 du DMCA, le droit français ne sanctionne pas le mensonge effectué devant une entité autre qu’un juge et le faux témoignage comme le parjure n’auront donc pas vocation à s’appliquer aux contre-notifications infondées. Cette solution est contestable étant donné que le droit français confère aux créateurs automatiques de liens, à l’inverse du droit américain, un rôle de quasi-juge. Il était donc concevable, eu égard à la qualité conférée aux créateurs automatiques de liens et à la nécessité de préserver la structure de l’Internet, de sanctionner les personnes à l’origine de notifications ou de contre-notifications infondées. En effet, puisque les sociétés française et américaine sont fondées sur la confiance , il s’avère nécessaire de décourager les affirmations mensongères.

1226. Étant donné que le législateur américain a considéré que le mensonge dans la contre-notification constitue un acte grave il a introduit, à l’inverse du législateur français, une sanction sévère à la section 1621 du Crimes and Criminal Procedure Act. Le perjury est ainsi condamné d’une peine d’amende ainsi que d’une peine de prison allant jusqu’à 5 ans. La sanction est pour le moins sévère et dissuasive. Le droit français en revanche n’appliquera pas de sanction pénale et acceptera donc plus facilement le mensonge que le droit américain. L’approche doit cependant être nuancée car, lorsque les parties en arrivent à la contre notification en droit américain, elles peuvent déjà être devant le juge étatique en France. Le mensonge crédible devant le juge sera dès lors sanctionné . La divergence entre les deux systèmes s’avère donc de facto relative.

1227. L’expéditeur devra également mentionner dans la contre notification de droit américain qu’il consent à la compétence de la Cour fédérale de district pour le lieu où il est situé . En revanche, s’il se trouve en dehors du territoire américain, il devra reconnaître la compétence de toute Cour fédérale de District où le créateur automatique de liens peut être trouvé. L’expéditeur devra en outre affirmer qu’il accepte la compétence de la juridiction de la personne à l’origine de la notification. Cette mention n’a pas besoin d’être précisée dans la notification. L’expéditeur est donc supposé accepter la compétence de la juridiction du lieu pertinent.

1228. Le droit américain se montre également plus strict sur le destinataire de la contre notification. En effet, alors que le droit français ne le mentionne pas, le DMCA précise que la contre notification doit être envoyée à un agent désigné par le créateur automatique de liens. Cette règle fait écho à celle applicable en matière de notification qui n’est pourtant pas applicable aux créateurs automatiques de liens . L’absence d’obligation d’avoir un agent pour réceptionner les notifications est donc d’autant plus incompréhensible que le parallélisme des formes l’aurait commandé. Elle est également classique en droit des sociétés américain car les sociétés sont encouragées à nommer un agent en charge de la réception des notifications des tiers . La solution de la section 512(g)(3) doit être approuvée dans la mesure où elle permet aux créateurs automatiques de liens de centraliser les demandes et a priori de les traiter plus rapidement.

1229. Le DMCA introduit donc un système mixte visant à inciter les parties à résoudre leurs litiges par des moyens alternatifs tout en préparant l’éventualité d’un procès, alors que le droit français prépare plus en amont le procès et que le législateur français n’a pas prévu cette dernière étape de tentative de résolution du conflit – bien qu’il ne l’interdise pas. La méthodologie américaine permet de tenter de résoudre le conflit en dehors des tribunaux tout en mettant un terme possible à la suite de notifications et de contre notifications. Le droit français ainsi que le DMCA incitent donc, bien qu’à des moments différents, les parties à privilégier un système où elles seraient a priori gagnantes en résolvant elles-mêmes leur litige à une hypothèse où elles seraient perdantes en recourant à un juge. Il s’agit d’une méthode désormais classique en droit français et reprise à l’article 1195 nouveau du Code civil.

1230. Les contre-notifications infondées constituent un risque pour le respect du droit d’auteur et du copyright ainsi que pour la liberté d’expression. Cependant, seul le droit américain a prévu des dispositions ad hoc pour lutter contre ce phénomène en appliquant les mêmes sanctions que pour les notifications infondées . Le droit français appliquera le droit commun comme il le fait pour les notifications infondées , ce qui ne constitue pas une difficulté importante étant donné que l’article 1240 nouveau du Code civil est assez souple pour s’appliquer dans de nombreuses situations. Il était possible d’introduire des sanctions différentes car les intérêts protégés ne sont pas les mêmes. Cependant, ce parallélisme présente l’intérêt de la simplicité et l’introduction d’une autre sanction aurait inutilement allongé les rédactions déjà particulièrement complexes des réglementations française et américaine en la matière. Cette simplification participe de l’affirmation de la liberté d’entreprendre.

1231. À la suite de la réception d’une contre notification le créateur automatique de lien peut rétablir le lien qu’il avait précédemment supprimé.

II) La procédure de rétablissement du lien

1232. Les États-Unis ne connaissaient initialement pas de procédure légale de rétablissement du lien. En effet, les dispositions de la section 512(g) du Copyright Act se limitaient aux hébergeurs de la section 512(c). Ils se trouvaient donc dans une situation identique à celle connue au sein de l’Union Européenne car les législateurs européen et français n’ont pas abordé cette possibilité. Cette absence est surprenante car elle faisait le jeu de tous les censeurs qui trouvaient ainsi un moyen d’obtenir la désindexation de pages sans que les créateurs automatiques de liens ne soient tenus de les réindexer. Cette situation faisait peser un véritable risque sur l’accès aux contenus sur Internet.

1233. Cependant, l’arrêt américain Perfect 10 v. Cybernet Ventures a étendu les dispositions de la section 512(g) aux créateurs automatiques de liens. La cour a donc privilégié une interprétation conforme à la ratio legis et non pas au principe selon lequel les exceptions sont d’interprétation stricte. La jurisprudence américaine a par conséquent introduit un droit au référencement des contenus licites sur Internet. La jurisprudence n’est pas allée jusqu’à consacrer un droit du public à l’accès aux contenus mis en ligne, mais elle l’a de facto reconnu. Le droit français a donc effectué une mauvaise copie du droit américain en ne s’inspirant que de la lettre du DMCA et non pas de l’œuvre de la jurisprudence américaine.

1234. Ainsi, à la suite de la réception d’une contre-notification, le créateur automatique de liens est tenu de réindexer – aux États-Unis – le contenu dans un délai compris entre 10 et 14 jours ouvrés courant à partir de la réception de la contre-notification sous peine d’engager sa responsabilité. Ce délai peut s’avérer particulièrement long même s’il présente l’intérêt, par rapport au droit français, d’établir un cadre pour les parties. Ainsi, lorsque le candidat à l’élection présidentielle américaine John MacCain a demandé à la société Youtube de rétablir les liens vers les vidéos de campagne – que certaines chaînes de télévision avaient qualifiées de contrefaçons étant donné qu’elles étaient titulaires du copyright – le créateur automatique de lien a opposé le délai de la section 512(g)(2)(c) du Copyright Act. Or plusieurs jours d’absence sur les réseaux sociaux peuvent peser dans une campagne présidentielle. La société Youtube s’est montrée a priori politiquement neutre mais des tiers peuvent utiliser la réglementation actuelle sur les notifications afin de censurer temporairement des idées auxquelles ils s’opposent. Le copyright et le droit d’auteur ne servent pourtant pas à censurer des idées mais à inciter à la création .

1235. Or, si la majorité des créateurs de liens cherche à maintenir leur neutralité afin de ne pas compromettre leur image auprès de leurs clients, ce système pose un réel risque sur la neutralité des créateurs de liens sur Internet. Ils risquent en effet de présenter des listes de résultats qui seront en partie censurées par des tiers. En outre, en étant absent du référencement pendant un certain temps, le site sera moins bien référencé par les moteurs de recherche à moins de violer le principe de neutralité de l’Internet. Il n’existe pas de droit à être référencé et toute intervention du moteur de recherche violerait le principe de neutralité. Le délai imparti par le DMCA est donc trop long et il devrait être remplacé par un délai plus court. Il est ainsi nécessaire que le législateur américain prenne acte du fait que le copyright est régulièrement détourné de son objectif principal afin de censurer des discours. Le législateur américain devrait également introduire une exception au copyright concernant les discours politiques. Une telle exception existe en droit français . Or, il existe beaucoup moins de litiges portant sur la censure de contenus politiques par le droit d’auteur. Il existerait donc une corrélation entre la prévisibilité d’une exception portant sur les œuvres protégées contenant des idées politiques et le faible nombre de tentatives de censure de ces contenus. L’exception concernant les discours politiques permet aux créateurs automatiques de liens de ne pas désindexer les contenus politiques car ils sauraient que ceux-ci bénéficient d’une exception au droit d’auteur ainsi qu’au copyright. Cette difficulté du droit américain souligne également un autre intérêt du système français. En effet, en recourant plus facilement au juge, le droit français permet de limiter les situations où des contenus seront supprimés simplement dans un but de censure alors que la procédure amiable américaine le permet .

1236. L’obligation de rétablir le lien ne s’appliquera cependant pas, en droit américain, si la personne à l’origine de l’envoi de la première notification saisit la juridiction compétente . Dans ce cas, il a été considéré comme étant inutile de solliciter le créateur automatique de liens, et donc de lui faire engager des frais, alors qu’une décision judiciaire sera rendue. Cela permet de limiter le rôle des créateurs automatiques de liens au strict minimum nécessaire pour assurer le respect du copyright sur l’Internet sans limiter leur liberté d’entreprise au-delà de ce qui apparaissait au législateur comme étant strictement nécessaire. Il s’agit donc d’une solution de compromis entre les intérêts divergents.

1237. À la suite du rétablissement du lien les parties sont revenues au statu quo ante. Dès lors, si le contenu lié était initialement contrefaisant, les ayants droit souffrent une nouvelle fois d’une violation de leurs droits. Cependant, à défaut de connaissance du rétablissement du lien ils ne peuvent défendre leurs intérêts. Il serait par conséquent nécessaire qu’ils aient connaissance du rétablissement du lien.

Paragraphe 2 : L’absence d’information des ayants droit

1238. Ni le DMCA ni la directive e-commerce – et a fortiori la LCEN française – ne font obligation au créateur automatique de lien d’informer l’expéditeur de la notification initiale que la page litigieuse a été réindexée. Cette absence ne nous semble pas justifiée et il aurait été plus judicieux d’imposer une obligation d’information aux créateurs automatiques de liens lorsqu’ils rétablissent la situation antérieure à la réception de la notification.

1239. Cette absence signifie en creux que les ayants droit ont un devoir de surveillance des liens. Afin d’être sûr que le lien n’a pas été rétabli, il sera en effet nécessaire de contrôler sur des sites référençant les liens menant vers une page voir opter pour une alerte des moteurs de recherche tels que Google. Les auteurs conservent donc leur devoir de surveillance de l’Internet et le législateur n’a pas imposé d’obligation de collaboration aux créateurs de liens. La charge est donc particulièrement lourde pour les auteurs.

1240. Cette absence d’obligation d’informer l’ayant droit de la réindexation du contenu permet cependant aux créateurs automatiques de liens de ne pas souffrir de nouvelles dépenses – qui limiteraient leur liberté d’entreprendre – alors que la notification initiale était infondée. Cette seule absence serait dérisoire face au problème des notifications infondées. Les législateurs américain et français ont par conséquent introduit des sanctions afin de les dissuader.

Sous-Section 2 : Les sanctions de l’absence de rétablissement du lien

1241. À l’inverse de la directive e-commerce et de la LCEN française, la section 512(g) du Copyright Act dispose que le service provider – et par conséquent le créateur automatique de liens – qui ne rétablit pas la situation antérieure à la notification – i.e. la réindexation de la page objet de la notification infondée – engagera sa responsabilité envers qui que ce soit, c’est-à-dire généralement les ayants droit ou l’internaute ayant subi un préjudice à cause de la désindexation. La responsabilité du créateur automatique de liens ne sera cependant pas engagée si son agent reçoit une notification avant l’expiration du délai de 14 jours ouvrés l’informant que le rédacteur de la première notification a saisi la juridiction compétente afin qu’il soit mis un terme à la contrefaçon sur la page liée. Le droit américain a par conséquent introduit un droit subjectif au référencement dès lors qu’une page a été la cible d’un lien.

1242. Il n’apparaît pas, à la lecture du DMCA, que ce droit ne permette d’imposer au créateur automatique de lien un placement précis dans la liste des résultats suggérés par les moteurs de recherche. En effet, cela irait à l’encontre du principe de neutralité de l’Internet qui interdit d’opérer des discriminations entre les contenus. Les résultats proposés par les moteurs de recherche doivent être le résultat de choix objectifs et les meilleurs résultats doivent naturellement être présentés en premier dans ce qui s’apparente à une évolution darwinienne de l’Internet . Or, étant donné que le classement des résultats dépend en partie du nombre de visites d’un site, le déréférencement pendant quelques jours peut influer sur la visibilité d’un site. Il nous semble qu’il s’agit là d’un risque que les propriétaires de sites Internet doivent accepter car il s’avérerait trop dangereux de permettre aux juges d’influer sur les résultats des algorithmes étant donné que cela remettrait en cause le principe de neutralité de l’Internet.

1243. Les droits français et américain divergent donc profondément dans leurs méthodes de règlement des litiges portant sur les liens. Alors que le droit américain laisse une grande place à la résolution extra-judiciaire des conflits le droit français lui laisse une place somme toute limitée et assure le respect du droit d’auteur et de la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens aux juridictions étatiques. Cela aura des conséquences sur la procédure et sur la résolution du litige.

Conclusion du Chapitre 1

1244. Le contrôle du respect du droit d’auteur et du copyright se trouve complexifié par le principe de l’absence de surveillance de l’Internet par les créateurs automatiques de liens. Ce principe ne souffre aucune exception aux États-Unis. Cependant, l’Europe s’est montrée plus friande des équilibres entre les intérêts en présence et autorise la surveillance dès lors que la mesure reste ponctuelle et précise, et qu’elle est prononcée par une autorité judiciaire ou administrative.

1245. Dès lors que les mesures de surveillance s’avèrent limitées, le seul moyen de porter à la connaissance des créateurs automatiques de liens la présence d’une contrefaçon réside dans l’envoi d’une notification. La notification suit un régime à la fois formaliste et souple. En effet, il est nécessaire d’envoyer un écrit précisant les faits allégués, l’identité de l’expéditeur avec son adresse dans les deux pays ainsi que son numéro de téléphone et son adresse e-mail aux États-Unis. Le droit français prépare un procès alors que le droit américain vise à établir un canal de communication entre les parties. Les procédures sont néanmoins relativement souples étant donné que les modalités d’envoi sont libres et qu’en droit américain les expéditeurs peuvent mentionner une liste seulement représentative de contrefaçons seulement et non pas l’intégralité. La difficulté principale à laquelle seront confrontés les auteurs européens réside dans l’absence d’harmonisation des règles de procédures de notifications. Il sera non seulement nécessaire d’envoyer une notification par pays, mais en plus l’auteur devra s’informer sur les règles applicables à chaque pays. La procédure sera donc plus protectrice aux États-Unis car elle est unique pour l’intégralité du pays.

1246. Une fois que la notification a été reçue la question de sa réception soulèvera des difficultés spécifiques. La notification sera opposable dès lors qu’elle est reçue par le destinataire.

1247. Le système est par conséquent bâti afin de limiter au minimum la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens. Cependant, les États-Unis se sont montrés plus protecteurs des intermédiaires techniques que la France. En effet, les créateurs automatiques de liens américains n’ont pas l’obligation de contrôler le bien fondé des notifications, alors qu’en droit français, ils sont tenus de vérifier le fondement de la notification. La solution française constitue un fardeau supplémentaire pour les créateurs automatiques de liens, mais présente l’intérêt d’opposer un filtre aux notifications infondées. Dès lors, le juge n’a pas le monopole de l’application du droit en France qui a choisi un système de multirégulation. Il revient donc aux rédacteurs de notifications relevant du droit américain de contrôler le bien fondé de leurs demandes et notamment l’application de l’exception de fair use. Cette solution implique donc une augmentation du coût de la notification en conseils qui risque de décourager certains auteurs dès lors qu’une notification peut coûter environ 2 000 dollars.

1248. Dès lors que les moteurs de recherche estiment être au courant de la présence d’une contrefaçon – et que le voile d’ignorance assurant leur protection tombe – ils devront initier la procédure de retrait du lien. Le retrait devra être prompt en Europe et aux États-Unis. Cependant, la notion de promptitude avait été déclarée inconstitutionnelle en France car elle apparaît trop vague. Elle a été réintroduite à l’occasion de la directive e-commerce. La France applique donc un standard européen considéré comme inconstitutionnel. Les États-Unis n’ont pas cette difficulté d’autant plus que la jurisprudence a établi un test en trois étapes pour déterminer la promptitude du retrait : les juges devront prendre en compte la technique la plus moderne, la nature de la notification et l’absence de fardeau excessif. Mais cette rapidité dans le retrait couplé avec l’absence de contrôle du bien fondé des notifications implique une absence de filtre dangereuse pour l’accès aux informations sur Internet. Des œuvres non soumises au copyright sont en effet désindexées à la suite de la réception de notifications infondées.

1249. Le risque de retrait infondé étant plus élevé aux États-Unis qu’en Europe le droit américain fait obligation aux créateurs automatiques de liens d’informer le propriétaire de la page désindexée du retrait du lien. Cette obligation n’a malheureusement pas été introduite en droit européen. Les propriétaires de sites Internet peuvent donc ne pas être informés du retrait d’un lien vers leurs sites.

1250. Une fois le retrait du lien effectué, le contrefacteur pourra chercher à rétablir un lien. Afin d’éviter une course sans doute perdue d’avance ponctuée de notifications et de nouveaux liens, une procédure spéciale concernant les contrefaçons répétées a été instaurée. Cependant, les contrefaçons répétées sont parfois difficiles à détecter, surtout lorsque l’œuvre est référencée sous son nom traduit dans une autre langue. En outre, cette possibilité pose le problème du contrôle de l’Internet étant donné qu’elle instaure une obligation de surveillance. Cette obligation doit néanmoins être équitable, proportionnée et non excessivement coûteuse. Autrement, la mesure serait contraire à la liberté de recevoir ou de communiquer des informations.

1251. Outre les mécanismes de contrôles qui constituent un premier niveau de protection du réseau Internet, les juridictions peuvent prononcer des sanctions en cas d’envoi de notifications infondées. Cependant, alors que le droit français engagera la responsabilité de l’expéditeur sur le fondement de l’abus de droit, le droit américain applique le régime de la misrepresentation. La misrepresentation est constituée lorsque quatre critères sont réunis : l’affirmation doit être infondée, la notification doit être concrète, elle doit être envoyée en connaissance de cause et un préjudice doit avoir été subi à cause de la notification infondée. Dans une telle hypothèse, les droits français et américain appliquent des sanctions civiles. Cependant, le droit français va plus loin en offrant la possibilité aux demandeurs de saisir les juridictions pénales. Néanmoins, une telle action présente peu de risque d’incarcération car la peine étant plafonnée à un an d’emprisonnement les personnes condamnées verront – heureusement – leurs peines commuées en peines alternatives.

1252. Ces peines ne s’appliquent que lorsque l’émetteur est une personne humaine. Or, la majorité des notifications sont désormais envoyées par des logiciels. Dès lors, la majorité des notifications infondées ne sont pas passibles de sanction, d’autant plus que les régimes applicables aux personnes humaines ne le sont pas aux logiciels. Les législateurs des deux côtés de l’Atlantique devraient par conséquent se pencher sur la question afin d’endiguer ce fléau en luttant à la base du modèle économique qui les sous-tend.

1253. En outre, s’il s’avère que la notification est infondée il sera possible de rétablir le lien. Les ayants droit ne sont pas informés du rétablissement du lien. Il existe en outre un droit subjectif au rétablissement du lien aux États-Unis car le créateur automatique de liens pourrait voir sa responsabilité engagée s’il ne rétablit pas le lien.

1254. Le régime des notifications vise donc à établir un délicat équilibre entre les intérêts des auteurs, des créateurs de lien et du public. Il oscille donc entre rigidité et souplesse et impose de suivre une procédure rapide.

1255. Il arrive cependant que dans certains cas cette recherche de solution n’aboutisse pas et que les parties aient besoin d’un tiers afin de résoudre leur litige. Cela impliquera des coûts et du temps limitant de facto la liberté d’entreprendre des créateurs de liens.

Chapitre 2 : Le temps de la résolution du conflit

1256. La dématérialisation présente une dimension révolutionnaire au sens de la « Critique de la violence » de Benjamin , dans la mesure où elle s’avère ininstituable ni en un ordre ni en un droit, ni en un État . Le Conseil d’État français a ainsi retenu que l’espace d’Internet n’est « pas naturellement celui du droit », ce qui ne surprend pas, étant donné que dans les premiers temps de l’Internet la jurisprudence française a adopté une approche universaliste et a hésité, à l’inverse du droit américain , à appliquer le droit français . Le droit, et notamment le droit d’auteur , est en effet traditionnellement d’application territoriale . Il est donc initialement apparu difficile d’appliquer le droit à l’Internet. L’Internet pose donc un défi nouveau au droit et à la souveraineté des États qui avaient toujours été pensés comme territoriaux. Cela impose dès lors que du droit se trouve produit en dehors de la sphère traditionnelle étatique . Cette nouvelle approche du droit implique des difficultés de compréhension et une certaine insécurité juridique qui se traduiront en coûts supplémentaires. Ces coûts pèseront sur la liberté d’entreprendre des créateurs de liens.

682. Partant de ce constat, certains libertaires considèrent que le droit étatique n’a pas vocation à s’appliquer à l’Internet et que l’autorégulation ainsi que l’autonormativité doivent s’imposer. Ce mouvement s’inscrit plus généralement dans un idéal libertarien qui touche de nombreuses branches du droit. Il en va ainsi notamment en droit du travail où les rapports sociaux sont de plus en plus contractualisés . En outre, la technique a participé à l’émergence de cet idéal libertaire et le renforce car les ordinateurs présentent l’avantage, par rapport aux machines traditionnelles, de pouvoir se réguler eux-mêmes en fonction des objectifs qui leur étaient assignés . L’Internet était ainsi perçu comme un état de nature rousseauiste inapte à recevoir des normes juridiques et constituerait ainsi un espace idéal d’autorégulation. Cette approche s’inscrit dans une dynamique de critique de la légitimité de l’État en tant que créateur de norme. L’État est ainsi considéré comme un agent allochtone . Les acteurs économiques – et plus généralement la société civile – sont souvent perçus comme étant mieux placés afin de déterminer les conséquences des règles qu’ils élaborent .

683. Cependant, les systèmes autorégulés manquent de réflexivité et ne permettent pas, à l’inverse des démocraties représentatives organisées par des chartes de droits fondamentaux, de protéger les minorités contre la majorité . L’autogestion risque de déboucher sur une situation similaire à celle qu’a connu l’Ouest américain au XIXe siècle où les vigilantes imposaient la dictature de la majorité sans respect pour les droits des minorités et notamment de ceux accusés par la foule .

684. Il y a donc lieu de trouver une troisième voie à la régulation sur Internet. En effet, en l’absence totale de règles une dangereuse anarchie verrait le jour. À l’extrême inverse, une application aveugle des règles du monde analogique manquerait de souplesse et s’avèrerait inadéquate. Les deux approches doivent par conséquent se concilier. Cet équilibre doit permettre de respecter l’idéal libertaire que véhicule l’Internet et de promouvoir la liberté d’entreprendre. Cette dernière requiert en effet – comme toute activité humaine – un équilibre délicat car elle nécessite un cadre normatif mais elle se trouve bridée par un excédent de règles . Il y a donc lieu de réglementer l’Internet en adoptant une approche de corégulation. Cependant, toutes les cultures ne sont pas également aptes à accepter ce mode de régulation et il apparaît que les Américains y soient globalement plus favorables que les Européens . Il y a donc lieu d’assurer une création spontanée de norme par les agents privés – qui s’avérera favorable à la liberté d’entreprendre ainsi qu’à l’idéal libertaire de l’Internet – mais il semble qu’elle doive rester sous contrôle de l’État.

685. L’application du droit à l’internet permettra avant tout de créer et de collecter des preuves de l’existence de contrefaçon (Section 1).

686. Lorsque des sanctions doivent être prononcées sur la base de ces preuves, les juges français et américain adoptent, par les sanctions qu’ils prononcent, des réponses très différentes. La procédure et les sanctions (Section 2) étant les conditions de l’effectivité d’un droit il y a lieu de comparer les réponses française et américaine sur la question, afin de prouver que la réponse française est la plus sévère et la plus dissuasive.
Section 1 : La preuve et les hyperliens

687. La preuve est la « démonstration de l’existence d’un fait ou d’un acte ». Les règles de preuve permettent de déterminer ce qui s’est produit . La preuve pourra être opposée aux créateurs de liens ainsi qu’aux internautes responsables des contrefaçons mises en ligne sur Internet.

688. La particularité pour notre propos réside dans la collaboration des créateurs automatiques de liens avec les ayants droit dans la constitution et la recherche de la preuve. En effet, les créateurs automatiques de liens exercent une fonction de caching des contenus vers lesquels ils mènent permettant la création d’archives de l’utilisation de l’internet. Les États-Unis et l’Union Européenne ont convergé sur le principe de l’opposabilité des données dans le cadre d’une procédure de contrefaçon . La production de ces copies permettra d’apporter la preuve de la mise en ligne d’une contrefaçon.

689. Les moteurs de recherche s’avéreront particulièrement utiles car ils ont largement recours au stockage d’informations relatives aux internautes. Ils sont donc en mesure de déterminer quelle adresse IP est utilisée pour mettre en ligne une contrefaçon. Ils peuvent ainsi enregistrer des informations utiles afin de déterminer l’identité d’un contrefacteur et lutter plus efficacement contre les contrefaçons . Cependant, étant donné que les créateurs automatiques de liens sont amenés à stocker des données personnelles, les droits américain et français ont prévu des règles précises afin de préserver la vie privée des internautes. Le stockage et la conservation des données assure ainsi la protection de l’intérêt des auteurs (Sous-Section 1).

690. Ces règles relatives au stockage pèsent sur la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens. Cette lourdeur se trouve encadré par l’obligation de supprimer les données. L’obligation de supprimer les données protège les intérêts des créateurs de liens et des tiers (Sous-Section 2).

Sous-section 1 : Le stockage et la conservation des données par les créateurs de liens

691. Les droits français et américain divergent sur l’existence d’une obligation de collecter les données pesant sur les créateurs automatiques de liens ainsi que sur les modalités pour les obtenir via des injonctions (Paragraphe 1), reflétant les rôles que chaque système impose aux internautes dans le cadre de la régulation de l’Internet.

692. Néanmoins, les deux systèmes convergent sur le principe de règles strictes relatives à la conservation et ont ainsi introduit des règles de gestion des données par les créateurs de liens (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : L’obligation de collecter les données pesant sur les créateurs automatiques de liens et les procédures d’injonction pour les obtenir

693. Les créateurs automatiques de liens ont l’obligation de collecter les données (I) que les ayants droit peuvent obtenir si besoin grâce à une procédure d’injonction (II).

I) L’obligation de collecter les données

694. Aucune norme internationale ne vient réglementer l’obligation de collecter les données des internautes par les créateurs automatiques de liens. Il n’y a donc pas d’harmonisation internationale. Les États-Unis et l’Union Européenne ont néanmoins convergé car le législateur européen s’est inspiré des dispositions du DMCA.

695. Le DMCA n’a introduit aucune obligation pour les service providers – et notamment pour les créateurs automatiques de liens – de collecter les informations relatives aux internautes. L’Union Européenne a adopté une solution similaire en ne mentionnant aucune obligation de collecter des informations dans la directive e-commerce . Les deux droits convergent donc sur l’absence d’obligation pour les créateurs automatiques de liens de collecter des informations concernant les internautes utilisant leurs réseaux. Ils assurent ainsi non seulement la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens, mais aussi l’anonymat des internautes qui participe de l’effectivité de leur liberté d’expression.

696. Cependant, la directive e-commerce n’a pas interdit aux États membres d’introduire une obligation de collecter des données des internautes par les créateurs automatiques de liens. En outre, si la directive 2002/58/CE se contente de viser à l’article 15 des hypothèses concernant la sécurité nationale, la défense et la sécurité publique – ce qui exclut par conséquent le droit d’auteur – cet article se réfère à l’article 13, paragraphe 1, de la directive 95/46. Ce dernier autorise les États membres à prendre des mesures « limitant l’obligation de confidentialité des données personnelles lorsque cette limitation est nécessaire notamment pour la protection des droits et libertés d’autrui ». La liste de ces droits et libertés n’étant pas limitative, il y a lieu d’y inclure le droit d’auteur . Le droit européen autorise donc le stockage de données afin de protéger le droit d’auteur.

697. Le législateur français a par conséquent pu encadrer la collecte des données privées des internautes. Ainsi, l’article 6-II de la LCEN fait obligation aux créateurs automatiques de liens de conserver les données permettant d’identifier les internautes ayant contribué à la création de contenus en ligne ou d’un contenu ou d’un service dont ils sont prestataires. Alors que les informations collectées par les créateurs automatiques de liens ne sont que celles enregistrées pour le fonctionnement du service du créateur de liens, le droit français fait peser une obligation plus large de collecte qui non seulement pèse sur la liberté d’entreprendre des prestataires de service – bien que dans une mesure limitée – et constitue en outre une limite à la vie privée des internautes.

698. En l’absence de décret d’application de la LCEN, il y a eu une période de flou juridique – que le droit américain n’a pas connu – où les juges n’avaient pas de critères à respecter lors de la communication d’informations. Il s’en est donc suivi une période de flottement – peu favorable à la liberté d’entreprendre et incompatible avec l’État de droit – où les positions étaient divergentes non seulement entre les différents tribunaux, mais également au sein d’un même tribunal. Le Conseil d’État avait pourtant prévenu que l’adresse IP constitue une donnée particulièrement importante car elle permet d’obtenir des informations précises sur les internautes, ce qui aurait du inciter le gouvernement à prendre rapidement des dispositions adaptées. La position du rapport du Conseil d’État français tranchait sur ce point avec celle de l’arrêt américain Columbia Pictures Industries v. Bunnell qui considérait que l’adresse IP est liée à un ordinateur et non pas à une personne et qu’elle ne permet donc pas d’identifier un internaute. La position américaine était en partie justifiée car l’adresse IP ne concerne que le titulaire de l’abonnement qui peut n’avoir aucun lien avec l’acte de contrefaçon . Il nous semble cependant que la position du rapport du Conseil d’État s’avère plus juste aujourd’hui étant donné qu’un nombre croissant d’internautes se connecte à partir d’un téléphone portable ou d’un ordinateur personnel – ce qui n’était pas le cas à l’époque de l’arrêt Bunnell. Dès lors que les internautes utilisent des terminaux personnels, il s’avère relativement aisé de les tracer – à moins qu’ils n’utilisent certaines techniques comme le logiciel Tor.

699. Eu égard à la dangerosité de la collecte des données pour le droit à la vie privée, il s’avérait nécessaire de réagir. Pourtant les juges français n’ont pas tout de suite compris le problème que posait la collecte de données par les créateurs automatiques de liens. En effet, le TGI de Paris a reproché le 14 novembre 2008 à la société Youtube de ne pas stocker l’adresse IP, l’adresse e-mail ainsi que les pseudonymes d’un internaute alors que le décret d’application de la LCEN n’avait toujours pas été publié. Les juges s’étaient fondés sur les dispositions de la LCEN imposant aux internautes de communiquer leurs noms, prénoms, domicile et numéros de téléphone. Ils avaient ainsi retenu qu’en l’absence de décret la société défenderesse devait collecter ces informations. La juridiction parisienne s’est néanmoins dédite et a retenu la solution inverse dans une ordonnance en date du 7 janvier 2009 de la Cour d’appel ainsi que dans un jugement du TGI du même jour. Elle n’a imposé à la société Youtube que la communication des documents qu’elle proposait – ce qui consistait à laisser juge des informations pertinentes les créateurs automatiques de liens comme cela est le cas en droit américain en l’absence d’obligation de stocker des données. Les juges parisiens se sont ainsi attachés à une approche purement légaliste considérant que dès lors qu’une limite à une liberté n’est pas écrite, elle n’est pas opposable. Cette seconde conception s’avère beaucoup plus protectrice de la vie privée et plus conforme au principe de l’État de droit. En effet, quoi que l’on pense du bien fondé du droit d’auteur et de sa nécessité pour la stimulation de la culture, il est impérieux que les juridictions fassent prévaloir l’État de droit sur des conceptions philosophiques et politiques. Le revirement de la juridiction parisienne devait donc être approuvé, bien qu’il ait ouvert une période de très faible protection pour les auteurs qui obtenaient uniquement les informations que les créateurs automatiques de liens voulaient bien leur communiquer.

700. Le gouvernement français s’est finalement emparé de cette question avec le décret n°2011-219 du 25 février 2011 . Il précise notamment quelles données doivent être stockées. La liste est particulièrement longue , ce qui pourrait laisser planer un doute sur le caractère proportionné de l’atteinte à la vie privée. Il nous semble que cette liste ne dépasse cependant pas une limite raisonnable dans la mesure où elle permet de communiquer des informations identifiantes nécessaires afin de déterminer le plus précisément possible l’identité de l’internaute. Le décret oblige également à collecter des informations au moment de la connexion de l’internaute. Cela permettra de préciser l’étendue de la responsabilité des internautes et, ainsi, de ne pas engager leur responsabilité au-delà de l’acte de contrefaçon. Dès lors, la liste des informations collectées ne servira pas qu’à incriminer un internaute et permettra d’établir avec la plus grande précision possible l’étendue de sa responsabilité. L’atteinte apparaît donc juridiquement proportionnée.

701. Il n’est cependant pas évident qu’une telle atteinte s’avère toujours proportionnée. En effet, la possibilité de collecte des données – et donc la remise en cause de l’anonymat sur Internet – a tendance à dissuader les internautes présentant des opinions minoritaires à les exprimer . La solution française présente donc le défaut de s’être contentée d’une analyse uniquement juridique du régime instauré sans prendre en considération le risque que cela fait peser de facto sur la liberté d’expression. Elle ne prend donc pas en compte la différence entre le droit et le law in action (c’est-à-dire le droit compris dans son contexte social). Eu égard à la liberté de ton qui prévaut sur de nombreux fora en ligne, il apparaît néanmoins que la majorité des internautes – et parmi eux des personnes exprimant des opinions minoritaires – ne se sent pas véritablement inquiétée par cette possibilité de stockage. En effet, même si des informations personnelles sont stockées et peuvent permettre de relier un internaute à une opinion, la protection de la liberté d’expression est telle en France et aux États-Unis que les internautes ne seront pas inquiétés .

702. Le droit américain convergera cependant vers le droit français lorsqu’un créateur automatique de liens a reçu une injonction lui demandant de communiquer des informations relatives à un internaute. Le créateur automatique de lien se verra dans ce cas opposer le devoir de stocker des informations concernant l’internaute. Les informations sont ainsi requalifiées en informations stockées électroniquement au sens de la Règle 34 des Federal Rules of Civil Procedure. Elles peuvent par conséquent être communiquées à un ayant droit selon des règles très précises. Les deux systèmes divergent cependant sur une ligne de principe. Alors que le droit français adopte le principe de la conservation, le droit américain a embrassé le paradigme inverse en limitant l’obligation de stockage aux injonctions. Le droit américain apparaît ainsi de prime abord bien plus protecteur de la vie privée des internautes.

703. Dans les deux pays les régimes juridiques relatifs au stockage de données visent à établir un équilibre entre les intérêts des auteurs, des internautes et des créateurs automatiques de liens. Or, afin de faire respecter les intérêts des auteurs, il était nécessaire d’introduire des sanctions. Le droit français condamne à une peine d’un an d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende le prestataire de service qui n’aurait pas stocké les informations demandées. Le droit américain en revanche condamne simplement à prendre des dispositions proportionnées afin de palier au préjudice subi . Le régime est donc particulièrement favorable aux créateurs de liens aux États-Unis alors qu’il s’avère plus équilibré en France entre les intérêts des auteurs et des créateurs de liens. Eu égard aux types de sanctions, il y a lieu de conclure que certes le droit américain apparaît plus protecteur que le droit français, mais en l’absence de véritable sanction, l’effectivité de sa protection est soumise à caution.

704. Les données conservées permettent donc de retracer le parcours numérique d’un internaute. Elles s’avèrent par conséquent particulièrement intrusives et doivent être manipulées avec soin. La gestion des données est donc réglementée de façon stricte.

II) Les procédures d’injonctions aux fins de communication des données

705. La procédure d’injonction constitue une limite à la liberté d’entreprendre des prestataires de service, et notamment des créateurs automatiques de liens, car elle réduit la possibilité de « librement disposer […] de [ses] ressources économiques, techniques et financières ». Malgré son importance pour l’affirmation de l’État de droit elle n’a pas fait l’objet d’une harmonisation internationale. En effet, si les articles 41, 42 et 47 de l’accord ADPIC imposent une protection effective du droit d’auteur ainsi que l’existence de recours juridictionnels pour le protéger, ils ne prennent pas position sur la question de la communication de données personnelles dans le cadre d’une procédure relative à la violation d’un droit d’auteur .

706. Les États-Unis ont été les premiers à introduire une procédure d’injonction de communiquer les données concernant les contrefacteurs à la section 512(h) du Copyright Act. Le mécanisme était déjà connu sous le nom de injunction. Cette procédure permet d’obtenir des informations protégées . Il s’est pourtant avéré nécessaire d’introduire une procédure ad hoc pour les service providers et notamment pour les créateurs automatiques de liens afin de mettre à la disposition des auteurs une procédure rapide leur permettant de solliciter la communication de données permettant d’identifier le contrefacteur. Cette procédure ad hoc est radicalement opposée à celle en vigueur en France. En effet, alors que les États-Unis ont déjudiciarisé la procédure d’injonctions via les subpoenas, la LCEN dispose à l’article 6-II que « l’autorité judiciaire peut requérir communication auprès des prestataires mentionnés aux 1 et 2 du I des données » qui sont « de nature à permettre l’identification de quiconque a contribué à la création du contenu ou de l’un des contenus des services dont elles sont prestataires ». Il y a donc lieu de saisir le juge en France alors que la procédure est aux mains des parties aux États-Unis étant donné que le contrôle judiciaire est très léger.

707. Les droits français et américain sont radicalement opposés sur la question du contrôle judiciaire de l’injonction. Ainsi aux États-Unis, si la notification est conforme aux dispositions de la section 512(c)(3)(A) – dont les dispositions sont applicables aux créateurs automatiques de liens – que le subpoena proposé respecte les conditions mentionnées à la section, et que la déclaration est correcte, le clerk du tribunal saisi – c’est-à-dire son greffier – signera et délivrera le subpoena . Il n’est donc pas nécessaire qu’un juge contrôle le contenu subpoena dès lors que les trois conditions sont respectées. Ce recours au clerk permet certes d’alléger la charge de travail des juges, mais elle ne permet pas d’assurer une protection judiciaire satisfaisante. En effet, les greffiers américains peuvent être recrutés directement à la sortie du lycée et disposent d’une formation juridique limitée . Par ailleurs, si certains d’entre eux sont de brillants étudiants en droit fraîchement diplômés, ils manquent encore d’expérience et de connaissances pour effectuer un travail d’une même qualité que celle d’un juge. Le travail des clerks s’avère donc principalement administratif car ils doivent contrôler que les conditions des section 512(h) et 512(c)(3)(A) sont bien respectées. Il existe par conséquent un risque que certaines personnes abusent de cette procédure afin d’obtenir des informations auxquelles elles n’avaient pas accès . Le juge français devra en revanche prendre en compte le respect à la vie privée en ayant à l’esprit que les traitements de données sont au service de l’Homme et qu’ils doivent respecter la vie privée et contribuer au progrès économique et social, au développement des échanges ainsi qu’au bien être des individus . Le juge est par conséquent tenu d’effectuer un contrôle de proportionnalité entre plusieurs intérêts afin de trouver une solution d’équilibre entre le droit à la vie privée, la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens et les intérêts des auteurs et des internautes, conformément aux directives 2000/31/CE, 2001/29/CE et 2004/48 . Les paradigmes sont donc opposés, même s’il n’est pas demandé au juge français de se prononcer sur l’existence d’une contrefaçon, ce qui permet aux deux procédures de converger partiellement. Il converge en cela également vers le droit belge qui a introduit un contrôle judiciaire de la demande de communication d’informations n’exigeant pas qu’un juge se soit prononcé sur l’existence d’une contrefaçon . Les procédures d’injonctions aux créateurs automatiques de liens sont donc indépendantes de la question de l’effectivité de la présence d’une contrefaçon.

708. Les procédures requérant la communication de données personnelles soulèvent de véritables difficultés en ce qu’elles limitent le droit à la vie privée . La possibilité offerte par les injonctions a donc éveillé des doutes quant à leur constitutionnalité. En effet, la personne ne sera considérée comme contrefactrice qu’à l’issue du procès alors que ses données auront été communiquées en amont. En outre, l’absence d’intervention d’un magistrat serait contraire aux dispositions de l’article 3 de la Constitution américaine relatif aux compétences du pouvoir judiciaire . De plus, il aurait été possible de satisfaire les intérêts des titulaires de copyright et des internautes en communiquant à ces derniers l’existence d’un subpoena et en leur permettant d’intervenir de façon anonyme devant le tribunal en se faisant représenter par un avocat . Il existait donc des moyens moins intrusifs et moins liberticides pour obtenir la communication des données personnelles des internautes. Néanmoins, l’arrêt RIAA v. Verizon a retenu que le système des subpoenas est constitutionnel. Le Conseil Constitutionnel français n’a pas été saisi de la question. Cependant, étant donné que le régime s’avère proportionné, il y a peu de chance qu’il le considère comme étant anticonstitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité.

709. À réception d’un subpoena ou d’une injonction , le créateur automatique de liens devra dévoiler promptement les informations requises au titulaire des droits ou à son représentant. Les communications de données constituent des charges pour les créateurs automatiques de liens qui doivent investir dans des capacités de stockage et sont tenues de payer des collaborateurs pour répondre aux demandes. La charge est plus lourde en France qu’aux États-Unis car la durée de stockage minimum est d’un an. Le législateur français a donc souhaité rééquilibrer la balance des intérêts et impose aux personnes sollicitant la communication de données de s’acquitter des frais mentionnés dans l’arrêté du 22 août 2006 pris en application de l’article R. 213-1 du Code de procédure pénale . Les communications sont ainsi soumises à une grille tarifaire et, en cas d’absence de la nomenclature, l’acte sera établi sur devis. Le droit américain n’impose pas une telle obligation et les charges restent donc entièrement supportées par les créateurs automatiques de liens. Il nous semble que le droit français parvient ainsi à décourager les demandes fantaisistes ou injustifiées qui pourraient ne viser qu’à l’obtention de données personnelles indues. Le droit américain réussit quant à lui à repousser les demandes fantaisistes grâce aux prix de saisine d’une juridiction pour le subpoena qui s’élèvent à 400 dollars et aux frais d’avocats. Cependant, les deux systèmes ont introduit des limites à l’entrée sur le marché de nouveaux auteurs qui ne pourront pas solliciter d’injonction tant qu’ils n’auront pas atteint une surface financière suffisante.

710. Un député américain avait proposé que le service provider aurait l’obligation d’informer la personne faisant l’objet du subpoena que ses données ont été communiquées à un tiers . Cette approche aurait introduit plus de transparence sur l’Internet et aurait permis aux parties intéressées de s’impliquer plus précisément dans la réglementation du réseau. Cependant, le Congrès a rejeté cette suggestion. En outre les législateurs européen et français ne l’ont pas introduite. Les personnes dont les données ont été communiquées peuvent donc ne pas en avoir connaissance car les créateurs automatiques de liens n’ont aucune obligation de les informer. Cela n’aura pas de conséquences dans de nombreux cas dans la mesure où les personnes dont les données auront été communiquées recevront par la suite une lettre de mise en demeure et auront ainsi connaissance de la communication de leurs données. Cependant, il est possible que certaines injonctions n’aient pas pour objectif de lutter contre la contrefaçon mais par exemple de censurer une idée comme cela a pu être le cas pour les notifications. Certains auteurs ont en outre souligné que la procédure de communication de données pouvait constituer un risque pour les sources journalistiques. Certains pourraient en effet y trouver un moyen d’obtenir des informations normalement couvertes par le secret professionnel. En matière de liens automatiques, des tiers ne pourraient obtenir qu’indirectement des informations mais cela pourrait s’avérer suffisant pour révéler l’identité des sources journalistiques. Le système pouvant être perverti, il serait de bonne justice d’informer les intéressés que leurs données ont été communiquées afin de dissuader, par la possibilité d’une action en justice, toute injonction infondée. De plus, outre le problème fondamental de liberté de la presse que cela poserait, une telle violation du secret des sources n’inciteraient pas les journalistes – qui sont des auteurs – à créer. Les systèmes français et américain s’avèrent donc trop peu protecteurs de la vie privée des internautes.

711. L’anonymat devrait être régulé de la façon la plus protectrice possible pour que les internautes restent sur l’Internet ouvert et n’utilisent pas le logiciel TOR. Ce dernier rend en effet impossible le traçage des internautes et permet de s’adonner à des activités illicites et dangereuses. Cette partie de l’Internet – dit l’Internet profond ou darkWeb – se développera si l’anonymat n’est pas correctement protégé, avec les risques de dérive que cela comporte. Un juste équilibre doit donc être respecté afin que l’Internet ne devienne pas une zone de non-droit.

712. Dès lors que les ayants droit auront obtenu les preuves nécessaires, ils pourront initier une procédure contre le contrefacteur original et, lorsque cela sera pertinent, contre le créateur de liens.
Paragraphe 2 : La gestion des données par les créateurs de liens

713. Il est fait obligation aux créateurs automatiques de liens de respecter des conditions précises dans la gestion des données. Les deux droits ont introduit des réglementations spécifiques concernant leur gestion.

714. Les États-Unis ont ainsi voté le Stored Communications and Transactional Records Act de 1986 qui assure un régime plus protecteur que le Quatrième Amendement de la Constitution . Le problème des données communiquées en ligne est en effet qu’elles perdent leur caractère privé , ce qui écarte la protection de la vie privée par le Quatrième Amendement. La communication d’information à un service provider – et a fortiori à un créateur automatique de lien – fait donc obstacle à la protection du Quatrième Amendement . Enfin, le Quatrième Amendement n’est opposable qu’aux gouvernements fédéral et fédérés et non pas aux commerçants et a fortiori aux créateurs automatiques de liens . L’Union Européenne place quant à elle la réglementation de la conservation des données sous la protection des directives 95/46/CE relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et à la directive 97/66/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 1997 concernant le traitement des données à caractère personnel et la protection de la vie privée dans le secteur des télécommunications.

715. En Europe et aux États-Unis, les créateurs automatiques de liens devront veiller à ce que les données soient préservées. L’obligation de préservation implique que les données ne soient ni déformées ni endommagées . Cela permettra de cibler le véritable contrefacteur. En effet, si un doute devait surgir sur la véracité des données communiquées, elles devraient être écartées des débats judiciaires.

716. En outre, les créateurs automatiques de liens devront veiller à ce que des tiers n’aient pas accès sans autorisation aux données . Cette obligation ne peut constituer qu’une obligation de moyen – ce qui est particulièrement protecteur de la liberté d’entreprendre – étant donné qu’aucune protection numérique n’est infaillible. Elle permet néanmoins de respecter le droit à la vie privée des internautes dans des proportions raisonnables et d’assurer la lutte contre les contrefaçons.

717. Malgré cette communauté d’approche, les deux droits divergent sur les sanctions concernant la violation des réglementations relatives aux données privées. Le droit français se montre beaucoup plus sévère que le droit américain. En effet, si les données ne sont pas utilisées dans le cadre légal ou qu’elles sont détournées de leurs finalités, les créateurs automatiques de liens encourront une peine de 5 ans d’emprisonnement et de 300 000 euros d’amende . La communication des donnés à un tiers est punie de la même peine. Néanmoins, si elle a été faite par imprudence ou par négligence, la peine est réduite à 1 an de prison et 100 000 euros. Le droit américain condamne simplement à prendre des dispositions proportionnées afin de palier au préjudice subi. Il n’y a donc pas de sanction de la violation des règles sur la conservation des données aux États-Unis. Le droit français se montre ainsi particulièrement sévère en la matière.

718. Les sanctions obligent à remettre en cause l’analyse initiale sur la protection de la vie privée en France et aux États-Unis. Les règles sont plus protectrices des données personnelles aux États-Unis, mais elles ne sont pas accompagnées de sanctions dissuasives. La France a adopté une solution opposée qui oblige les créateurs automatiques de liens à plus de vigilance et donc à une meilleure protection des données personnelles. Le droit français s’avère in fine plus protecteur des données personnelles que le droit américain.

719. Lorsque les données ont été utilisées ou qu’elles sont supposées ne plus être pertinentes, les deux droits font obligation aux créateurs de liens de les supprimer.

Sous-section 2 : L’obligation de supprimer les données

720. Les droits européen et américain divergent sur la question de l’obligation de l’effacement des données. En effet, la directive 95/46/CE impose en son article 6 que les données soient conservées pendant une durée n’excédant « pas celle nécessaire à la réalisation des finalités pour lesquelles elles sont collectées ou pour lesquelles elles sont traitées ultérieurement ». L’article 6 de la directive 2006/24/CE a par la suite précisé que les données devaient être conservées « pour une durée minimale de six mois et maximale de deux ans à compter de la date de la communication ». Cette approche est très souple et ne correspond pas à la tradition relativement rigide du droit français.

721. Ainsi, et conformément à sa tradition légistique, le législateur français a introduit un délai précis. L’article 3 du décret d’application no 2011-219 du 25 février 2011 impose ainsi aux créateurs automatiques de liens de supprimer les données au bout d’un an. Ce délai est particulièrement long et le groupe de travail dit « Article 29 » avait préconisé un maximum de 6 mois qui semble plus raisonnable. Il nous semble que le délai pourrait effectivement être réduit car obliger les créateurs de liens à conserver les données pendant un an signifie que les internautes pourront saisir le juge de façon efficace pendant un an alors que la vélocité des procédures est particulièrement importante pour les litiges relatifs à l’Internet. En effet, les délais de prescription ont été pensés pour le monde analogique et non pas pour le monde numérique. Or, sur l’Internet, la vélocité des ayants droit constitue un élément fondamental de la lutte contre la contrefaçon. Dès lors, lutter contre une contrefaçon un an après sa mise en ligne s’avère souvent inutile pour les ayants droit car elle pourra avoir déjà fait l’objet de nombreuses copies. Un délai de prescription plus court sur l’Internet correspondrait ainsi aux spécificités du réseau. Il inciterait a priori les ayants droit à saisir plus rapidement le juge. Il a ainsi été démontré que des délais plus longs poussent souvent les bénéficiaires à la retarder la saisine du juge et in fine à ne pas jouir effectivement de leurs droits. Il s’en suit que l’introduction de délais plus courts ne constitue pas toujours, dès lors qu’ils sont compatibles avec l’exigence d’accès au juge , un obstacle à la saisine du juge mais plutôt une incitation à agir. Cela réduirait en outre la charge que constitue la conservation des données pour les créateurs automatiques de liens, renforçant ainsi leur liberté d’entreprendre.

722. Il faut voir dans cette différence d’approche non seulement la frilosité de l’Union Européenne à donner des indications précises aux États membres – et la preuve s’il en fallait qu’elle ne s’assume pas comme structure quasi étatique – mais également une divergence culturelle entre le droit français d’une part et le droit européen d’autre part qui naît d’une dialectique entre les différentes traditions juridiques européennes .

723. Le droit américain en revanche ne prévoit pas de délai au-delà duquel les créateurs de liens auraient l’obligation d’effacer les données. Ce dernier a opté pour un système plus souple faisant dépendre la possibilité d’effacer les données de la saisine d’un juge . Cette obligation se trouvait limitée aux parties aux procès déjà initiés et les tiers ne pouvaient que rarement avoir l’obligation de maintenir des preuves . Étant donné qu’il n’y a pas de délai de stockage les ayants droit auront tout intérêt à agir le plus rapidement possible avant que les données ne soient effacées. Le droit américain incite à agir dans les plus brefs délais et s’avère par conséquent plus en phase avec les spécificités de la contrefaçon sur Internet.

724. Les ayants droit auront donc intérêt à demander au juge d’ordonner une injonction – ou subpoena aux États-Unis – afin d’obtenir judiciairement les données personnelles des internautes que les créateurs de liens stockent. Ces régimes diffèrent mais se retrouvent sur un principe original de cogestion entre des agents privés et l’État des conflits. En effet, en considérant qu’il n’est ni possible ni souhaitable que les États s’impliquent de façon précise dans la gestion de l’Internet, il est apparu préférable de mettre à contribution les internautes afin d’assurer la plus large autogestion possible. Néanmoins, l’intervention étatique chapeaute la construction afin d’assurer le respect de l’État de droit.

Section 2 : La procédure et les sanctions pour les contrefaçon par les hyperliens

725. La liberté d’entreprendre des créateurs de liens pourra être limitée, dans l’intérêt des auteurs et du public des internautes, par des règles de procédures extrajudiciaires ou judiciaires. L’analyse des deux catégories de résolution des conflits s’avère nécessaire lorsque le sujet d’étude porte sur l’internet. En effet, les modes alternatifs comme l’arbitrage assurent une résolution discrète et parfois plus rapide que les juridictions étatiques. Néanmoins, le recours au juge étatique doit rester ouvert afin de faire respecter l’État de droit sur l’Internet (Sous-Section 1).

726. Une recherche sur le droit d’auteur peut difficilement faire l’économie d’une étude des sanctions. En effet, il semble naïf de penser que la simple interdiction sans sanction sera respectée par tous. Il semble par conséquent nécessaire d’étudier les sanctions ainsi que leur effectivité, ce qui implique notamment une étude empirique des sanctions prononcées, afin de déterminer l’intérêt pour les auteurs de mener une action et partant la mesure dans laquelle ils peuvent faire respecter leurs droits (Sous-Section 2).

Sous-section 1 : Les procédures utiles afin de lutter contre la contrefaçon par les hyperliens

727. Le droit français est passé d’un modèle de régulation uniquement étatique effectué par le juge appliquant la règle, à un modèle impliquant les acteurs privés chargés de faire respecter la norme. Il s’agit d’une nouveauté moindre aux États-Unis où, lors de la conquête de l’Ouest, une partie de la gestion des litiges se produisant dans la frontier était confiée à des entités privées . Cette convergence du droit français vers cette philosophie libertaire – voire anarchisante – américaine s’est avérée nécessaire. En effet, l’Internet a marqué le recul des États qui rencontrent encore des difficultés à y appliquer leurs règles, que ce soit en matière pénale, fiscale ou de droit d’auteur. Les relations entre les internautes sont par conséquent réglementées principalement par des contrats et de façon marginale par la Nétiquette.

728. Cette situation est nouvelle car les États se sont constitués sur l’idée d’application territoriale de leurs normes et ils n’avaient jamais été confrontés à des espaces immatériels. Le droit a donc perdu les repères qu’il avait dans le monde matériel , notamment lorsqu’il cherche à s’appliquer aux hyperliens car il n’existe pas de copies des œuvres que le droit puisse saisir. Les moyens de lutte contre la contrefaçon et les systèmes juridictionnels n’apportent donc pas de réponse pleinement satisfaisante que pour les litiges relevant du monde matériel et ne s’avèrent pas pleinement pertinents pour résoudre les litiges sur Internet.

729. Les États européens avaient connu une évolution similaire à l’époque médiévale où les monarques contrôlaient mal leurs territoires. La faiblesse de l’État a ainsi conduit à confier une partie de la résolution des litiges à l’Église . L’État confiait donc à des entités ne relevant pas du pouvoir national la charge d’appliquer ses décisions. Ainsi, lorsque l’État se trouve en situation de faiblesse et rencontre des difficultés à appliquer ses règles, il en confie l’application à des tiers. Ces systèmes ont créé des problèmes d’objectivité dans l’application de la règle. Ils ont également favorisé l’émergence de potentats. Il semble donc que toute faiblesse de l’État implique un transfert de pouvoir vers une entité qui ne sera de facto que partiellement soumise au contrôle du pouvoir central. Eu égard aux défis que pose l’Internet aux États, il existe un risque que l’histoire se répète et que les prestataires de services – et notamment les créateurs automatiques de liens – deviennent les potentats du XXIe siècle. Les États rencontrent d’ores et déjà des difficultés dans leurs relations avec les GAFA avec lesquelles ils préfèrent souvent négocier plutôt que de leur imposer des règles .

730. Dès lors, l’appropriation par des entités privées de la régulation des comportements répond à une nécessité, mais elle risque de déboucher sur l’affirmation de nouveaux corps intermédiaires que la révolution française a voulu abolir. La révolution libertaire de l’Internet risque donc de se transformer en contrôle des populations par des sociétés privées. Les décisions prises par les entités privées contrôlant l’Internet doivent par conséquent pouvoir être soumises à des juges étatiques.

731. Il y a donc lieu de respecter une méthodologie en deux temps, l’une rapide avec les procédures extra-judiciaires (Paragraphe 1) assurant une meilleure compatibilité avec les idéaux libertaires véhiculés par l’Internet, ainsi que l’autre plus lente mais assurant le respect des règles étatiques via des procédures judiciaires (Paragraphe 2) afin que soit respecté l’État de droit.

Paragraphe 1 : Les procédures extrajudiciaires

732. La France et les États-Unis ont hérité d’une régulation globalement statocentriste . Habermas a relevé que les sociétés postmodernes sont arrivées à un paradigme de judiciarisation généralisée des règlements des litiges . François Ost affirme que cette surinflation juridique est le résultat du caractère démesurément rationnel, centralisé et hiérarchisé de nos systèmes juridiques .

733. Les États occidentaux ont donc initié un mouvement reflex afin d’éviter le recours au juge civil. La postmodernité requiert ainsi le développement de nouveaux modèles de résolution des conflits basés sur la décentralisation et la déjudiciarisation . Ces modalités sont en phase avec la recherche d’un mode de règlement des litiges à la fois souple, rapide, informel et fondé sur l’échange . Ce nouveau paradigme correspond aux valeurs de l’Internet. En outre, une étude commandée par la Commission a relevé que les parties ont tendance à ne pas initier une procédure lorsque l’enjeu est inférieur à 2 000 euros car la somme de dommages et intérêts espérée ne permet pas de couvrir les frais . Ce seuil est particulièrement important car il arrivera souvent que les enjeux financiers d’un litige portant sur un hyperlien ne dépassent pas la somme de 2 000 euros. Dès lors que des modes alternatifs de résolution des conflits sont mis en place et permettent de solutionner des litiges d’ampleur limitée, les créateurs de liens risquent d’engager plus souvent leur responsabilité. Les contrefaçons, qui étaient anodines en pratique à cause des frais de procédure, pourront avoir des conséquences sur la liberté d’entreprendre des créateurs de liens. Nous nous intéresserons à l’arbitrage qui présentera des intérêts particuliers en matière de résolution des conflits en matière d’hyperliens.

734. L’arbitrage constitue un « mode parfois amiable ou pacifique mais toujours juridictionnel de règlement d’un litige par une autorité qui tient son pouvoir de juger (…) de la convention des parties ». Ce mode de résolution des litiges trouve son origine dans les limites de la justice étatique .

735. Les auteurs peuvent y recourir en France comme aux États-Unis. En effet, l’article 2061 du code civil dispose que l’arbitrage est valide pour un professionnel. Or, l’auteur est un professionnel . En outre, l’article L. 331-1 code de la propriété intellectuelle réaffirme ce principe en matière de propriété intellectuelle et énonce que les auteurs peuvent avoir recours à l’arbitrage. Aux États-Unis, les auteurs ont largement recours aux modes alternatifs de résolution des conflits et notamment à l’arbitrage. En droit américain, la résolution des litiges de copyright par recours à l’arbitrage a néanmoins été tardive par rapport à d’autres domaines. Le Congrès ne s’en était pas préoccupé et la jurisprudence a dû chercher dans le droit des brevets l’autorisation de reconnaître la validité des arbitrages en matière de copyright. Passée cette difficulté initiale, le législateur a partiellement systématisé le recours à l’arbitrage. En effet, les litiges concernant les licences obligatoires ont été résolus par une procédure d’arbitrage devant les Copyright Royalty Arbitration Panels qui remplaçait le Copyright Royalty Tribunal qui avait été fortement critiqué pour son manque d’efficacité. Cependant, le recours à l’arbitrage n’est pas en soi gage d’une meilleure justice et le système a été abandonné car il reproduisait une partie des problèmes antérieurs . Conformément à cette ouverture, la jurisprudence américaine a eu l’occasion de retenir que le copyright peut faire l’objet d’un arbitrage dès lors qu’un accord en ce sens existe. Le recours à l’arbitrage est donc reconnu dans les deux systèmes. Il existe par conséquent un terreau fertile permettant à l’arbitrage de se développer pour régler les litiges relevant du droit d’auteur. En effet, dans l’affaire X/Open Company Limited v. Marshall Sorenson , le défendeur a été condamné par le collège arbitral de l’OMPI à cause de l’utilisation de mauvaise foi des liens. Le recours à l’arbitrage devrait continuer à se développer. En effet, l’OMPI projette d’introduire une procédure d’arbitrage en ligne. Cette procédure pourra servir de modèle pour les arbitrages en ligne – ou influer les sites proposant déjà ce service – notamment lorsqu’il s’agira de régler un conflit relatif à un hyperlien ou à une notification . Il y a donc une convergence internationale sur le principe de l’arbitrabilité du droit d’auteur. Cependant, en l’absence d’accord sur la procédure d’arbitrage – ce qui serait sans doute un non sens – il n’y a pas eu de processus d’harmonisation.

736. En outre, la différence structurelle entre l’État unitaire français et l’État fédéral américain a pour conséquence une approche divergente de la réglementation de l’arbitrage. Le droit français le réglemente par des dispositions réparties dans le Code civil ainsi que dans le Code de procédure civile . Le droit fédéral américain réglemente la matière arbitrale par le Federal Arbitration Act. Ce dernier n’a cependant pas vocation à s’appliquer en matière de liens dans la mesure où il concerne uniquement les transactions maritimes ainsi que les relations commerciales. Dans les autres domaines, la réglementation dépend donc des lois des États fédérés qui ont été partiellement harmonisées par le Uniform Arbitration Act . Néanmoins, moins de la moitié des États fédérés a introduit la loi modèle qui est dénuée de valeur obligatoire. En particulier, l’absence des États de New-York et de la Californie limite considérablement sa portée pratique. Enfin, les États ayant introduit la loi modèle sont libres d’écarter certaines dispositions, ce qui limite considérablement le processus d’harmonisation. Il s’avère par conséquent impossible de comparer le droit français avec le droit américain dans la mesure où les États-Unis ont adopté plusieurs réglementations. Notre comparaison s’effectuera donc entre le droit français et la loi modèle – dont nous avons souligné les limites – car elle permet d’indiquer des tendances des droits des États fédérés, ainsi qu’avec le droit de Californie étant donné que la majorité des créateurs automatiques de liens américains y ont leurs sièges. Il y aura donc lieu de prendre acte des méthodologies différentes, qui ont amené le droit français à appliquer le régime du droit commun des contrats en lui apportant des modifications, alors que le droit américain a introduit un régime juridique ad hoc .

737. Malgré cette ouverture, l’arbitrage constitue une liberté encadrée reposant notamment sur l’accord des parties conforme à l’idéal libertaire de l’Internet (I) en ce qu’elle est fondée sur la volonté des parties de recourir à l’arbitrage ainsi que sur leur choix des règles de procédure. Cependant, des limites au paradigme libertaire ont été imposées (II) limitant les domaines arbitrables et protégeant les parties contre elles-mêmes.

I) Une réglementation en phase avec l’idéal libertaire de l’Internet

738. La structure de l’Internet est réfractaire à toute idée de réglementation. En effet, au lieu de la structure verticale qui caractérisait le minitel et reflétait la structure du pouvoir en France tel qu’il a été hérité de l’empire romain et de l’Église catholique, l’Internet a adopté une structure horizontale – sans doute fruit du bassin culturel américain – moins encline à recevoir des réglementations issues d’une entité supérieure.

739. L’idéal libertaire de l’Internet et de la création de liens épouse donc en partie la philosophie de l’arbitrage. En effet, ce mode alternatif de résolution des conflits est fondé sur la volonté (A) et offre une grande liberté aux parties (B).

A) La volonté de recourir à un arbitrage

740. L’arbitrage est un contrat entre les parties. Or, étant donné que les droits français et américain ont adopté des paradigmes libertaires en matière contractuelle, le recours à l’arbitrage dépendra dans les deux systèmes de la volonté des parties.

741. La jurisprudence française s’était ainsi initialement montrée favorable à la clause compromissoire avant de retenir sa nullité dans un arrêt du 10 juin 1843 – ce qui était surprenant alors que la Révolution industrielle nécessitait plus que jamais le recours à l’arbitrage – craignant qu’elle ne devienne qu’une clause de style . Le droit américain avait adopté la même solution . Les deux systèmes convergeaient donc initialement sur le principe du refus de l’arbitrage. Cependant, le Uniform Arbitration Act de 1995 – et repris sur ce point en 2000 – a renversé la solution traditionnelle en intégrant la possibilité d’introduire une clause compromissoire. Le législateur français est également intervenu avec la loi sur les nouvelles régulations économiques de 2001 afin d’autoriser l’introduction de clauses d’arbitrage dans les contrats entre professionnels. Dès lors, un auteur pourra introduire une clause compromissoire dans une convention concernant un lien entre toutes les parties en droit américain et entre professionnels aux États-Unis. Les droits français et américain reconnaissent donc la validité des clauses compromissoires. La clause compromissoire permet de faire échapper ab initio le litige à l’emprise du juge et permet donc de recourir à l’arbitrage lorsque les parties s’accordent sur le principe.

742. La différence entre les droits français et américain se trouve nuancée car certains États fédérés ont introduit le critère de l’accessibilité économique. La clause compromissoire ne sera en effet opposable aux parties que si elle apparaît économiquement accessible . Ainsi, la Cour d’appel du premier District de Californie – compétente en appel pour les questions relevant du droit californien – a retenu qu’une clause compromissoire n’est pas opposable si elle induit des coûts inabordables. Il n’en va pas de même en droit français car il ne s’avère pas nécessaire de contrôler la question des coûts étant donné que l’arbitrage est limité aux parties ayant qualité de commerçants . Ces derniers sont en effet supposés être en mesure de connaître et d’assumer les coûts d’un arbitrage. Le droit californien s’avère donc plus souple que le droit français dans la mesure où il permet à un commerçant – et donc à un auteur – de sortir de la clause compromissoire dès lors que les coûts sont inabordables. Cela pourra s’avérer particulièrement utile pour les auteurs disposant de faibles revenus qui sont traités par le droit français à égalité avec de riches sociétés, alors que certains disposent de surfaces financières souvent plus similaires à celles de consommateurs. Pourtant, la clause compromissoire est inopposable aux consommateurs et opposable aux artistes pauvres. La rigidité du droit français est d’autant moins compréhensible qu’il ne distingue pas selon l’activité commerçante ou non de l’auteur . L’approche américaine étant plus souple elle permettra une meilleure adaptation du droit aux situations particulières des auteurs.

743. L’accord peut donc intervenir avant même l’émergence d’un conflit, mais également à la suite de son avènement. Les parties pourront en effet saisir un tribunal arbitral même lorsqu’une instance est en cours devant les juridictions étatiques . À l’inverse, lorsque le tribunal arbitral est saisi avant le juge étatique, ce dernier devra se déclarer incompétent . La possibilité de saisir une juridiction arbitrale reste donc toujours ouverte alors que le droit de saisir un juge étatique peut être limité. Le droit américain a adopté une solution divergente par rapport au droit français en retenant que la détermination du caractère arbitrable d’un litige doit être déterminée par le juge et non pas par un arbitre , à moins que la volonté des parties de soumettre leur litige à un arbitre ne fasse aucun doute . Néanmoins, lorsque l’accord présente une ambiguïté, elle devra être résolue en faveur de l’arbitrage . Il existe donc une présomption in favor arbitrati dans les deux systèmes, bien qu’à des degrés divers, limitant partiellement la divergence entre les deux systèmes. Il y a une montée en puissance de l’individualisme et du libertarisme qui constituent deux valeurs fondamentales de la postmodernité que l’Internet ne fait que renforcer. L’arbitrage correspond donc aux valeurs véhiculées par l’Internet et correspond donc tout particulièrement aux litiges concernant des hyperliens.

744. Les parties jouissent donc dans les deux systèmes d’une grande liberté leur permettant d’opter facilement pour l’arbitrage. Ils pourront également décider de la procédure à suivre.

B) Le choix de la procédure d’arbitrage

745. Les parties sont libres de déterminer les modalités de la procédure d’arbitrage afin qu’elle corresponde le mieux aux besoins d’un litige portant sur des hyperliens ainsi que l’identité des arbitres afin de pouvoir sélectionner des experts (1). Cependant, il arrive que l’accord relatif à l’arbitrage ne précise pas les modalités de la procédure et se contente simplement d’acter l’accord du recours à l’arbitre. Dans ce cas les législateurs français et américain ont introduit des procédures par défaut opposables aux parties (2).

1) Le choix des parties

746. L’arbitrage s’inscrit dans l’approche philosophique du droit des contrats en France et aux États-Unis. Il constitue ainsi une expression de la liberté contractuelle .

747. Or, les années 1980 ont marqué un tournant libéral dans le monde occidental et notamment aux États-Unis . Le droit français est également marqué, depuis la réforme de 1981 , par une idéologie libérale et autonomiste . Ainsi, la volonté des parties détermine les modalités de l’arbitrage, notamment dans le cadre d’un arbitrage international. Le Code de procédure civile pose peu de règles et ses articles 1492 à 1497 renvoient à la libre volonté des parties. Il y a donc une convergence sur le principe de la liberté laissée aux parties de déterminer les règles applicables à leurs litiges en matière d’hyperliens. Cela leur permettra notamment d’imposer le recours à des experts. Ce mouvement libertaire a donc préparé le droit à accueillir l’Internet – et donc aux litiges techniques – et notamment les litiges portant sur les hyperliens.

748. Les parties ont ainsi le droit de sélectionner les arbitres en charge de leur litige . Le droit français et le droit américain divergent sur les personnes pouvant faire office d’arbitre. En effet, en droit français, un arbitre ne peut être qu’une personne physique pour les arbitrages nationaux alors que le droit américain ne prend pas position et autorise donc la nomination d’une personne morale . Le droit américain rejoint ainsi la solution que le droit français a adoptée en matière d’arbitrage international . Si la convention d’arbitrage ne désigne qu’une personne morale celle-ci aura la charge de nommer des personnes physiques . Leur nombre devra être impair . Le droit français est par conséquent plus marqué par l’intuitu personae que le droit américain qui adopte une approche plus institutionnalisée. Le droit américain présente ainsi l’avantage de la souplesse en laissant la possibilité aux parties de ne désigner qu’une personne morale et s’avère par conséquent plus conforme aux principes libertaires qui irriguent l’Internet.

749. Malgré les limites à l’arbitrage, ce mode de résolution des conflits présente un certain nombre d’intérêts. En effet, en choisissant les arbitres, les parties peuvent sélectionner des experts de l’Internet qui seront plus à même de comprendre les enjeux des litiges . Si les justiciables français n’y trouvent qu’un intérêt limité par rapport à la saisine d’une juridiction de droit commun, dans la mesure où les tribunaux sont spécialisés en matière de droit d’auteur, il n’en va pas de même aux États-Unis où le juge reste généraliste et peut ne pas maîtriser les tenants et les aboutissants d’une question. Il sera donc plus facilement influencé par les amici curiae qu’un arbitre expert de la matière. Les justiciables américains auront par conséquent l’avantage, en recourant à l’arbitrage, de présenter leur litige à un spécialiste de la matière.

750. En outre, les deux droits permettent aux parties de choisir la règle applicable à leur litige.

2) Le choix de la règle applicable

751. Outre la possibilité de choisir les arbitres, les parties ont la possibilité d’établir les règles applicables à leur litige. Les deux droits permettent aux parties de demander que le droit d’un État soit appliqué, ou ils peuvent opter pour les principes de l’équité .

752. Le droit français introduit néanmoins une limite par rapport au droit américain. Les arbitres doivent en effet justifier dans quelle mesure l’application de la loi aboutirait à une situation inéquitable . Cette solution peut s’avérer particulièrement pertinente pour les litiges naissant sur l’Internet car les règles de droit risquent de devenir rapidement obsolètes en matière de nouvelles technologiques . Le recours à l’équité permettra d’adapter les règles aux situations nouvelles et d’offrir aux parties des solutions innovantes et adaptées, comme ont pu le faire les tribunaux d’Equity en Angleterre lorsque le droit commun est devenu partiellement obsolète .

753. En outre, le recours à l’équité peut s’avérer pertinent pour les parties lorsque la solution d’un litige n’est pas évidente, ce qui est encore le cas dans certains domaines du droit d’auteur appliqué aux hyperliens. La résolution du litige par recours à l’arbitrage entre IBM et Fujitsu au sujet d’un logiciel a ainsi été motivée par l’incertitude de l’application du copyright aux logiciels . L’arbitrage pourrait donc s’avérer attrayant pour les parties ayant un litige en matière d’hyperliens lorsque la règle applicable est incertaine.

754. Le recours à l’équité s’avérera en outre particulièrement utile pour réglementer les litiges impliquant des étrangers . En effet, venant de systèmes juridiques différents, l’application d’un droit plutôt qu’un autre pourrait laisser un sentiment d’injustice à la partie dont le système juridique a été écarté et ce, malgré l’harmonisation des règles en matière de copyright. L’arbitrage permet de se libérer des règles étatiques de droit international privé et d’appliquer une norme plus universelle – qui s’avérera plus conforme aux idéaux libertaires des Pères Fondateurs de l’Internet car il ne s’agira pas d’une réglementation étatique mais du résultat d’une dialectique mondiale sur l’Internet. L’arbitrage permet ainsi l’émergence d’une lex communis bien que fortement limitée par l’impossibilité d’établir une Common Law de l’arbitrage car les décisions restent secrètes.

755. La règle étatique perd donc de son caractère impératif et devient supplétive. L’État se trouve réduit à un simple choix et ne s’impose donc plus de lui-même. Il doit convaincre les parties de sa pertinence, ce qui ne manque pas d’encourager une concurrence des systèmes juridiques. Cependant, la remise en cause de l’autorité de l’État n’est qu’apparente car, si les parties disposent de telles libertés, ce n’est que par autorisation de l’État qu’il demeure libre de supprimer. La France et les États-Unis ont par ailleurs limité la liberté des parties à un arbitrage, circonscrivant ainsi les espoirs libertaires de certains internautes.

II) Les limites du paradigme libertaire

756. L’État demeure la source du droit et l’élément de cohésion des sociétés française et américaine. Il ne peut donc pas permettre aux parties de statuer en dehors de la vue d’un juge dans tous les domaines et limite par conséquent les domaines pouvant être soumis à l’arbitrage (A). Il leur assure également une protection minimale marquant la recherche d’équilibre entre la libre volonté des parties et la nécessité d’assurer des procédures équitables (B).

A) Les domaines arbitrables

757. Le Digeste interdisait de déroger à l’ordre public par des conventions. Cet interdit s’est transmis dans les droits modernes. Or, étant donné que l’arbitrage est le fruit d’une convention, tous les litiges ne peuvent être résolues par un arbitrage. La convention de New-York pour la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales étrangères de 1958 a repris ce principe à l’article V(2) et les droits français et américain ont adopté cette approche. Il y a donc lieu de parler d’un libertarisme et d’un individualisme sous contrôle. Cela permet aux droits français et américain de préserver les valeurs fondamentales de chaque société. Les procédures d’arbitrage sont particulières et les droits français et américain ont par conséquent adopté une conception restreinte de l’ordre public.

758. Ainsi, depuis l’arrêt de la chambre civile de la Cour de cassation dit Tissot , les parties peuvent compromettre dans des matières relevant de l’ordre public, dès lors que seuls des intérêts privés sont en jeu . L’ordre public ne fera pas obstacle à la tenue de l’arbitrage – étant donné qu’une réunion privée et généralement secrète ne peut en soi violer l’ordre public – mais à l’opposabilité de la sentence arbitrale. Les États-Unis ont emprunté une voie convergente. En effet, depuis l’arrêt United Paperworkers Int’l Union v. Misco , l’ordre public fait obstacle à l’opposabilité des décisions arbitrales violant l’ordre public. Cependant, les droits constitutionnels n’y sont pas opposables dans le cadre d’un arbitrage . Il est en effet considéré que les parties ont décidé, par le recours à l’arbitrage, de sortir du système judiciaire et qu’elles ont par conséquent écarté l’application des droits constitutionnels. L’ordre public est ainsi limité aux intérêts de l’État et écarte les droits constitutionnels des citoyens. L’ordre public est en outre réduit aux « clear statutory or case law », ce qui incite à une lecture restrictive et donc moins ouverte qu’en France. L’allégement du contrôle de l’ordre public est donc, bien que dans des proportions différentes, commun aux deux systèmes.

759. En effet, en matière de détermination de l’existence d’un droit, la différence de conception de l’ordre public a eu des conséquences importantes qui ont amené les deux systèmes à diverger. Le droit américain écartait traditionnellement l’arbitrabilité de la question de la validité du copyright car il s’agit d’une question relevant de l’intérêt public . En effet, tout litige en la matière pourrait porter atteinte au fonctionnement du Copyright Office car il s’agit d’un service public en charge de délivrer les titres . La Cour d’appel fédérale pour le Septième Circuit a renversé cette solution dans l’arrêt Saturday Evening Post Co. v. Rumbleseat Press, Inc. car aucune disposition légale n’interdit à un arbitre de statuer sur cette question. L’arrêt Spinelli v. NFL a retenu en 2015 que les domaines ne faisant pas l’objet d’une interdiction expresse par le législateur peuvent être soumis à un arbitrage. Le droit français adopte la même solution et n’interdit pas la résolution d’un litige portant sur l’existence du droit. Il sera par conséquent possible de saisir un arbitre de l’intégralité d’un litige portant sur l’application du droit d’auteur français et du copyright américain à un hyperlien.

760. La question des droits moraux constitue en revanche une ligne de divergence entre les deux ordres publics. Le droit français interdit en effet la saisine d’une juridiction arbitrale pour résoudre une question portant sur un droit moral car il constitue un droit inaliénable de l’auteur . La question se posera rarement aux États-Unis et le fait d’écarter les dispositions éparses – telles que le VARA ou la section 43(a) du Lanham Act – assurant une équivalence fonctionnelle au droit moral ne constituera pas une violation de l’ordre public. Les arbitres pourront donc statuer sur les équivalents fonctionnels du droit moral en droit américain. Le droit français implique par conséquent une démarche en deux temps requérant la saisine du juge pour les questions de droits moraux, et autorisant le recours à un arbitre pour les questions relevant des droits patrimoniaux. Cette complexité risque de dissuader les parties de saisir un arbitre lorsque leurs droits sont violés si la contrefaçon implique un droit moral, car il sera impératif de saisir un juge étatique. Le recours à l’arbitrage n’est donc véritablement pertinent que lorsque la contrefaçon implique uniquement des droits patrimoniaux. Cependant, une fois la violation des droits moraux établie par le juge étatique, l’arbitre peut établir les conditions de la réparation du préjudice à cette prérogative . La complexité induite par cette division aura souvent pour conséquence d’inciter les parties à ne pas recourir à un arbitrage lorsque le litige porte notamment sur une violation des droits moraux.

761. Enfin, il est possible de statuer sur les questions relevant du droit pénal en recourant à un arbitre. À défaut, l’arbitre serait considéré comme complice de l’infraction en France. Le droit américain ne s’oppose pas au recours à l’arbitrage en matière pénale . Cependant, les sanctions pénales américaines sont restreintes en matière de copyright. Il est donc peu probable qu’elles aient vocation à s’appliquer. En France en revanche, les contrefaçons sont punies pénalement et il sera par conséquent possible de recourir à un arbitrage pour statuer en la matière. Cette possibilité n’aura généralement pas de véritable conséquence car, comme nous le verrons ci-dessous, les juges ne condamnent pas les contrefaçons commises par des hyperliens par des peines de prison ferme . En matière de contrefaçons commises par des hyperliens cette solution doit être approuvée car elle permet aux arbitres de statuer sur l’intégralité du préjudice et donne à l’arbitrage toute sa pertinence.

762. Les deux systèmes protègent donc les intérêts de l’État mais la France va plus loin en assurant également le respect des intérêts des parties. Cette recherche du respect des intérêts des parties doit être comprise de façon plus globale encore.

B) La protection des parties

763. Le recours à la procédure d’arbitrage assure en principe une protection des parties (1), mais elle présente des défauts limitant son intérêt (2).

1) Le principe de la protection des parties

764. L’arbitrage permet de retirer des tribunaux étatiques les conflits relevant de l’Internet et permet aux internautes de réguler eux-mêmes l’Internet et d’assurer la liberté du réseau . Ces avantages, qui participent au succès de l’arbitrage, sont renforcés par l’obligation de respecter certaines garanties des parties que sont la rapidité et la flexibilité.

765. Tout d’abord, les arbitres sont tenus de résoudre le conflit dans un délai rapide. Cette règle est conforme au principe de l’article 22(1) de la Chambre de Commerce Internationale. Il s’agit de l’un des intérêts principaux amenant à recourir à un arbitrage pour un litige portant sur un hyperlien. Les droits français et américains se conforment à ce principe mais ils adoptent des méthodes différentes afin d’inciter les arbitres à statuer rapidement.

766. Le délai est fixé par défaut à six mois en droit français et il peut être prorogé par un accord des parties . Les parties doivent participer à l’effort en agissant avec célérité . Le droit américain en revanche n’a pas introduit de principe général de vélocité dans le Uniform Arbitration Act. Le principe de vélocité irrigue cependant la loi uniforme américaine. Ainsi, la procédure de discovery – c’est-à-dire de recherche des preuves – est limitée et la question de la validité de l’accord portant sur l’arbitrage doit être résolue rapidement . En outre, les parties peuvent demander un expedited order obligeant les arbitres à statuer rapidement. Les philosophies des deux droits convergent donc sur le principe de vélocité de l’arbitrage, mais le droit français l’encadre de façon plus rigide que le droit américain. L’approche américaine est intéressante car elle permet d’adopter des délais raisonnables selon les spécificités de chaque litige, alors que le délai de 6 mois pour un litige concernant un hyperlien pourrait dans certaines hypothèses apparaître démesurément long.

767. En outre, face à l’urgence qui caractérisera souvent les litiges concernant les hyperliens, la loi modèle UNCITRAL – qui est dénuée de valeur obligatoire – suggère que les arbitres prennent des mesures provisoires afin de limiter le préjudice. Les droits français et américain ont adopté la même solution. L’article 1468 du Code de procédure civile adopte en effet une approche libérale laissant les arbitres décider in concreto de la nécessité de recourir à une telle mesure. La loi modèle américaine adopte une solution similaire à la section 8(b) en laissant aux arbitres la possibilité d’ordonner des mesures provisoires. En général les arbitres prononcent des mesures provisoires ou conservatoires lorsqu’il existe un risque de réalisation d’un dommage significatif imminent et irréparable . Une telle mesure pourra s’avérer pertinente en matière d’hyperliens car il y a lieu d’agir rapidement afin de ne pas compromettre définitivement le marché de l’ayant droit.

768. Une fois la sentence rendue, le juge arbitral pourra prendre des mesures pour que sa sentence soit applicable immédiatement afin de limiter le plus vite possible l’accès à une œuvre et éviter la disparition de l’état de rareté artificielle. La sentence arbitrale est assortie de l’exécution provisoire conformément aux règles régissant le droit commun étatique français . Ces mesures seront particulièrement pertinentes en droit français. En effet, l’exécution provisoire est conditionnée en France à l’exequatur du premier président ou du conseiller de la mise en l’état de la Cour d’appel qui peut l’arrêter, l’aménager ou l’ordonner . En outre, les mesures d’exécution forcées ne pourront être effectuées qu’après exequatur devant le Tribunal de Grande Instance . Aux États-Unis en revanche le contrôle du juge n’est pas obligatoire, mais il est possible notamment pour les mesures temporaires .

769. Enfin, l’arbitrage s’avère efficace car la convention de New-York du 10 juin 1958 harmonise la reconnaissance des sentences dans 146 États , dont les États de l’Union Européenne et les États-Unis. Cette possibilité est particulièrement pertinente pour les ayants droit. En effet, le caractère ubiquitaire de l’Internet requiert une facilité de reconnaissance des sentences arbitrales qui permettra d’assurer le respect du droit d’auteur et du copyright dans la très grande majorité des États. Il est encore plus facile d’obtenir la reconnaissance d’une sentence arbitrale étrangère que d’un jugement d’un tribunal étranger , ce qui facilite la coordination internationale en matière de droit d’auteur. Le recours à l’arbitrage permettra en outre de résoudre plus simplement les litiges impliquant des étrangers . Cela permet notamment de prendre en compte les différences juridiques inhérentes aux systèmes d’origine des parties .

770. L’arbitrage sera donc souvent bénéfique et protecteur des parties. Cependant, ce type de procédure, s’il se développe, reste encore d’usage relativement circonscrit à cause des limites qui lui sont inhérentes.

2) Les limites à la protection des parties

771. Les intérêts des parties sont tout d’abord limités par le coût de l’accès à l’arbitrage et par le manque de contrôle étatique sur les décisions. En effet, l’arbitrage ne constitue pas un mode gratuit de résolution des conflits. Les parties sont ainsi tenues de rémunérer les arbitres et, si besoin est, des experts ainsi que leurs conseils. Ainsi, alors que la saisine d’un juge étatique est gratuite en France et constitue un coût raisonnable aux États-Unis , la saisine d’une juridiction arbitrale pourra coûter entre 500 et 10 000 dollars , voire plus. L’arbitrage n’assure donc un pas un libre accès à toutes les parties, et de tels coûts risquent de dissuader les parties de recourir à un arbitrage pour des litiges concernant des hyperliens.

772. Enfin, en introduisant des mécanismes arbitraux d’exécutions des décisions, les procédures arbitrales retirent les solutions des litiges des contrôles étatiques . Des solutions illégales risquent ainsi d’être prises et peuvent créer une pratique qui sera suivie jusqu’à la saisine d’un juge. Cette situation a été rencontrée aux États-Unis, notamment pendant les années 1990, car certains litiges concernant des hyperliens ont été résolus par des accords entre les parties. Or, ces accords s’avéraient particulièrement favorables aux ayants droit car ils conféraient des prérogatives que les juges étatiques n’auraient pas reconnues. Ainsi, la première affaire américaine en matière d’hyperliens, The Washington Post Company v. Total News , les parties ont conclu un accord transactionnel largement favorable à l’auteur qui lui permettait d’interdire la création de liens cadres vers ses œuvres . Or, un juge étatique – comme l’a démontrée la jurisprudence ultérieure – n’aurait pas interdit la création de liens cadres sur le fondement du Copyright Act. Il ne s’agit en l’espèce pas d’un arbitrage mais d’un accord, mais la problématique se vérifie en cas d’arbitrage à défaut de contrôle par un juge. Le recours à l’arbitrage pourra donc déboucher sur des décisions contraires à ce que les juges auraient retenu.

773. L’arbitrage présente en outre deux limites qui risquent de dissuader les ayants droit et les internautes d’y recourir. Tout d’abord, les arbitres ont tendance à statuer en faveur de la partie qui les a saisis, et ils condamnent généralement au paiement de dommages et intérêts à hauteur de la moitié de ce qui était demandé . Les arbitres sont donc particulièrement conditionnés et rencontrent des difficultés à se défaire de l’accroche qui leur a été proposée – c’est-à-dire des éléments qui leur ont été communiqués en premier. Il ne s’agit donc pas d’une méthode de résolution des conflits pleinement satisfaisante.

774. En outre, l’arbitrage risque de ne pas être toujours pertinent en matière de droit d’auteur. En effet, le droit d’auteur est avant tout un droit erga omnes visant à assurer le maintien d’un monopole artificiel. Il a donc besoin de décisions publiques afin de dissuader les tiers de commettre des contrefaçons. La dimension inter partes de l’arbitrage – ainsi que le caractère secret des sentences arbitrales – ne sera donc pas toujours pertinente pour les ayants droit.

775. Eu égard aux limites que nous venons d’exposer, il y a lieu d’approuver les contrôles de la légitimité des décisions arbitrales . Il est possible d’étendre la possibilité, offerte en droit européen et américain, de recourir à des questions préjudicielles aux juges. En effet, les tribunaux arbitraux européens peuvent déjà saisir la Cour de Justice de l’Union Européenne d’une question préjudicielle dans la mesure où elles constituent des juridictions des États membres. Ainsi, les parties ne se verraient pas opposés des solutions contra legem. La majorité des États américains connaît un mécanisme similaire appelé certified questions . Il nous paraît souhaitable qu’en cas de doute, comme cela peut être le cas sur certains points en matière de liens, les arbitres puissent poser des questions aux juridictions étatiques.

776. En outre, bien que l’arbitrage soit une justice s’élaborant en dehors d’une juridiction, la valeur de la sentence arbitrale dépend d’une sentence exécutoire prononcée par la justice étatique . Cela assure un contrôle par une entité étatique d’une décision déléguée à des entités privées, comme cela est le cas pour les notifications aux créateurs automatiques de liens dont les décisions sont susceptibles de recours – et donc de contrôle – devant les autorités étatiques. Ce recours au contrôle étatique nous semble relever d’une bonne justice.

777. Les faiblesses de l’arbitrage peuvent être contournées par le recours à d’autres moyens alternatifs de résolution des conflits. Les États-Unis ont ainsi introduit un système de médiation en ligne dès 1996 . L’internaute peut contacter le Online Ombuds Office créé par l’Université du Massachusetts. L’organisme a ainsi servi de médiateur dans le litige en procédant à des échanges par e-mails . Cette médiation permet de résoudre un litige en un mois. En dehors de l’espace occidental, Singapour a été le premier pays à développer ce système baptisé e@dr en 2000. Un juge ou une personne nommée par le tribunal endosse le rôle de médiateur et aide à la résolution du litige en ligne. La France reste en retrait en la matière bien que le Tribunal de Grande Instance de Paris notamment développe la médiation.

778. Les modes alternatifs de résolution des conflits pourront être pertinents mais il est nécessaire, afin que l’État de droit soit préservé, que des procédures judiciaires restent accessibles et puissent contrôler ces décisions prises hors la vue du juge.

Paragraphe 2 : Les injonctions aux créateurs de liens

779. L’article 44 de l’accord ADPIC, que les États-Unis et l’Union Européenne ont ratifié, introduit la possibilité de recourir à des injonctions. Cependant, cette disposition se trouve limitée à l’importation de contrefaçons matérielles et n’a donc pas vocation à s’étendre aux injonctions concernant des contrefaçons en ligne et notamment aux hyperliens. Il n’y a donc aucune harmonisation internationale de la réglementation des injonctions appliquées aux créateurs d’hyperliens. Les droits européen et américain ont ainsi pu adopter des méthodologies convergentes afin de protéger les auteurs contre les contrefaçons.

780. Le législateur américain a été le premier à introduire des injonctions contre les service providers avec le DMCA. Alors que les injunctions existaient déjà aux États-Unis , le Congrès a établi des règles ad hoc en matière d’injunctions visant les créateurs automatiques de liens. Malgré l’existence du précédent américain, le législateur européen n’a pas pris position sur les modalités des injonctions. Les États membres de l’Union Européenne avancent par conséquent en ordre dispersé.

781. Le droit américain a donc introduit différents types d’injonctions en distinguant entre celles envoyées aux créateurs manuels de liens et celles à destination des créateurs automatiques de liens, alors que le droit européen a adopté une approche unique (I). Malgré les divergences de méthodes, les deux systèmes se rejoignent dans la mesure où les juges sont tenus par des conditions relativement strictes visant à assurer un équilibre entre les intérêts en présence (II).

I) Les différents types d’injonction

782. Le droit américain a introduit une dichotomie inconnue des droits européen et français, en distinguant entre les injonctions de droit commun envoyées aux créateurs de liens manuels (A), et les injonctions envoyées aux créateurs de liens automatiques (B) dont le régime est lui-même subdivisé entre d’une part les créateurs automatiques de liens bénéficiant du safe harbor du DMCA et d’autre part ceux qui ne respectent pas les conditions du DMCA.

A) Les injonctions aux créateurs de liens manuels

783. Les créateurs de liens manuels ne jouissent pas de régimes ad hoc relatifs aux injonctions et sont donc placés sous le régime de droit commun. Les modalités selon lesquelles les juges européens et américains peuvent prononcer de telles mesures varient.

784. La différence entre les deux systèmes n’est pas importante en ce qui concerne le principe des injonctions. En effet, la section 502 du Copyright Act dispose que les juges peuvent prononcer des injunctions permanentes ou temporaires selon les modalités qu’ils estiment raisonnables. L’objectif des injunctions est de prévenir ou de limiter la contrefaçon d’une œuvre protégée. Le droit européen est en revanche assez confus sur la question. En effet, le considérant 45 de la directive 2000/31/CE dispose dans la version anglaise que les États membres doivent prévoir des injunctions afin de lutter contre les actes illicites. Les actes de contrefaçon sont donc inclus, permettant aux deux droits de converger. Il s’agit d’ordres pouvant être prononcés par des juges ou par une administration, permettant d’obtenir l’arrêt ou que soit prévenue une contrefaçon, notamment par le blocage de l’accès à un contenu. Une injonction peut donc être envoyée à un créateur de liens. La directive ne précise cependant pas de procédures à suivre pour ordonner les injonctions alors même que les rédacteurs européens se sont inspirés du DMCA américain pour rédiger la directive. Il est donc surprenant que le législateur européen n’ait pas précisé les dispositions à suivre pour prononcer une injonction. La version française traduit cette notion par des « actions en cessation », alors que la version italienne parle de azioni inibitorie – c’est-à-dire d’actions dissuasives – et la version croate a opté pour une terminologie très vague (sudskog naloga) laissant les juges libres de suivre la procédure qu’ils estiment la plus adaptée. Les différentes versions contiennent des conceptions différentes de l’action offerte par le législateur européen.

785. Les juges américains ont un pouvoir discrétionnaire pour prononcer les injunctions. Cependant, les juges ordonnent généralement les injunctions lorsqu’il existe un dommage irréparable et que l’ayant droit a agi rapidement . Le droit américain a donc introduit un seuil particulièrement élevé pour les auteurs bloquant en partie l’accès au juge. L’article 18 de la directive 2001/29/CE précise quant à lui que les États membres doivent assurer aux auteurs des mesures d’injonctions afin de protéger leurs droits. Il n’a pas précisé de seuil de tolérance ni de pouvoir discrétionnaire des juges. Cette solution est inspirée notamment du droit allemand qui connaissait déjà un mécanisme similaire avant l’entrée en vigueur de la directive . L’article 9 de la directive 2004/48/CE n’est pas plus précis et se contente d’enjoindre les États membres de prévoir des mesures d’injonctions « à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit d’auteur ou à un droit voisin sont couvertes par la directive 2001/29/CE ». L’article 11 de la directive 2004/48/CE dispose que les États membres doivent permettre aux juges d’ordonner une injonction à l’égard d’un contrefacteur afin d’interdire la poursuite d’une contrefaçon. L’injonction doit pouvoir être demandée à l’égard des « intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle, sans préjudice de l’article 8, paragraphe 3, de la directive 2001/29/CE ». Étant donné que les critères ne sont pas précis, l’Union Européenne a pris le risque que les États adoptent des solutions peu harmonisées. En droit français, les procédures de requête et d’ordonnance de droit commun auront vocation à s’appliquer.

786. Cependant, la procédure d’injonction française – constituée par la requête – diverge profondément de l’injunction américaine. En effet, une procédure sur requête constitue avant tout une décision provisoire . Cette approche s’avère conforme à la jurisprudence de la CJUE qui a interdit les mesures sans limite dans le temps. La mesure d’injunction américaine peut en revanche être une mesure définitive. Madame Mireille Imbert-Quaretta a proposé, dans son rapport sur les Outils opérationnels de prévention et de lutte contre la contrefaçon en ligne , d’introduire une injonction de retrait prolongé d’une durée maximale de 6 mois. Cette proposition va dans le même sens que le rapport publié par le Conseil d’État en septembre 2014 – qui cite par ailleurs le rapport de Madame Imbert-Quaretta – mais elle n’a toujours pas été formellement introduite en droit français. Le droit français n’a donc pas introduit d’injonction au sens du droit américain. Il connaît en revanche des procédures permettant d’assurer un haut niveau de protection des auteurs. L’objectif du législateur est donc atteint, mais il aurait été plus efficace d’adopter des règles communes afin de faciliter la saisine d’autres juges en Europe.

787. L’article 8.3 de la directive 2001/29/CE a en outre fait l’objet d’une seconde transposition en droit français à l’occasion de laquelle a été introduit l’article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle . La particularité de l’injonction introduite par la loi de 2009 – qu’elle partage avec la section 512(j) du Copyright Act – est qu’elle peut être opposée à une personne tierce à l’acte contrefaisant . L’action est en outre plus largement ouverte qu’une action en contrefaçon. En effet, l’action en injonction peut être exercée par une entité ne pouvant saisir un juge d’une action en contrefaçon. Une organisation professionnelle peut ainsi avoir recours à une injonction . Une partie de la doctrine a fait remarquer que cette ouverture pouvait avoir pour conséquence d’entrer en conflit avec le principe selon lequel nul ne plaide par procureur. Cette critique apparaît cependant faible étant donné que ce principe n’interdit pas d’être représenté, mais uniquement de plaider par un intermédiaire sans révéler son identité. Au contraire, l’implication des organisations professionnelles doit être encouragée car elle permet aux auteurs de se focaliser sur la création et non pas sur la gestion de leur rente. La procédure d’injonction française devra en outre être contradictoire comme la procédure américaine .

788. Le manque d’harmonisation européen en matière d’injunction est, paradoxalement, partagé avec les États-Unis malgré l’existence d’une loi unique. Il existe en effet une divergence entre les différents Circuits, c’est-à-dire les différentes Cours d’appel fédérales . Devant les Deuxième et Neuvième Circuits, les preliminary injunctions peuvent être prononcées dès lors que le titulaire de droits apporte la preuve qu’il est probable que sa demande soit acceptée par un tribunal. Il en ira de même s’il existe des questions assez sérieuses sur le mérite de l’affaire pour qu’il s’agisse d’un fondement juste pour une audience, et qu’un examen du dossier tendrait vers son accueil . Les autres Circuits appliquent d’autres tests, mais ils se rejoignent tous sur le critère du dommage irréparable. Ce critère sera généralement rempli dès lors que l’ayant droit démontre qu’il a une réelle chance de succès de sa demande . Ce critère est beaucoup moins protecteur que celui adopté par la directive 2001/29/CE qui permet aux juges d’ordonner une injonction dès lors que les droits des auteurs sont lésés. Le seuil européen sera beaucoup plus facilement atteint que celui du dommage irréparable. Le droit européen permet aux États membres d’introduire des mesures de requête, mais il ne requiert pas des États membres qu’ils introduisent des mesures spécifiques pour les créateurs de liens manuels.

789. La divergence entre les deux systèmes s’élargit encore à l’analyse des exceptions. En effet, le dommage irréparable ne sera pas retenu en droit américain lorsque l’ayant droit a toléré la contrefaçon pendant une durée prolongée , ou lorsque le dommage est simplement de minimis , ou encore lorsque le défendeur n’avait pas conscience de commettre une contrefaçon à cause de l’absence de notice de copyright . Les droits européen et français ne connaissent pas l’exception de minimis et ne tiennent pas compte, conformément à la convention de Berne, d’une notice de droit d’auteur . La question de la durée prolongée est également indifférente étant donné que les ayants droit disposent d’un délai de prescription de 10 ans au cours duquel ils sont libres de saisir le juge. La pratique converge cependant partiellement vers le droit américain car les juges français ont tendance à se montrer plus sévères avec les demandeurs peu réactifs.

790. Enfin, les deux droits divergent sur la prise en compte de conceptions holistes lors du prononcé d’une mesure visant à lutter contre la contrefaçon. En effet, les juges américains pourront refuser l’injunction s’ils estiment que cela aurait des effets négatifs sur la société. Il en est allé ainsi dans l’arrêt Betamax car il a été retenu qu’une injunction priverait le public d’une technologie susceptible d’utilisations licites. Il serait dès lors possible qu’un juge refuse l’injunction à un nouveau type de lien en retenant qu’il risquerait de priver le public d’une technologie susceptible d’utilisations licites. Les juges européens ne se sont pas reconnus une telle liberté. La jurisprudence européenne sera donc plus prévisible qu’elle ne pourra l’être aux États-Unis, mais elle s’adaptera de façon moins satisfaisante aux contingences sociales.

791. La difficulté à obtenir une injunction en droit américain est patente face à la facilité d’obtenir son équivalent fonctionnel en droit français. Cela permet néanmoins d’ajouter un autre niveau de protection inconnu du droit français en limitant les remedies – c’est-à-dire les recours judiciaires – afin de mieux protéger les créateurs automatiques de liens. Il nous semble que l’équilibre se trouve néanmoins rompu en faveur des créateurs automatiques de liens à cause des difficultés trop nombreuses pour que soit prononcée une injunction.

792. Les injunctions constituent le dernier remède des ayants droit. En effet, elles ne sont prononcées que lorsque les dommages et intérêts ne s’avèrent pas pertinents . Elles jouent en revanche un rôle de premier plan pour les liens automatiques.

B) Les injonctions aux créateurs de liens automatiques

793. Les créateurs automatiques bénéficient de régimes de responsabilité ad hoc aux États-Unis ainsi qu’en Europe. Le législateur américain renforce leur liberté d’entreprendre par un système dual en matière d’injonctions qu’a rejeté le législateur européen. Le droit américain limite en effet les injunctions si les créateurs automatiques de liens respectent les dispositions de la section 512(d) (1). En revanche, s’ils s’écartent du safe harbor, un autre régime moins protecteur leur sera applicable (2). Cette dichotomie semble logique avec la ratio legis du DMCA qui vise à assurer un safe harbor aux créateurs automatiques de liens respectant des conditions précises visant à établir un équilibre entre les intérêts des auteurs, des internautes et des créateurs automatiques de liens. Le régime français n’a pas adopté cette dichotomie, offrant ainsi a priori une plus grande simplicité dans la compréhension de son système juridique.

1) Les créateurs de liens bénéficiant des régimes de responsabilité limitée

794. Les droits américain et européen s’accordent pour autoriser les juges à prononcer des injonctions aux créateurs automatiques de liens bien que les deux systèmes protègent tout particulièrement leur liberté d’entreprendre. Cependant, alors que le droit européen – comme le droit français – n’introduit pas de procédure ad hoc pour les injonctions adressées aux créateurs automatiques de liens, le droit américain pousse la logique entrepreneuriale à son terme en assurant un régime spécial des injunctions pour les créateurs automatiques de liens respectant les dispositions de la section 512 du Copyright Act.

795. La section 512(j)(1)(B) du Copyright Act américain introduit en effet un type d’injunction particulière applicable aux service providers bénéficiant des safe harbors de la section 512. Ces injonctions sont par conséquent applicables aux créateurs automatiques de liens . Le considérant 45 de la directive e-commerce ne suggère pas l’introduction d’une procédure ad hoc pour les créateurs automatiques de liens. Il n’y a donc pas d’obligation en droit européen d’adopter une injonction particulière pour les créateurs automatiques de liens respectant les dispositions de la directive e-commerce. Cette absence de summa divisio est cohérente car le législateur européen n’avait pas prévu de régime ad hoc de responsabilité pour les créateurs automatiques de liens. La loi française a pris acte de cette absence. L’article 6-I-8 de la LCEN française permet ainsi aux ayants droit de saisir le juge en référé ou sur requête, afin qu’il prenne « toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ». Il s’agit certes d’une disposition spéciale qui aura vocation à déroger aux règles de droit commun conformément à l’adage specialia generalibus derogant. Cependant, cette règle ne constitue qu’un rappel des règles du droit commun. Il y a donc une règle spéciale reprenant la règle de droit commun. Le droit français diverge donc du droit américain dans la mesure où il ne limite les injonctions lorsque les créateurs de liens ont respecté les dispositions de la LCEN.

796. Pour les service providers bénéficiant des dispositions du safe harbor du DMCA, les juges sont limités à deux possibilités pour les injunctions. La première ne concerne que les sessions d’utilisateurs contrefaisant et n’est donc pas applicable aux liens automatiques. La seconde trouve en revanche à s’appliquer aux créateurs automatiques de liens qui auront respecté les conditions de la section 512(d) du Copyright Act. Les juges pourront ordonner au créateur automatique de liens de mettre un terme à l’accès au contenu contrefaisant. Le créateur automatique de liens pourra donc recevoir l’ordre de prendre des mesures raisonnables pour bloquer l’accès à un site précis et identifié. Ce critère de précision est partagé avec le droit européen. En effet, dans l’arrêt Scarlet , les juges ont retenu qu’une mesure générale violerait « l’exigence d’assurer un juste équilibre entre le droit de propriété intellectuelle, d’une part, et la liberté d’entreprise, le droit à la protection des données à caractère personnel et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations, d’autre part ». Dès lors, même si les deux droits n’adoptent pas la même méthode, ils se rejoignent sur le principe de la précision de l’injonction.

797. En revanche, la section 512(j)(1)(B) du Copyright Act limite les injunctions aux sites Internet se trouvant en dehors du territoire des États-Unis . En effet, il n’est pas possible de requérir d’un juge américain de bloquer un site Internet étranger . La foreign site provision permet donc de limiter l’accès à une contrefaçon située sur un site étranger en imposant au créateur automatique de liens de ne pas offrir l’accès au site visé. Ainsi, un site se trouvant sur un serveur situé à l’étranger est hors de portée pour le juge américain, qui ne pourra donc pas demander sa suppression, et sera limité à la possibilité d’ordonner une injunction afin d’interdire l’accès depuis le territoire américain. Les droits européen et français ne connaissent pas cette limitation. Le droit français sera cependant confronté aux mêmes difficultés mais la LCEN ne prend pas expressément position sur la question. Elle aura cependant souvent l’occasion d’opter pour un mécanisme similaire à celui prévu par le DMCA à cause du principe d’effet territorial des décisions judiciaires. Les deux droits convergent sur ce point mais, alors que le droit américain explique expressément que les décisions judiciaires ne peuvent avoir d’effet extraterritorial, le droit français le sous-entend.

798. Les régimes applicables sont donc largement protecteurs des créateurs automatiques de liens. Le droit américain se montrera cependant plus sévère avec les créateurs automatiques de liens qui n’auront pas respecté les dispositions de la section 512(d) du Copyright Act.

2) Les créateurs de liens ne bénéficiant pas des régimes de responsabilité limitée

799. La section 512(j)(1)(A) prévoit, à l’inverse de la LCEN française, un régime spécial applicable aux service providers ne bénéficiant pas des safe harbors de la section 512 du Copyright Act. Il y a donc l’idée d’appliquer un régime plus dur aux créateurs automatiques de liens n’ayant pas respecté les dispositions de la section 512(d) sans pour autant peser trop lourdement sur leur liberté d’entreprendre.

800. Les juges pourront interdire aux créateurs automatiques de liens de fournir l’accès aux contenus contrefaisants se trouvant à un emplacement précis sur le réseau du service provider . Cette disposition est d’application plus large que celle réservée aux créateurs automatiques de liens ayant respecté les dispositions du safe harbor. En effet, le critère des mesures raisonnables pour empêcher l’accès est écarté, ce qui signifie que des mesures non raisonnables pourront être ordonnées. En outre, le critère de la précision d’un site Internet identifié localisé en dehors des États-Unis a été écarté. Les juges pourront ainsi interdire l’accès à un contenu situé sur un site particulier en ligne, indépendamment de sa localisation. Cette mesure permet de rééquilibrer la balance des intérêts entre les auteurs et les créateurs automatiques de liens. En effet, si les service providers ne respectent pas les dispositions du safe harbor, cela signifie que la balance des intérêts a trop penché en leur faveur et que les ayants droit sont lésés. Il convient par conséquent de prendre les dispositions nécessaires, même si elles s’avèrent lourdes pour les créateurs automatiques de liens, afin de rétablir l’équilibre. Le droit français ne prévoit pas une telle mesure de rééquilibrage car les créateurs automatiques de liens jouent un rôle dans la lutte contre la contrefaçon et sont des quasi-juges. La conception française est plus dure avec les créateurs automatiques de liens et ne reconnaît pas le statut de contrefacteur innocent ou négligent. La dichotomie américaine, qui a par ailleurs sa pertinence, n’aurait donc pas eu de sens dans le système français.

801. En outre, les juges pourront également prononcer toutes les mesures nécessaires pour prévenir ou limiter la contrefaçon d’œuvres protégées, permettant au droit américain de converger partiellement vers le droit français. Il s’agit d’un véritable renversement par rapport au régime applicable aux créateurs automatiques de liens ayant respecté les dispositions du safe harbor qui bénéficient de mesures édictées limitativement. Le législateur américain a cependant introduit un contrôle des injunctions. Ces mesures devront ainsi être précisées dans l’acte judiciaire et ne seront valables que pour un emplacement précis en ligne. En outre, la mesure imposée devra être la moins burdensome – qui peut être traduit par pénible ou onéreux – pour le créateur automatique de liens parmi les différentes mesures efficaces pour lutte contre la contrefaçon litigieuse . Cette souplesse du droit américain rejoint celle du droit français . Le juge français pourra en effet prescrire en référé ou sur requête « toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne ». Les deux droits laissent par conséquent le juge relativement libre afin qu’il puisse apporter la réponse la plus adaptée à chaque situation, et que les moyens à disposition des parties ne deviennent pas obsolètes.

802. Chacun système, avec sa logique et sa cohérence, vise donc à assurer un équilibre entre la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens et les intérêts des ayants droit. Le rééquilibrage s’avère plus ou moins dur pour les créateurs automatiques de liens selon la violation des intérêts des auteurs. Les droits français et américain ont pris en compte l’évolution permanente des techniques de l’Internet et des variations de sa perception par les sociétés américaines et européennes. Ils ont par conséquent établi des critères souples permettant aux juges de s’adapter de la façon la plus satisfaisante possible aux situations auxquelles sont confrontés les créateurs automatiques de liens.

II) Le contrôle des injonctions

803. Les deux droits contrôlent le respect de l’équilibre des intérêts en présence (A). Cette approche est a priori cohérente avec la ratio legis du DMCA et de la directive e-commerce dans la mesure où il s’agit de textes de compromis entre des intérêts divergents. Les injonctions doivent en outre se conformer au principe de proportionnalité (B). Les tests de proportionnalité permettent certes d’assurer la coordination de droits et d’intérêts en conflit. Cependant, ils introduisent une dose d’incertitude juridique qui risque de peser sur la liberté d’entreprendre des créateurs de liens.

A) L’équilibre des intérêts entre les auteurs et les créateurs de liens

804. La section 512(j) du Copyright Act américain précise explicitement les intérêts que les juges devront prendre en compte. Le législateur européen n’a pas établi de liste aussi explicite – la rendant moins prévisible que le droit américain – mais la jurisprudence a permis une convergence des deux droits.

805. Il sera ainsi nécessaire de contrôler que l’injunction ne soit pas trop pénible ni trop onéreuse pour le créateur de lien. Le DMCA adopte explicitement cette règle . Cela permet en effet d’assurer le respect de la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens. La CJUE s’est placée dans une perspective similaire en retenant qu’une injonction doit se concilier avec le respect des droits et libertés fondamentaux . Ainsi, l’arrêt eBay a retenu sur le fondement de l’article 3 de la directive 2004/48 que les mesures de lutte contre la contrefaçon doivent être équitables, proportionnées, et ne doivent pas être excessivement coûteuses . Elle a également retenu que les injonctions ne peuvent établir d’obstacle au commerce légitime et à la liberté d’entreprendre . La jurisprudence européenne a ainsi précisé le régime applicable aux injonctions et impose ainsi aux juges de respecter la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens en évitant, comme le droit américain, les mesures trop pénibles. Il en ira ainsi notamment lorsque l’injonction se trouve limitée à une obligation de moyen . Les moteurs de recherche doivent donc avoir le « soin de déterminer les mesures concrètes à prendre pour atteindre le résultat visé de sorte que celui-ci peut choisir de mettre en place des mesures qui soient les mieux adaptées aux ressources et aux capacités dont il dispose ». Le champ d’application des injonctions devra ainsi s’avérer respectueux de la liberté d’entreprendre des moteurs de recherche auxquels elles sont opposées .

806. L’allocation des coûts de procédures, et notamment ceux relatifs aux injonctions, constitue un fardeau potentiellement lourd et impactant la liberté d’entreprendre des créateurs de liens. En France – à l’inverse des États-Unis – il revient non pas à l’intermédiaire tel que le créateur automatique de liens, mais à l’ayant droit, de supporter les coûts de l’injonction . Le demandeur a par conséquent dû supporter les frais de déréférencement induits par l’injonction. La Cour de cassation française a retenu que le mécanisme législatif respecte un juste équilibre entre le respect du droit d’auteur et la liberté d’entreprendre dès lors que la mesure est strictement nécessaire . L’approche américaine nous paraît favorable étant donné que certains auteurs ne disposent pas des moyens suffisants pour assurer de tels frais. Le droit français n’est pas pragmatique lorsqu’il traite tous les auteurs de la même façon, c’est-à-dire comme des commerçants disposant de la surface financière nécessaire pour affronter les dépenses nécessaires au respect de leurs droits, alors que les professions artistiques sont parmi les plus inégalitaires . Cette allocation des coûts sur les auteurs dissuadera les moins riches de solliciter une injonction. Dès lors, l’état de rareté artificiel de leurs œuvres ne sera pas respecté et leurs créations perdront toute valeur commerciale. Les auteurs n’obtiendront donc pas de revenus et ne seront par conséquent pas incités à créer. Le droit français introduit ainsi un obstacle à l’entrée sur le marché de la création que n’oppose pas le droit américain. Cependant, les frais d’avocats sont particulièrement élevés aux États-Unis. L’allocation des frais sur les créateurs automatiques de liens au lieu des ayants droit n’empêche donc pas le droit français d’opposer moins de barrière à l’entrée sur le marché que le droit américain.

807. Il sera également nécessaire, dans le cadre d’une injonction américaine , de prendre en considération le dommage subi par l’ayant droit si aucune mesure n’est prise pour empêcher ou limiter la contrefaçon. Cela risque d’inciter les auteurs à attendre que le préjudice soit important avant de saisir le juge , alors que les auteurs pourront saisir le juge français dès l’apparition de la contrefaçon. En n’adoptant pas cette solution, le régime français incite les ayants droit à être réactifs. Le critère américain devrait être supprimé car il décourage les auteurs à agir rapidement alors même que le droit américain, à l’inverse du droit français, connaît le principe de la mitigation of damages – c’est-à-dire l’obligation de prendre des dispositions adéquates afin de minimiser son dommage. De plus, le test risque d’amener les juges à mieux protéger les œuvres ayant la plus grande valeur commerciale au détriment des autres . Ce critère pèse indûment en faveur de la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens en établissant des barrières trop importantes à l’entrée sur le marché de nouveaux auteurs dont la liberté d’entreprendre se trouve ainsi violée.

808. De plus, les juges américains devront contrôler que les dispositions de l’injunction sont techniquement faisables et efficaces – ce qui protège la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens. Ce critère n’a pas été repris explicitement en droit français. Mais était-il vraiment nécessaire de préciser aux juges qu’ils ne doivent pas ordonner des mesures impossibles et inefficaces ? Le Conseil Constitutionnel est venu préciser cette absence et a retenu qu’une injonction sur le fondement de l’article L. 336-2 du Code de la propriété intellectuelle ne pouvait prévoir que des mesures « strictement nécessaires à la préservation des droits » des auteurs, c’est-à-dire uniquement des mesures efficaces. La Cour de cassation a cependant procédé à une lecture souple de ce critère en retenant que l’efficacité pouvait ne pas être absolue dans le cas d’une injonction relative à l’arrêt de référencement.

809. En outre, les juges américains doivent contrôler que leurs injonctions n’auront pas de conséquence sur l’accès à des contenus licites se trouvant à d’autres emplacements sur l’Internet. Cela permet d’assurer le respect des intérêts des internautes. La jurisprudence européenne s’est ainsi placée dans une perspective similaire à la solution américaine en retenant que les injonctions doivent être prononcées dans le respect de la liberté de recevoir ou de communiquer des informations, c’est-à-dire la liberté d’information des internautes .

810. Les deux systèmes ont donc en grande partie convergé sur l’établissement de régimes visant à respecter les intérêts des ayants droit, des créateurs automatiques de liens ainsi que des internautes. Cependant, des affirmations rigides ne permettraient pas à elles seules d’assurer un équilibre satisfaisant entre les trois intérêts. Les deux systèmes appliquent par conséquent un test de proportionnalité.

B) Le test de proportionnalité entre les intérêts des auteurs et des créateurs de liens

811. Le second ensemble est constitué par le critère de proportionnalité. En effet, les juges américains devront contrôler qu’il existe d’autres moyens moins pénibles et moins onéreux pour les créateurs automatiques de liens et qui soient également efficaces afin d’empêcher ou de limiter l’accès aux contrefaçons. Une solution similaire est en vigueur au sein de l’Union Européenne. En effet, la jurisprudence de la CJUE a retenu, depuis l’arrêt Promusicae , une solution similaire . En filigrane, c’est la liberté de l’article 16 de la Charte de Nice, c’est-à-dire la liberté d’entreprendre, que visent les juges . Les deux droits visent donc à protéger la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens.

812. Le contrôle de proportionnalité s’avère nécessaire car les injonctions de bloquer des sites peuvent présenter des effets disproportionnés. L’exemple a été donné dans un autre domaine que celui du copyright – donc sur un autre fondement que le DMCA – mais le raisonnement pourrait être appliqué en la matière. Le District Court de Pennsylvanie a ainsi retenu l’illégalité d’une injunction dans l’arrêt Democracy & Technology v. Pappert car elle avait pour effet de supprimer plus de contenus que nécessaire pour la protection de l’intérêt gouvernemental protégé . Il en résultait une violation de la liberté d’expression. L’arrêt Papert a ainsi examiné le filtrage de l’adresse IP – qui est facile à effectuer mais risque de bloquer des sites licites – de l’adresse URL – qui permet de ne bloquer que l’adresse URL spécifiée dans l’injunction mais constitue la méthode la plus onéreuse de blocage – ainsi que du DNS – qui permet de bloquer l’accès à un site mais s’avère très spécialisé et requiert la création de nouveaux systèmes ainsi que la configuration de nouveaux serveurs DNS. Il est nécessaire d’opter pour la méthode la moins lourde pour les créateurs automatiques de liens. La mesure s’avérait donc disproportionnée et ne pouvait donc pas être ordonnée. La jurisprudence française n’adoptera pas exactement le même raisonnement car les juges refusent de voir un conflit entre la liberté d’expression et le droit d’auteur. Cependant, une mesure pourrait s’avérer disproportionnée par rapport à d’autres intérêts, entraînant l’interdiction de prononcer une injonction.

813. Les mesures offertes aux ayants-droit sont donc relativement circonscrites afin d’assurer les intérêts de toutes les parties. Leur effet dissuasif se trouve donc partiellement limité, d’autant plus que les peines sont relativement clémentes.

Sous-Section 2 : Les sanctions de la contrefaçon par les liens

814. Le rôle des juges est d’appliquer, à partir des règles édictées par les pouvoirs législatifs et exécutifs, la justice à chaque cas qui leur est présenté. Or, la notion de justice est difficile à définir et le défi numérique ne peut que modifier la perception que l’on s’en fait. Artistote a réfléchi à cette question dans l’Éthique à Nicomaque où il instaure la figure du juge comme centrale à l’affirmation de la justice . La conception de la justice moderne tient ses racines de l’héritage grec mais a connu une évolution substantielle. Ainsi, certains philosophes modernes du droit ont noté que la justice contemporaine marque une « oscillation significative entre exigence d’humanité et souci d’utilité, éthique de la dignité et logique managériale ». Ces tensions se retrouvent dans les peines prononcées par les juges en matière d’hyperliens.

815. Le quantum des peines, et notamment la valeur des amendes, constitue juridiquement une interdiction plus ou moins gravement sanctionnée par le juge. Il exprime la plus ou moins grande protection de l’intérêt. Économiquement, le quantum de la peine constitue un coût supplémentaire pour le contrefacteur . Ces différentes considérations ont pour conséquence d’établir, entre la peine encourue et la peine prononcée, la catégorie des sanctions prononçables . Le montant de la peine pénale ou civile participe donc de la dissuasion à commettre des contrefaçons (Paragraphe 1).

816. En outre, la régulation de l’outil nouveau qu’est l’Internet ne se satisfait pas des sanctions traditionnelles. Il y aura par conséquent lieu de recourir également à des peines complémentaires (Paragraphe 2).

Paragraphe 1 : Les peines principales

817. Les droits français et américain sanctionnent traditionnellement les contrefaçons par des peines pénales (I) et par des sanctions civiles (II). Cette convergence de principe n’a pas survécu à la rencontre avec les hyperliens pour lesquels les sanctions civiles apparaissent de facto plus efficaces et utiles.

I) Les peines pénales en matière de contrefaçon

818. Le droit pénal vise à sanctionner les interdits fondamentaux d’une société . Cette branche du droit reflète donc la place que chaque système attribut aux auteurs. Le droit américain se place dans une perspective holiste et ne concède de droits aux auteurs non pas selon des considérations jusnaturalistes, mais comme accessoire d’une politique culturelle. Le droit français est plus nuancé dans la mesure où le droit d’auteur est né, comme aux États-Unis, comme un outil de stimulation de la création. Cependant, le mouvement romantique a fait émerger la figure de l’auteur et a fini par considérer que le droit d’auteur constitue un droit de l’Homme. Les sanctions pénales varient donc fortement entre les deux systèmes.

819. Le droit français a rapidement introduit des sanctions pénales du droit d’auteur avec l’introduction du Code pénal de 1810 . Le législateur américain a en revanche attendu 1982 pour introduire les premières sanctions pénales. Les deux droits convergent désormais sur le principe de l’application générale des sanctions pénales. En effet, et contrairement aux sanctions du droit sui generis, les sanctions pénales relatives au droit commun du droit d’auteur s’appliquent à toutes les violations en droit français comme en droit américain .

820. Cependant, le droit pénal américain est d’application plus restrictive que le droit pénal français. Le droit français sanctionne pénalement « toute édition d’écrits, de composition musicale, de dessin, de peinture ou de toute autre production, imprimée ou gravée en entier ou en partie, au mépris des lois et règlements relatifs à la propriété des auteurs, est une contrefaçon et toute contrefaçon est un délit ». L’article semble ainsi ne viser que les actes de contrefaçon par reproduction. Néanmoins, et malgré le principe d’interprétation stricte du droit pénal , cette disposition est d’application générale . Les contrefaçons des droits de reproduction et de représentation seront par conséquent sanctionnées pénalement. En revanche, la section 2319 du Penal Code établit des conditions strictes pour l’opposition de sanctions pénales. La section 2319(b) effectue un renvoi à la section 505(a)(1)(A) du Copyright Act qui limite les sanctions pénales aux personnes commettant volontairement des contrefaçons dans un objectif lucratif ou pour obtenir des gains financiers privés . Sera également pénalement sanctionné le fait de reproduire ou de distribuer, pendant une période de 180 jours, une ou plusieurs copies d’au moins une œuvre protégée par le copyright, dont la valeur globale est supérieure à 1 000 dollars . Le contrefacteur engage également sa responsabilité pénale lorsqu’il distribuera une œuvre protégée à destination d’un public dans un but lucratif pour l’ayant droit, en rendant l’œuvre accessible sur un réseau informatique pour les membres du public, si le défendeur savait ou avait des raisons de savoir que l’œuvre devait être distribuée dans un cadre commercial. En outre, l’œuvre créée dans un but de distribution commerciale est limitée aux programmes informatiques, aux œuvres musicales, aux films ou autres œuvres audiovisuelles, ainsi qu’aux enregistrements audio . Le droit américain limite donc fortement les sanctions pénales par rapport au droit français. En outre, alors que les sanctions pénales peuvent punir des contrefaçons des droits moraux, le copyright exclut expressément toute sanction des violations des droits moraux.

821. Cette distinction est néanmoins cohérente. En effet, le droit d’auteur français s’inscrit dans une approche jusnaturaliste considérant que les prérogatives des auteurs sont sacrées. Il est par conséquent logique de sanctionner toutes les contrefaçons. Aux États-Unis en revanche l’objectif du copyright est uniquement d’inciter à la création. Le droit pénal se contente par conséquent d’interdire les actes de contrefaçon qui présentent le plus grand effet dissuasif pour la création. Il est donc logique que le droit pénal américain sanctionne pénalement uniquement les contrefaçons d’œuvres les plus onéreuses. En effet, si le marché d’un livre est réduit à néant par la contrefaçon, l’auteur n’a perdu que des investissements relativement limités. En revanche, les budgets de développement d’un logiciel ou d’un film dépassent généralement le million de dollars. Le risque est donc plus grand en cas de disparition du marché et l’effet dissuasif de la contrefaçon sur ce type d’œuvre est particulièrement important. C’est cette logique que le législateur a suivie lorsqu’il a limité les sanctions pénales de la contrefaçon des autres œuvres à un montant de 1 000 dollars car, au-delà de ce seuil, l’effet dissuasif est considéré comme trop important. Le droit américain présente donc l’intérêt de prendre en considération les particularités des processus de création dans la sanction de la contrefaçon. Il y a cependant peu de chance qu’un ayant droit sollicite l’application des dispositions pénales en droit américain pour un hyperlien, et les juges américains – à la différence des juges français – n’ont jamais condamné pénalement l’établissement d’un lien vers une contrefaçon.

822. La sévérité du champ d’application du droit pénal français est nuancée par le caractère plus doux de ses peines. En effet, l’article L. 335-2 du Code de la propriété intellectuelle punie de 3 ans de prison et de 300 000 euros d’amende la contrefaçon. Aux États-Unis le contrefacteur encourt une peine de 5 ans de prison ainsi qu’une peine d’amende s’il est un primo délinquant commettant une contrefaçon d’au moins 10 copies d’une œuvre protégée, pour une valeur d’au moins 2 500 dollars pendant une période de 180 jours. Le quantum de la peine sera de 10 ans de prison ainsi qu’une amende si le défendeur est en état de récidive ou s’il a commis une felony – c’est-à-dire le type d’infraction le plus grave .

823. L’application du droit pénal français est en outre adoucie par la circulaire de politique pénale en matière de contrefaçons . Elle encourage en effet à procéder à des mesures de compositions pénales. Cette procédure permet aux procureurs de ne pas être limités entre le choix d’un classement sans suite ou d’une procédure judiciaire . Ce choix permet par conséquent un renforcement de l’arsenal judiciaire. Le procureur pourra ainsi mettre un terme à la violation de l’ordre social en procédant notamment – avec l’accord des parties – à une médiation, ou en proposant des alternatives à la sanction pénale. Les sanctions pénales françaises ont donc un effet dissuasif et auront rarement vocation à s’appliquer. Cette approche est sans doute préférable étant donné que les maisons d’arrêt françaises – dans lesquelles sont envoyées les personnes condamnées à une peine de moins de 2 ans de prison – sont surchargées . En outre, il n’est pas évident que l’opinion publique voit d’un bon œil l’enfermement de contrefacteurs lorsque certaines peines pour vol encourant également 3 ans d’emprisonnement ne sont pas effectuées. Dès lors, et eu égard à la nécessité d’allouer les ressources pénitentiaires françaises de la façon la plus efficace possible, nous considérons qu’il y a lieu d’adhérer à l’approche de la circulaire de politique pénale en matière de contrefaçons.

824. La jurisprudence française a donc rarement prononcé des sanctions pénales en matière de contrefaçons par des hyperliens, et les juges américains n’y ont jamais eu recours. Les sanctions ont donc un effet avant tout dissuasif. La jurisprudence a, malgré les apparences, durci sa réponse pénale. En effet, le TGI de Saint Etienne avait condamné en 1999 à des peines de 2 mois et 3 mois d’emprisonnement avec sursis pour l’établissement de liens vers des contrefaçons. La jurisprudence postérieure a prononcé des peines de prison avec sursis jusqu’en 2003. Un seul arrêt isolé a prononcé en 2011 une peine de prison avec sursis après cette date. Des peines d’amende ont également été prononcées après 2003 pour des montants compris entre 5 000 et 6 000 euros . Cette évolution n’a pas marqué un affaiblissement de la réponse pénale mais bien un durcissement. En effet, la peine avec sursis n’était pas appliquée dès lors que la personne condamnée ne réitère pas la même infraction pendant 5 ans pour une contrefaçon . La peine d’amende a en revanche vocation à s’appliquer à la suite de la décision judiciaire. En appliquant une peine certaine, la jurisprudence se montre plus dure et se veut plus dissuasive.

825. En effet, la peine doit être exemplaire ou apparente afin de dissuader les individus de commettre des infractions. Elle doit être certaine, sévère et prompte . La certitude et la célérité de la peine ont plus d’influence sur le taux de criminalité que la sévérité de la peine . Le mouvement de la deterrence theory et du rational choice theory avec Gary S. Becker ont repris ce postulat de Beccaria . La deterrence theory part de l’idée que plus la certitude, la célérité et la sévérité sont grandes et plus elles apparaissent subjectivement lourdes pour les délinquants, ce qui fait a priori baisser le taux de criminalité. L’impression d’anonymat – et donc d’impunité – sur l’Internet constitue cependant l’un des principaux freins à l’effet dissuasif des peines pénales car les internautes pensent ne pas pouvoir être retrouvés.

826. Les droits français et américain ont adopté des méthodes de dissuasion de la contrefaçon très différentes, car le droit américain ne dissuadera pas l’établissement de liens illicites par l’application du droit pénal à l’inverse du droit français. En effet, le copyright américain ne dissuade pas les tiers par des sanctions pénales mais par les sanctions civiles.

II) Les peines civiles en matière de contrefaçon

827. Alors que le droit d’auteur français limite les dommages et intérêts au dommage effectif, le droit américain autorise l’ayant droit à obtenir non seulement la réparation du dommage subi, mais également des dommages et intérêts légaux et des bénéfices effectués par le contrefacteur. Les dommages et intérêts légaux pourront être prononcés si l’œuvre a été enregistrée avant la contrefaçon ou dans les trois mois de la publication de l’œuvre . Le titulaire du copyright peut les demander à tout moment de la procédure à la place des actual damages et des profits. Il peut obtenir entre 750 et 30 000 dollars par contrefaçon. Il obtiendra 150 000 dollars si la contrefaçon a été commise volontairement. Si le contrefacteur ne savait pas et n’avait pas de raison de croire que son acte constituait une contrefaçon, les dommages et intérêts légaux peuvent être d’un minimum de 200 dollars. Les dommages et intérêts sont légaux et ne visent donc pas à prendre concrètement en compte le dommage. Les montants des dommages et intérêts sont donc payés pour chaque œuvre contrefaite, indépendamment du nombre de contrefacteurs . En effet, lorsque l’œuvre est présentée sur un nouveau medium il s’agit toujours de la même œuvre au sens de la section 504 du Copyright Act. Les dommages et intérêts punitifs peuvent désormais être prononcés lorsque le contrefacteur a commis sciemment une contrefaçon et avec malice. Le droit américain permet donc d’allouer des montants de dommages et intérêts bien supérieurs à ceux prononcés par les juges français et s’avère a priori bien plus dissuasif que le droit français.

828. Cependant, malgré l’arsenal à la disposition des juges américains, les juges français ont prononcé des dommages et intérêts plus souvent que les juges américains. Ainsi, en dehors de l’arrêt L.A. Times v. Free Republic , les juges américains n’ont pas prononcé de dommages et intérêts mais des injunctions. Il est même arrivé, dans l’affaire Universal Studios v. Reimerdes , que les parties abandonnent leurs prétentions relatives aux dommages et intérêts en cours d’instance. La procédure américaine vise donc principalement à obtenir le déréférencement d’un contenu, alors que la procédure française vise également à obtenir un déréférencement, mais également à allouer des dommages et intérêts. Les juges français se sont donc montrés plus sévères. Deux grandes tendances se dégagent en France.

829. La première est relative aux créateurs manuels de liens (voir graphique ci-dessus). Les montants des dommages et intérêts auxquels ils ont été condamnés se divisent en deux grandes périodes. Entre 1999 et 2006, le montant moyen des dommages et intérêts s’élève à 7 249,80 euros. Par la suite les montants ont fortement augmenté jusqu’à atteindre la somme de 40 000 euros (pour une moyenne de 26 600 euros sur la période) sans que cela ne corresponde à l’inflation.

830. La seconde tendance est relative aux créateurs automatiques de liens (voir graphique ci-dessus). Le montant des dommages et intérêts auxquels ils ont été condamnés était initialement bien plus élevé que pour les créateurs manuels de liens. En effet, en dehors de l’arrêt Aufeminin.com qui ne condamne qu’au paiement de la somme de 40 000 euros de dommages et intérêts pour la violation des droits moraux et patrimoniaux par un créateur automatique de liens, le montant des dommages et intérêts oscille entre 150 000 et 300 000 euros. La moyenne des dommages et intérêts se situe par conséquent à 158 000 euros pour les créateurs automatiques de liens. Il n’est pas évident de trancher la question de savoir si la chute du montant des dommages et intérêts avec l’arrêt Auféminin.com marque une convergence vers le régime des créateurs manuels de liens ou s’il s’agit d’une solution isolée eu égard aux faits de l’espèce.

831. Il nous semble que la première solution devrait être privilégiée étant donné que la LCEN – à l’inverse du DMCA – n’a pas prévu de condamner les créateurs automatiques de liens à des montants systématiquement plus importants que les créateurs manuels de liens. Le montant moyen des dommages et intérêts payés par les créateurs automatiques de liens devrait cependant rester plus élevé que ceux payés par les créateurs manuels de liens car l’impact sur le marché de l’auteur est plus grave avec les moteurs de recherche qu’avec les liens manuels. Le préjudice étant plus important, il est cohérent que les juges condamnent à des montants plus élevés de dommages et intérêts.

832. Le droit américain a adopté la solution inverse. Le DMCA a en effet prévu des sanctions pour les créateurs automatiques de liens inférieures au droit commun afin de les protéger des auteurs et de soutenir le développement de l’Internet en améliorant la qualité ainsi que la variété des services . La section 512 limite ainsi les dommages et intérêts au préjudice subi, aux coûts de procédures, aux frais d’avocats ainsi que d’autres formes de paiement . L’objectif est donc d’offrir une protection aux créateurs automatiques de liens contre le monopole des auteurs . La jurisprudence a effectué une lecture très protectrice des intérêts des créateurs automatiques de liens en recourant aux injunctions plus qu’aux dommages et intérêt. Cela permet aux créateurs automatiques de liens de ne pas verser des dommages et intérêts et d’investir leur argent dans le développement d’autres services.

833. La solution américaine présente le défaut d’offrir un droit de contrefaire à moindre coût aux créateurs automatiques de liens car les dommages et intérêts sont rarement prononcés et les frais relatifs aux injunctions restent raisonnables. Cette position se justifie néanmoins car les service providers constituent des cibles faciles pour les auteurs. Il s’agit donc d’une contre-réaction aux abus s’étant produits à cause de la théorie de la deep pocket qui permet d’engager la responsabilité de l’entité la plus riche afin d’obtenir des dommages et intérêts. En effet, les créateurs automatiques de liens sont plus faciles à repérer et disposent souvent de capitaux supérieurs aux contrefacteurs initiaux. Le DMCA vise par conséquent à limiter les sanctions contre les service providers.

834. Les créateurs de liens manuels et automatiques peuvent tenter de produire des preuves relatives à la fréquentation de leurs sites sources . Les créateurs de liens ont donc intérêt à conserver les données de consultation ou de les demander à leurs hébergeurs. Cela constitue une lourdeur supplémentaire qui, si elle apparaît sans doute acceptable aux ayants droit, constitue un frein supplémentaire à la liberté de lier des internautes. La lutte contre la contrefaçon de droit d’auteur ne saurait en effet remettre en cause la présomption d’innocence qui constitue la pierre angulaire de nos démocraties.

835. Outre les sanctions de droit commun, les ayants droit pourront avoir intérêt à solliciter le prononcé de peines complémentaires.

Paragraphe 2 : Les peines complémentaires en matière de contrefaçon

836. Il apparaît régulièrement aux juges que les peines relevant de la contrainte physique ou économique ne sont pas toujours les plus efficaces . Il pourra donc s’avérer plus pertinent de prononcer des peines complémentaires.

837. Une peine complémentaire récurrente en droit français – et à laquelle les juges américains n’ont pas eu recours – est l’obligation de mentionner le dispositif de la décision les condamnant. Les juges ont régulièrement condamné les créateurs de liens à publier le dispositif dans trois journaux voire sur leurs sites. Une telle pratique est encouragée par une partie de la doctrine car certains auteurs considèrent que la pratique du « namming and shamming » s’avère efficace sur Internet. Cette approche est fondée sur la contrainte sociale qui permet de réguler les comportements conformément à l’approbation ou au rejet par la société . L’efficacité de cette méthode est limitée par le caractère anonyme de l’Internet. Cependant, les juges ont régulièrement recours à cette méthode en ordonnant la publication de leur décision. Les juges établissent un plafond de dépense pour les publications. Les frais ont considérablement augmenté comme le montre le tableau suivant.

838. Les juges français ont également eu recours, à l’inverse des juges américains, à l’astreinte conformément à l’article 11 de la directive 2004/48. Les juges ont également augmenté les montants des astreintes.

839. Bien que les données soient encore trop rares pour tirer des conclusions certaines, il apparaît qu’un renforcement de la lutte contre la contrefaçon en France est en cours alors que la jurisprudence américaine adopte une approche très favorable aux créateurs automatiques de liens en ne prononçant que rarement le paiement de dommages et intérêts ou de peines complémentaires. Cette solution penche de façon disproportionnée en faveur des créateurs automatiques de liens alors que certains sont devenus des entreprises florissantes n’ayant plus besoin de régimes aussi particuliers pour continuer à développer leurs activités. La liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens ne doit pas justifier, dans un État de droit, la budgétisation de l’illicite.

Conclusion du Chapitre 2

840. Les droits américain, européen et français ont par conséquent limité la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens, soit à cause de la difficulté de la détermination de la loi et de la juridiction compétente – ce qui constitue une limite de facto à cause de l’incertitude juridique – soit à cause de l’opposition de procédures et de sanctions faisant peser un fardeau plus ou moins lourd aux créateurs de liens.

841. Néanmoins, les trois systèmes ont cherché un équilibre entre les prérogatives des différentes parties intéressées. Ainsi, les auteurs étrangers sont assimilés aux nationaux conformément aux dispositions de la convention de Berne.

842. Cependant, si la protection est uniforme, la question de la compétence territoriale des juridictions soulève des difficultés particulières sur l’Internet. En effet, l’Internet ne donne a priori pas prise à la dimension locale de la compétence territoriale. La recherche de la solution applicable n’est pas facilitée par les conventions internationales qui ne prévoient pas de règles ad hoc en matière de propriété intellectuelle et notamment de droit d’auteur. Les États membres sont donc libres d’établir les règles qu’ils jugent adéquates. Les États-Unis et la France convergent sur le principe de compétence du juge du lieu du domicile du défendeur ou de la main place of business pour une société aux États-Unis. Cependant, le défendeur peut se trouver dans un paradis numérique ou tout simplement dans une juridiction difficile d’accès pour le demandeur. Ce dernier aura par conséquent la possibilité de saisir, en droit français, le juge du lieu du dommage qui pourra s’avérer être un pays plus accueillant. En matière contractuelle la solution sera facilitée par la possibilité d’élire un juge territorialement compétent. Cette option sera ouverte à tous les auteurs américains mais seulement aux auteurs concluant des contrats internationaux en droit français. Si le choix n’a pas été effectué, il sera possible de saisir le juge présentant un lien de rattachement pertinent avec le litige eu égard aux relations sociales que le contrat implique. Ce principe devra néanmoins respecter les règles de la Due Process Clause américaine ainsi que de la bonne administration de la justice. Ces règles s’avèrent assez largement insuffisantes sur l’Internet. Elles ont par conséquent été adaptées par la jurisprudence.

843. Les droits français et américain se divisent sur la question des droits moraux qui sont pratiquement inexistants aux États-Unis alors qu’ils sont particulièrement forts en France. Le droit américain appliquera donc le effect test afin de déterminer la juridiction compétente en cas de violation du copyright afin de respecter les dispositions de la Due Process Clause. Les juges cherchent donc un lien de rattachement. La solution ne sera pas très éloignée en France où les juges s’intéressent au lieu visé par l’internaute. Les deux systèmes devraient selon nous privilégier le critère de la focalisation afin d’assurer une meilleure sécurité juridique. La France s’estime en revanche compétente en matière de droits moraux dès lors que le contenu litigieux est disponible depuis le territoire français. Les États-Unis n’ont pas de règle ad hoc concernant la compétence territoriale en cas de violation des droits moraux en ligne étant donné que les dispositions du VARA n’ont pas vocation à s’y appliquer.

844. Les auteurs ne seront pas toujours tenus de mener un procès dans chaque juridiction où ils subissent un préjudice. La possibilité d’obtenir la reconnaissance d’une décision étrangère leur reste ouverte. Il sera pour cela nécessaire que les juges déterminent si le juge initialement saisi était compétent, si les droits de la défense ont été respectés et que la procédure n’a pas été frauduleuse, et si la décision est contraire à l’ordre public – ce qui pourra amener un contrôle du respect des droits moraux en France. Une décision passant ce test dans les deux pays pourra être reconnue. La France se montre néanmoins plus ouverte à la reconnaissance des décisions étrangères étant donné que, conformément à l’article 39 du règlement Bruxelles 1 bis, les décisions émanant d’autres pays membres de l’Union Européenne ont force exécutoire. Le droit américain assure la reconnaissance des décisions judiciaires des autres États fédérés mais il ne s’agit pas de décisions étrangères.

845. Une fois la juridiction choisie, les juges compétents auront la tâche de déterminer la loi applicable au litige. Ce second facteur de difficulté et d’imprévisibilité pour les litiges portant sur l’Internet constitue une véritable limite à la liberté d’entreprendre. Les deux systèmes visent, conformément à la ratio legis de la convention de Berne, la meilleure circulation possible des œuvres. La loi applicable lors de la détermination de la protection de l’œuvre sera donc la loi du lieu de création de l’œuvre, assurant ainsi un contrôle uniforme à l’échelle mondiale. Lors de la détermination de la loi applicable à la contrefaçon, les juges français appliqueront la loi du for dès lors qu’un élément de l’infraction a eu lieu sur le territoire national. En matière de responsabilité délictuelle la théorie de l’émission a été rejetée. L’Union Européenne applique la lex loci protectionis conformément à l’article 8.1 du règlement Rome II, alors que les États-Unis appliquent la lex loci delicti. Les résultats seront souvent similaires en pratique. En outre, en matière de responsabilité contractuelle, la loi la plus pertinente sera appliquée, et notamment celle du « pays dans lequel la partie qui doit fournir la prestation caractéristique a sa résidence habituelle ». Cependant, la détermination de la prestation n’est pas évidente en matière d’hyperlien, et il pourra s’avérer plus pertinent de recourir à la théorie des points de contacts. La règle étrangère pourra néanmoins être rejetée par le for si elle s’avère contraire à l’ordre public – ce qui sera le cas si la loi ne reconnaît pas le droit de divulgation ou de retrait comme la loi américaine – ou contraire à une loi de police – ce qui sera le cas de la loi américaine étant donné qu’elle ne reconnaît pas les droits de paternité et d’intégrité.

846. Une fois la loi déterminée, les règles de preuve auront vocation à être appliquées. Elles seront parfois plus faciles à obtenir que dans le monde analogique car les internautes laissent des traces sur l’Internet. Le droit français a introduit une obligation de stockage des données des créateurs de liens pendant 6 mois alors que le droit américain n’a pas encadré cette pratique. Néanmoins, dans les deux systèmes, les créateurs automatiques de liens doivent veiller à ce que les données soient préservées, c’est-à-dire qu’elles ne soient ni déformées ni endommagées, et ils doivent veiller à ce que les tiers n’aient pas d’accès sans autorisation. Les auteurs pourront bénéficier de cette disposition dans le cadre d’un recours judiciaire. Ils pourront en effet solliciter du juge une injonction demandant la communication des données du créateur de lien ou plus globalement d’un contrefacteur.

847. La procédure – au cours de laquelle les preuves seront débattues – a connu un effet réflexe après des siècles de juridiciarisation. Dès lors, les parties pourront privilégier le recours à l’arbitrage. Cette procédure est ouverte aux auteurs en France comme aux États-Unis. Le droit français a une approche rigide de l’arbitrage afin de favoriser le recours à cette procédure alors que le droit américain – bien que les règles varient dans chaque États – permet de sortir de l’arbitrage notamment lorsque les coûts sont trop élevés. Les arbitres peuvent statuer en équité, ce qui s’avère pertinent pour des litiges impliquant des nationalités différentes qui avaient pensé leurs actes en ligne en fonction de règles potentiellement discordantes. Sur l’Internet, l’État se trouve relayé à un système normatif en concurrence avec d’autres. Néanmoins, les arbitres ne peuvent statuer sur les questions relevant de l’ordre public, ce qui inclut le droit moral en France. Dès lors, les auteurs devraient saisir une juridiction nationale pour la question des droits moraux, et un arbitre pour les droits patrimoniaux. Une telle situation s’avère peu favorable au recours à l’arbitrage. Les avantages résident néanmoins dans le principe de vélocité et le caractère exécutoire de la sentence arbitrale.

848. Les ayants droit pourront solliciter le prononcé d’une injonction. Le droit américain a adopté plusieurs procédures applicables aux liens manuels et aux liens automatiques, et parmi ces derniers, il distingue entre les créateurs de liens bénéficiant du safe harbor du DMCA et ceux n’en bénéficiant pas. Le droit français manque sans doute de nuance et applique un régime unique. Le juge français pourra prononcer « toutes mesures propres à prévenir un dommage ou à faire cesser un dommage occasionné par le contenu d’un service de communication au public en ligne » alors que le droit américain nuance en fonction des différentes situations. Il est cependant nécessaire que les modalités de l’injonction soient compatibles avec la liberté d’entreprendre et qu’elles soient raisonnables. Le coût de l’injonction est supporté par l’ayant droit en France, alors qu’il est assuré par le créateur de liens aux États-Unis.

849. Les États-Unis et la France divergent profondément sur les sanctions applicables. La France oppose des sanctions pénales fortes en cas de violation des droits moraux et patrimoniaux, alors que les États-Unis n’appliquent qu’une amende dans des cas très précis et limités aux droits patrimoniaux. En pratique, la réponse pénale française s’est durcie car elle prononce désormais des peines d’amendes qui sont exécutées alors qu’elle avait tendance à ne prononcer que des peines de prison avec sursis.

850. La réponse civile est en revanche en apparence très dure aux États-Unis à cause de l’existence de dommages et intérêts légaux pouvant s’élever à 150 000 dollars en cas de contrefaçon volontaire. Cependant, en pratique, les dommages et intérêts sont très rarement prononcés aux États-Unis en matière d’hyperliens et les parties privilégient le simple ordre de suppression du lien à tout prononcé de dommages et intérêts, alors que l’on constate une augmentation du montant des dommages et intérêts payés par les créateurs de liens manuels en France, permettant une convergence avec la situation des créateurs de liens automatiques dont les montants payés diminuent. Les montants payés au titre des peines complémentaires – notamment pour la publication des sanctions – ont également connu une forte augmentation. Eu égard à ce constat, et considérant que les dommages et intérêts doivent replacer le demandeur dans la situation dans laquelle il aurait été s’il n’avait pas subi la contrefaçon, nous proposons de prendre en compte la situation dans laquelle il se trouvait avant la contrefaçon en réformant l’article L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle :

L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle

Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirés de l’atteinte aux droits ;
4° la situation dans laquelle l’ayant droit se trouvait avant la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dues si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

851. Le droit français se montre donc plus dissuasif que le droit américain qui permet de facto de violer le droit d’auteur tant qu’une injonction n’est pas reçue. Une telle solution ne semble pas acceptable dans un État de droit où la sanction d’un droit devrait être plus dissuasive.

Conclusion de la seconde partie

852. La liberté d’entreprendre constitue donc un fondement du droit d’auteur et du copyright. Le droit d’auteur français s’en est partiellement détaché avant que le droit de l’Union Européenne ne lui confère le statut de droit au même rang que la liberté d’entreprendre. Dès lors, il n’est plus interdit, comme en droit américain, de procéder à un équilibre entre le droit d’auteur et la liberté d’entreprendre.

853. Le marché s’avérera généralement insuffisant à lui seul pour pourvoir aux besoins économiques des auteurs si ces derniers se contentent des revenus provenant de l’établissement de liens. Dans une logique de marché, il n’est dès lors pas impératif de renforcer les droits des auteurs face aux créateurs de liens – ce qui limiterait le développement de l’Internet ainsi que la communication des idées – dès lors que les gains des auteurs seront limités. Il est en revanche nécessaire d’agir sur deux plans.

854. Le premier est relatif aux liens illicites. Les droits américain puis européen ont introduit des réglementations particulièrement favorables aux créateurs automatiques de liens et ont exclu les créateurs manuels de liens. Il y aura lieu d’adopter une réponse plus stricte aux contrefaçons commises par les créateurs automatiques de liens étant donné que les algorithmes d’analyse juridique se perfectionnent. Cela est d’autant plus pressant aux États-Unis que les sanctions sont particulièrement faibles voire inexistantes, ce qui n’apparaît pas satisfaisant dans un État de droit car la situation actuelle implique que les créateurs de liens ne sont pas sanctionnés lorsqu’ils violent un droit de copyright. En outre, afin de rendre les procédures de notifications plus efficaces elles devraient être harmonisées a minima au sein de l’Union Européenne et dans l’idéal avec les États-Unis et le Canada. Il n’y a en revanche pas lieu d’aboutir à un droit d’auteur universel car cela ne correspondrait à aucune culture et à aucun peuple. Les systèmes de droit international privé doivent donc être maintenus.

855. En outre, il n’est pas évident que les réformes proposées du statut des créateurs automatiques de liens en Europe soient désormais véritablement pertinentes. En effet, il ne s’agit là que de projets que le législateur européen prendrait plusieurs années à traduire sous forme de directive, ce qui impliquerait encore un délai de plusieurs années avant que tous les États membres de l’Union Européenne ne transposent les nouvelles règles. Il est fort probable que les avancées techniques auront d’ici là vidé de son sens toute tentative de réforme. En effet, le régime de l’article 14 de la directive e-commerce ne se justifie que parce que les algorithmes sont pour le moment incapables de procéder à une analyse aussi fine qu’un être humain du caractère licite ou contrefaisant d’un contenu. Or, des recherches sont actuellement menées – notamment aux États-Unis – pour développer des algorithmes capables de mener des raisonnements juridiques précis. Pour le moment, les algorithmes n’ont trouvé les solutions de la Cour Européenne des Droits de l’Homme que dans 79% des cas, ce qui reste trop faible mais s’avère prometteur. Il y a donc lieu de conférer au droit la fonction maïeutique qu’il véhicule et qui se trouve au cœur du DMCA et de la directive e-commerce, et d’encourager la recherche pour ce type d’algorithme plutôt que d’introduire un régime ad hoc qui complexifiera le droit, qui risque d’être le résultat de compromis peu satisfaisants et qui n’inciterait pas à la recherche et au développement de nouvelles technologies en faveur des auteurs. Dans une certaine mesure, l’avenir à moyen terme devrait donner raison à l’adage selon lequel la solution à la machine se trouve dans la machine. Dès lors que ces technologies seront développées, il n’y aura plus besoin de recourir à la section 512(d) du Copyright Act ni à l’article 14 de la directive e-commerce pour établir un équilibre entre les intérêts des auteurs et des créateurs automatiques de liens. La liberté d’entreprendre de toutes les parties se trouvera respectée et les intérêts des auteurs se trouveront renforcés par la plus grande effectivité de leurs monopoles.

856. Le second plan sur lequel il est nécessaire d’agir est la faiblesse de la rémunération des auteurs par les liens. Il apparaît souhaitable d’introduire une obligation de rémunération du propriétaire du site pointé lorsqu’un lien à but lucratif est établi. La rémunération pourra être effectuée par le reversement d’une partie des bénéfices d’une publicité présentée à la suite du clic sur le lien. Le manque de transparence sur les prix risquant de tirer les rémunérations des propriétaires de sites vers le bas il y a lieu d’introduire des barèmes nationaux indicatifs afin que les parties puissent s’adapter à chaque situation. Dans cette optique, le recours à la technologie de blockchain pourra s’avérer utile car elle permet aux parties d’éviter le recours à un intermédiaire qui ponctionne traditionnellement une partie des revenus.

857. Il y a en outre lieu de lutter contre l’un des principaux scandales de la situation des auteurs qui réside dans la faible rémunération. Il est inacceptable que les plateformes rémunèrent les auteurs, éditeurs et compositeurs environ 7 centimes une chanson qu’elles vendent 99 centimes. Les économies effectuées par la numérisation par rapport aux supports analogiques ont donc été largement absorbées par les plateformes. Il ne s’agit que d’un exemple qui nous amène à plaider pour une modification des conditions de marché plutôt que pour une extension infinie du droit d’auteur qui risque d’être sans effet comme a pu l’être le droit sui generis des bases de données. Il est donc nécessaire d’introduire plus de concurrence parmi les créateurs automatiques de liens et d’opter pour plus de transparence dans les montants alloués aux auteurs. Cela permettra également au public de comprendre que les œuvres sont chères non pas tant à cause du droit d’auteur que des intermédiaires. Nous espérons que cette transparence aura pour effet de réhabiliter le droit d’auteur aux yeux des citoyens européens et américains.
Conclusion

858. Les hyperliens ont constitué un défi pour les droits français et américain que les juges ont su affronter grâce à la capacité d’adaptation du droit d’auteur et du copyright. Néanmoins, les liens obligent à repenser le droit d’auteur et le copyright en tant que droits applicables non pas à des œuvres accessibles par le truchement d’un support matériel, mais comme des prérogatives ad hoc sur des créations intellectuelles et par conséquent immatérielles. Ainsi, loin d’être l’ennemi redouté du droit d’auteur, l’Internet a obligé les législateurs et les juges américains, européens et français à le repenser et à le sortir de ses contradictions internes.

859. La jurisprudence américaine a mieux saisi dans un premier temps que la jurisprudence française les enjeux posés par les hyperliens. Cependant, la stabilité des décisions de la Common Law constitue un avantage indéniable du droit américain qui offre ainsi des solutions plus prévisibles. Cette stabilité n’a cependant pas permis une adaptation adéquate du droit étasunien. Le juge européen a en revanche su imposer une évolution des solutions applicables au prix d’un manque de rigueur critiquable .

860. Les différences d’approches des deux systèmes ont eu des conséquences importantes sur les modalités d’application du droit d’auteur et du copyright. Ainsi en matière d’ancres des liens, le droit américain adopte un raisonnement similaire à l’arrêt Microfor en retenant que l’utilisation d’œuvres dans le but de constituer un index relève de l’exception de fair use et ne peut donc pas être interdite. Le droit français ne connaissant pas une telle exception il permettra d’engager plus facilement la responsabilité des créateurs de liens. Néanmoins, les ancres des liens sont composées de plusieurs éléments dont certains ne sont pas protégeables dans les deux systèmes, permettant ainsi aux deux systèmes de converger globalement sur le principe de l’absence de protection, d’autant que les exceptions au droit d’auteur et au copyright permettent d’écarter dans de nombreux cas l’application de la propriété littéraire et artistique. Le droit français s’est cependant montré plus sévère avec les créateurs automatiques de liens que le droit américain car le système d’exceptions fermées n’a pas permis la même adaptation.

861. Les ensembles de liens peuvent être obtenus à l’issue d’efforts conséquents de la part d’internautes. Ainsi, dans une perspective lockéenne, il est juste de concéder aux créateurs de bases de données de liens un droit sur leur création. Les droits européen et américain ont pourtant divergé sur la question. Le premier a suivi la conception de Locke en introduisant un droit sui generis permettant aux internautes de jouir d’un droit de propriété sur les listes de liens constituées grâce à un investissement substantiel. Le droit européen adopte ainsi une approche commerciale opposée au raisonnement de l’arrêt Feist qui écartait l’application du copyright aux bases de données non originales. Les deux droits divergent donc sur le critère de protection des bases de données de liens. Outre la protection par des droits de propriété intellectuelle, la France et les États-Unis permettent aux créateurs de bases de données de liens de protéger leurs listes par le droit de la responsabilité civile ainsi que le droit des contrats.

862. Les ancres pourront être protégées par les droits moraux. Les droits moraux permettront de respecter le cadre intellectuel que l’auteur a voulu donner à son œuvre et aidera par conséquent le public à se saisir de l’œuvre sans truchement d’un tiers. Étant donné que les droits français et américain divergent profondément sur cette question les traitements seront divergents. Le droit américain n’assure qu’une protection a minima des droits moraux ne s’appliquant pas aux hyperliens. Les ayants droit seront donc obligés de recourir au droit des marques qui vise à protéger les acquéreurs contre les fausses origines et au droit de la responsabilité civile qui sanctionne une faute et ne protège pas un droit . Cette divergence entre les deux systèmes entraîne une certaine insécurité juridique étant donné que des règles très différentes s’appliquent à un même espace.

863. Outre les ancres des liens, le droit d’auteur français et le copyright américain ont vocation à s’appliquer aux pointeurs des hyperliens. Les liens ont recours à des copies lorsqu’ils sont activés. Ces copies ne sont pas nécessaires techniquement mais les législateurs américain et européen se sont accordés pour les autoriser. Dès lors, les jurisprudences des deux côtés de l’Atlantique considéreront, sauf dans certaines hypothèses rares où l’impression donnée à l’internaute est la même que si l’œuvre avait été reproduite, que les liens ne reproduisent pas les œuvres ciblées.

864. Les deux systèmes s’accordent en outre sur le principe de la liberté de lier. Dans les deux pays les créateurs de liens ne sont pas soumis à un régime d’autorisation préalable pour créer les liens, ce qui les protège de la censure et renforce la liberté d’expression sur Internet. Cette liberté est renforcée par le principe partagé par les deux systèmes d’absence de discrimination entre les différents types de liens. Les créateurs de liens seront libres de créer des liens vers des reproductions licites placées sur l’Internet ouvert, mais il leur sera interdit de contourner des mesures techniques efficaces avec les liens. La question de l’établissement d’un lien vers une contrefaçon est en revanche traitée différemment dans les deux systèmes étant donné que l’arrêt GS Media BV c. Sanoma de la CJUE distingue entre les liens à but lucratif et gratuit, alors que le droit américain se contente de sanctionner les modalités de présentation d’un lien lorsque le créateur du lien incite à la contrefaçon. Les deux systèmes ont en revanche assez largement convergé sur la question des régimes de responsabilité limitée des créateurs automatiques de liens, qui n’engagent leur responsabilité que s’ils n’avaient pas connaissance du caractère contrefaisant du contenu lié.

865. Les droits français et américain divergent en outre sur la question de l’application des droits moraux aux pointeurs. En effet, un hyperlien peut violer le droit de divulgation ou faire obstacle au droit de retrait que seule la France protège. Les créateurs de liens devront se montrer attentifs lorsqu’ils sont régis par le droit français au droit à l’intégrité qui pourrait être enfreint en cas d’établissement d’un lien vers une copie violant le droit à l’intégrité ou s’il a pour effet de découper ou de modifier l’œuvre. Les liens pourront néanmoins renforcer l’effectivité du droit de paternité en renvoyant vers une page concernant l’auteur.

866. En outre, en menant les internautes vers des listes de liens, le créateur de liens pourra violer les intérêts du propriétaire du site cible en utilisant son formulaire de recherche. Les deux systèmes divergent en ce qui concerne les liens menant vers des bases de données protégées par le droit sui generis car, ce droit n’existant pas aux États-Unis, les juges appliqueront les règles de droit commun du copyright. Au sein de l’Union Européenne en revanche, les liens pourront être interdits s’ils effectuent une extraction intellectuelle dès lors qu’elle est substantielle.

867. Les législateurs américain et européen ont souhaité préserver la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens afin de les encourager à se développer. Cette politique a été un succès aux États-Unis alors qu’elle s’est avérée un échec au sein de l’Union Européenne. Cette différence surprend étant donné que les dispositions de la directive sont largement inspirées de celles du DMCA.

868. La liberté d’entreprendre des auteurs a été prise en compte. Il est en effet nécessaire de leur assurer les moyens d’obtenir des royautés pour leurs créations ou, à défaut, le droit d’auteur et le copyright seraient des coquilles vides. Les auteurs pourront donc, lorsque l’établissement de liens n’est pas autorisé, concéder des licences d’établissement de liens aux internautes. Les droits français et américain divergent sur l’existence d’un ordre public en matière de contrats conclus par les auteurs. Le droit français se montre en effet plus restrictif de la liberté de contracter afin de renforcer la protection des auteurs. Ce régime s’avère néanmoins largement insatisfaisant mais seule l’Europe a abordé la question. La France a dans un premier temps créé un fonds pour accompagner les entreprises de presse à s’adapter à la révolution numérique, puis elle a instauré un droit de rémunération par les moteurs de recherche lorsqu’ils référencent des œuvres d’art plastiques, graphiques ou photographiques. Les États-Unis refusent d’introduire des réglementations similaires et se fondent sur le marché pour régler les difficultés rencontrées par les industries culturelles.

869. Les auteurs doivent néanmoins accepter que la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens vienne empiéter l’effectivité de leur monopole. Les législateurs américain puis européen ont en effet introduit des régimes de responsabilité limitée fondé sur l’ignorance des créateurs de liens. Ainsi, lorsque les créateurs de liens n’ont pas connaissance de l’existence d’un lien vers une contrefaçon, ils n’engageront pas leur responsabilité pour contrefaçon. Ces régimes n’auront pas vocation à s’appliquer lorsque les créateurs automatiques de liens ont connaissance de la présence d’une contrefaçon ou qu’ils incitent à commettre des contrefaçons. Le droit américain apparaît mieux armé pour réglementer les abus des créateurs automatiques de liens grâce à la théorie de l’aveuglément volontaire. L’effectivité du contrôle sur le site cible constituera également un fondement de responsabilité pour les créateurs de liens permettant d’écarter l’application du régime de responsabilité limitée. Cependant, les deux systèmes divergent sur la question de la prise en compte des bénéfices financiers pour engager la responsabilité des créateurs automatiques de liens. En effet, alors que le droit américain a repris et modifié la théorie de la vicarious liability qui permet d’engager la responsabilité de l’entité effectuant des bénéfices grâce à l’activité d’autrui conformément à l’adage respondeat superior, le droit européen n’opère pas de distinction entre les activités à titre gratuit ou onéreux. Il s’agit là d’une faiblesse du droit européen qui n’est pas cohérent dans la mesure où il reconnaît cette distinction en matière de liens manuels, et qu’il ne se fait pas l’écho de la distinction entre usage lucratif et gratuit de l’Internet qui permet pourtant de respecter les idéaux des Pères Fondateurs de l’Internet tout en assurant l’application du droit lorsque les internautes intègrent une dimension marchande à l’usage du réseau.

870. Cette liberté d’entreprendre s’est cependant trouvée en partie limitée afin d’assurer le respect des intérêts des auteurs ainsi que du public. Il est donc apparu nécessaire de rééquilibrer les relations entre les auteurs et les créateurs automatiques de liens. Ces derniers ont par conséquent l’obligation de respecter une procédure de notification. Ainsi, lorsque les ayants droit constateront qu’un lien référence une contrefaçon, ils pourront faire parvenir une notification au créateur automatique de lien lui demandant de déréférencer la page litigieuse. Les États-Unis et la France ont adopté des approches très divergentes sur la question. En effet, le droit américain s’est inspiré des théories relatives à la neutralité du net pour n’imposer qu’un strict devoir de neutralité aux créateurs automatiques de liens, alors que le droit français leur demande de coopérer avec les ayants droit en leur imposant un devoir de quasi-juge. Ce type de procédure pourra présenter des dangers car certains internautes ne manquent pas d’envoyer des notifications infondées. Ces notifications pèsent sur la liberté d’entreprendre des créateurs automatiques de liens qui sont obligés d’allouer des ressources à leur traitement, ainsi que sur la liberté d’expression car elles ont parfois pour objectif de censurer des contenus. Les droits américain et français ont par conséquent prévu des sanctions dures afin de dissuader les internautes d’envoyer des notifications infondées. Afin de préserver l’intégrité de l’Internet les droits américain et français ont prévu une procédure de contre-notification des propriétaires de sites Internet.

871. Si l’échange de notifications et de contre-notifications n’aboutit pas, les ayants droit pourront opter pour une résolution contentieuse de leur litige. Il sera dans un premier nécessaire de déterminer la loi applicable – qui sera généralement la lex loci protectionis – ainsi que le juge compétent qui sera souvent déterminé par un faisceau d’indices pointant vers un lieu. Les deux régimes de droit international privé se coordonnent donc globalement sauf en matière d’ordre public, ce qui pourra donner lieu au rejet de dispositions de lois étrangères alors que la convention de Berne est fondée sur un principe de collaboration internationale et de multirégulation. La détermination de la loi et du juge compétent permettra de choisir le régime de preuve adéquate. Cela aura des conséquences importantes car les droits américain et français ont adopté des paradigmes opposés. En effet, alors que le droit américain n’impose pas d’obligation de stockage aux créateurs de liens, le droit français a précisé une liste de données devant être stockées. Cependant, les sanctions françaises en cas de violation du droit à la vie privée sont bien plus lourdes qu’aux États-Unis, ce qui dissuade toute communication non autorisée des données. Les systèmes apparaissent donc équilibrés, mais le droit français présente l’avantage de permettre aux auteurs de disposer de plus de données pour retrouver les contrefacteurs initiaux et engager leur responsabilité. Cela permettra de lutter contre les contrefaçons à la racine au lieu de se contenter d’engager la responsabilité des créateurs automatiques de liens qui ne sont que des tiers à la contrefaçon.

872. Armés de preuves, les ayants droit pourront opter soit pour un moyen alternatif de résolution des litiges – et notamment l’arbitrage qui présentera des avantages en terme de célérité – mais qui risque de présenter l’inconvénient de rester privé et de ne pas s’avérer dissuasif, soit pour la saisine d’un juge étatique. Les modèles français et américain sont radicalement opposés en matière de sanctions. En effet, alors que la jurisprudence française condamne les créateurs manuels de liens à des montants de dommage et intérêts toujours plus importants et semble se cantonner à des montants élevés pour les créateurs automatiques de liens, les juges américains se contentent de prononcer des injunctions. Les juges français se montrent également plus sévères que la jurisprudence américaine en imposant des peines complémentaires. Le droit français se montre sévère avec les créateurs de liens, mais il assure une certaine effectivité du droit d’auteur, alors que le droit américain se montre laxiste envers les créateurs de liens même lorsqu’ils mettent en péril l’état de rareté artificielle d’une œuvre et par conséquent le monopole de l’auteur.

873. Les régimes juridiques ne sont donc pas complètement satisfaisants. Il nous semble que les juges ne sont pas à blâmer car ils sont tenus de respecter leur rôle de bouche de la loi dont ils s’émancipent déjà largement. Ainsi, comme l’a souligné le rapport du Copyright Office , il apparaît nécessaire que le législateur se saisisse de la question afin d’apporter la cohérence nécessaire au régime juridique des hyperliens. Le législateur européen risque de manquer l’occasion de réglementer cette question car son projet de réforme des directives relatives au droit d’auteur ne mentionne pas cette question. Il est très peu probable que le législateur français se saisisse de ce problème sans coordination européenne mais il s’intéresse à la question . Aux États-Unis toute modification du Copyright Act semble pour le moment écartée à cause des élections présidentielles. Il y a donc lieu de craindre que cette question ne sera pas abordée par les pouvoirs législatifs occidentaux à moyen terme.

874. Le législateur européen pourrait effectuer une réforme à droit partiellement constant en s’inspirant des solutions des arrêts Svensson et GS Media ainsi que de l’ordonnance Bestwater , tout en écartant le critère du public nouveau afin que le droit européen ne contrevienne pas à la convention de Berne.

875. La question sera beaucoup plus complexe à traiter pour le législateur américain. En effet, le régime penche à notre avis déraisonnablement en faveur des intérêts des générateurs automatiques de liens et du public sans offrir de possibilité de rémunération satisfaisante aux auteurs. Il est néanmoins peu probable que le législateur se saisisse de la question car la réglementation des liens susciterait une levée de boucliers car une partie de l’opinion, très attachée au premier Amendement, y verrait un risque pour la liberté d’expression, et le gouvernement ne voudra pas porter atteinte aux intérêts des créateurs de liens. En outre, l’économie américaine est si compétitive qu’elle réussit à attirer des capitaux importants dans l’économie culturelle, ce qui permet au secteur culturel américain de continuer à rayonner sur le monde.

876. Le réseau Internet n’est pas l’unique solution aux problèmes des auteurs. Il est nécessaire que la société accepte de financer la création intellectuelle. En effet, les époques les plus fécondes en matière intellectuelle étaient celles où les demandes de création intellectuelle était les plus pressantes. Que ce soit la cité d’Athènes au IV siècle avant Jésus-Christ, la Renaissance italienne, la Cour de Louis XIV ou les universités américaines, la création a été dynamique lorsque des espaces culturels entrent en concurrence. L’Internet est un excellent outil de mise en relation des espaces qui peut donc les inciter à entrer en concurrence et à proposer une création dynamique et de qualité. Outre cette concurrence, il est nécessaire de donner aux auteurs les moyens de créer.

877. Cette incitation à créer ne doit pas seulement permettre à des auteurs passionnés de survivre, il est nécessaire d’offrir des rémunérations assez encourageantes pour qu’une partie plus importante de la population se tourne vers la création et stimule ainsi la concurrence dans la production intellectuelle. Ce système de rémunération incitatrice était utilisé aux époques où la création intellectuelle était la plus dynamique, que ce soit au cours de la Renaissance italienne, à la Cour de Louis XIV ou dans les universités américaines modernes. Cela permet d’inciter les individus à se dépasser et à créer des œuvres de qualité en nombre afin d’obtenir les places convoitées.

878. La rémunération par l’Internet – et notamment par les créateurs de liens – est pour le moment limitée et les solutions que nous proposons ne permettront pas de lever les sommes nécessaires pour les créations les plus onéreuses comme les œuvres cinématographiques. Il sera par conséquent nécessaire de compléter la rémunération obtenue sur l’Internet par d’autres sources. Le droit d’auteur français et le copyright américain ne nécessitent donc pas de changement radical de leurs régimes car un recentrage sur la notion de protection du monopole est suffisant. Il est cependant nécessaire de rééquilibrer les relations entre les auteurs et les intermédiaires – que ce soit les créateurs de liens ou les majors – par l’établissement de règles contractuelles plus protectrices des auteurs. Il ne s’agit donc pas de renforcer les droits mais d’agir sur les conditions de marché. Cependant, ces règles risquent de ne pas être de facto appliquées car certains auteurs peu célèbres peuvent accepter en connaissance de cause des clauses illicites ou abusives afin de maintenir leur relation avec une major ou un créateur de liens. Il apparaît donc nécessaire de rééquilibrer les relations de marché entre les auteurs et les intermédiaires. Cela apparaît plus facile dans le monde analogique car les auteurs pourraient s’organiser en société de gestion des droits et assurer ainsi une meilleure réversion des royautés aux ayants droit. La difficulté en matière d’hyperliens automatiques réside dans le fait que les moteurs de recherche les plus utilisés sont américains et véhiculent des valeurs différentes de celles européennes. Il serait par conséquent nécessaire de créer un moteur de recherche européen fondé sur les valeurs européennes et assurant notamment une rémunération des auteurs. Ce projet permettrait de rééquilibrer les rapports de marché entre les auteurs et les créateurs de liens, mais il nous semble qu’il rencontrera des difficultés à voir le jour.

879. À défaut, la procédure européenne concernant les aides illicites reçues par la société Apple à cause du taux d’imposition considéré comme étant trop faible permet d’entrevoir la fin des montages fiscaux abusifs des GAFA. Si la CJUE considère effectivement que la société californienne a bénéficié d’un système d’aide illicite, les moteurs de recherche se trouveront soumis à la même réglementation et devront payer des impôts raisonnables en Europe. Il sera donc possible de leur appliquer une taxe sur le modèle de l’imposition des chaînes de télévision en France permettant de financer la production cinématographique. Il nous semble que les sommes devraient être perçues au titre d’un impôt européen afin que les créateurs de liens ne continuent pas à pratiquer des optimisations fiscales abusives sur le territoire européen. L’Union Européenne disposerait ainsi de fonds pour financer la création. Un tel système sera a priori rejeté aux États-Unis car il est fondé sur le financement d’une activité par une autre activité, ce qui s’analyse outre-Atlantique comme une forme de parasitisme. Les systèmes devraient donc continuer à diverger.

880. Les paradigmes français et américain ont donc divergé en suivant les contingences historiques, philosophiques et économiques propres à la France et aux États-Unis. Il n’y a donc pas lieu de s’émouvoir des divergences entre les deux systèmes – bien que certaines devraient être réduites – étant donné qu’elles permettent à chaque régime juridique de correspondre aux peuples auxquels ils s’appliquent.

881. Néanmoins, la situation des auteurs n’est pas satisfaisante et il y a lieu de trouver des solutions de nature à ne pas bloquer le développement de l’Internet. Nous ne sommes pas certain qu’un agrandissement du périmètre des droits des auteurs améliorerait leur situation. En effet, en l’absence d’amélioration des conditions de marché, l’augmentation incessante des prérogatives des auteurs restera sans effet notable. Il s’avère dès lors nécessaire de trouver de nouveaux modes de rémunération pour les auteurs.

882. Les États-Unis ont sans doute moins besoin de réforme que la France. En effet, le droit américain est plus cohérent, ce qui lui a permis de connaître une évolution moindre que le droit français. Bien qu’il ne soit pas exempt de critique, il n’a pas versé dans des solutions contraires aux engagements internationaux des États-Unis alors que l’arrêt Svensson de la CJUE a en revanche violé la convention de Berne. En outre, les modalités de financement de la culture aux États-Unis sont meilleures qu’en France et la nécessité de les modifier se fait donc moins pressante qu’en France. Nous recommandons dont plusieurs modifications de la législation française – qui nécessiteront parfois une intervention législative de l’Union Européenne en amont – et une suggestion de réforme américaine.

883. Nous proposons tout d’abord de modifier les dispositions de l’article L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle français afin de mettre un terme à la définition techniciste et adopter une conception plus universaliste. Il s’agit d’une proposition de codification à droit constant des solutions déjà retenues en jurisprudence afin de faciliter l’accessibilité du droit (les propositions de modification sont en italique et en gras) :

L. 122-3 du Code de la propriété intellectuelle

La reproduction consiste dans la fixation de l’œuvre par tous procédés connus ou développés à l’avenir permettant de la communiquer au public.

Elle peut s’effectuer sur un support matériel ou immatériel.

Pour les œuvres d’architecture, la reproduction consiste également dans l’exécution répétée d’un plan ou d’un projet type.

884. En outre, il y a lieu d’ajouter à l’article L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle – relatif aux exceptions au droit d’auteur – un 10° relatif à la constitution d’un hyperlien manuel. L’exception codifierait la distinction opérée par l’arrêt GS Media c. Sanoma dans la mesure où elle permettrait aux internautes établissant un hyperlien sans but lucratif de ne pas rémunérer le propriétaire de la page liée. En revanche, les créateurs d’hyperliens à but lucratif seraient tenus de rémunérer le propriétaire de la page ciblée. Les modalités de rémunération seraient libres. Cela impliquerait que les créateurs de liens pourraient rémunérer les propriétaires de sites Internet par le paiement d’une somme forfaitaire ou proportionnelle au nombre de clics sur le lien, ou par la présentation d’une publicité à la suite du clic sur le lien. Il nous semble que, dans ce dernier cas, il devrait être permis au créateur de lien de répartir la rémunération publicitaire de façon raisonnable entre le propriétaire de la page cible et lui-même étant donné qu’il aura effectué un travail en créant le lien. Cela permet de résoudre le conflit entre les ayants droit et les créateurs de liens en faisant intervenir la figure de tiers – l’internaute et le publicitaire – qui rémunéreront les deux parties. Il nous semble que leur intervention permet d’inclure toutes les parties prenantes dans l’établissement d’un régime de financement culturel qui ne mettrait pas en danger le développement de l’Internet. Il y a sans doute lieu de laisser le marché réguler la question de la répartition des revenus. Cependant, s’il s’avérait que les rémunérations étaient trop favorables aux créateurs de liens, il pourrait être nécessaire de procéder à des accords entre les auteurs et des représentants des internautes. Les liens à but gratuit ou lucratif devraient respecter les droits moraux des auteurs. Cette proposition nécessiterait une intervention du législateur européen étant donné que les exceptions de l’article 5 de la directive 2001/29/CE sont limitatives. Enfin, les liens ne pourront pas se substituer à l’œuvre et ne pourront servir qu’à les référencer. Il nous semble que le raisonnement de l’arrêt Microfor qui avait retenu que la reproduction d’œuvres protégées était licite dès lors qu’elle se limitait à leur référencement a vocation à être réutilisé pour les hyperliens. Il y a lieu de lui conférer le statut d’exception obligatoire car l’Internet constitue un espace unique sur lequel il est de bonne justice d’appliquer une réglementation unique en Europe :

L. 122-5 du Code de la propriété intellectuelle

10°) La constitution d’un ou de plusieurs hyperliens manuels, dans un but non lucratif, vers une œuvre accessible sans restriction, est libre, sous réserve de respecter les droits moraux des auteurs et que la mise à disposition ne se substitue pas à l’œuvre originale.

La constitution d’un ou de plusieurs hyperliens manuels créés dans un but lucratif sera licite, sous réserve de respecter les droits moraux, lorsqu’une rémunération sera versée au propriétaire de la page liée. Les modalités de rémunération sont libres.

L’établissement d’un hyperlien vers une contrefaçon est toujours interdit. La responsabilité du créateur de lien ne sera engagée qu’en cas d’établissement volontaire du lien.

885. De plus, nous plaidons pour l’adjonction d’un article L. 136-5 du Code de la propriété intellectuelle qui viendrait compléter la loi n° 2016-925 du 7 juillet 2016 relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine. Cet article aurait vocation à s’appliquer aux générateurs automatiques de liens. Comme pour les liens manuels à but lucratif, les modalités de rémunération seraient libres. Les générateurs automatiques de liens auraient ainsi la possibilité de présenter des publicités dont les fruits pourraient être répartis de façon raisonnable entre les propriétaires de sites liés et les générateurs automatiques de liens. Il ne sera pas possible d’écarter cette disposition par contrat car, s’il en était autrement, nous craignons que les moteurs de recherche ne tarderaient pas à soumettre le référencement des pages à des contrats comportant des clauses écartant toute rémunération. Néanmoins, l’Internet a été construit sur un principe de gratuité et il y a lieu de prévoir la possibilité pour les internautes de refuser toute rémunération. Il pourra notamment en aller ainsi lorsqu’elle s’avérera dérisoire. Les rémunérations non versées aux propriétaires de sites Internet devront être assignées à des sociétés de gestion afin qu’elles financent des projets culturels :

L. 136-5 du Code de la propriété intellectuelle

Les services de communication au public en ligne rémunèrent les propriétaires des pages liées. Les modalités de rémunération sont libres.

Cette disposition est d’ordre public. Si le propriétaire de la page ciblée refuse la rémunération, elle devra être versée à une société de gestion de droit pour la promotion de projets culturels.

886. Il y a également lieu de rétablir un équilibre entre les intérêts des auteurs et ceux des serveurs mandataires. En effet, les services des serveurs mandataires sont certes efficaces et intéressants, mais ils ne constituent pas des nécessités techniques. Ils auraient pu être remplacés par le recours à des connexions filaires transcontinentales dont la construction aurait sans doute stimuler l’économie. Les régimes américain et européen s’avèrent donc trop favorables aux serveurs mandataires. Nous considérons par conséquent qu’il y a lieu d’imposer un mécanisme de rémunération des auteurs sur le modèle de la copie privée :

L. 311-4-2 du Code de la propriété intellectuelle

La rémunération prévue à l’article L. 311-3 est également versée par le propriétaire d’un serveur mandataire ou d’un système de mémoire cache destiné à la consultation en ligne.

Le montant de la rémunération est fonction de la durée ainsi que de la capacité d’enregistrement qu’il permet.

887. Outre les modifications ponctuelles que nous avons eu l’occasion de présenter au travers des divers développements de cette thèse, il est apparu qu’il était nécessaire de prendre un peu de hauteur et d’introduire des changements plus globaux au droit d’auteur français. Ainsi, après avoir amélioré les conditions de financement de la création, il y a lieu d’assurer le respect du monopole des auteurs contre la contrefaçon. Il est pour cela nécessaire de dissuader le public de commettre des contrefaçons. Il nous semble qu’il est donc nécessaire de permettre aux juges de condamner les contrefacteurs à payer des dommages et intérêts non pas équivalents à la perte d’une transaction litigieuse – ce qui est le cas lorsqu’un défendeur a commis une contrefaçon étant donné qu’il n’a pas conclu de contrat avec l’auteur ou son agent – mais à la perte subie par l’ayant droit. Il nous semble par conséquent nécessaire d’appliquer les principes de la responsabilité civile permettant de replacer le demandeur lésé dans le statu quo ante dans lequel il était avant le préjudice subi. Cela permettra, par exemple, de condamner un contrefacteur non pas au paiement de l’équivalent du prix d’un DVD lorsqu’il aura téléchargé un film, mais au paiement de dommages et intérêts correspondant au préjudice subi pour la perte de chance de faire des profits voire – lorsque l’œuvre aura perdu tout marché – l’indemnisation des frais engagés pour créer l’œuvre. Cette disposition n’aura qu’un effet dissuasif étant donné que les juges adoptent traditionnellement des solutions clémentes. Un contrefacteur ne sera donc jamais condamné au paiement des frais engagés pour le tournage d’un film. Cette disposition aurait cependant vocation à s’appliquer à toutes les contrefaçons (les propositions de modification sont en italique et en gras) :

L. 331-1-3 du Code de la propriété intellectuelle

Pour fixer les dommages et intérêts, la juridiction prend en considération distinctement :
1° Les conséquences économiques négatives de l’atteinte aux droits, dont le manque à gagner et la perte subis par la partie lésée ;
2° Le préjudice moral causé à cette dernière ;
3° Et les bénéfices réalisés par l’auteur de l’atteinte aux droits, y compris les économies d’investissements intellectuels, matériels et promotionnels que celui-ci a retirés de l’atteinte aux droits ;
4° la situation dans laquelle l’ayant droit se trouvait avant la contrefaçon.
Toutefois, la juridiction peut, à titre d’alternative et sur demande de la partie lésée, allouer à titre de dommages et intérêts une somme forfaitaire. Cette somme est supérieure au montant des redevances ou droits qui auraient été dus si l’auteur de l’atteinte avait demandé l’autorisation d’utiliser le droit auquel il a porté atteinte. Cette somme n’est pas exclusive de l’indemnisation du préjudice moral causé à la partie lésée.

888. Notre prochaine proposition prend acte du fait que le droit d’auteur a émergé à une époque où les œuvres immatérielles prenaient forcément forme sur un support matériel. Dès lors, les droits de représentation et de reproduction couvraient toutes les utilisations possibles des œuvres. Cependant, cette approche est obsolète pour les liens étant donné que l’œuvre n’a plus de support matériel. Il est donc nécessaire de revenir aux fondements économiques des premières lois sur le droit d’auteur qui visaient à introduire un monopole artificiel en faveur des auteurs. Il apparaît donc que la lutte contre la contrefaçon devra passer par l’interdiction des modèles économiques fondés sur la contrefaçon sans qu’il soit nécessaire de prendre en compte la violation des droits de reproduction et de représentation. Cela permettra au droit français d’opposer un équivalent de la doctrine américaine de vicarious liability (les propositions de modification sont en italique et en gras) :

Chapitre VII Prévention de la contrefaçon indirecte du Code de la propriété intellectuelle
L. 337-1

L’établissement d’un modèle économique fondé sur
1° le contrôle d’un contrefacteur direct et,
2° la perception de revenus provenant de contrefaçons,
constitue une contrefaçon.

889. Enfin, nous suggérons l’introduction en droit français d’un équivalent de la doctrine de contributory liability dans un article L. 337-2 du Code de la propriété intellectuelle. Cela permettrait au droit français de mieux lutter contre les contrefaçons en interdisant la fourniture de moyens pour commettre des contrefaçons sur le plan civil. Une telle approche pourra s’avérer plus efficace car les juges n’hésitent pas à condamner à des sanctions civiles alors qu’ils sont plus réservés lorsqu’il s’agit de condamner à des peines pénales . En outre, il nous semble nécessaire d’introduire un équivalent de la doctrine de inducement dans un article L. 337-3 du Code de la propriété intellectuelle afin de lutter contre les encouragements à commettre des contrefaçons. Il est cependant nécessaire de protéger les lanceurs d’alerte ainsi que les journalistes qui pourraient encourager le public à prendre connaissance d’une œuvre que l’auteur souhaiterait censurer et ce, dans un but informatif (les propositions de modification sont en italique et en gras) :

L. 337-2 du Code de la propriété intellectuelle

La fourniture de moyens permettant de commettre une contrefaçon est punie civilement comme un acte de contrefaçon.

***

L. 337-3 du Code de la propriété intellectuelle

L’incitation à commettre une contrefaçon est punie civilement comme un acte de contrefaçon.
La responsabilité pour contrefaçon ne sera pas opposable lorsqu’elle aura pour un objectif informatif, politique ou d’actualité.

890. Il est en revanche moins impérieux de modifier le droit américain. En effet, les États-Unis arrivent à protéger les auteurs de façon plus efficace que la France grâce à des mécanismes de dons et de marché indépendants des dispositions du Copyright Act. En outre, le copyright américain correspond globalement aux valeurs américaines et a su s’adapter de façon cohérente et homogène à l’inverse des droits français et européen qui se sont souvent montrés imprévisibles et mouvants.

891. Il nous semble néanmoins qu’il conviendrait d’introduire un droit de mise à disposition afin d’assurer aux auteurs un monopole sur leurs œuvres même lorsqu’il n’existe pas de support matériel. Cela permettrait en outre aux États-Unis de respecter les dispositions de l’article 10 du traité OMPI sur le droit d’auteur (les propositions de modification sont en italique et en gras) :

17 U.S.C. § 106

Subject to sections 107 through 122, the owner of copyright under this title has the exclusive rights to do and to authorize any of the following:
(1) to reproduce the copyrighted work in copies or phonorecords;
(2) to prepare derivative works based upon the copyrighted work;
(3) to distribute copies or phonorecords of the copyrighted work to the public by sale or other transfer of ownership, or by rental, lease, or lending;
(4) in the case of literary, musical, dramatic, and choreographic works, pantomimes, and motion pictures and other audiovisual works, to perform the copyrighted work publicly;
(5) in the case of literary, musical, dramatic, and choreographic works, pantomimes, and pictorial, graphic, or sculptural works, including the individual images of a motion picture or other audiovisual work, to display the copyrighted work publicly; and
(6) in the case of sound recordings, to perform the copyrighted work publicly by means of a digital audio transmission ;
7) to make available a copyrighted work.

892. Les propositions de réformes du Copyright Act sont modestes car nous ne nous sentons pas la légitimité pour conseiller aux États-Unis autre chose que des modifications sur la forme afin d’améliorer la clarté et l’accessibilité de la norme – ce pour quoi l’étranger est a priori légitime. En effet, les États-Unis sont un grand pays aux multiples facettes et aux équilibres sociaux et culturels originaux et particulièrement difficiles à saisir. Il n’apparaît donc pas pertinent de proposer des réformes qui pourraient ne pas correspondre aux attentes nationales.

893. Ces propositions visent à établir un équilibre favorable aux auteurs et aux créateurs de liens en sortant du carcan des droits hérités de la fin du XVIIIe siècle en adoptant des solutions de marché permettant aux parties d’augmenter leurs revenus ou en rétablissant un équilibre là où une situation penchait trop favorablement en faveur d’une d’entre elles. Nous pensons cependant que les paradigmes libéraux et antiétatiques ont quasiment atteint un plafond de verre et que la stimulation de la culture devra passer par une intervention accrue des États. En effet, la cour de Florence à la Renaissance ou celle de Louis XIV étaient florissantes parce que l’État investissait dans la culture. La culture constitue en outre un formidable moyen de créer des emplois et de la cohésion dans les sociétés occidentales qui sont particulièrement déchirées.